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Il n'y avait, au fond, pas grande différence entre être un PDG et  être un grand génie du mal. Augustus ne le répétait jamais assez, mais tout ce que tout le monde jugeait comme des horreurs, des monstruosités, et la preuve qu'il était du côté des « méchants » (c'était fou tout ce que ces imbéciles de sorciers en période d'adolescence un peu trop violente pouvaient dire comme bêtise), tout cela se résumait souvent à des actions très simples, et bien souvent très similaires à la vie de n'importe quel sorcier lambda.
Ainsi, en cette belle journée de mars où M Rookwood préparait tranquillement ses prochains plans machiavéliques, il était l'heure de regarder des CV de tueurs à gages. Il était toujours capital d'avoir quelqu'un qui, sans dire un mot et sans rien demander, irait t'assassiner n'importe quelle personne trouvable sur le botin. Il était souvent beaucoup trop épuisant et risqué de convaincre un disciple de tuer quelqu'un sans explication, sans justification. Les professionnels étaient la valeur sûre.
M. Rookwood vérifiait donc le marché de l'assassinat assez périodiquement, à travers des CV plus ou moins conventionnels. On sous-estime toujours le nombre de malfrat avec une carte de visite ou un petit flyer explicatif. Le plus souvent, c'était cependant des fiches complétées par le bouche à oreille de tous ses charmants petits amis, toujours bien au courant de ce qu'il se passait dans la bas-fonds de l'Angleterre.

Tout en buvant son thé, nonchalemment installé dans le fauteuil de son bureau, Augustus lisait donc d'un œil distrait les descriptions de ces diverses personnes, toutes plus qualifiées les unes que les autres. Il y avait parfois des petites descriptions des types de meurtres qui, en de rares occasions, faisaient se lever un sourcil intrigué du mangemort. Posant parfois sa tasse, il notait distraitement des noms et des remarques sur un parchemin, visiblement enclin à en contacter cinq ou six, mais jamais en personne. C'était un métier sale, et ceux qui le pratiquaient manquaient souvent de toute civilité. Un de ses sous-fifres s'en chargeait, en fonction de celui qu'il aimait bizuter sur le moment.
Tout à coup, son regard capta un nom qui lui fit posser son thé presque avec empressement. Quelque chose qui pourrait être de la surprise brillait dans ses yeux, et ses mains vinrent attraper une des fiches, dont il relu rapidement les informations qu'il n'avait fait qu'effleurer jusqu'alors.

Tiago Blacksmith.

Il était effaré par le nombre de personnes qui portaient ce prénom. Pourquoi fallait-il qu'il soit autant à la mode ? Il fallait toujours qu'il vérifie l'âge, les parents, les circonstances, le physique, cherchant désespérement quelque chose qui...
Bien sûr, l'âge n'était pas précisé, juste une approximation, mais elle pouvait être correcte. Aucune photo, aucune précision. Mais il aimait l'idée que le petit Tiago soit devenu un assassin froid et calculateur... Peut-être pas le meilleur des choix, mais toujours mieux que médecin ou instituteur. Il eu un petit sourire. Ce n'était sûrement pas le bon, mais il ne risquait rien à aller le rencontrer pour vérifier. Et puis, il avait l'air bien assez qualifié pour le charger d'une ou deux missions sans paraître trop indiscret. Ce serait toujours mieux que l'autre imbécile qui s'amusait à tatouer ses victimes.

Quelques secondes plus tard, il avait chargé sa charmante secrétaire d'organiser un rendez-vous avec le Monsieur Blacksmith le lendemain en début de soirée, dans le terrible salon de thé The Blessed Cup.




