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Waltz again

avec Kirill Moltchaline



Il était temps. Elle avait attendu ce moment avec impatience et, elle admettait, beaucoup d'émotions. Elle allait enfin accueillir son neveu dans son manoir... Avec toutes ses occupations, il avait été plus dur que prévu de trouver un moment où ils pourraient se retrouver tous les deux. Elle aurait voulu le revoir plus tôt, quand il avait lui-même envoyé une invitation... Elle avait eu rendez-vous, et aussi, beaucoup moins hâte de croiser sa fille fraîchement émancipée. Mais désormais, et à jamais, rien ne l'empêchait de retrouver la chair et le sang de son frère, un peu la sienne, l'image de ses souvenirs d'enfance, une de ses fiertés, sa famille en résumé. Elle gardait précieusement les quelques clichés que lui avait envoyé son frère, elle avait encore le souvenir de ce petit garçon blond solitaire, sensible et fort à la fois... Un Moltchaline.

Elle avait retenu son excitation avec le flegme qui la caractérisait, mais dans son âme, elle temporisait son envie de mettre les petits plats dans les grands alors qu'il ne s'agissait que d'une visite... Elle voulait tellement que son neveu se sente aussi chez lui entre ces murs... Elle se contenta alors de préparer le petit salon. Cheminée de marbre noire accueillant son plus chaleureux brasier, une table de verre où se trouvent Whisky pur-feu, thé et des petits gâteaux qu'elle avait préparé elle-même, pour occuper ses mains et son esprit et bien sûr, un doux air d'opéra remplissant l'espace tout aussi efficacement que n'importe quelle décoration. Des tableaux aux chandeliers, des nappes au tapis. C'était parfait pour accueillir Kirill.

Elle tressaillit en entendant la cloche résonner dans l'entrée mais s'en remit bien vite. Elle lissa sa robe, jeta un dernier coup d’œil au salon et alla tout sourire ouvrir à son neveu. Il était parfait, comme toujours, elle ne l'avait jamais vu mal présenté... Il était beau son petit neveu... Une bouffée de nostalgie s'empara d'elle si violemment quand elle reconnut en lui des traits de son frère qu'elle le salua automatiquement en russe... :

-Kirill, je suis très heureuse de te voir... Bienvenue chez toi.

Car ici aussi, il était chez lui. Elle tendit sa main car la politesse voulait qu'elle l'accompagne jusque dans le petit salon mais avait toujours respecté que Kirill ait ce côté distant... Asociabilité avait annoncé le père de l'enfant dans l'une de ses lettres. Pour Irina, ce n'était pas un trouble, ça faisait juste parti du caractère de son neveu adoré. Alors même si elle n'entrait en contact avec lui que lorsqu'il le voulait bien, une fois qu'il acceptait, elle ne se gênait plus pour le prendre dans ses bras et le câliner avec tout son amour. Bien que... peut-être qu'il était trop grand pour ça maintenant ?

Une fois arrivés, elle lui désigna un fauteuil sur lequel s'installer et lui demanda ce qui lui ferait plaisir comme boisson. Verres et bouteilles s'envolèrent, faisant leur travail, tandis qu'elle s'assoit à son tour, toujours avec des gestes délicats. :

-Je suis ravie qu'on puisse enfin discuter tous les deux. Tu m'as manqué mon garçon, c'est vrai... Et je m'inquiète pour toi aussi.

Car décider de rester en Angleterre pour se marier était une chose, ne plus avoir le droit de poser ne serait-ce qu'un orteil dans la Mère Patrie en était une autre... Et Irina, qui savait à quel point Kirill tenait à ses parents, se doutait qu'il n'allait pas aussi bien qu'il le montrait... Après tout, c'était un Moltchaline, et elle aussi avait l'habitude de vouloir gérer seule ses problèmes. Sauf qu'il devait aussi savoir qu'il n'était pas seul, qu'elle pouvait l'écouter, qu'elle était là et qu'elle avait porté le même nom autrefois.


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Il est nerveux alors qu'il se tient devant la porte du manoir Travers. Car si Basel et Crystal sont certes de sa famille, Irina l'est plus encore. Elle fait partie de ses plus intimes souvenirs et il se souvient avec une précision presque tranchante de sa voix posée, de cette manière de le prendre dans ses bras en lui caressant les cheveux, de l'écouter dire des phrases trop longues pour son âge, sous l'oeil amusé de son père.
La plus grande bénédiction de Kirill avait sans douté été de naître là où il était né, d'une mère à l'esprit presque trop ouvert pour être honnête, d'un père protecteur et entouré d'un clan plus âpre dans la défense de ses membres que ne pouvait l'être une meute de lions.

