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 Les forêts sont des apocalypses


L’obscurité est vertigineuse et l’esprit humain a besoin de clarté.  Morgana erre en ses lieux depuis des jours qui s’étirent comme des siècles. Elle   entrevoit le sol rouge sombre, sang des arbres morts, leur profil atroce. La forêt est une apocalypse, une prison, une nasse et chaque âme fait un bruit d’agonie sous sa voûte monstrueuse.  Son corps ne tremble pas pourtant au son de la branche qui bruisse et se penche, à la vue de l’ombre pâle qui se dessine au fond de la clairière. Ses poils se hérissent et ses dents se découvrent alors qu’un grognement sourd bondit de son ventre vide. La faim déchire ses entrailles depuis  plusieurs semaines et elle ne pense plus à se retourner sur le chemin qui trace une voie sombre vers des lieux plus incertains. Ses pattes s’enfoncent dans le tapis d’or et de rouille du sous bois.  La salive brûlante envahit sa gueule bardée de crocs. Elle est une arme. Muscles bandées, ligaments tendus, os solides, prête à déchiqueter.  Parfois, sous le couvert des bois, elle se repose. Mais la faim toujours qui ronge et qui la pousse vers la folie. Bientôt, sa chair disparue, elle hantera, squelette et poussière, les anciennes passes de trappeur.

Comme des soudaines poussées de lucidité, Morgana se réveille et hurle dans le silence de mort qui s'étend tout autour : "Labyrinthe, fosse, gouffre, abîme, la forêt s'étend. La forêt à perte de vue, la forêt est partout, partout, partout, partout, partout la forêt et au beau milieu de cette putain d'enfoirée de bordel de cul de merde de forêt, il y a nous, sans personne à aimer, sans personne à rencontrer et jamais, jamais le moindre espoir pour rêver ! Que des animaux et la destruction !". Alors, elle replonge dans cette stase animale où sans jamais totalement s'oublier, elle protège ses nerfs à vif des tourments.

Ne plus penser et se laisser enfermer dans l'esprit lupin. Nourriture. Chaleur. Repos. L'essentiel est la survie. Elle s'avance prudemment, de son amble souple et s'arrête à quelques pas, les babines retroussées, les yeux fauves et fous. Elle ne reconnait pas la femme avec qui elle a partagé tant de secrets. Ni son regard vif, ni sa moue indéchiffrable. Elle est Fenrir, l'habitante des marais, la sorcière des terres sauvages. Engloutir le monde et disparaître.  Elle grogne encore, forme famélique et aliénée aux milieu des brumes matinales. Un pas. Elle s'immobilise un instant, les flancs creusés, le pelage un peu mité. Intrus. Le mot résonne et fait son chemin à travers le trouble de ses pensées. Son instinct la pousse tout d'abord à fuir mais il faut défendre le camp. Le grondement roule doucement avant de se moduler en grognements d'avertissement. Passe ton chemin étrangère ou je t'arrache la gorge.



FICHE PAR SWAN.


Dernière édition par Morgana Ives le Mar 7 Oct 2014 - 22:48, édité 2 fois
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• MORWAN #1 •

Comment décider qui mérite notre aide ?
Qu'ils en aient besoin devrait suffire.


Grise journée. Les moutons noirs d'un orage à venir cachaient un Soleil pâle de fin d'hiver. Entre les arbres, le vent qui hante la région depuis plusieurs jours a des allures de fantôme, sifflant et chuchotant entre les branches et les feuillages. Et il y a cette humaine avec sa cape noire comme une tache à l'encre de Chine, éclairée par la lueur d'une baguette. Derrière elle, l'orée de la forêt s'éloigne, elle n'est déjà qu'une vague ligne de lumière, un trait brillant qui dessine un horizon fictif.

Sous ses pas maladroits, les branches craquent et se brisent. Dans ses oreilles résonnent encore les conseils de son grand-père. Les protestations de sa mère. Dans sa tête, les reproches tournent en boucle, encore et encore, et la voix qui les répète est la sienne. Elle est stupide. Toute Serdaigle qu'elle soit, elle est stupide. Stupide d'être venue seule ici - elle n'a même pas dit à Ysolde de l'accompagner. Bien sûr, elle sait se défendre, ce n'est pas le problème. Le problème, c'est l'inquiétude qui commence à lui compresser le coeur. La forêt est dangereuse, elle le sait. Mais elle est partie quand même, soucieusement d'exhiber son indépendance et son esprit libre. Inutilement bravache, stupidement Gryffondor. Juste pour prouver ... quoi ? Qu'elle peut encore faire ses propres choix ? Qu'elle dispose de sa vie comme elle le souhaite ? « Stupide fille. Mourir serait une façon parfaitement brillante de prouver que tu es libre. » Le timbre chargé d'une ironie acide, elle râle pour elle-même. Parce que c'est la vérité. Aussi parce que c'est comme cracher un peu de sa peur. Ca lui soulage le coeur, ça l'aide à avancer plus loin dans la forêt. C'est étrange - pas étrange comme dans amusant, mais plutôt comme dans stupide - comme la forêt lui semble soudain hostile, pleine d'ombres et de créatures tapies dans un coin. Son dernier souvenir est chargé de lumière, du blanc tendre de la neige et des mots soyeux d'Adam qui l'accompagnait alors.

