Elle ne lui pardonnera pas. Non, Jane ne s’en sortira pas comme ça, pas de cette façon, pas cette fois. Elle aurait pu en vouloir à Ancrath également, mais il n’était dicté que par des pulsions masculines irrépressibles. Comment lui en tenir rigueur ? Même si le savoir en elle, là, tout de suite, lui donnait plus un haut le cœur que du plaisir. Cette haleine fétide et cette sueur crasseuse contre sa peau. Eshmé suffoque, son corps se salit, sous ses yeux sans qu’elle ne puisse réagir. C’est un calvaire pour elle qui n’a jamais été touchée par un autre homme que son propre mari et depuis le début. La violence avec laquelle Ancrath la pénètre l’irradie, comme un poignard en plein cœur, qui déchiquète chaque lambeau de chair qu’il rencontre. Elle a la sensation que c’est un viol, qu’on la bafoue sans vergogne. Un viol et qu’elle n’y peut rien, à part sentir la douleur la transpercer de plein fouet, comme une armée d’hippogriffes fonçant droit sur elle. Ils la piétinent, de mille et une façons ; broyant ses os, écrasant ses organes. Ça fait mal, tellement, qu’elle n’en peut plus. « Je t’en prie Jane… Par pitié, fais que ça s’arrête ! » Elle tombe à genoux, ses mains dans ses cheveux, à la limite de se les arracher sous la pression de sa colère et de son mal. « Je t’en supplie Jane ! » Elle crie, si fort. Mais en vérité, aucun son ne sort d’entre ses lèvres. Aucun, si ce n’est la douce litanie du désespoir. Pourtant, la louve en elle réussit à repousser Ancrath, suffisamment fort et loin pour que Jane s’en aille. Tout du moins durant un laps de temps suffisant pour qu’elle reprenne ses esprits. Elle s’écarte, vivement, en pleurant. Elle essaie de récupérer contenance, mais la rage folle la ronge. « Qu’as-tu fait ? QU’AS-TU FAIT ? POURQUOI ? » Elle tourne sur elle-même, en hurlant dans le vent, face à une chimère, du vide. Alan ne comprend pas, mais qu’importe. Jane a merdé, elle a commis le faux pas de trop. « Je me suis vengée… Tu es si naïve, si futile, si stupide. —— Tu n’avais pas le droit de bafouer mon corps, mon âme ; de me salir, comme ça te chante sale… PUTE ! —— Mais c’est que ça devient une enragée la Ginger quand elle se défend. » Elle l’attrape par la gorge, la plaquant contre un arbre. La louve dévoile ses prunelles, comme pour exprimer sa bestialité retrouvée. Mais Jane, rit, d’un rire cristallin et inquiétant. Elle le savait, cette garce savait comment elle allait réagir. Et c’est ce qu’elle voulait. « Te pousser dans tes retranchements étaient le seul moyen pour te montrer de quoi tu es réellement capable. Que tu peux te défendre, contre lui. Allons Ginger. Ne fais pas l’offusquer. Ça détruit ton teint si enfantin. —— La prise se fait plus forte autour de sa gorge et elle l’enfonce presque dans l’écorce. Elle peut pourtant sentir dans son dos le bois tenter de pénétrer dans sa colonne vertébrale. —— Je ne suis pas toi… Je ne le serais jamais. Tu t’es offerte comme une vulgaire putain, avec mon propre corps en pensant que c’était la solution. Caleb serait déçu de ce coup bas. —— Les hommes font bien pires par ambition. Ils font bien pires quand ils sont blessés dans leur orgueil. » Elle la relâche, se rhabillant, sans se soucier d’Ancrath qui ne doit rien comprendre à ce qui se passe. Mais elle s’en moque. Elle s’en moque parce qu’elle a envie de se laver, rincer son épiderme et son enveloppe charnelle de ce qu’il lui a fait. Elle a le sentiment que Lucifer lui-même est venu la pourfendre pour la laver de ses pêchés, tous plus infâmes les uns que les autres. Elle a voulu fuir, elle a voulu sauver le peu de choses qui lui restaient encore debout. « Ne me demande pas… Tu ne pourrais pas comprendre. Tu ne pourrais pas saisir… Ce qui se passe dans ma tête est le plus lourd fardeau qui m’ait été donné de porter. Que Merlin me vienne en aide pour m’en débarrasser. » De nouveau, le rire de Jane résonne, détonne dans son crâne. Elle tremble de nerfs, ça vocifère à travers ses veines, comme un feu vorace qui dévore et engloutit tout sur son passage. Il calcine, il abîme, il ronge. Et elle veut le combattre, ne pas s’étouffer par la fumée qu’il engendre. Mais elle ne peut pas, elle n’y arrive pas. Il est plus puissant qu’elle. « La ferme ! Tu as assez fait de dégâts. » Son regard biaisé foudroie la chimère avec une force incommensurable. Suffisamment pour la faire disparaître. « Je dois m’en aller… Je dois m’en aller et je te le demande comme une faveur. Ne cherche pas à me retrouver, ne cherche pas à me courir après et encore moins à me remémorer ce qu’il s’est passé. Il ne s’est RIEN passé Ancrath. RIEN DU TOUT. Je… » Les mots lui coûtent, bien plus qu’elle ne le pense et le croit. Mais il le faut, il faut qu’elle les crache, qu’elle les dise pour le préserver. Elle l’avait prévenu pourtant, elle lui avait dit. Mais non, il faut toujours que les gens se rattache, avec ignorance et stupidité. Mais pas elle. Elle le refuse. Pas encore un, pas une nouvelle fois, pas un autre. « Je te pardonne d’avoir succombé. Je te pardonne de l’avoir fait. Mais la prochaine fois… la prochaine fois, je ne te garantis pas que je t’épargnerais. Je les laisserais te reprendre et faire de toi ce qu’ils veulent. » Et elle disparait, dans un plop, dans la noirceur de la nuit. Elle disparait, parce que c’est ce qu’elle fait de mieux. Ce qu’elle a toujours su faire, sans Lui. C’est plus facile, moins douloureux, moins encombrant. La réalité la rattrapera de toute façon, demain. Car c’est un autre jour, une autre chance de pouvoir faire mieux encore.