Bien sûr, Augustus arriva en avance au rendez-vous, dans son petit fauteuil avec un coussin brodé et devant une délicieuse petite tasse de thé en porcelaine dont les petits animaux peints se courraient perpétuellement après dans un décor bucolique. Serein et détendu, le mangemort paraissait parfaitement dans son élément, si on oubliait son costume bien trop propre et serré, ainsi que le dossier qui tronait sur le bord du naperon de la table. Lorsque son invité arriva finalement, il se leva prestement, lui offrit un grand sourire chalereux et lui tendit la main : «  Bonjour M. Blacksmith je suppose ? Je suis Augustus Rookwood, vous avez parlé à ma secrétaire. Je suis navré de vous avoir imposé un rendez-vous dans un délai aussi court. » Il se rassit en invitant le criminel à faire de même sur un des sièges au coussin rose, violet ou prune. Sa voix ronronnante s'éleva de nouveau pour demander avec douceur : « J'espère que vous appréciez le thé ? »
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Tiago avait l'habitude de recevoir ses ordres de mission via le tenancier d'un bar perdu dans les faubourgs de Londres, Le Chien qui Hurle.Il y avait ses habitudes et bien qu'il prenne garde à ne jamais établir de schémas de comportement trop facilement identifiables, qui puisse le mettre en danger, il passait de temps en temps dans la taverne sombre et animée afin d'avoir une petite discussion avec le gérant.
L'homme avait été -selon la rumeur- une langue de plomb, avant que ses problèmes d'alcool et de jeux ne le fassent renvoyer du ministère près de trente ans plus tôt. Il avait gardé de cette période une capacité presque miraculeuse à garder les secrets et il servait à Tiago d'intermédiaire. Un parmi d'autres.
Les intermédiaires, mouchards, messagers, se devaient de changer régulièrement à l'exception des plus fiables et aucund'entre eux ne devait prendre une importance telle qu'il ne puisse plus être remplacé. La dure loi de la jungle était ainsi : plus une personne prenait d'importance, plus votre main devait se resserer sur le manche de votre baguette afin de la supprimer lorsque l'attrait de la trahison deviendrait trop fort pour elle.
Tiago avait pourtant toujours pu compter sur le gérant du bar, Randy. Et ils avaient l'un pour l'autre, à défaut de respect, une sorte de méfiance mutuelle teintée d'intérêt.

Ce jour là, Randy avait remis à Tiago une note d'une étonnante propreté et dont l'écriture déliée n'avait pas manqué d'alerter le tueur à gages. Il avait fixé Randy.
-Qui a déposé ça?
-Une jeune nana. 30 ans. Bien sapée. Costume. Imper noir. Nerveuse.

Tiago hocha la tête, sa main gauche caressant la tête d'Olliver tandis qu'il lisait le petit papier. Il était signé d'un A majuscule, suivi d'un R.
A.R
L'encre d'un vert sombre tirant sur le noir ainsi que la qualité du papier, dans lequel s'imprimait un filigrane ouvragé ne laissait aucun doute sur l'importance du personnage ni même sur l'identité de ce dernier. En temps normal, Tiago aurait déchiré la carte et serait passé aux affaires les plus pressantes du moment, ignorant ce grotesque incident mais il n'était pas fou au point d'ignorer qu'un membre du gouvernement, visiblement haut placé, savait comment le contacter et saurait tout aussi surement comment le trouver s'il lui faisait l'affront de ne pas se présenter au rendez vous.
Passant une main dans sa barbe de trois jours et soupirant, il hocha lentement la tête puis salua Randy de la tête avant de sortir du Chien qui Hurle.La pluie tombait drue et il rabattit sa capuche sur son visage avant de gagner les entrepots désaffectés qui jouxtaient ce faubourg autrefois réputé pour ses artefacts magiques.
Il allait falloir se changer, donner une image acceptable, la partie de son métier qu'il appréciait le moins. Il n'aimait pas s'adapter à ses clients, il n'était après tout pas celui qui avait besoin de voir les gens disparaître et de les enterrer sous ses géraniums.
C'est donc avec une tête d'enterrement qu'il prit une douche, chassant la cendre et la terre de son corps avant de démêler ses cheveux -beaucoup trop longs quelque soit le milieu social- et d'enfiler des vêtements propres. Enfilant des gants en cuir, qu'il portait toujours lors des premières rencontres afin d'éviter de disséminer ses empreintes sur le lieu de rendez vous, il passa une cape autour de ses épaules et indiqua à Olliver de rester dans le salon. Pas question de le faire rentrer dans l'équation. Il tenait à son chien plus qu'à sa propre vie et l'emmener dans un nid de vipères aurait été profondément inconsidéré.

-Tu restes là. Fais pas la gueule. Tu peux monter sur le lit si tu veux.

Il ne fallut pas le dire deux fois. Olliver jappa et sauta sur le lit avant de se rouler en boule et de fermer les yeux.Satisfait, Tiago se mit en route pour The blessed cup.
Il avait déjà été demandé par des clients aux gouts pour le moins excentriques mais celui-çi qui qu'il soit battait tous les records. Mon dieu, cet établissement était à vomir et il ne lui fallut que quelques secondes pour s'y sentir profondément mal à l'aise. le jeune homme n'en montra pourtant rien et sonda la pièce du regard, cherchant celui qui pourrait être son client.
C'est ce dernier qui le trouva. Et lorsque Tiago le vit, il réalisa l'ampleur du pétrin dans lequel il venait de se fourrer la tête la première.

A.R.
Augustus Rookwood
Son client était un putain de mangemort et pas de la nouvelle école.

Tendu à présent, il plissa les yeux et s'approcha de la table.

« Bonjour M. Blacksmith je suppose ? Je suis Augustus Rookwood, vous avez parlé à ma secrétaire. Je suis navré de vous avoir imposé un rendez-vous dans un délai aussi court. J'espère que vous appréciez le thé ?»