... A bien y réfléchir, elle aurait peut-être dû venir avec quelqu'un pour mieux dissiper les ténèbres. Elle aurait sûrement dû envoyer aux orties son envie de solitude. Y réfléchir à deux fois avant de s'inventer des idées aussi saugrenues que suicidaires. Siwan n'a rien d'une Juliette qui se suicide pour des sentimentalités. Elle a toujours contrôlé sa vie selon son gré - et pas celui de ses émotions. Ces fiançailles sont une étape qu'elle n'a pas prévue. Elle doit simplement trouver une façon de concilier les deux. Roman Travers a peut-être refusé d'annuler l'arrangement entre son père et lui, mais ça ne veut pas dire qu'elle ne trouvera pas un autre moyen d'avoir ce qu'elle veut. Tout ce qu'elle veut. Protéger sa famille et ses ambitions.

Il n'y a pas de raison qu'on lui refuse son destin.

Mais la conclusion lui échappe lorsqu'elle débouche dans la clairière alors que la forêt semble se rappeler à elle. Il n'y a pas de raison qu'on lui refuse son destin si elle reste en vie. Toutes canines dehors, la créature semble volontaire pour la lui arracher. Et tout le corps de la sorcière se tend, raide comme cette baguette qu'elle pointe vers l'animal qui suinte l'aggressivité. Sous ses doigts, elle sent déjà la magie qui afflue, le bois magique qui s'échauffe. Attaque la première, tu te défends trop, résonne le vieux conseil de son professeur de Défense à Poudlard. Elle est prête à le faire lorsqu'elle réalise quelque chose, comme un air familier, un déjà-vu poussiéreux. Et le doute retient son sort sur le bord de ses lèvres. « Morgana ... ? » Le murmure ondule sous l'hésitation et la surprise mêlés. Est-ce que c'est bien une sorcière au moins ? Siwan croit reconnaître les deux tâches comme on se souviendrait d'un vieux rêve dilué par le temps. Et la louve grogne encore. Menaçante. Dangereuse. Si sa main de baguette ne tremble pas, le rythme du coeur s'accélère dans sa poitrine. « Morgana, c'est Siwan. » La voix tremble encore, et elle recule d'un pas, tirée en arrière par le doute. Si c'est son ancienne amie, elle ne veut pas l'attaquer. Si ça ne l'est pas ... et bien, elle n'est pas non plus prête à jouer sa vie ou son intégrité physique sur ça.

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Dernière édition par Siwan Ollivander le Sam 27 Sep 2014 - 18:19, édité 1 fois
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 Les forêts sont des apocalypses


Les lèvres de Morgana s’étire en un sourire figé. Rester dans son bureau. Elle se demande un instant ce que l’on éprouve lorsque que l’on s’assoit à son bureau et que l’on sait que les innocents se font égorger dans les rues, que des enfants sont raptés et capturés avant d’être exécutés. Est-ce qu’on arrive à réfléchir, là, confortablement installé dans son fauteuil en cuir ? Est-ce qu’on arrive à penser ? Est-ce qu’on entend plus les hurlements de derrière son bureau ? Les dents de la jeune femme crissent légèrement l’une sur les autres dans un affreux bruit de cercueil, de l’émail contre l’émail qui s’abîme. Peut-être que le regard légèrement méprisant est pour Siwan. Elle n’est pas comme toi, Morgana.    L’ancienne serpentard songe aux heures passées à la bibliothèque, coude contre coude, les doigts tâchés d’encre, le même objectif en tête. L’Histoire avec sa grande hache en avait sans doute décidé autrement. L’insurgée s’explique mal l’immobilisme, les œillères devant la souffrance. Parce qu’un enfant rapté et assassiné, c’est un peu du futur que l’on arrache, c’est toujours un peu de son sang qui lui est pris. Alors, avec la rage d’une armée de damnés, elle est rentrée, ourdissant sa vengeance avec une précision mortelle. Pourtant, les années ont passé sans que rien ne change. La rébellion dans le maquis, le gouvernement derrière les lourdes portes en chêne des instances ministérielles. « Tu auras l’occasion de me l’envoyer. Je t’en fais le serment. » Peut-être que brille, encore une fois, cette lueur de défi qui la caractérisait adolescente. Elle lui donnerait l’opportunité de le faire ou bien elle mourrait en essayant.