Kirill n'a jamais trouvé d'acceptation complète de son être qu'auprès des siens, du sourire de son père, de l'étreinte de sa mère et jusqu'à il y a peu, dans les accolades sérieuses de son cadet. Il ne sent plus leur présence désormais et chaque jour qui passe semble le faire s'estomper, déteindre, comme une toile mise sous la pluie pour y perdre ses couleurs.
La Russie lui manque.
Sa famille lui manque.
Et bien qu'il vive depuis trois ans en Angleterre, c'est bien le récent départ de Sergueï qui a mis le feu aux poudres, et lui a révélé l'ampleur de sa solitude. Il se sent seul, une solitude que rien ne vient combler. Et que l'absence persistante de Dorian, depuis leurs ébats atrocement ratés, ne fait qu'accentuer. Il sent un noeud de mauvaise augure dans son estomac, un drame à venir. Quant au russe, il le perd peu à peu. Il s'éteint faute de rouler sur sa langue.

Et lorsque la porte s'ouvre sur sa tante et que la voix de cette dernière s'élève, toujours mélodieuse, dans sa langue maternelle, c'est à peine s'il ne reste pas figé, stupéfait de se trouver face à une locutrice capable de lui parler dans ce langage qu'il aime tant et touche désormais si peu du doigt.

-Kirill, je suis très heureuse de te voir... Bienvenue chez toi.


Chez lui. Comme cette expression est étrange dans ce pays, où il n'est nulle part chez lui, pas même dans son propre appartement. Il lui offre un sourire poli, de circonstance, incertain de la manière dont il doit se comporter. Il est trop grand pour qu'elle le porte désormais cela va de soi, mais revoir Irina et sa crinière blonde, sa taille de guêpe, sa bouche aussi prompte au sourire qu'au rictus de sévérité, sa haute stature...tout lui rappelle son enfance, tout brise sa carapace. Alors son sourire s'étend un peu. Un peu.

-Merci Irina. Je...

Il cherche ses mots et les retrouve en russe.

-J'attendais ce moment avec impatience, moi aussi.


Il accepte qu'elle tende la main et le prenne par le bras pour le mener jusqu'au salon familial et inspire doucement. Elle a le même parfum depuis son enfance, une fragrance délicate aux notes de rose et de jasmin. Il observe la décoration et lui demande un thé à la bergamote lorsqu'elle s’enquière de ce qu'il désire boire. Puis, d'un geste ample, elle lui désigne un fauteuil, un autre et le canapé dans lequel elle s'assied. Il hésite, observe les places puis finalement dédaigne le fauteuil pour s'asseoir aux côtés de sa tante, sur le canapé de tissus hors de prix.

-Je suis ravie qu'on puisse enfin discuter tous les deux. Tu m'as manqué mon garçon, c'est vrai... Et je m'inquiète pour toi aussi.

Il se raidit imperceptiblement, se fige presque et finalement, parvient à prendre une gorgée de thé, à se détendre, à retrouver sa prestance habituelle, sous laquelle tout se cache et rien ne tremble. Il sourit et repose sa tasse, calme et mesuré comme à son habitude, sa voix feutrée glissant dans l'air car désormais débarassée des efforts devant être produits pour parler anglais:

-Je te remercie de ton attention, elle me touche...toutefois, je ne suis pas certain de savoir pourquoi tu t'inquiètes. J'ai un poste à responsabilités, me rapportant plus que ce dont j'ai besoin et cette marque qui tâche mon bras comme le tien me garde à distance des ennuis...du moins tant que la pyramide demeurera ce qu'elle est. Et tu me connais...il faut plus qu'une guerre pour me déstabiliser. Ne suis-je pas l'atroce "misanthrope associable" de notre famille?

