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❝ Can we work it out ? ❞ Can we be a family ?

Penser. Correctement. C’était de plus en plus compliqué ces derniers temps, quand Ardal n’était pas impeccablement concentré, loin du bruit et de toute distraction. Beaucoup de choses lui causaient du souci et il avait fort peur de se retrouver avec une poignée de cheveux blancs avant même d’atteindre ses vingt-cinq ans (voire ses vingt-deux). Et là, alors qu’il prenait avec patience les mesures d’une cliente particulièrement remuante, il ne pouvait s’empêcher de dériver. Il n’avait pas encore vu Lorcàn de la journée ce qui devenait une habitude qui n’était absolument pas à son goût. Sans être un maniaque du contrôle, il avait toujours eu l’impression que son jumeau voulait partager les moindres faits et gestes de sa vie avec lui. Sa première pensée de la journée était pour lui, ainsi que la dernière. Et maintenant ils ne faisaient plus que se croiser. Mais était-ce réellement son frère ? Il ne reconnaissait pas ce fantôme sans goût ni saveur qui hantait les couloirs de la demeure familiale, sortait sans lui dire où il allait en disparaissant pour la journée. Il ne savait plus qui il fréquentait, ce à quoi il pensait … et c’était hautement perturbant … Jeune homme ? En avons-nous fini ? Tout juste, madame, pour la partie mesures en tous cas. Si vous voulez bien patienter quelques instants, je vais vous amener une série de baguettes qui pourraient parfaitement vous convenir.

Il mit cette intervention sur le compte de l’impatience de la dame. Il n’était pas si distrait que cela, il le savait. D’autres personnes hantaient ses pensées, dont une silhouette particulièrement charmante dont il n’arrivait à se détacher. Il le faudrait, pourtant, comme il se le répéta face à différentes boîtes renfermant de précieuses créations de son père ou de son grand-père. S’il devait songer à une jeune femme, autant s’avouer qu’il s’inquiétait pour Nyssandra, ce serait sans doute moins nocif. Il ne pouvait s’en empêcher, certains le savaient très bien. Même s’il se comportait toujours avec elle avec la distance qui caractérisait leurs relations … cela faisait bien un an qu’il ne cessait de se demander ce que serait sa vie. Et surtout après son hospitalisation … encore une. Il avait craint pour le pire, et n’avait pu s’empêcher de lui rendre des visites quotidiennes. En catimini et à son insu, bien évidemment. Il s’arrangeait pour l’apercevoir, soit de loin dans les couloirs, soit discrètement par la vitre de sa chambre. Et il harcelait les médicomages, de façon polie, cela allait sans dire, pour savoir comment évoluait son état et les infirmières pour prendre de ses nouvelles plus « générales », savoir comment elle allait au quotidien. Revenant sur ses pas, il posa cinq étuis sur le comptoir. Devançant la cliente qui allait se jeter dessus, il s’interposa en plaçant une main calme sur la boîte qui avait failli apprendre à voler : Permettez …

Il entendit vaguement la clochette annonçant un nouveau client tinter, mais était trop concentré sur ses bonnes manières pour l’instant – et sur le reste. Soulevant délicatement le couvercle, il fit apparaître un des nombreux joyaux que comptait la boutique : Bois de chêne, ventricule de cœur de dragon, 17 centimètres. Il la tendit avec une légère courbette de la tête à la cliente. Il espérait de tout cœur qu’elle s’accorde avec cette baguette pour être débarrassé de sa présence. Malgré tout son côté gentleman, il n’avait pas l’envie, à ce moment précis. Il aurait préféré être à Pré-au-Lard, enfermé dans l’atelier avec un bon verre de jus de citrouille pour tenter de se concentrer et ne pas penser à … Nyssandra ! Je vous demande pardon ? demanda la cliente revêche. Veuillez me pardonner. Il lui laissa l’objet, les yeux rivés sur sa sœur qui venait de faire son entrée, faisant écho à ses pensées. Que diable venait-elle faire ici ? Sans doute pas voir Père … Pour lui ? Quelqu’un avait-il vendu la mèche ? Il se composa un visage aussi neutre que possible, lui signifiant d’un gracieux signe de tête qu’il serait à elle dès qu’il se serait déb…aurait contenté la cliente précédente. Sans le moindre mot, histoire d’éviter le courroux de cette charmante personne.
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29 SEPTEMBRE 2002 ; #Nyssardal 1


La médicomage ment. Aramis ment. Ils mentent tous.
Forcément.

Parce que l'idée que son frère, qu'Ardal "le parfait" Ollivander perde son temps à prendre de ses nouvelles est une idée dérangeante. Irritante. Nyssandra veut se persuader qu'elle aurait fait autrement. Car, bien sûr qu'elle ne serait pas allée, tous les jours, jusqu'à Sainte Mangouste pour demander aux soignants comment va son frère. Ardal va toujours bien de toute façon, il n'a pas besoin qu'elle fasse ce genre de choses. Perfect heir, remember ? ... Que la perfection faite Ollivander prenne du temps pour la fille ratée, pour l'enfant loupé. C'est dérangeant. C'est trop loin de leurs codes, trop différent de leurs scripts, de leurs rôles. Lui à lui faire la morale et elle à le mépriser pour ce qu'il représente (pour être tout ce qu'elle n'a pas su, pas pu être).