Morgana l’observe s’approcher comme un enfant qui tente d’apprivoiser un animal sauvage. Son regard se fait attentif et curieux. Ses  muscles se rétissent lorsqu’elle  entre dans son espace vital. C’est  troublant parce qu’hormis Vincianne qui s’octroyait le droit de la toucher quand elle le voulait, peu de personnes prenaient encore le risque de l’approcher.  " Tu fais peur à voir. "  . Morgana éclate d’un rire sonore qui résonne un peu sinistrement dans les bois brumeux.  Les larmes aux yeux, elle s’esclaffe jusqu’à en avoir mal aux côtes, jusqu’à en avoir le cœur prêt à se rompre, jusqu’à se sentir vide. Alors elle s’interrompt avec une sorte de rictus malicieux. « Trois ans dans la forêt, c’est bon pour la ligne, tu devrais essayer. » Oui, elle a sans doute une tête horrible. Elle se demande d’ailleurs comment les miroirs n’en arrivent pas à se briser sur son chemin. De toute manière, ce n’est pas comme si elle faisait encore attention à ses choses là. Avant de se pomponner, il fallait déjà manger et c’était déjà assez difficile.   « Tu devrais manger. ». Morgana se demande si Siwan va s’entêter à parler en phrase simple ou si elle va tenter une phrase complexe a un moment ou à un autre de leur conversation. Pourtant le mot « manger » accapare toute son attention. Ses doigts se resserrent sur le paquet légèrement graisseux avec une avidité non feinte. Pourtant, elle essaie de se refréner, de se contrôler. La faim est une force qui dévore tout. L’esprit. La dignité. La pensée.  « Merci ». Ses mains tremblent un peu quand elle approche la nourriture de ses lèvres. Se contrôler. Première bouchée. Au diable de toute façon. Ses vêtements étaient tellement élimés qu’elle pouvait postuler pour le rôle de l’une de ces sorcières moldues au nez crochu.  Comme un animal, elle dévore son repas sans reprendre son souffle. D’un revers de main, elle essuie sa bouche avant de porter son regard sur Siwan. «  Merci encore. » Peut-être que ce maigre repas serait le seul de la semaine. Tout dépendait des évènements. Le ravitaillement devenait plus complexe en hiver. « Alors raconte-moi. Comment cela se passe chez les Ollivander ? On vit un peu comme des rustres nous autres, on est pas très au courant des nouvelles du monde et nous avons encore moins l’occasion de rencontrer des têtes familières ou des amis. » La sorcière appuie sur ce mot, comme une interrogation.


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Dernière édition par Morgana Ives le Sam 25 Oct 2014 - 0:32, édité 3 fois
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« Morgana, c'est Siwan ! » Les minutes s'égrainent et sa confiance s'érode, ses certitudes se disloquent à vue d'oeil. Sa main, toujours assurée, ne tremble pas mais dans sa poitrine, son coeur menace d'éclater. Sous elle, ses jambes ne vont pas tarder à lâcher. Et elle va mourir, stupidement, d'avoir voulu être seule. D'avoir souhaité s'échapper pour un instant de son monde qui lui file entre les doigts. Siwan pourrait en pleurer, là et maintenant, piteuse créature qui réalise sa propre faiblesse. Sa propre mortalité. « Morgana, c'est Siwan ! » Les mots ondulent de crainte. Ils sonnent comme un mantra, une prière et une persuasion tout à la fois. Elle a le goût de la panique qui remonte de son estomac comme une bile acide. La panique qui enfle doucement dans ses tripes l'empêche de voir que la louve s'est stoppée et l'observe. Il lui faut abandonner sa pelisse de fourrure grise et se dresser sur ses deux jambes pour que Siwan s'autorise à être soulagée. A respirer de nouveau.

« Siwan » Il y a une fêlure dans la voix, un rien de rauque. Mais la voix de Morgana n'a rien perdu de son autorité, de sa fermeté. Siwan hoche la tête et détaille silencieusement les ravages de cette guerre qu'elle a choisi d'ignorer sur cette amie qu'elle a chéri si longtemps. Ysolde. Et maintenant Morgana. Elle pensait ne jamais la revoir - l'espérait un peu sans doute - lorsqu'elle a vu pour la première fois les avis de recherche qui déclaraient Morgana Ives comme traître au gouvernement. Mais le hasard semble s'ingénier à mettre sur sa route ses anciens amis, juste pour lui montrer les gouffres et les entailles que la guerre a taillés. « Cela fait longtemps. Je suis désolée, je n'ai pas pu beaucoup t'écrire. » L'excuse la fait sourire, un peu. Par dérision plus qu'autre chose. « J'ai encore la réponse à ta dernière lettre dans un tiroir de mon bureau. » Elle hausse une épaule, prenant le blâme pour elle. La sorcière n'a pas osé finir ce hibou lorsque Morgana a pris le parti des Insurgés, jugeant que contacter une rebelle aurait été mettre sa famille en danger. Pourtant, le parchemin noirci de futiles banalités et de complexes théories magiques est encore dans son bureau, quelque part parmi les brouillons, attendant d'être, un jour peut-être, envoyé.

Elle s'approche sur la pointe des pieds, comme si elle craint de voir Morgana s'évaporer, disparaître ou s'enfuir. Un pas. Sa baguette ne pointe plus que le sol, ses doigts lâchement enroulés autour du manche. Deux pas. Son regard la parcourt des pieds à la tête, prudent. Trois pas. Siwan est juste en face de l'écossaise maintenant, et elle ne trouve toujours pas de mots. Leur amitié s'est toujours mieux exprimée dans le silence que dans le verbe. Pourtant, la londonnienne sent confusément qu'elle doit faire un effort cette fois. « Tu fais peur à voir. » Son éloquence également fait peur à voir. Mais elle ne sait pas comment traiter Morgana. Pas comme une ennemie, c'est certain, leurs souvenirs communs sont encore trop ancrés en elle. Mais peut-elle encore la voir comme une amie ? N'est-ce pas franchir la ligne qui l'oblige à abandonner sa sacro-sainte neutralité ? A s'engager d'un côté ou d'un autre ? « Tu devrais manger. » Les mots lui échappent. Comme ses gestes qui fouillent une des poches magiquement agrandies de sa cape pour en déloger le déjeuner que Mana a voulu qu'elle emporte et qu'elle tend maintenant sans un mot à Morgana. Et puis elle décide qu'après tout, elle va être fiancée à un Mangemort. Alors aider une amie Insurgée est une façon comme une autre de rétablir un peu l'équilibre.


