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mars 2000

« J'espère seulement que ce sera un peu plus passionnant aujourd'hui. On passe notre temps à remplir des dossiers et quand par miracle, on nous envoie sur le terrain, c'est pour gérer des disputes de ménagères. - A qui le dis-tu, j'en suis à me dire que j'aurai préféré faire ce foutu service chez les Rafleurs, ça pue mais au moins, il doit y avoir de l'action... » Elle ferme les yeux, fait le vide. Une foutue bande d'ados prétendant rêver d'aventure, et qui pisseront dans leur froc au premier signe de danger. La première fournée du service obligatoire, quelle gloire. La malédiction d'être née une année trop tard. Pour elle, cet endroit n'est rien de plus que du temps perdu. Du temps qu'elle ne passe pas sur ses potions, à développer de nouvelles formules, à observer ses chaudrons chanter de contentement alors que cloque le bouillon. Darja a été admise chez Dorian Selwyn, le maître des potions, et c'est là qu'est sa place, pas au milieu de ces écervelés, pas parmi la Brigade de Police Magique, à affûter un patriotisme ou un sens des responsabilités envers son peuple qui ne lui viendra probablement jamais. Les jours s'enchaînent sans qu'elle n'ait l'impression de rien apprendre, de ne rien tirer de cette formation. Faire justice, aider autrui... Ils sont déjà tous finis, et ce n'est certainement pas quelques lignes sur un rapport qui changeront la donne. Disons que ça tient les lions en cage, que ça les empêche de tous s’entre-tuer sur la place publique. En parlant de ça, on l'a assignée quelques fois à la sécurité des manifestations qui grondent, ces derniers temps, le peuple mécontent qui piétine et crie sa rage dans les rues du Londres sorcier. Tant de désespoir, qu'elle leur enfonce un peu plus profondément du bout de la baguette. Pour sa part, ils pourraient bien faire ce qu'il leur plairait, déclarer leur existence aux Moldus, réduire leurs privilèges, en foutre la moitié sur le bûcher, tant qu'elle est dans son laboratoire, ce ne sont pas ses histoires, ça ne la concerne pas. Elle en vient à se demander, parfois, si c'était à elle qu'on demandait d'avancer, si c'était elle qu'on accusait, si c'était la fin demain, si, ça, au moins, ça lui ferait quelque chose, ça déclencherait une émotion enfouie sous ses couches d'indifférence qu'elle vous gerbait à la pelle, indéfiniment, sans jamais rien trouver d'autre. Elle était loin de s'en satisfaire : ça la dépitait. La seule solution se présentant à elle pour échapper à ce sentiment permanent de vide étant d'être droguée de manière tout aussi permanente, elle avait fait le choix de ne pas se déglinguer plus qu'elle ne l'était déjà – pas trop, en tout cas, juste une dose de temps en temps, pour s'échapper d'un quotidien trop gris, à la nuance unique.

« Mademoiselle Valkov, vous êtes demandée au Bureau. » Ça ne suscite même pas sa curiosité. Rien que cette éternelle catin de lassitude. Elle se lève, boucle sa combinaison, se dirige vers le-dit Bureau. C'est là-bas qu'on s'occupe de leur assigner les missions, à eux, pauvres-apprentis-trop-encombrants-qu'on-préférerait-ne-pas-avoir-dans-les-pattes-mais-bon-s'ils-peuvent-servir-à-quelque-chose-alors-profitons-en-quand-même. Y a un gars, derrière son bureau, le seul à porter des robes de sorcier à plus de vingt gallions, donc elle suppose que c'est le chef de ce joyeux bordel, qui lui adresse un sourire et lui désigne l'un de ses sous-fifres. « Je vous présente M. Jenner. Jenner, voici Darja Valkov. Vous allez travailler ensemble aujourd'hui. » D'une phrase, c'est sûr, il les a tous les deux gonflés. C'est un peu de ces présentations hypocrites qui sous-entendent des « allez, dans deux heures, vous serez de bons amis » (ça, ça n'arrive jamais, pas avec elle en tout cas, et elle s'en contente bien). Le gars en question, lui, il n'a rien d'un chef : des cheveux bruns assez longs et bouclés, comme s'il passait ses journées au bord de la plage (brève météorologique : il pleut, il pleut, il pleut, et il caille sec, en plus), et une dégaine un peu étrange. « Enchantée. » se contente-t-elle donc de répondre à ces charmantes présentations, sans même le penser.