C'est assez dérangeant pour qu'elle espère qu'il ne soit pas là quand elle se rend à la boutique de son père. Par Merlin, Morgane et tous les Grands Enchanteurs, elle en est à espérer voir son père. L'idée la fait grimacer alors que le claquement de ses talons marque une hésitation à l'entrée, les doigts hésitant à attraper la poignée. Peut-être que Bones a un peu raison, au fond, et que les sortilèges de manipulation mentale qu'elle a reçu lui embrouillent encore la cervelle. (Peut-être, aussi, que c'est pour cette raison qu'elle n'arrivait pas à viser correctement la guérisseuse - d'expérience, Aramis peut témoigner qu'elle a toujours été plutôt habile au lancer d'objets).

Faites qu'il ne soit pas là, faites qu'il ne soit pas là. Et feignant de regarder où elle met les pieds, la sorcière pousse enfin la porte, s'annonce enfin quand sonne la cloche. Faites qu'il ne- « Nyssandra ! » Surprise de ne pas se faire appeler Eudoxie par Ardal, le regard fauve se plante dans celui, plus clair, de son frère et il se teinte, un moment, d'incertitude avant qu'elle retrouve son aplomb habituel n'esquisse un geste de la main à l'attention d'Ardal. Qu'il s'occupe de sa client sans se soucier d'elle, elle saurait trouver son chemin parmi les étagères chargées de baguettes neuves. Ses doigts, déjà, s'emparent d'une boîte, prise au hasard et aussitôt ouverte pour dévoiler le noyer des innovateurs et des inventeurs. L'objet, agité d'un geste paresseux, demeure inanimé. Alors Nyssandra le range, attrape une autre boîte et le manège recommence. L’aînée Ollivander ne sait pas associer sorciers et baguettes, on ne lui a jamais appris cet art subtile, mais avec un peu de chance, elle tombera sur une nouvelle baguette. (encore une perdue, en moins de trois mois) Avec un peu de chance, elle la trouvera avant qu'Ardal ait fini avec sa cliente. (elle entend encore les reproches de son père sur son manque de soin, l'absence de bon sens) Avant qu'il lui serve les mêmes reproches, les mêmes mots : tu n'es vraiment bonne à rien, Eudoxie - c'est presque un mantra dans la famille, n'est-ce pas ? (et pourtant, il est venu la voir - tous les jours - qu'est-ce que ça veut dire ? qu'est-ce qu'elle doit comprendre ?) Discrètement, elle jette un œil vers le comptoir où se font toutes les ventes, et n'y trouve ni la cliente, ni son frère. Où est-il passé ? Est-ce qu'il est parti, ne la jugeant pas digne du précieux temps de l'héritier Ollivander ? Intriguée, elle sort de l'allée et c'est un cri silencieux qui lui échappe quand elle manque de le percuter. A la place, la baguette de tremble, faite pour les combattants et les révolutionnaires proteste en crachotant une gerbe d'étincelles rouges, mécontente d'avoir été utilisée par une sorcière inadaptée. Avec une moue, vexée par la réaction de la baguette qu'elle repose immédiatement sur le comptoir, Nyssandra s'empare du carnet qui ne la quitte plus et d'une de ses plumes extravagantes et colorées de femme à la mode. Je croyais que tu étais parti, présente-t-elle, explications de sa surprise en lettres rondes et élégantes, à son frère - et après un instant, elle se décide à écrire : je viens chercher une nouvelle baguette. Fraîchement sortie de Sainte Mangouste la veille, elle n'a pas encore eu le temps de remplacer celle qui a été brisée dans la prise d'otages, et bien que toujours aphone à cause de la malédiction attrapée au musée, il n'est pas question qu'elle se retrouve aussi handicapée qu'une cracmole. Mais tu peux retourner à tes occupations. Je peux me débrouiller. Mensonge livré au parchemin. Elle ne sait pas choisir une baguette, et ils le savent tous les deux. Seulement, à la lumière des révélations d'Aramis, sentir le regard d'Ardal sur elle est ... Gênant. Nyssandra ne sait plus quoi en penser.

(Qu'est-ce que ça veut dire toutes ces visites ?)
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Personne n’avait rien dit à Nyssandra, ce n’était pas possible. De toute façon, jamais elle n’en aurait cru un traître mot. Cela faisait des années que leurs échanges se limitaient uniquement à des parties sans merci d’échecs sorciers et à quelques amabilités quand ils se croisaient en public, surtout en famille (ou quand Eris était avec elle. Ce qui n’était pas une bonne façon de marquer des points auprès de la charmante brune, mais on ne se refaisait pas). Alors même si on le lui avait dit … mais personne n’avait parlé, ce n’était pas possible. Nierait-il en bloc si c’était le cas ? ça ne l’était pas, nul besoin de se poser la question. Il s’agissait d’une baguette, ça ne pouvait pas être autre chose. Et pour ce problème en particulier il pourrait l’aider, enfin, dès qu’il en aurait fini avec cette cliente récalcitrante. Il pourrait ainsi … voir ce qu’il en était, comment elle allait. Comme ça, au passage. Il s’agissait tout de même de sa sœur, c’était une curiosité naturelle. Rien de plus.