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 Les forêts sont des apocalypses


Les lèvres de Morgana s’étire en un sourire figé. Rester dans son bureau. Elle se demande un instant ce que l’on éprouve lorsque que l’on s’assoit à son bureau et que l’on sait que les innocents se font égorger dans les rues, que des enfants sont raptés et capturés avant d’être exécutés. Est-ce qu’on arrive à réfléchir, là, confortablement installé dans son fauteuil en cuir ? Est-ce qu’on arrive à penser ? Est-ce qu’on entend plus les hurlements de derrière son bureau ? Les dents de la jeune femme crissent légèrement l’une sur les autres dans un affreux bruit de cercueil, de l’émail contre l’émail qui s’abîme. Peut-être que le regard légèrement méprisant est pour Siwan. Elle n’est pas comme toi, Morgana.    L’ancienne serpentard songe aux heures passées à la bibliothèque, coude contre coude, les doigts tâchés d’encre, le même objectif en tête. L’Histoire avec sa grande hache en avait sans doute décidé autrement. L’insurgée s’explique mal l’immobilisme, les œillères devant la souffrance. Parce qu’un enfant rapté et assassiné, c’est un peu du futur que l’on arrache, c’est toujours un peu de son sang qui lui est pris. Alors, avec la rage d’une armée de damnés, elle est rentrée, ourdissant sa vengeance avec une précision mortelle. Pourtant, les années ont passé sans que rien ne change. La rébellion dans le maquis, le gouvernement derrière les lourdes portes en chêne des instances ministérielles. « Tu auras l’occasion de me l’envoyer. Je t’en fais le serment. » Peut-être que brille, encore une fois, cette lueur de défi qui la caractérisait adolescente. Elle lui donnerait l’opportunité de le faire ou bien elle mourrait en essayant.

Morgana l’observe s’approcher comme un enfant qui tente d’apprivoiser un animal sauvage. Son regard se fait attentif et curieux. Ses  muscles se rétissent lorsqu’elle  entre dans son espace vital. C’est  troublant parce qu’hormis Vincianne qui s’octroyait le droit de la toucher quand elle le voulait, peu de personnes prenaient encore le risque de l’approcher.  " Tu fais peur à voir. "  . Morgana éclate d’un rire sonore qui résonne un peu sinistrement dans les bois brumeux.  Les larmes aux yeux, elle s’esclaffe jusqu’à en avoir mal aux côtes, jusqu’à en avoir le cœur prêt à se rompre, jusqu’à se sentir vide. Alors elle s’interrompt avec une sorte de rictus malicieux. « Trois ans dans la forêt, c’est bon pour la ligne, tu devrais essayer. » Oui, elle a sans doute une tête horrible. Elle se demande d’ailleurs comment les miroirs n’en arrivent pas à se briser sur son chemin. De toute manière, ce n’est pas comme si elle faisait encore attention à ses choses là. Avant de se pomponner, il fallait déjà manger et c’était déjà assez difficile.   « Tu devrais manger. ». Morgana se demande si Siwan va s’entêter à parler en phrase simple ou si elle va tenter une phrase complexe a un moment ou à un autre de leur conversation. Pourtant le mot « manger » accapare toute son attention. Ses doigts se resserrent sur le paquet légèrement graisseux avec une avidité non feinte. Pourtant, elle essaie de se refréner, de se contrôler. La faim est une force qui dévore tout. L’esprit. La dignité. La pensée.  « Merci ». Ses mains tremblent un peu quand elle approche la nourriture de ses lèvres. Se contrôler. Première bouchée. Au diable de toute façon. Ses vêtements étaient tellement élimés qu’elle pouvait postuler pour le rôle de l’une de ces sorcières moldues au nez crochu.  Comme un animal, elle dévore son repas sans reprendre son souffle. D’un revers de main, elle essuie sa bouche avant de porter son regard sur Siwan. «  Merci encore. » Peut-être que ce maigre repas serait le seul de la semaine. Tout dépendait des évènements. Le ravitaillement devenait plus complexe en hiver. « Alors raconte-moi. Comment cela se passe chez les Ollivander ? On vit un peu comme des rustres nous autres, on est pas très au courant des nouvelles du monde et nous avons encore moins l’occasion de rencontrer des têtes familières ou des amis. » La sorcière appuie sur ce mot, comme une interrogation.