Il sourit un peu amèrement, reprenant les mots dont il est certain qu'elle a connaissance. Son père avait du lui écrire, lui dire quel diagnostic avait posé le terrible médecin russe venu examiner Kirill l'année de ses dix ans, lui expliquer comment la rencontre entre l'enfant et le praticien avait viré au désastre, le premier prenant un malin plaisir à terrifier et agacer le second. Sociopathe: le couperait était tombé, tranchant, implacable. Kirill n'avait jamais vu ses parents dans un tel état de rage face aux propos venimeux du médicomage et il avait laissé se faire la dispute. Il n'avait pas aimé l'homme à l'austère blouse noire à la seconde où il l'avait vu. Alors il l'avait repoussé, l'analysant, cherchant comment le renvoyer vers ses pénates sans chance de retour. Il l'avait provoqué, cherché, tout cela pour se faire étiqueter en tant que petit monstre de foire aux tendances potentiellement meurtrières et dénué de la moindre affection.
C'était incroyable, ce qu'on pouvait réussir à faire croire aux gens lorsqu'on désirait vraiment avoir la paix une fois pour toute.
Plus tard, Yvan avait demandé à Kirill pourquoi. Pourquoi il avait agit ainsi. Kirill avait haussé les épaules et avait répondu "je ne discute pas avec les imbéciles. Il n'a rien dans la tête, comment saurait il ce qu'il y a dans la mienne".
Et le débat s'était terminé ainsi.

Il sait qu'Irina le connait et qu'il ne la trompe pas, pas elle. Mais que peut-il dire? qu'il est dans un état de décrépitude sentimentale avancé? non, cela ne colle pas au personnage, cela n'est pas l'image qu'il s'efforce ce renvoyer. Il est l'aîné de la famille, et il vaut mieux que cela, mieux que des épanchements sur des problèmes dont elle ne peut pas régler la moitié. Il doit faire face même seul car s'il ne peut pas assumer ses responsabilités qui le fera? S'il ne peut supporter l'abandon, comment survivra-t-il au futur?

Il sourit de manière plus appuyée et boit de nouveau un peu de thé. Il faut sauver les apparences, essayer du moins.



Dernière édition par Kirill Moltchaline le Lun 23 Mai 2016 - 16:27, édité 2 fois
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Waltz again

avec Kirill Moltchaline



Regardez-le, ce petit monstre... Comment pouvait-on encore l'appeler ainsi ? Elle ne perd pas son sourire mais ferme les yeux à l'insulte qu'il se lance, qu'il a du trop entendre, qui ne lui va pas à ses yeux. Elle reconnaît ce rictus peiné, cette façade construite et ce qui se dégage du regard intense de son cher neveu. Comment pouvait-on faire cela à un enfant ? Parce que Kirill n'était pas stupide, parce qu'il était Moltchaline et donc fort, assuré, l'on avait décidé de lui qu'il n'avait pas de cœur, qu'il n'avait pas d'état d'âme. Mais Irina, blessée comme si l'on venait de la frapper directement, connaissait assez sa propre chair pour être assurée du contraire. Qu'importe ce qui minait Kirill, elle pouvait le voir, elle pouvait le ressentir... Et elle savait qu'il n'était pas un monstre.

Le deuxième sourire qu'il lui lance la déchire à l'intérieur bien qu'il soit plus appuyé. Oh non, il ne pouvait la tromper de cette manière... Elle posa sa tasse de thé et laissa tomber le masque un peu dur qu'elle offrait à la foule abjecte, celui qui montrait que rien ne pouvait l'atteindre, pour afficher celui d'une mère, d'une tante inquiète, fière, attentive... Si Kirill était un monstre, ils en étaient tous, et elle la première. Les cheveux de son neveu étaient si parfaitement domptés qu'elle doutait de pouvoir faire comme autrefois, y plonger ses mains pour le caresser tendrement, aussi elle posa simplement sa paume sur sa joue, lentement, doucement,... :

-Kirill... Je suis ta tante... J'ai pas besoin d'être legilimens pour savoir que quelque chose te tracasse...

Devenir mère c'est aussi recevoir des pouvoirs qui vont au-delà de la Magie, c'est quelque chose de bien plus puissant que ça. Elle retira sa main et se redressa imperceptiblement, récupérant au passage son masque, sans perdre ne serait-ce qu'une seconde son sourire. Toute une gymnastique qu'elle maîtrise depuis toute petite, tout comme son neveu. :

-Tu n'es pas un monstre mon grand, tu es un Moltchaline. Et contrairement à ce médicomage qui a osé te traiter comme un monstre, tu n'es pas stupide... J'ai toujours su que tu maîtrisais ce monde bien mieux que n'importe qui, et cela passe par un recul par rapport aux autres que l'on s'impose. Tes parents s'en sont inquiétés tout simplement parce que tu étais très jeune.