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Lorsque le chef me convoque dans son bureau, j'y vais toujours sans trop de pression. Je suis un bon élément qui fait bien son boulot, même si je n'ai pas vraiment la dégaine de l'anglais coincé typique. Ce jour là, je ne fis pas exception à la règle en me pointant au bureau avec les mains dans les poches, me demandant ce qu'on voudrait de moi. J'avais terminé mon apprentissage depuis peu de temps et leur avait suffisamment plu pour qu'ils me gardent, aucune bonne raison de me virer, donc pourquoi s'en faire ? Au pire des cas, je pourrais faire joueur de ukulele itinérant, ou bien chanteur de reggae si mon père m'aide un peu à me lancer...

J'étais arrivé dans le bureau, perdu dans mes pensées, comme toujours et n'avait que vaguement prit conscience de ce que me racontait mon chef jusqu'à ce qu'il prononce le nom d'une tierce personne pour me présenter à elle, me ramenant sur terre. La patronyme de la demoiselle que je découvre évoque dans mon esprit des terres à l'Est de notre position, sans doute plus froides encore que cette Angleterre déjà trop humide et glaciale pour moi. Je ne sais pas pourquoi, j'imagine toujours que les pays slaves sont plus froids encore qu'ici. Sans doute l'influence de la télévision moldue que je regarde.

-Tout le plaisir est pour moi !

Mon accent me trahit là où mon nom aurait pu faire illusion. Je ne suis pas d'ici et je refuse d'être considéré comme un anglais. Par contre je suis toujours ravi de faire de nouvelles connaissances, que ce soit des anglais ou d'autres, donc c'est avec un sourire chaleureux que je l'accueille en lui tendant la main pour qu'elle la serre.

-C'est pas un nom très commun par ici, tu viens d'où ?

Je commence directement à m'adresser à elle comme si je l'avais simplement rencontrée dans la rue que j'avais souhaité mieux la connaître. Cependant notre chef, bien que satisfait que nous ne nous soyons pas sauté à la gorge, coupa court à ma curiosité.

-Vous aurez tout le temps de faire connaissance sur le terrain. Pour le moment votre mission sera une mission de routine. On a appelé la police magique pour résoudre un problème persistant dans une ville de banlieue. Visiblement une querelle a éclaté là-bas et dure depuis un bon bout de temps. Le ton a monté plutôt brusquement entre deux sorciers, plus particulièrement ces derniers temps. On a pas encore eu d'échange de sortilèges, mais selon la femme de l'un d'entre eux ce n'est qu'une question de temps. Vous devez aller là-bas pour régler le problème, débrouillez vous pour trouver comment, menacez-les ou bien convainquez les de faire la paix, mais je ne veux pas qu'une des maisons explose à cause d'un duel de sorcier qui aurait mal tourné. Il faudrait envoyer une équipe d'oubliator et je n'ai vraiment pas envie d'avoir de la paperasse à faire en plus. Jenner, voilà l'adresse et le nom des deux zigotos, allez-y tous les deux maintenant, on vous donnera un portoloin à l'étage adapté.

Je récupérais le papier et lui adressait une parodie de garde à vous avec un « chef, oui chef ! » lancé sur un ton bien trop léger pour paraître sérieux. Je désignais ensuite la porte à Darja pour que nous nous mettions au travail, allant chercher ce fameux portoloin.