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« Tu auras l’occasion de me l’envoyer. Je t’en fais le serment. » Siwan esquisse un de ces sourires qui hésitent entre la joie et les pleurs. C'est encore un de ces entre-deux qui lui déchirent le corps en deux. D'un côté, le coeur et Siwan. De l'autre, la tête et Ollivander. Ou peut-être que c'est l'inverse ? Peut-être que c'est son âme qui est attachée aux artisans sorciers et que c'est son éthique qui pleure les massacres et les injustices. Elle ne sait pas, elle a juste l'impression que pendant qu'elle était occupée à fouiller les profondeurs mystiques, le monde est devenu fou, sanglant et meurtrier. Elle a la sensation qu'on cherche à la happer dans cette folie humaine, que ça finira par la dévorer à force de donner un peu d'elle à gauche et à droite. Un peu pour sa famille, un peu pour sa culpabilité. Un peu pour la magie. Un pour pour ses amis. Et elle finira la guerre en milliers de morceaux éclatés entre tous. Mais que peut-elle faire d'autre ? Elle n'a pas la force nécessaire pour faire des sacrifices. Elle n'a pas la force de Morgana. « Trois ans dans la forêt, c’est bon pour la ligne, tu devrais essayer. » Plus que le rire fou de Morgana (non, pas un fou rire, parce que les fous rires sont des choses qui font sourire), c'est le sous-entendu qui se niche entre les mots de son amie qui lui donnent envie de reculer. Trop d'accusations. Ou peut-être que ce sont simplement les mots de sa culpabilité qui s'expriment soudainement à voix haute ? Elle ne sait pas vraiment.

Alors elle laisse une autre évidence s'échapper de ses lèvres d'ordinaire plus éloquentes. Plus savantes. Pourtant, elle regarde Morgana et elle ne peut pas se résoudre à échanger ces banalités intellectuelles (métamorphose avancée, sortilèges de haut niveau, rituels anciens et autres théories magiques) qui ont fait leur amitié. Ca semble trop loin, elles semblent trop loin l'une de l'autre. Morgana avec ses frippes et Siwan dans sa cape bien chaude. Morgana avec sa faim et Siwan avec ses joues bien roses. Il faut réduire le gouffre, alors elle lui tend ce que Mana lui a donné avant de partir. Elle ne fait pas attention, non plus, à la faim de l'ancienne Serpentarde qui dévore la nourriture avec une avidité bien loin de la tempérance que Siwan lui connaissait. « Merci encore. » Elle éloigne le remerciement de la main. Elle ne s'en sent pas digne. Morgana n'a pas à la remercier. Si elle est honnête avec elle-même, Siwan admettrait que son geste est pour partie motivé par le besoin de soulager cette conscience qui s'éveille et s'agite de nouveau. Pour le reste, ce n'est que la volonté égoïste d'une amie qui veut voir une personne chère survivre un peu plus longtemps. Vraiment pas de quoi la remercier au final.

« Alors raconte-moi. Comment cela se passe chez les Ollivander ? On vit un peu comme des rustres nous autres, on est pas très au courant des nouvelles du monde et nous avons encore moins l’occasion de rencontrer des têtes familières ou des amis. » L'email blanc d'une dent vient mordre la pulpe rose de sa lèvre. L'accusation, encore. La culpabilité, encore. Cette fois, elle recule vraiment d'un pas. Peut-être qu'il aurait été préférable qu'elle se fasse attaquer par la louve. Le regard droit de Morgana provoque une morsure bien plus profonde, Siwan en est persuadée, même si le sang ne coule pas et que la chair n'est pas déchirée. « Les Mangemorts se méfient de nous. Comme tu le sais, les Ollivander servent la communauté sorcière mais ils ne s'associent aucun idéal politique. » Elle est révoltée contre ce que font les Mangemorts, mais elle refuse de prendre parti d'un côté ou de l'autre parce qu'elle a un devoir envers toute la communauté sorcière. Mais c'est peut-être la première fois qu'elle le dit tout haut. « Et pour, elle avale sa salive difficilement : pour pouvoir continuer notre devoir, mon père a arrangé un mariage avec Roman Travers. » Ses mains retombent contre ses cuisses en geste d'impuissance. Elle n'est pas forte comme Morgana, elle ne peut pas sacrifier tout ce qu'elle a (tout ce qu'elle est) juste pour sa liberté. Fuir lui est impossible parce qu'elle est Ollivander. Plus que son Sang, c'est gravé dans son coeur. « Je sais ce que tu vas dire : je devrais fuir ou l'étrangler pendant la noce. » Siwan le sait parce qu'elle y a songé, une fois. Ou peut-être deux. Mais ce n'est pas si simple. Elle a peur pour la sécurité de sa famille. Peur de faillir aux idéaux de sa lignée. Peur de trahir sa promesse à son grand-père. Peur de ne plus être une Ollivander parce qu'au fond, Siwan perd tout son sens si elle n'est plus l'une d'eux.

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 Les forêts sont des apocalypses