Elle reprend sa tasse avec grâce et boit une gorgée. Ce qu'elle disait là avait toujours été très clair pour elle et, bien qu'elle comprenait l'inquiétude de son frère et de sa femme à cette nouvelle, elle n'en a jamais fait un drame... Qu'il soit effectivement sociopathe ou non.

Elle prit une pause avant de le regarder dans les yeux, cette fois sans sourire. :

-Tu es peut-être bien placé, tu arrives à subvenir à tes besoins, c'est bien... Mais il y a d'autres choses dans la vie pour être heureux. Personnellement, il m'a fallu Basel et mes enfants pour enfin me sentir complète. Et là mon garçon, je le sens plus que je ne le sais, mais tu n'es pas heureux. Tu es Moltchaline, tu te dois d'être parfait en société... Mais on ne peut pas affronter le monde seul, c'est pour ça que nous sommes une famille unie, c'est pour ça qu'ensemble, nous formons une meute indestructible. Et je suis là pour toi Kirill... Je serai toujours là.

C'était une leçon qu'elle aurait voulu que sa fille comprenne... Que la place ne faisait pas tout, que même si elle avait très bien le droit de courir après cette Marque et la reconnaissance de ses pairs, elle ne s'en sentirait pas aussi heureuse qu'en fondant sa propre famille... Mais là, l'important, c'était que Kirill accepte qu'il en avait déjà une qui pouvait le soutenir, qu'importe ce qu'il était, ce qu'il faisait,... Irina donnerait toujours son âme à ceux qu'elle aimait profondément.

Sourire de nouveau aux lèvres, sa main sur celle de son neveu préféré, elle reprend une dernière fois en usant du vieux sobriquet qu'il lui donnait petit, avant de lui laisser la parole. :

-Alors n'hésite pas mon grand. Tatie Ina est là pour toi.


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Il baisse rapidement les yeux et la tête, comme pour cacher une expression de honte ou de peine. Elle le connait très bien, Irina, beaucoup trop bien. Il se souvient encore de sa mère et de sa tante s'extasiant devant la blondeur dorée de ses cheveux -avant que ceux çi ne blanchissent...malencontreusement- les prenant dans leurs bras. Les deux femmes s'étaient toujours extrêmement bien entendues, en dépit de ce que le monde se plait souvent à penser des relations entre famille nucléaire et belle-famille : elles avaient été unies comme des soeurs de sang à la seconde où sa mère avait épousé son père et Irina, fidèle à la tradition familiale et à son coeur avait adopté la mère de Kirill comme une amie. Peut-être leur proximité avait-elle également à voir avec leur métier commun : deux danseuses étoiles, deux bijoux des ballets sorciers de Russie. Le fait est qu'Irina avait toujours le champ libre pour le prendre dans ses bras, pour l'écouter parler et lui poser des questions, il avait valsé un nombre incalculable de fois avec elle dans la salle de bal du château et on racontait même qu'elle était l'une des seules à lui avoir arraché un fou rire, enfant. Ce rire en cascade que possède les petits et que l'on arrête que difficilement. De toutes ses tantes, Irina avait toujours été sa favorite et aujourd'hui encore, elle le lui faisait sentir.

Kirill soupire. Lui mentir serait inutile et insultant, on ne trompe pas un esprit affûté comme le sien par fierté. Il pose sa tasse et lentement, perd sa stature droite pour appuyer son dos contre le canapé, un geste qui peut paraître naturel dans certaines strates de la population mais qui pour un membre de son clan est presque comme poser les coudes sur la table ou s'asseoir en tailleur au milieu de la salle à manger. Une mèche blanche, comme pour appuyer cet abattement, tombe devant ses yeux, lui redonnant en une seconde l'aspect jeune et lisse qui est le sien, et que le noir de ses tenues ainsi que ses manières effacent toujours.

Quand il parle, de sa voix toujours feutrée, il y a pourtant une note d'amertume, et pour les Moltchaline, une note lancée au monde extérieur n'est qu'un aperçu de la symphonie se jouant dans leurs coeurs:

-Tu sais que je n'aime pas me plaindre. La vie ne fait de cadeaux à personne, pourquoi serais-je différent?