Ou pas. Le geste qu’Eudoxie esquissa lui fit comprendre qu’elle se passerait de son aide. Evidemment. Son expression de changea absolument pas et il reporta son attention sur sa cliente actuelle, à qui il tendit une seconde baguette. Bien sûr qu’elle venait pour se servir seule et que non, elle n’avait pas besoin de l’aide de l’héritier parfait qui lui avait volé … qui lui avait volé quoi ? De toutes les manières, avant sa naissance déjà, elle n’avait pas une once de l’attention de leurs parents. Il n’était donc absolument pas responsable. Tout cela pour dire que jamais elle ne lui demanderait de l’aide. Elle était capable de le faire elle-même … peut-être. Il était persuadé évidemment de lui trouver la baguette qui saurait remplacer la sienne beaucoup plus rapidement et efficacement, mais il n’était pas question pour elle de le reconnaître. Bien sûr. Et voilà, en quelques secondes il était passé d’inquiet à agacé, preuve que tout rentrait dans l’ordre. C’était ça leur mode de fonctionnement, et rien d’autre. Ce qui lui donne la force de supporter la femme courroucée, qui finit par repartir avec une baguette donc il s’empresse d’ignorer la composition, pressentant que ce devait être une association particulièrement peu intéressante.

Masque de perfection, de politesse et de professionnalisme, il la raccompagna sans en faire trop, se contenant de lui tenir la porte en lui souhaitant une bonne journée et une bonne continuation avec sa nouvelle acquisition. Parfait héritier un jour, parfait héritier toujours, même s’il n’était pas certain d’avoir particulièrement séduit cette consommatrice. Ce n’était pas à son grand-père que ce serait arrivé … Avec un léger pincement au cœur, il tourna les talons pour aller voir ce que faisait … Nyssandra ! Et cela faisait la deuxième fois qu’il prononçait son deuxième prénom, de façon totalement inopinée. Mais, à sa décharge, elle venait de manquer de lui rentrer dedans. Il avait pu esquiver les étincelles de la baguette qu’elle tenait à la main sans trop de mal (Bois de tremble … mais à quoi pensais-tu ?) et la regarda s’exprimer par écrit. Il ne dit rien, notant simplement que sa voix n’était pas revenue. On lui avait pourtant dit que cela ne prendrait pas aussi longtemps … Je croyais que tu étais parti, lut-il, et par réflexe, il lança, inexpressif au possible : Comme tu le vois, ce n’est pas le cas. C’était sorti tout seul. C’était comme ça qu’il lui parlait, qu’ils se parlaient. Il aurait pu lui dire du ton de l’évidence qu’il n’allait pas laisser la boutique sans personne pour servir les clients aussi. Mais il s’abstint, pour une fois, de la provoquer outre mesure. Il n’en eut de toute façon pas le temps. Je viens chercher une nouvelle baguette. Evidemment. Pour quelle autre raison serais-tu venue, sous-entendait ce simple mot d’Ardal. Pas un reproche, oh non, il était mal placé pour en faire. Une simple constatation. Elle évitait au maximum de les fréquenter, elle venait d’être victime d’une attaque …

Mais tu peux retourner à tes occupations. Je peux me débrouiller. Evidemment, répéta-t-il mécaniquement. Il savait bien qu’il n’en était rien, enfin, en tous cas qu’elle le ferait moins bien que lui … elle avait eu des bases, quelques-unes … Non, bon, en fait elle n’en était pas capable. Mais s’il s’imposait, cela allait encore mal se passer. Elle demanderait. Ou il trouverait un moyen de lui glisser un ou deux tuyaux l’air de rien. Il ne voulait pas la faire supplier, bien que cette idée présente un certain charme. Il tourna son regard sur le comptoir où s’empilaient les boîtes qu’il avait sorties pour la cliente précédente : J’ai du travail, mais si jamais tu as besoin, je serai là. Il se saisit de la première pour aller la ranger et glissa, au passage, l’air de rien : On en a quelques unes en bois d’aulne du côté de l’armoire du fond, à côté de l’atelier. Adaptées au sortilèges informulés, cela pouvait être une bonne idée.
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« Nyssandra ! »
Le prénom, plus que la surprise, la crispe. Décidément, elle ne s'y fait pas. Pourquoi l'appelle-t-il comme ça brusquement ? (est-ce que c'est une de leurs dernières trouvailles pour lui faire sentir à quel point elle est moins bien qu'eux ?) Sans son empathie pour effleurer ce qu'il ressent (du mépris surtout, et de l'agacement, elle en est certaine - mais peut-être autre chose aussi ?), elle est trop tendue et ses gestes trop raides quand elle repose, vexée, la baguette récalcitrante et la remplace par son carnet et sa plume. « Comme tu le vois, ce n’est pas le cas. » Ardal, égal à lui-même, à quoi s'attend-elle franchement ? Paternaliste comme une personne parlerait à un simple d'esprit (et le pire, c'est que c'est sûrement comme ça qu'il la voit, lui, le parfait petit héritier, la fierté de la famille). Aurait-elle pu parler qu'elle lui aurait fait remarquer qu'elle était muette, pas aveugle - merci bien. A la place, les yeux se lèvent au plafond et avant de lui expliquer la raison de sa venue (sûrement pas la courtoisie), Nyssandra s'offre même le luxe de lui faire une moue agacée. Tu m'agaces, crie son corps.