La voix était chaude, calme, rapeuse et le sourire plus aimable qu'on aurait pu l'imaginer. Tiago ne prit pas la main que lui tendait l'homme et se contenta de lui adresser un geste sec de la tête avant de s'asseoir sur un des hideux coussins qui ornaient les fauteuils.

-Je n'ai pas "parlé" à votre secrétaire. Il m'a laissé un mot. Je ne discute pas avec les intermédiares. Quant au thé...je ne suis pas le dernier des sauvages.

Il observa rapidement les issues puis considéra la théière déjà en place sur la table, avant de fixer l'homme en face de lui. La plupart des sociétés désapprouvent le fait que l'on fixe son interlocuteur mais Tiago avait peu de considération pour ce que la société pensait de son comportement. Il inspira profondément et plongea le regard dans celui de Rookwood. Ce qu'il y perçut le perturba. Il y avait là comme de...l'intérêt. De l'amusement? de la curiosité? rien de ce que les clients avaient l'habitude de montrer. Souvent prédominaient la nervosité, la honte, la peur d'être surpris en train de commanditer un meurtre. Tiago n'était que le vilain petit démon que l'on engageait pour traquer une proie et la tuer. Le prédateur.
Pour une raison qui commençait à lui hérisser les poils de la nuque, le regard de Rookwood lui donnait l'impression d'être la proie. Aussi prit-il la parole, sa voix toujours aussi basse et rauque:

-Vous avez demandé à me voir, me voilà. Mon temps est aussi précieux que le votre alors venons en au fait. Je veux savoir qui, où, quand, comment. Le prix sera discuté en fonction de ces paramètres, 50% d'acompte et 50% une fois la cible éliminée. Le reste des détails est accessoire et ne me concerne pas.
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Il fallut toute la maîtrise et l'entraînement d'Augustus pour empêcher le dégoût et la déception s'installer sur son visage. Non, ce n'était pas son Tiago. Cela ne pouvait être son Tiago. Son regard critique vit bien vite au delà des efforts de propretés : il était face à une brute. Une créature de la pire espèce, sans politesse, sans tact, sans subtilité. Lorsque l'énergumène refusa de lui serrer la main, Augustus ne pu réprimer un haussement de sourcil surpris. Intérieurement, il se demandait comment il avait pu être assez bête pour se perdre ainsi avec ce genre de créature. L'espoir faisait faire des choses bien stupides aux êtres humains, et il était navré d'être ce côté de l'analyse en ce jour.
Il n'y avait aucun charme, aucune douceur dans la voix rocailleuse qui se trompa de sexe en parlant de sa secrétaire. Augustus ne pris pas la peine de le corriger. Qu'il reste donc dans sa bêtise et son ignorance. Moins il en savait sur lui, mieux il se portait. Dans une tentative de reprendre le contrôle de ses émotions (extérieurement parfaitement maîtrisées), il prit le temps de boire une nouvelle gorgée de son thé. Il n'appréciait ce salon de thé que pour trois choses : la discrétion de la patronne, la possibilité de déstabiliser ses invités et enfin la qualité du thé, dont même lui ne pouvait pas se plaindre.

Il n'invita pas Tiago à se servir dans sa théière. Il ne fit pas un signe vers la patronne. En ne lui serrant pas la main, il avait perdu le droit à ce genre de courtoisie. Il se débrouillerait lui-même pour commander s'il voulait quelque chose, ce qui aurait été la moindre des politesses. Bien sûr, Augustus comptait payer la consommation du monsieur. Il n'avait visiblement pas les moyens de se payer du thé d'aussi bonne qualité.
Tout en laissant le liquide chaud lui couler dans la gorge, il prit le temps d'analyser la brute. Il était visiblement mal à l'aise, ce qui était une bonne chose. Il devinait la nervosité sans la voir, il n'était visiblement pas complètement incompétent. Son regard dériva un instant sur ses mains, aussi calleuses qu'il le pensait. A part cela il y avait peut-être quelque chose, dans le regard, dans les cheveux, dans le maintien, qui pouvait peut-être faire penser à son Tiago. Plus il y pensait, plus il se disait que le fils de cette femme aurait très bien pu déraper comme ça... Il n'avait cependant rien, mais alors absolument rien du père.
Il ne voulait pas tomber dans le piège d'humains si nombreux et de voir quelque chose parce qu'on voulait qu'il y soit.