Seul le silence attentif de sa tante lui répond et il sent qu'il va devoir laisser tomber son armure, parce qu'elle le connaît sans et que lui jouer la comédie ne sert à rien. Entre ces murs, ils ne sont plus mangemorts, plus des serviteurs du gouvernement, plus des partisans, ils sont des expatriés, une famille, deux personnes parlant une autre langue, avec d'autres paysages à l'esprit.

-....Sergueï est parti. Je sais que je ne devrais pas y prêter attention. Il est un adulte mais je...j'ai toujours...fait de mon mieux pour le protéger. Pour le garder à distance des ennuis et lui montrer qu'il était important pour...moi. Juste...pour moi. L'amour ne se monnaie pas je n'attendais rien en retour mais je pensais qu'il...resterait. pour moi. Qu'il me choisirait avant la Russie après tout ce que nous avons vécu mais il a préféré les honneurs et je ne....


Il s'interrompt.

-Excuses moi. Je m'exprime comme un enfant. J'aimerais te montrer un visage plus présentable mais je n'arrive pas à...formuler les choses. J'ai tellement de...rancoeur et de colère et de...peine. Il m'a laissé. Il ne reviendra pas, plus maintenant qu'il a tout ce qu'il désire dans notre mère patrie. Il est...comme les autres. Il prends et me laisse, il est parti en laissant une note. Une note.... Pourquoi tout le monde agit-il ainsi?! Je ne suis peut-être pas digne d'amour, mais je pensais être digne d'assez de respect pour qu'on me tue en me regardant dans les yeux et pas en me tirant dans le dos!! Même les monstres sont abattus avec plus d'honneur et j'en suis un!! pourquoi n'ais-je pas droit au même traitement?!

Sa voix est descendue dans les graves, alors que ses émotions prennent le pas sur ses pensées, et soudain, sa tasse se fendille, se craquèle, avant de tomber en morceaux sur la table basse. Il se reprend et s'excuse platement avant de sortir sa baguette:

-Je vais nettoyer ça. Excuses moi Irina je ne voulais pas...

Il s'interrompt. Sa baguette lui réponds mal, le sort ne veut pas sortir. Alors il abandonne. Il la laisse retomber le long de son flanc et se rassied, conscient de n'être qu'un pathétique morceau de chair en plein écroulement. Ses yeux se troublent.

-Tout le monde prend. Lui...Ethan Wild cet homme de l'académie de médecine...ils ont pris. Tout ce qu'ils pouvaient. De gré ou de force. Et j'ai cru qu'en donnant je serais...qu'ils verraient. Ce que tu vois. J'ai tout donné à Sergueï et Wild a...


Il n'arrive pas à finir, c'est son secret le plus honteux il ne veut pas même le formuler à haute voix. Comment avouer ce genre de choses? Irina devait se douter depuis bien longtemps que Kirill aimait les femmes, mais aimait surtout ce qui est beau, et que les hommes étant beau, son choix pouvait se porter sur eux également. Elle devait le savoir, et ne pas le juger, tout comme le reste de sa famille ne l'avait pas jugé. Mais comment avouer ce qui ne se dit pas, lorsqu'on appartient à une dynastie pareille? Comment avouer que l'on a cédé face à l'inadmissible, que l'on a serré les dents au lieu de hurler et que l'on a supporté les pires pratiques par volonté d'acceptation, lorsque depuis l'enfance on nous répète que l'acceptation des autres n'est rien? Il a honte, il brûle de honte mais reste froid en apparence, une technique bien éprouvée.
Il a si mal. Même l'image de Dorian ne parvient pas à effacer les souvenirs qui remontent à ce moment.

-....Il n'a fait au fond que ce que je lui ais permis de faire. J'ai été faible. Faible et écoeurant. J'ai cédé à lui comme à Sergueï en espérant qu'ils restent. Et voilà le résultat.

Il ferme les yeux. Il espère ainsi regagner un peu de contrôle sur lui même mais quelque chose pousse dans sa poitrine, comme pour sortir et ses yeux le brûlent. Il ne doit pas craquer, pas face à cette femme si digne, pas lui, pas lui l'héritier. Il ne peut pas. Mais la chute est amorcée et il va tomber. Il le sent, il a heurté le sol bien des mois plus tôt.