Sur le parchemin, les lettres sont trop longues, trahissant l'agacement et l'impatience - elle n'aime pas être ici, elle n'a jamais aimé. (c'est sinistrement drôle qu'elle ait failli mourir dans le sacro-saint royaume des Ollivander) (elle est persuadée que Père aurait été furieux contre elle de voir l'endroit profané par sa stupide mort) Elle ne comprend pas Lorcàn et Ardal qui aiment tellement l'endroit - elle ne sait pas pourquoi cet endroit représente tellement de belles choses chez les sorciers alors qu'il n'est synonyme que d'efforts stériles en récompenses et fertiles d'amertume. Il y a encore partout les reproches de Garrick et d'Ascleus, partout les éternels tu n'es qu'une fille qui se pressaient sur les langues comme sur les (son) cœurs. La dernière déception n'est pas si loin en arrière, l'écho de Juillet résonne encore dans ses oreilles.

Tu n'es pas digne - tu aurais dû faire mieux attention à ta baguette.
« Evidemment. »

Dans la bouche d'Ardal, il y a les mêmes accents que son père. Nyssandra y entend le même scepticisme, la même croyance qu'elle n'est capable de parvenir à rien - jamais à quelque chose qui soit satisfaisant ou acceptable. Il y a cette certitude douloureuse qu'elle est médiocre, qu'elle le sera toujours. Et dans son assurance, ça creuse dans des failles qu'elle croit toujours avoir soigneusement colmatées.

Tu n'es qu'une fille.
Tu ne sers vraiment à rien, Eudoxie.


(Ces foutus génies ne savent rien des difficultés qu'ont les gens douloureusement ordinaires)

« J’ai du travail, mais si jamais tu as besoin, je serai là. » De la tête, un acquiescement s'esquisse dans une courbe délicate et élégante, bien qu'un peu sèche. Jusqu'à ce qu'Ardal ajoute : « On en a quelques unes en bois d’aulne du côté de l’armoire du fond, à côté de l’atelier. » Qu'est-ce qu'il ... et l'envie de lui écraser le carnet sur le crâne lui chatouille les doigts - mais à la place, elle serre la plume qui crisse, accroche et écorche le vélin en lettres raides et sèches. Qu'est-ce que tu sous-entends exactement ? Tout, de sa posture à son regard, crie à la défensive. Nyssandra est vexée. Comme lui, elle connait les bois et les réputations. Elle connait un peu les affinités et l'amour de l'aulne pour les tempéraments complaisants et malléables. Que j'aurais dû être plus obstinée quand ils ont pris la baguette d'Eris et de Gwen ? (et elle n'admettra jamais qu'elle pense exactement ça, elle aussi). Au fond, elle sait qu'elle n'aurait jamais dû obéir - un vrai Ollivander se serait au moins un peu battu pour sa baguette, non ?


Dernière édition par Nyssandra Ollivander le Sam 28 Nov 2015 - 23:36, édité 2 fois
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Il n’y avait pas besoin de faire preuve d’empathie ou de clairvoyance pour se rendre compte que l’ambiance dans la boutique était électrique. Les choses avaient toujours été telles quelles. Et Ardal se reprochait son inattention. Par deux fois déjà, le « mauvais » prénom s’était échappé de ses lèvres. Elle n’était pas censée savoir que quand il parlait d’elle avec ses amis, son fiancé ou encore les Médicomages, il la nommait Nyssandra. C’était une erreur. Mais il n’en commettrait pas d’autres. Ils ne pouvaient pas s’entendre, ils n’étaient pas faits pour ça, elle le lui avait bien fait comprendre quand ils étaient petits. Et il lui avait renvoyé avec la même force le mépris Ollivander, dont elle salissait le nom par sa médiocrité crasse. Des termes durs, il s’en rendait compte quand il en discutait avec Gwen ou Aramis. Mais ils étaient comme ça. Ils ne savaient pas s’aimer. Alors il avait eu un moment de faiblesse, en allant veiller sur elle, de loin, à l’hôpital. Il aurait pu se mentir et se dire qu’il ne s’agissait que d’une prise d’informations, mais il se respectait trop pour ça. Elle n’avait pas besoin de lui, il n’avait pas besoin d’elle. Point. Il fallait qu’il se reprenne, d’urgence. Il ne pouvait pas continuer à se comporter comme ça. Il lui avait donné une simple indication et cela s’arrêterait là. Et ce n’était bien sûr que parce qu’elle ne pourrait pas le trouver seule.

Il allait se détourner quand la plume se mit en mouvement sur le parchemin, le faisant s’arrêter en plein élan. Ses yeux tombèrent sur les lettres que formait sa sœur et ses dents grincèrent. Qu'est-ce que tu sous-entends exactement ? Il n’eut pas le temps de répondre, il ne sut pas quoi répondre d’ailleurs. Ce qu’il sous-entendait ? Qu’une baguette du genre pouvait lui convenir, peut-être, simplement ? Il sentait la colère monter en lui, doucement et irrémédiablement. La crise allait exploser. Comme à chaque fois. Que j'aurais dû être plus obstinée quand ils ont pris la baguette d'Eris et de Gwen ? Nouveau grincement, à la lecture de deux prénoms aimés, pour deux raisons tout à fait différentes. Il préférait ne pas penser à ce qui s’était produit, à ce qui aurait pu se passer. Une partie de lui nota tout de même qu’il risquait d’avoir une charmante visite pour un remplacement de baguette, qui serait autrement plus agréable que cette entrevue qui se tendait de plus en plus. Pas du tout. Encore que … Non, ce n’était pas le sujet, et d’ailleurs il ne la laisserait pas lui faire dire ce qu’il n’avait absolument pas sous-entendu. Ah, c’était comme ça ? Il était le méchant de l’histoire qui pensait forcément du mal d’elle ? De toute façon c’était ce qu’il était, non ? Comment avait-il pu s’inquiéter pour elle, alors qu’elle prenait tout mal, qu’elle s’imaginait toujours le pire à son sujet.