Morgana a appris à se tenir tranquille. La tête légèrement penchée sur le côté comme un chien qui écoute, elle reste immobile, son visage déserté de sentiments et d’expressions. Elle ne veut pas lui dire à quel point les flammes de son ressentiment ont couvé pendant ses dernières années. Bien entendu, la sorcière ne s’attendait pas à ce que Siwan prenne les armes. Elle n’était pas taillée pour les combats, pour la vie rude des bois, pour l’ombre et la réprobation publique. Sa famille était garante d’une tradition, d’un savoir –faire. Ils n’appartenaient pas à ceux qui font couler leur sang mais à ceux qui écrivent l’histoire avec. Pourtant au nom de Roman Travers, ses lèvres ne peuvent s’empêcher de marquer une certaine moue désapprobatrice. Epouser cette raclure équivalait forcément à prendre parti. Autant Morgana pouvait tolérer-avec un mépris non dissimulé- la passivité d’une neutralité assumée, autant ce revirement pro-gouvernemental la dégoûtait mais sûrement pas autant que le pas que la jeune femme venait de faire, marquant symboliquement sa honte, sa culpabilité. L’ancienne langue de plomb pouvait flairer cette étrange fluxion de poitrine à des miles à la ronde, comme la gangrène qui ronge une jambe. Cette vague acidité, ce relent de pourriture dans l’air en était caractéristique. « Et tu ne vas rien faire ? ». Sa voix est étrangement calme et douce mais son regard garde cette même fixité étrange. Elle la jauge afin de redistribuer les cartes des alliances avant que ses lèvres ne dévoilent ses canines d’une blancheur presque monstrueuse. « En alliant votre famille, en tachant votre sacro-saint sang avec celui d’un mangemort, vous ne pourrez plus faire machine arrière. C’est la compromission de ton rang et de ta famille que tu acceptes en te soumettant à cette décision, Siwan. En as-tu au moins conscience ? ».  Son ton vient de monter d’un cran alors que ses mâchoires se crispent de frustration et d’une colère qu’elle voudrait froide. Pourtant encore une fois, alors qu’elle presse douloureusement ses paupières, se sont les flammes qui ravagent son espace mental. Dans un grondement où la tension achoppe à chaque mot, elle ajoute : « Que fais-tu des nés moldus que l’on exécute Siwan ? Et des Sang-Mêlés. Ils font partie intégrante de la société sorcière. Penses-tu que tu les sers en te  joignant à l’ignominie et  au génocide ? Je pensais ta famille plus noble que cela. On ne vous demande pas de prendre les armes mais vous lier avec les serviteurs d’un Sans Nom… Mais qu’est-ce que la guerre a fait de vous ? »  Est-ce  la  pitié que l’ancienne serdaigle peut lire désormais dans le regard de son ancienne condisciple ? Peut-être.  La question aurait pu s’appliquer à son cas. Le conflit l’avait débarrassé du superflus, raclant jusqu’à l’os son identité pour n’en révéler que le feu. C’était une force qui l’avait toujours habitée mais qui avait amplifiée avec les années ne laissant que la rage de l’incendie derrière ses prunelles jadis si austères et faussement sages.  « Je sais ce que tu vas dire : je devrais fuir ou l'étrangler pendant la noce. ».  Morgana s’avance lentement, les paumes ouvertes vers le ciel en signe d’apaisement avant de refermer sa main sur le poignet de son amie, afin de l’empêcher de fuir et de goûter à l’infâme cruauté des mots qu’elle va prononcer. A leur cruelle amitié :  « Memento Mori. Je me prépare à mourir, Siwan. Alors, tu n’as qu’à me faire un signe et je t’en débarasse. Plus de mariage. Plus de contrainte. Je ferai ça pour toi. Tu sauras comment me joindre et je te promets de résoudre le problème. »


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Qu'ils en aient besoin devrait suffire.


« Et tu ne vas rien faire ? » Elle serre les lèvres, serre les dents. Que voudrais-tu que je fasse ? C'est la question qui lui brûle les lèvres aussi bien que le coeur. Elle a déjà réfléchi à tout ça, aux échappatoires et aux portes de sortie. Elle a tout étudié, toutes les possibilités et les impossibilités. Mais elle ne peut pas simplement s'enfuir, elle ne peut pas juste refuser et partir. Elle n'a pas la force de Morgana, elle n'a pas le courage de Sean. Elle n'a pas la douleur de Fred. Elle n'a rien de tout ça. Elle n'a qu'une chose. Etre une Ollivander. Que ça. Si elle n'est plus une Ollivander, si elle n'est plus là pour perpétuer l'enseignement de son grand-père, il ne lui reste rien. Elle ne sera rien parce qu'elle ne sait pas être autre chose que ça. Quelqu'un d'autre.