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avec Kirill Moltchaline




Irina attendit patiemment que son neveu se délivre lui-même. Elle l'avait dit, elle était là pour lui, il ne lui manquait plus que le pas qu'il devait faire pour l'atteindre... Sa voix change, sa position aussi. Il tente une dernière fois de faire face mais elle ne dit rien, elle attend. Elle peut faire preuve d'une patience à toute épreuve pour l'aider.

Sergeï était parti. Bien sûr qu'elle était au courant, mais elle ne savait rien du "petit mot"... Il avait abandonné son aîné pour une vie plus aisée en Russie. Mais elle comprenait à peine les raisons de ce choix en vérité... Sergeï enfant aimait beaucoup son frère, et Kirill le lui rendait bien. On passait la famille avant tout, mais elle aussi avait fait une fois l'impasse, en épousant Basel... Toutefois, ça n'avait eu qu'un impact bénéfique, car malgré la distance, ils se voyaient autant que possible... Et Sergeï, sachant pertinemment que Kirill ne pouvait revenir, avait sciemment choisi la patrie plutôt que son frère. Et maintenant qu'elle avait le point de vue de ce dernier, elle le comprenait d'autant moins.

Kirill se sent seul.

Elle était tellement concentré sur lui qu'elle n'avait pas remarqué que la tasse de thé se fendillait au fil de ses explications. Quand elle explose, elle se tend et tourne vivement la tête dans sa direction... Kirill se lève alors et sort sa baguette, prêt à la réparer mais rien ne se passe... Il est tellement bouleversé qu'elle ne lui répond pas. Ça vaut tous les cris de détresse... Irina ne s'occupe pas de la tasse brisée, elle pose sa main sur le bras de son neveu, l'encourageant à continuer... car elle voit à son regard humide que ce n'est que le haut de l'iceberg.

Ethan Wild. Elle retient aussitôt le nom, c'est instinctif. Une ancienne relation de Kirill ?... Elle n'avait jamais jugé sa sexualité. Un corps reste beau, qu'importe son sexe. Tant que son sang était Pur, Irina n'avait aucune objection à ce sujet. Mais là, à cette façon dont il en parle... Devait-elle s'attendre au pire ? Elle reposa ses mains près d'elle, les serrant avec une telle force que sa peau devenait d'autant plus pâle au niveau de ses articulations. Qu'est-ce que cet homme avait osé faire à SON Kirioucha d'amour ?! Combien de temps avait-il gardé tout ça pour lui tout seul ? Comment Sergeï avait osé laissé son aîné derrière avec cette ordure alors qu'il avait toujours été là pour lui ?

Elle se lève, elle a besoin de marcher, elle a besoin d'évacuer... Si elle parle maintenant à son neveu sans se calmer elle risque de cracher tout son venin et ce n'est pas ce dont il a besoin. Tout en faisant les cent pas, elle s'empare de sa baguette ; elle répare la tasse, ferme les épais rideaux, allume les bougies au quatre coins de la pièce, alimente le feu de la cheminée et ressert une nouvelle tasse de thé, plus pour s'occuper l'esprit que dans l'optique de la boire plus tard. Quand tout est fait, elle s'arrête alors et regarde son pauvre garçon. Si jamais elle croisait ce Wild, seul Raspoutine savait ce qu'elle ferait à sa réputation... Mais là, elle devait s'occuper de son neveu.

Elle jeta un coup d’œil à la porte. Elle avait donné l'ordre qu'on ne la dérange pas mais elle voulait être sûre. Elle se baissa pour ôter ses chaussures à talons, revint vers le fauteuil et s'agenouilla dessus. Elle s'empara des épaules de Kirill avec douceur mais aussi avec une certaine force, comme s'il était hors de question qu'il refuse ce câlin. Elle le serra contre lui, le cœur serré, les larmes aux yeux s'échappant enfin de ses paupières pour rouler lentement sur ses joues blanches... Son sang, sa chair... Pourquoi cette souffrance ?... Elle le berça comme un enfant. Un enfant qui avait tant besoin d'être aimé. Elle n'avait pas les mots pour le consoler et elle s'en sentait tellement faible... Elle resta longtemps ainsi, Kirill au creux de son corps...

Elle l'éloigna doucement, en reniflant. Elle s'empara d'un mouchoir pour essuyer ses larmes, tapotant le coin de ses yeux pour ne pas étaler le peu de maquillage qu'elle avait mis. Elle toussota mais sa voix trembla tout de même. :

-Oh Kirill... Mon Kirill...