C’était elle qui le poussait à bout. Qui le forçait à se draper dans le manteau de la connaissance et de la supériorité. Le fait qu’il soit blessé, que ç’ait pu passer dans son regard un bref instant … n’était qu’une illusion. Elle voulait l’Héritier Ollivander ? Elle aurait l’Héritier Ollivander : Simplement que le bois d’aulne est connu pour être efficace pour le cas des sortilèges informulés. Il m’a – stupidement- semblé que cela aurait pu t’être utile. Rendre service. Quelle idée. Elle n’avait pas besoin de lui. Bras croisés, il la considéra un moment. Etait-il déçu ? Etait-il en colère ? Il ne savait même pas. Quelle importance ? Ce n’était pas comme si les choses avaient changé. C’est le premier qui m’est passé par la tête, tu l’aurais sans doute mieux pris si je t’avais conseillé celles en bois de pin de l’armoire seize, tout en haut, mais j’ai évité de faire un inventaire complet pour que tu ne te sens pas maternée ou rabaissée par ton prétentieux de frère. Il aurait du tourner les talons pour partir dans l’arrière-boutique. Pour calmer les battements de son cœur qui faisait se soulever sa poitrine un peu trop rapidement. Mais il n’en avait pas envie. Ça aurait été admettre la défaite. Elle l’avait insulté. Elle n’avait qu’à détourner le regard.
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« Pas du tout. » Elle ne le dit pas mais l'expression sur son visage est bien assez explicite à elle seule. Nyssandra ne le croit pas. C'est écrit depuis ses yeux fauves jusqu'à sa moue vexée. Entre eux, il y a eu trop de mépris et d'acide glissés entre les mots, soufflés du bout du coeur, pour que sa méfiance envers les Ollivander ne la pousse pas vers les pires hypothèses. Avec eux, Nyssandra a cessé d'espérer le mieux ou le bien. Entre les blessures et les espoirs déçus, c'est tout simplement trop difficile à porter, à supporter. Face à eux, elle ne sait plus que se préparer à prendre des coups à l'ego et des failles au coeur. « Simplement que le bois d’aulne est connu pour être efficace pour le cas des sortilèges informulés. Il m’a – stupidement - semblé que cela aurait pu t’être utile. » Stupide, oui. Elle ne restera pas muette toute sa vie. On ne fait pas taire Nyssandra aussi facilement qu'Eudoxie. « C’est le premier qui m’est passé par la tête » La langue claque car, bien évidemment, le premier qui lui passe par la tête, c'est l'aulne entêté et obstiné qui aime les sorciers dont le tempérament est contraire au sien. C'est ça, encore, le reproche qu'il veut lui faire ? (tu abandonnes toujours, Eudoxie, dit sans cesse leur grand-mère) C'est ça, encore, la sempiternelle faute qu'elle a commise ? (tu fuis, Eudoxie, dit toujours Père) Foutus hypocrites. Comme si elle allait rester dans cette famille qui ne veut pas d'elle, dans cette une famille qui tourne mieux sans elle. « tu l’aurais sans doute mieux pris si je t’avais conseillé celles en bois de pin de l’armoire seize, tout en haut, mais j’ai évité de faire un inventaire complet pour que tu ne te sens pas maternée ou rabaissée par ton prétentieux de frère. » Ses doigts se crispent contre le carnet jusqu'à s'en blanchir les phalanges. Qu'il prétende la ménager ... c'est tellement gonflé de sa part, lui qui ne l'a jamais ménagée, depuis l'insolente facilité avec laquelle il satisfait aux exigences de la famille jusqu'à cette manie qu'il a de vouloir s'incruster jusque dans son cercle d'amis (Gwen, Aramis, puis qui encore ? Eris ? Nyssandra ne doute pas que si Ardal avait un peu plus de cran, il ne se gênerait pas non plus pour essayer de monopoliser sa meilleure amie).