-Alors, ce nom ? T'inquiète pas pour la mission, c'est vraiment le genre typique de ce qu'on peut voir dans la police. En général on nous dérange pas si ça chauffe pas un peu.
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« Tout le plaisir est pour moi ! » Un accent d'ailleurs, mais un anglais parfait. Ah. Un Australien. Voilà qui était exotique. La plage, les peaux cramées, la chaleur... L'horreur. Il lui tend la main, alors Darja la lui serre, sans grand entrain. Elle pose ses iris bleu glace sur cet homme jovial qui s'empresse de tenter de faire sa connaissance, poliment, agréablement, son sourire éblouissant la pièce... Pas sa tasse de thé. Ils avaient réunis le jour et la nuit, le feu et la glace, la mer et la tempête, sans crainte des dégâts. Elle y songe déjà, elle, aux dégâts, dès les premiers mots, dès le premier contact, dès les premières œillades. Elle le jauge comme s'il comptait l'attaquer, très bientôt, faire tomber ses atours ravageurs pour mieux la faire sombrer. Heureusement, le chef coupe court et leur donne les informations sur la mission pour laquelle ils ont tous deux été convoqués ici, dans ce bureau impersonnel. Apparemment, une dispute dans une ville de banlieue qu'il faudrait contenir pour empêcher Monsieur d'avoir à gratter trop de papier... Sérieusement, on ne pouvait pas laisser les abrutis s’entre-tuer, que ça fasse un peu de ménage sans même que quiconque ait à bouger le petit doigt ? A une Darja exaspérée s'opposait un Jenner amusé, riant de tout, faisant le pitre face à son supérieur sans que ce ne soit relevé... Les anglais n'avaient vraiment aucune autorité. Elle laissa s'échapper d'entre ses lèvres un petit soupir, à peine perceptible, à l'idée de devoir passer sa journée avec le bout-en-train de service. Ça l'épuisait d'avance, et alors qu'elle le rejoignait, elle comprit que la projection faite était sûrement bien loin encore de la réalité : un véritable calvaire. « Je viens d'ici. » C'était vrai. Elle était née sur le territoire anglais et y avait passé sa vie, malgré les nombreuses vacances passées dans son pays d'origine, la Tchéquie sorcière. Sa famille entière était tchèque, elle ne l'était pas vraiment, pas à cent pour cent, mais ne se sentait pas plus anglaise pour autant. Elle était une créature hybride, coincée entre deux identités, et qui cherchait encore sa place. « Pourquoi est-ce que je m'inquiéterais ? » demanda-t-elle d'un ton tout aussi froid. Elle se demanda s'il essayait de la rassurer parce qu'elle était une bleue, une apprentie, ou simplement parce qu'elle était une fille, et s'il s'agissait donc là par conséquent d'un réflexe de macho protecteur. En clair, elle avait décidé de l'accabler de tous les maux, elle avait décidé que celui-là, elle ne l'aimerait pas, et qu'elle allait rendre leur après-midi à passer ensemble infernale, lui passant l'envie de faire sa connaissance, ou de réitérer un ordre de mission en sa compagnie.

« Il y a des procédures que je dois connaître ? » Le côté pratique avant tout, l'unique bonne raison de déverser un flot de paroles soutenu. Si elle était loin d'être angoissée, autant qu'elle utilise son temps à apprendre un tant soit peu, et autant se préserver également des éventuels dangers pouvant survenir durant la mission : le patron avait suggéré une certaine violence sur les lieux, évoqué des menaces... Pas tout à fait la mission-croisière dont parlaient ses camarades un peu plus tôt. Ils allaient crever de jalousie, et l'idée aurait pu lui plaire si elle ne s'imaginait pas déjà leurs futures plaintes et complaintes. Elle reporta donc son attention sur le policier, avide de savoir s'il saurait faire preuve d'un peu de sérieux à un moment ou à un autre, ou si tout cela continuerait de n'être qu'une gigantesque blague dont ils seraient les clowns en chef.
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