Une nouvelle vague de chagrin faillit détruire ses efforts pour revenir à la normale. Elle souffla, battant furieusement des paupières... Elle pinça ses lèvres avant de reprendre. :

-L'important n'est pas la chute... mais de se relever. J'admets ne pas accepter le fait que Sergueï soit retourné en Russie, d'autant plus maintenant que je sais comment il t'a présenté ses adieux, mais c'est ton petit frère. Ta famille. Tu as le droit d'être en colère après lui mais n'oublie pas cela. Quand à cet... homme...

Et jamais il ne fut plus difficile pour Irina d'appeler une pourriture de cette manière... :

-Tu lui as donné parce que tu as cru. Tu as cru qu'il ne te laisserait pas et tu as cru en l'amour... Jamais je ne t'en voudrais pour avoir cru en quelque chose d'aussi beau. Mais cette horre... cet homme t'a utilisé. Tu as le droit de pleurer mon grand, car ce sont ces gens-là les véritables monstres...

Puis elle eut un regard dur, autoritaire, et elle ponctua la suite de sa déclaration en levant son index. :

-Mais tu es Kirill Moltchaline, tu es puissant et fort. Tu ne dois pas montrer cette peine aux autres. Tu es un battant, je le sais, et je serai toujours à tes côtés pour te soutenir. A cette erreur de la nature et aux autres pourritures hideuses qui parcourent ce monde, nous ne montrons que la condescendance qu'ils méritent.

Elle s'empara des mains de son neveu et le regarda dans les yeux. :

-Alors tombe Kirill, mais n'oublie pas de te relever... Je te fais confiance, je sais que tu peux le faire... Je suis avec toi et je t'aime.

Elle lui sourit encore une fois en caressant sa joue, un éclat de fierté dans les yeux... Puis il est d'ailleurs temps de se relever : elle se redresse pour tendre ses jambes devant elle avant d'aller chercher ses chaussures tout en frottant une dernière fois ses joues humides. :

-Oh la la, c'est que je suis plus toute jeune !

Elle restait une femme en forme mais n'ayant pas l'habitude de s'asseoir de manière si... décontractée, ses genoux lui faisaient un peu souffrir.


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Il ne s'est pas attendu à la réaction de sa tante. Preuve, une fois de plus, qu'il lui faut retourner aux sources, à ses racines. La voilà qui se lève et s'agite pour calmer son trouble et ils s'en veut soudain, cruellement, mortellement, de lui faire subir les affres d'une souffrance qui ne devrait pas être la sienne. Lorsqu'il évolue dans les ombres, et parmi les autres mangemorts, Kirill n'est que froideur et dignité, que grandeur et haute stature, yeux de glace et pommettes taillées à la serpe, que force et constance. Et le voilà qui vacille, s'effondre et l'emporte dans sa chute, cette si belle femme.

Et la voilà aussi qui revient, et s'assied près de lui, les yeux humides. Ils ont des yeux très semblables, d'un bleu un peu plus soutenu pour Irina, légèrement plus polaire pour lui. Mais la forme, l'étincelle de fierté dans leurs prunelles, est bien la même. Et les larmes qui luisent à cet instant sous leurs paupières sont les mêmes. Des larmes rares, dont chacune contient assez de peine pour nourrir une cascade une année durant. Il la sent s'approcher plus qu'il ne la voit et soudain, elle le serre contre elle, une main posée dans ses cheveux et les lissant doucement comme lorsqu'il était enfant, la seconde contre son dos. Il n'hésite que peu, le parfum d'Irina achevant de casser la distance qu'il impose au reste du monde, et il se laisse bercer, plongeant son visage dans le creux du cou de sa tante, de sa deuxième mère. Et il sait qu'elle sent les larmes silencieuses qui tâchent sa robe et coulent sur sa clavicule. Elle ne dira rien elle est trop empathique pour cela. Alors sans un soubresaut, Kirill pleure des larmes de peine, d'adieu, de regret, de honte, de dégoût, des sentiments qu'il ne peut pas montrer, qu'il ne doit pas montrer, s'il veut vivre.

"Oh Kirill... Mon Kirill..."


La voix d'Irina a les mêmes notes feutrées que la sienne à peu de choses près. Il n'a pas l'habitude, plus l'habitude, d'entre son prénom prononcé avec tant d'amour et la fêlure dans son coeur s'accentue.