Le premier bois qui te vient à l'esprit, c'est l'aulne - les lettres sont sèches, le parchemin est froissé à l'endroit où la plume, agacée, a accroché le vélin avant de reprendre : et je ne devrais pas me sentir rabaissée ? Mais qu'il l'avoue, puisque lui peut encore parler. Qu'il le dise, par Helga et tous les Fondateurs, qu'elle n'est qu'une sorcière inutile, pas capable de protéger ses amies ! (et il n'aurait pas tout à fait tort, n'est-ce pas ?) C'est pour ça que tu es venu à l'hôpital, pas vrai ? Les mots sont crachés, vomis sur le parchemin. Et elle ne sait plus bien si c'est Ardal et son attitude hautaine qui l'irritent à s'en faire grincer les dents - ou alors si c'est elle, juste elle-même et son inutilité crasse, qu'elle ne supporte plus. Peut-être que ce sont les deux à la fois. Ardal aurait réussi, lui - Gwen et Eris n'auraient pas été blessées. Ardal et Lorcàn réussissent toujours tout, on ne les qualifie pas de génies pour rien - même elle est obligée de l'admettre. Tu voulais remplir fidèlement ton rôle d'héritier et me dire que je suis inutile, c'est ça ? Comme l'a fait leur père et comme l'a pensé leur mère quand elle a failli mourir il y a presque un an (et peut-être qu'elle aurait dû au fond ; peut-être qu'alors ils auraient trouvé que c'était une raison acceptable pour annuler les fiançailles avec Travers). Dans sa poitrine, le souffle s'agite en tempête et Nyssandra a envie de crier. Tellement tellement envie. Et ça ne fait que creuser davantage dans son coeur, agitant toutes les frustrations qu'elle accumule depuis juillet.
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Être le seul à pouvoir hausser la voix était perturbant. Certains en auraient profité pour hurler et asseoir leur supériorité, mais pas Ardal. Cela ne fonctionnait pas comme ça. Mais attendre les réponses écrites de sa sœur n’était pas simple. C’était exaspérant au plus haut point, et le crissement de la plume commençait à lui transpercer les tympans. Il ne parvenait pas à y croire. Que tout ce qu’il faisait était une provocation à ses yeux. En même temps, rien que le fait d’être venu au monde était une insulte pour la délicate Nyssandra, qui s’étonnait de l’aversion de ses parents alors qu’elle n’avait même pas été capable de supporter son premier prénom. Qu’y avait-il de mal à porter Eudoxie ? De quoi se plaignait-elle ? De tout, apparemment. Et particulièrement de lui. Le premier bois qui te vient à l'esprit, c'est l'aulne et je ne devrais pas me sentir rabaissée ? Ne pas rebondir alors qu’elle continuait à écrire. Ne pas lui expliquer d’un ton docte qui n’arrangerait rien qu’il pensait souvent par ordre alphabétique et donc, comme elle ne pouvait l’ignorer, le a se trouvait avant le p. Et que de toutes les manières, peu importait le bois qu’il aurait choisi, elle aurait trouvé à y redire parce qu’il l’avait dit. Et il ne passerait pas sa vie à s’excuser d’être , d’avoir été un garçon et un particulièrement bon Ollivander. C’était elle la fautive, pas lui. Et il fallait qu’elle arrête d’écrire parce qu’il avait fortement envie de lui hurler dessus, maintenant.

Ce qu’elle fit. Il se pencha pour lire. Et son cœur rata un battement. C'est pour ça que tu es venu à l'hôpital, pas vrai ? Il pâlit. Elle savait. Les lignes se troublèrent devant ses yeux. Qui l’avait vendu ? Aramis ? Gwen ? Le personnel médical ? Il avait reculé d’un pas, mais elle ne l’avait sans doute pas remarqué, le crissement de la plume reprenant de plus belle. Elle savait. Et c’était pour ça qu’elle était venue. Pour … Tu voulais remplir fidèlement ton rôle d'héritier et me dire que je suis inutile, c'est ça ? Les mots surgirent devant ses yeux. Pardon ? fut tout ce qu’il parvint à produire. Comment … comment osait-elle ? Venir ici, commencer à le provoquer, lui en mettre plein les dents pour … pour quoi ? Pour l’insulter, pour le diminuer ? Pour lui prêter des intentions qu’il n’avait pas ? Tu sais quoi ? Tu as raison. Il leva les yeux au ciel, éclata d’un rire amer avant de tourner les talons, les yeux rivés sur les baguettes. Evidemment. Il n’y avait que cette alternative dans son esprit. Et il aurait sans doute du sauter sur l’occasion, garder un visage fermé, lui dire que c’était effectivement le cas et qu’elle avait prouvé qu’il avait raison. Mais il n’était pas question qu’elle continue à faire sa victime en le faisant passer pour le méchant. Pourquoi serais-je passé sinon, après tout ? Quelle raison peut pousser quelqu’un à venir rendre visite à quelqu’un d’autre à Sainte Mangouste ? Il ne voulait pas la regarder. Il ne voulait pas lui laisser une chance de voir qu’il était blessé – car oui, il l’était. Mais elle ne devait pas le voir. Elle ne devait pas le savoir. Pardon, j’oubliais un détail important : après tout, ce quelqu’un, c’est moi. La personne qui ne vit que pour te pourrir l’existence. Parce que c’est vrai que je n’ai rien d’autre à faire, pas d’autre but dans la vie. C’est pour ça que je suis né, pas vrai ? Pour endommager encore plus la vie de cette pauvre Eudoxie, Nyssandra, qui qu’elle soit. Il se passa les deux mains dans les cheveux, se rendant soudain compte de leur tremblement. Il ferma les yeux, expirant lentement pour reprendre le contrôle. Il fallait qu’il se retourne, qu’il la confronte. Ce qu’il finit par faire. Il s’était composé un visage entièrement fermé, pour ne pas craquer quand il poserait les yeux sur elle : Ca doit être ça, Eudoxie. Que serait-ce d’autre ?
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29 SEPTEMBRE 2002 ; #Nyssardal 1


« Pardon, j’oubliais un détail important : après tout, ce quelqu’un, c’est moi. » Oui, c'est lui. Leur héritier parfait, tout ce qu'elle n'a su être. Tout ce qu'elle ne pourra jamais être. Un Ollivander. Ardal l'est, c'est gravé jusque dans ses os, jusque dans les circonvolutions de sa cervelle. Et puisqu'il est un Ollivander, et puisqu'elle est ce modèle tellement tellement raté, saccagé et foiré, ce n'est pas mentir que de dire qu'il n'a « rien d’autre à faire » avec elle.