« En alliant votre famille, en tachant votre sacro-saint sang avec celui d’un mangemort, vous ne pourrez plus faire machine arrière. C’est la compromission de ton rang et de ta famille que tu acceptes en te soumettant à cette décision, Siwan. En as-tu au moins conscience ? » Elle serre les poings, son coeur se serre. Que voudrais-tu que je fasse ? Un pli amer se forme au coin de sa bouche et la déception vient plisser son nez. Croit-elle qu'elle ne soit qu'une idiote ne voit rien des fils politiques qui se tissent autour d'elle ? Qui l'entravent ? Siwan a choisi de ne pas s'attarder dans le monde des hommes, mais ça ne signifie pas qu'elle n'en comprend pas de telles évidences. Où est passée leur belle complicité ? Les silences qui veulent tout dire ? Les mots qui, rares, n'en sont pas moins riches de sens ? Doit-elle croire que Morgana ne la connait pas au final ? « Que fais-tu des nés moldus que l’on exécute Siwan ? Et des Sang-Mêlés. Ils font partie intégrante de la société sorcière. Penses-tu que tu les sers en te joignant à l’ignominie et au génocide ? Je pensais ta famille plus noble que cela. On ne vous demande pas de prendre les armes mais vous lier avec les serviteurs d’un Sans Nom … Mais qu’est-ce que la guerre a fait de vous ? » L'anglaise ne veut pas croire que Morgana, celle d'autrefois, ne comprenne pas. Et la vérité qui frappe Siwan est affreuse et laide. La vérité, c'est qu'elles ne se connaissent plus. C'est ce monde de mortels qui pourrit tout. C'est cette guerre. Toute cette violence, ce sang pleuré. Ce terreste qui les garde enchaînés, même elle qui a voulu s'échapper dans les hauteurs de la magie. « Tu crois que je le fais de gaieté de coeur ? Tu crois que ça me plaît de devoir unir mon nom au chien d'un Sans Nom ? A un Sang Pur qui a jeté sa fierté pour servir un Sang Obscur ? Je ne te permets pas de m'insulter de la sorte, Morgana. Tous les sacrifices ne se paient pas avec le sang et tous les sacrifices ne se mesurent pas au nombre de blessures qui porte ta chair. Je n'ai pas le choix. Je ne peux pas m'enfuir. Si ce n'est pas moi, que se passera-t-il ? Au mieux, ce sera un de mes frères, et je tuerai, tu entends ? Je tuerai plutôt que de laisser du sang corrompu par la politique des hommes porter notre nom. Au pire, les Ollivander se feront tous exécuter ou enlever comme l'a été mon grand-père. » Elle inspire profondément, elle tente de se tempérer mieux, de ne pas laisser ses convictions se teinter d'aggression. Insulter les Ollivander a toujours agité des ouragans en elle. Comme toutes les louves, Siwan montre les crocs si on approche des siens. « Mais que fera l'Angleterre si nous ne sommes plus là pour fournir des baguettes aux jeunes sorciers ? Tu me demandes de penser aux gens. Crois-moi, j'y pense tout le temps. » Sous la mesure qui teinte sa voix de glace, ça la révolte. Ils les traitent de lâches parce que les Ollivander ne prennent pas les armes. Parce qu'ils protègent leur héritage. Mais, tout comme le gouvernement qui geint qu'aucun Ollivander n'a rejoint les troupes de ce Sang Obscur, ils ne comprennent rien à ce que sont les Ollivander. Avec les idéaux étriqués et leurs absolus intolérants, ils ne comprennent rien au devoir des Ollivander. Tous autant qu'ils sont, ils sont trop perdus dans leurs conflits de mortels, leur politique sanglante, leurs principes pourris par la mort pour même chercher à comprendre.

Siwan est prête à les défendre, à expliquer à Morgana (Morgana comprendra si elle lui explique, pas vrai ?). Et elle est surprise par les doigts glacés qui se referment sur son poignet. Elle en sursaute, même, prise au dépourvu par la poigne ferme qui la retient. « Memento Mori. Je me prépare à mourir, Siwan. Alors, tu n’as qu’à me faire un signe et je t’en débarasse. Plus de mariage. Plus de contrainte. Je ferai ça pour toi. Tu sauras comment me joindre et je te promets de résoudre le problème. » « Tu as promis d'envoyer cette lettre, Morgana. » Le reproche niche dans sa voix. Elle ne veut pas voir son amie mourir, elle veut ne rien perdre et ne rien sacrifier. Elle veut tout garder sous une cloche de verre. « Je ne t'aiderai pas à mourir. » Elle ne dit pas non pourtant. Mais est-ce que ça résoudrait tout, vraiment tout, si Roman mourrait ? Elle serait donnée en pâture à un autre homme, un autre monstre. Un autre chien. « Le vrai problème, c'est tout. Tout ça. » Tout ce chaos. Tout ce fatras d'idéaux qui se percutent avec violence. C'est fatigant. Et elle se penche en avant, son front vient épouser l'épaule de l'insurgée. Juste un instant, une épaule qui accepte d'accueillir la jeune femme qu'elle est. Même si ce n'est qu'une illusion et que Morgana n'approuve aucun de ses choix. « Je voudrais juste qu'on me laisse avec la Magie. Qu'on ne m'enchaîne pas dans le monde des hommes. » Elle soupire avant de se redresser. Elle ferme les yeux et quand elle les ouvre, il y a cette lueur scientifique, un air de cette Siwan qui, plus jeune, s'installait à la même table que Morgana dans cette bibliothèque trop bruyante : « Donne-moi ta baguette. » Devant l'hésitation de Morgana, elle insiste : « Je ne vais pas te la voler mais je suis certaine qu'elle est en mauvais état. Laisse-moi la réparer. »

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 Les forêts sont des apocalypses


« Ils commencent par te vendre en mariage, puis ils loueront ton utérus et enfin, lorsque Travers aura son héritier que tu ne verras grandir que de loin en loin, ils te prendront jusqu’à ton nom. Alors, si tu dois le faire Siwan, prends les armes et va les tuer maintenant. Je t’assure que mourir est la chose la plus charitable qu’ils pourraient t’accorder. » Morgana reprit son souffle. Elle ne savait pas. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. On ne pouvait condamner l’ignorance. « La seule chose qui permet au Mal de se développer est l’inaction des hommes de bien. Me suis-je à ce point trompée sur vous, Siwan ? » Le regard douloureux, cicatrices de ses cicatrices interrogent le visage-ami. Jamais accusateur mais en quête de cet éclat qu’elle trouvait jadis chez la jeune femme. Elle aurait préféré qu’elle soit protégée du conflit. Transplaner dans un ailleurs qui n’était pas le monde réel. Avec ses crocs. Avec ses griffes. Avec ses forêts de brumes et les monstres qui y rôdent. Elle était faite pour rire comme un pinson, Siwan. Pas pour la guerre et sa pragmatique d’horreur et de carnage.