"L'important n'est pas la chute... mais de se relever. J'admets ne pas accepter le fait que Sergueï soit retourné en Russie, d'autant plus maintenant que je sais comment il t'a présenté ses adieux, mais c'est ton petit frère. Ta famille. Tu as le droit d'être en colère après lui mais n'oublie pas cela."

Elle a raison et il le sait, les larmes qu'il verse sont des larmes de dépit, pas de haine. Il en veut tellement à Sergueï, il voudrait le battre comme plâtre, lui infliger de la souffrance, lui faire mal comme lui l'a blessé. Mais il l'aime comme au premier jour, il l'aime tellement et comme au premier jour ce petit frère tant voulu et connu si parfaitement bien compte plus que tout au monde. Malgré son ingratitude et sa lâcheté, sa course aux honneurs et son instinct grégaire. Il n'est pas parfait, mais Kirill le sait : il restera toujours l'ombre bienveillante dans le dos de Sergueï, prête à combler les fossés avant qu'il n'y pose le pied. Il pensait juste pouvoir un jour lui prendre la main dans ses propres moments d'aveuglement, s'appuyer sur son épaule après une longue fatigue. C'est le deuil de ce frère qu'il croyait idéal qu'il pleure, la perte irréparable de ce que Sergueï était à ses yeux : un frère de lait, un frère de sang et un frère d'armes.

"Quand à cet... homme..."

Ca y est le coup de grâce arrive. Wild le doucereux, le mielleux, le flatteur, le charmeur, le manipulateur, le menteur, le pervers, le sadique, le violent, le violeur. La plus grossière erreur de Kirill son plus grand regret. Sa plus grande salissure.

"Tu lui as donné parce que tu as cru. Tu as cru qu'il ne te laisserait pas et tu as cru en l'amour... Jamais je ne t'en voudrais pour avoir cru en quelque chose d'aussi beau. Mais cette horre... cet homme t'a utilisé. Tu as le droit de pleurer mon grand, car ce sont ces gens-là les véritables monstres..."

Il pleure, de ce côté les jeux sont faits, il souffre et il n'en a pas l'habitude. Sa famille le change, le met à nu, et il n'a jamais vraiment aimé ça. Mais il en a tellement besoin. Et Irina, cette mère attentive dont les enfants courent désormais en tout sens, en a tellement besoin elle aussi. Ils sont si seuls dans cette multitude. Mais si complémentaires. Elle le comprend. Il n'est pas une horreur ni une anomalie, pas pour elle. Il n'est pas l'horreur. Il est normal et Wild constitue la déviance. Il est normal. Et les mots de sa tante ne font que continuer de lui réchauffer un peu le coeur et le corps sous le poids sourd de sa peine.

"Tu es Kirill Moltchaline, tu es puissant et fort. Tu ne dois pas montrer cette peine aux autres. Tu es un battant, je le sais, et je serai toujours à tes côtés pour te soutenir. A cette erreur de la nature et aux autres pourritures hideuses qui parcourent ce monde, nous ne montrons que la condescendance qu'ils méritent...alors tombe Kirill, mais n'oublie pas de te relever... Je te fais confiance, je sais que tu peux le faire... Je suis avec toi et je t'aime."

Il sent une intense chaleur lui réchauffer le coeur. Il répète lui aussi la phrase, en russe, doucement, puis la regarde lui caresser la joue, penchant même légèrement la tête comme un chat. Et puis la voilà qui s'anime, qui retrouve son mouvement, va de l'avant, comme la femme d'action qu'elle est. Et là voilà aussi qui critique son âge. Kirill la regarde faire avec bienveillance:

-Tu es toujours aussi belle, Ina. Tu n'as rien perdu de ta grâce.

Il se lève et marche jusqu'à elle, comparant leurs tailles et souriant alors que ses yeux rougis se fixent dans les siens.

-Je suis sur que tu me mène encore de très loin quant il s'agit de danser, tu as toujours été la plus délicate d'entre nous. Il n'y a que ma mère pour t'égaler. A côté de toi nous sommes tous une bande de canards.

Elle les appelait ainsi, Sergueï et lui, lorsqu'ils préféraient pratiquer l'escrime dans la salle d'arme que s'adonner à l'art de la danse. Les petits canards : deux êtres au poil jaune, remuants et piallants, gauches parfois et toujours prompts à caracoler dans les jupes de leur mère.
Il sourit et lui tend la main.

-Me ferais-tu l'honneur?

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