C'est vrai, n'est-ce pas ?
« Ca doit être ça »

Oui. Ca doit être ça.
C'est ça.

Elle ne peut pas l'imaginer tendre avec elle. Car Ardal ne l'a jamais été, paternaliste et moralisateur, toujours à défendre le point de vue des Ollivander. A lui dire autrefois que c'était à elle de faire un effort, de comprendre - que c'était pour son bien. (Mais Nyssandra en avait assez des efforts infructueux, des récoltes de reproches et des regards méprisants).

Elle ne peut pas l'imaginer inquiet pour elle. Car Ardal ne s'inquiète que pour les Ollivander et pour Lorcàn. Doublement pour Lorcàn qui est aussi tellement Ollivander. Et elle, on lui a bien fait comprendre qu'elle était ratée, qu'elle est fausse. Une contrefaçon, ou exemplaire défectueux, peu importe : elle n'est pas une Ollivander, elle n'en porte que le nom.

Elle ne peut pas l'imaginer autrement.
Avec le dévouement de leur père pour la lignée.
Avec les reproches de leur mère sur ses incapacités.
Avec l'intelligence hautaine de leur grand-mère.

« Que serait-ce d’autre ? »

Elle ne sait pas ce qu'il est d'autre que ce frère trop doué pour ne pas être jalousé, que ce frère trop talentueux pour ne pas lui faire la leçon.
Elle ne sait honnêtement pas.

Il n'y a pas de raison que ce soit autre chose.

Pourquoi qu'il demande, pour quelles raisons qu'il veut savoir. Et c'est bien ça, le noeud du problème. Pourquoi perdre du temps loin de son précieux atelier. Pour quelles raisons délaisser sa fabuleusee progression sur les voies des Ollivander pour elle ? Pourquoi ferais-tu différemment des autres jours ? La question s'exhibe sur le vélin, brisée d'une déchirure sur la surface lisse. Qu'aurait-il d'autre pour elle que les mots cent fois répétés, mille pensés. Ces mots que tous, ils se partagent comme un héritage précieux, une nouvelle vérité. Que ferais-tu d'autre ? Le défi s'enlace au trait d'encre, brille dans le brun des yeux qu'elle darde sur lui. Il n'était pas venu les autres fois, pas pour ce qu'elle en savait. Ni lorsqu'elle avait eu à faire le deuil de Ian, ni lorsque Llewellyn l'avait envoyée à Sainte Mangouste. Ni toutes ces fois où elle s'était enfermée dans sa chambre, assomée de reproches et saturée du mépris des adultes. Jamais. Prouve-moi que j'ai tort. Et elle sait qu'elle a raison, douloureusement raison. Elle sait qu'il est comme eux, pense comme eux et agit comme eux. Ses assentiments muets le prouvent autant que ses mots salés. Nyssandra est certaine de ne pas se tromper. Je t'écoute. Signale-t-elle avec la même morgue qu'Eithne affichait durant les quelques leçons qu'elle lui a accordées autrefois. De ce ton décourageant de celui qui n'attend que de voir l'échec se profiler pour le pointer du doigt, le souligner de remarques acides.  
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De toutes les disputes, de toutes les confrontations qu’ils avaient pu avoir, aucune ne l’avait autant blessé. Les mots écrits par sa sœur étaient imprimés sur sa rétine et le brûlaient. Comment pouvait-elle penser une chose pareille de lui ? Étaient-ils à ce point des étrangers ? Elle n’avait jamais rien attendu d’autre de lui que de l’indifférence et du mépris. Et pourtant il avait toujours pensé qu’il y avait plus, qu’ils ne savaient simplement pas comment communiquer autrement qu’au travers d’un échiquier. Il venait d’en avoir la preuve. Pourquoi ferais-tu différemment des autres jours ? Et elle d’enfoncer le clou, de lui prouver qu’effectivement il était dans le faux. Il n’y avait rien d’autre. Et elle continuer de le provoquer. Méchamment. Sans aucune raison. Que ferais-tu d'autre ? Il ne la regardait même plus. Il n’y avait que ces mots, qui s’ancraient lentement en lui, verrouillant tout. Prouve-moi que j'ai tort. Non. Il détourna le regard, ne voulant même pas lire son ultime provocation. Le visage complètement fermé, il finit par revenir à elle. Il secoua la tête. Elle venait de lui mettre une gifle retentissante. La prochaine fois que tu te retrouves à Sainte Mangouste, je te ferai envoyer des fleurs avec toutes ces choses que tu penses m’entendre dire sur une carte. Puisque visiblement c’est tout ce que je suis capable de faire. Et autorisé à faire.