« Mais que fera l'Angleterre si nous ne sommes plus là pour fournir des baguettes aux jeunes sorciers ? Tu me demandes de penser aux gens. Crois-moi, j'y pense tout le temps. » Y pensait-elle de derrière son bureau ? Enfouissant avec le brouillon d’une lettre vieille de trois ans, les enfants mort-nés, les cracmols renvoyés chez les moldus, les génocides et les cadavres ? Est-ce qu’elle pensait réellement être dans son bon droit ? Elle, muette, aveugle et sourde. La tête dans un seau d’abat mais incapable de sentir le goût du sang ? De quel genre de laine était-elle faite ? « Tu me diras le contraire, mais vous êtes des marchands d’arme, Siwan. Aussi neutre que la magie que vous chérissez et qui coule dans nos veines. Regarde les jeunes sorciers que tu dotes de baguettes. Qui vont-ils servir ? Le libre-arbitre n’existe plus. Poudlard n’existe plus. Minerva est un trophée de chasse sur lequel ils crachent leur fiel. Des pantins. Des pantins, Siwan. Est-ce que tu offres aux gamins chassés et torturés par des Mangemorts leur baguette pour accompagner leur sépulture dans leur dernier domaine ? Est-ce que tu visites les fosses communes et les charniers en pleurant pour chacun d’entre eux ? Tu dis que tu réfléchis mais par la Tombe de Merlin, réfléchis mieux. Et tu auras beau regretter le temps où tout était plus simple, il ne reviendra pas. Il est parti et maintenant tout brûle et tout est souillé et corrompu. Alors pardonne-moi de bousculer un peu ta famille, pardonne-moi de te faire sortir de ta zone de confort, mais dehors le monde crève. Tes amis crèvent. Est-ce que tu comprends cela ? Qui restera-t-il à sauver quand la catastrophe se sera abattue définitivement sur nous ? Rien. Je me fous de l’Angleterre, Siwan. Seule la justice prévaut.» Et dans sa bouche, justice avait la violence des guillotines et des pendaisons. On pouvait y entendre le sifflement du couperet et la clameur populaire

Le poids du corps de la sorcière la surprit un instant. Peu de personne la touchait. Parce que d’un côté, elle faisait peur. Parce qu’elle était porteuse de l’abîme et que rares étaient ceux qui voulaient expérimenter le vide et les lacunes. Ce n’était pas vers elle qu’on venait s’épancher. Sauf si l’on souhaitait partager une bouteille et se réveiller avec un mal de crâne plus odieux encore que la peine qui les avait trainée là. Maladroitement, l’insurgée caressa la chevelure de Siwan, dans un geste apaisant. « Je voudrais juste qu'on me laisse avec la Magie. Qu'on ne m'enchaîne pas dans le monde des hommes. » Le silence. Le silence qui s’étire. La parole est sujette à trop d’incompréhensions et de scories. Alors, elle convoque leur vieux compagnon. La sorcière voudrait pouvoir l’enfermer dans une tour d’ivoire loin des horreurs du monde. Elle aurait souhaité pouvoir la protéger mais nulle issue. « Parfois quand tout est trop noir, je repense à la bibliothèque. Je me souviens de la lumière et de la poussière qui jouait dans ses rayons. L’impossible était à la portée de nos doigts. J’aimerai t y ramener mais cet endroit a brûlé en même temps que Poudlard. Notre innocence y est morte. »

En chien de fusil, Morgana l’observa s’éloigner. Sans doute que cette lettre ne serait jamais renvoyée et qu’elle n’y trouverait jamais de réponse. Ou peut-être y avait-il encore un espoir puisque le regard de la jeune Ollivander s’éclaira d’une flamme qu’elle avait jadis connue. « : « Donne-moi ta baguette. » Son corps imprima un mouvement de recul, automatique. Elle ne se séparait jamais de sa baguette. Pas depuis cette nuit d’octobre 1998. Le mangemort pensait pouvoir la garder comme trophée. C’était avant qu’elle le fasse brûler. Le phénix ne se soumettait que très difficilement à la garde d’un autre. Surtout s’il était jugé comme indésirable. « Je ne vais pas te la voler mais je suis certaine qu'elle est en mauvais état. Laisse-moi la réparer. ». La main diaphane de l’ancienne langue-de-plomb se tendit vers Siwan. Ténèbres sur blanc d’os. Le bois avait pris une belle patine et luisait dans la pénombre spectrale de ce matin de septembre. Elle avait appris que la présence de Vincianne l’enchantait particulièrement mais qu’elle se montrait capricieuse lorsqu’elle était manipulée par quelqu’un d’autre. Une tête de mule doublée d’une individualiste féroce. Jalouse aussi. Peut-être était-ce leur courte séparation qui avait provoqué ce revirement de caractère. Toujours était-il que de confier l’ébène aux mains expertes de l’artisan était aussi délicat d’emmener un chat récalcitrant chez le vétérinaire. Elle lui ferait sans doute payer après. « Elle est caractérielle. » Finit-elle par déclarer Morgana avant de la confier. Elle s’enlaça nue et démunie dans le vent automnal avant d’ajouter dans un souffle. « Je te fais confiance, Siwan. »




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