Il en avait assez. Assez de madame la princesse incomprise qui jouait les oies blanches blessées auprès de ses amis dès qu’elle en avait l’occasion, le dépeignant comme un monstre. Et Aramis et Gwen voulaient qu’il s’ouvre, qu’il lui montre qu’il s’intéressait à elle ? Si c’était pour se faire recevoir de la sorte, ce n’était vraiment pas la peine. Je n’ai rien à te prouver. Tu n’aurais même pas du savoir que j’étais là. Et ça aurait été pour le mieux. Il lui passa à côté. Il ne voulait plus la voir. Elle avait dépassé les bornes. Et il n’avait pas besoin de ça en ce moment. Alors certes, elle avait vécu des moments difficiles, mais contrairement à ce qu’elle semblait penser, il n’était pas là pour qu’elle puisse se défouler sur lui. Il passa prendre ses lunettes sur le comptoir et les essuya. Ses doigts, d’ordinaires si mesurés et habiles, tremblaient. Il s’en voulait. Ça n’aurait pas du l’atteindre, il se ramolissait dernièrement. C’étaient ces histoires de fiançailles, et Lorcàn qui jouait les filles de l’air. Il n’était pas dans son état normal. Rechaussant ses binocles, il inspira profondément. Cela suffisait. Qu’elle prenne ce pour quoi elle était venue et qu’ils n’en parlent plus. Elle avait l’air en forme, il était largement rassuré. Pour être une vipère pareille, il fallait être complètement rétablie. Ton état de santé m’a l’air fort convenable. Quel dommage que tu n’aies pas encore recouvré l’usage de ta voix, j’aurais adoré t’entendre me hurler dessus. Le tableau aurait été parfait. Qu’on en finisse. Et qu’elle disparaisse. Je te laisse te débrouiller pour ta baguette. Je ne voudrais pas qu’une aide supplémentaire de ma part t’insulte, même si apparemment mon existence seule suffit pour cela. Et il se pencha sur le livre de comptes, qui serait son seul centre d’intérêt le temps qu’elle n’aurait pas vidé les lieux.
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Prouve-moi que j'ai tort.
« Non. »

Parce qu’elle a raison, bien évidemment. La grimace qu’elle exhibe prend un pli déçu un instant, rien qu’un court instant, avant que Nyssandra ne secoue la tête, fatiguée d’avoir raison, lasse de se laisser avoir par de faux espoirs. « La prochaine fois que tu te retrouves à Sainte Mangouste, je te ferai envoyer des fleurs avec toutes ces choses que tu penses m’entendre dire sur une carte. Puisque visiblement c’est tout ce que je suis capable de faire. Et autorisé à faire. » Pardon ? C’est à elle qu’il ose reprocher les années de leçons impitoyables, froides et insensibles qu’il (ils) lui a (ont) servies ? Tu déçois nos parents. Combien de fois l’a-t-elle entendu ce reproche envers son attitude, envers ses choix et ses décisions ? « Je n’ai rien à te prouver. Tu n’aurais même pas du savoir que j’étais là. Et ça aurait été pour le mieux. » Au contraire. Il a tout à prouver. Son innocence à lui, sa culpabilité à elle – puisque c’est elle encore qu’il accuse (bien qu’elle n’arrive pas exactement à saisir de quoi exactement il l’accuse – de chercher à se protéger ? de ne pas vouloir à nouveau se faire blesser par les Ollivander ?).

Quand il passe à côté d’elle, quand il décide de l’ignorer ; ses doigts se crispent sur le carnet de parchemin, souhaitant accrocher la veste de son frère pour le retenir, peut-être aussi pour le gifler. « Quel dommage que tu n’aies pas encore recouvré l’usage de ta voix, j’aurais adoré t’entendre me hurler dessus. Le tableau aurait été parfait. » Définitivement pour le gifler aussi. La mesquinerie dans le ton de son frère la rend furieuse. Sa magie en a même des fourmis tout au bout de ses doigts, incapable d’aller se déverser dans une baguette magique. A tort, sans doute, elle ignore le bourdonnement de sa magie mal maîtrisée à ses oreilles pour laisser s’exprimer sa colère de la façon la plus puérile et la plus efficace à laquelle elle peut songer : en jetant son carnet vers son frère. Carnet qui loupe Ardal et Nyssandra n’a même pas le temps de s’en énerver ou de s’en agacer que la magie spontanée, apanage des enfants et des sorciers non formés, étend son bras et rejette le livre de comptes loin du génie Ollivander, faisant cogner le lourd grimoire contre une armoire branlante et pleine des précieuses boîtes à baguette.

Attention est ce qu’elle veut crier, et aucun son ne sort de sa bouche. Alors c’est tout son corps qui réagit à la place, rejoint Ardal en enjambées précipitées (et les deux Ollivander ne doivent qu’aux instructions des guérisseurs et à l’obstination d’Aramis d’avoir obligé Nyssandra à reposer ses pieds blessés dans des chaussures plates, et pas dans ses éternels talons vertigineux). Prise dans son élan et l’inquiétude qui lui monte brusquement à la gorge, elle vient percuter son frère et les fait chuter tous les deux, lui en dessous, amortissant sa chute maladroite, et elle au-dessus cherchant à protéger son cadet des coffrets qui tombent sur eux. Tu vas bien ? semblent demander les deux yeux fauves, dévorés d'inquiétude, qui se plantent dans ceux d’Ardal quand l’armoire cesse de cracher son contenu sur eux. Et sans même réfléchir à l’incongruité de ses gestes, elle se redresse pour examiner avec une inquiétude fébrile le visage, puis les précieuses mains de son frère.


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