« Je ne suis pas ici pour ordonner une simple exécution M. Blacksmith. Je pense que vous savez qui je suis, et je pense que vous savez que j'ai souvent affaire à des personnes de votre profession. » Il prend une nouvelle gorgée de thé. Cette fois-ci ce n'est pas pour retrouver son calme, il est bien de nouveau là, mais pour imposer son rythme, sa lenteur, et son calme sur l'inculte. « J'aime à repérer les personnes de qualité, reconnaître leur service et le redemander à l'occasion. J'ai bien sûr les revenus pour vous payer généreusement, et je ne doute pas qu'une clientèle fidèle est ce que vous recherchez. » Une nouvelle pause pour attraper le dossier posé sur le bord de la table, le poser devant lui et commencer à le parcourir d'un air légèrement distrait. Il replongea ensuite de nouveau son regard dans celui de Tiago, un sourire poli toujours présent :
« Veuillez comprendre, monsieur, que je ne suis pas ici pour vous donner des vulgaires détails pour cette cible qui, au fond, m'importe peu. Voyez cela plus comme le test de votre compétence qu'une véritable tâche complexe. Tous les détails seront dans ce dossier, ainsi que les moyens d'avoir plus de renseignements si vous en avez besoin. Vous ne traiterez que très rarement directement avec moi. »
Il ne lui disait pas, bien entendu, qu'il n'aurait sûrement jamais entendu sa voix si son prénom ne l'avait pas attiré. A tous les coups il se trompait, il n'y avait plus de Tiago, et celui-ci utilisait un autre nom à présent... Si c'était le cas, il avait perdu beaucoup trop de temps dans cette quête futile.

« Pouvez-vous me présenter succinctement votre façon de travailler ? » C'était surtout pour vérifier ce qu'il savait déjà et, qui sait, récupérer des informations utiles pour comprendre s'il était sur la bonne piste. Son âge, déjà, serait un bon début.
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Ca suintait le mépris. Tout en ce personnage respirait le dédain, aussi Tiago ne prit-il pas la peine de lui adresser le moindre regard lorsqu'il lui tendit le dossier. Il l'ouvrit et d'un oeil alerte, repéra la serveuse qui s'approchait de lui. Fermant le dossier, il se tourna vers elle et déclara sobrement:

-Un thé vert grillé à la menthe, s'il vous plaît.

Puis, il reporta son attention sur les papiers, les parcourant des yeux. Il devait fournir un effort conscient pour concentrer son esprit sur les lettres qui ne demandaient qu'à se mélanger,encore et toujours. Il organisait pendant ce temps mentalement les différentes informations qu'il détectait, tout en écoutant d'une oreille les instructions de son employeur. Lorsqu'il répondit, sa voix était toujours très calme, ce qui pour ses clients habituels était d'ordinaire le signal qu'on marchait sur de la glace fine:

-Si vous aviez une quelconque connaissance de mon milieu d'activité vous sauriez d'ors et déjà que je le suis le meilleur tout secteurs confondus, je vais donc faire abstraction de votre remarque et de vos tests. Ca vaudra sans doute mieux pour le reste de cette "conversation".

Il appuya distinctement sur le dernier mot afin de montrer toute l'estime et la valeur qu'il accordait à la dite discussion puis accorda un regard perçant à Rookwood avant de fermer le dossier et de le reposer sur la table. Alors que la serveuse revenait, elle posa devant lui une théière fumante et déclara comme cela était souvent l'usage:

-Thé vert grillé de Chine à la menthe marocaine accompagné de son macaron à la fleur d'oranger. Bonne dégustation Monsieur.
-Merci Mademoiselle.

Il se servit une tasse, prenant garde à verser le thé de la bonne manière en levant la théière assez haut sans pour autant en verser une seule goutte à côté de la tasse. Il avait eu de nombreux clients maghrébins ou venus du Moyen-Orient et les contrats se passaient habituellement autour de thé. Les russes avaient également cette manie, à l'exception que le thé n'était pas à la menthe mais à la bergamote. Les français aimaient le vin, les écossais le whiskey, les américains tenaient à offrir une bière. A chacun ses petites manies. Une fois que le thé eut été versé, Tiago porta la tasse à ses lèvres et considéra son employeur:

-Chaque professionnel a sa manière de travailler. Pour ma part j'évite de me montrer trop fantasque. La cible est étudiée durant une période d'environ une semaine, ses habitudes décortiquées et ses points faibles analysés durant ce que je nommerais le "criblage". Puis je choisis une manière intracable et immédiate d'honorer le contrat en accord avec les demandes de mon employeur. Après une semaine ou moins de criblage, selon les urgence du commanditaire, je prends une période de 24h pour procéder à l'opération. 48h pour une disparition totale du corps. La moindre mise en scène symbolique est bien évidemment surfacturée. Je suis tueur à gages, pas tueur en série et si la nuance est mince vous comprendrez qu'elle importe. Si vous désirez que vos victimes soient tondues et mises à mariner dans du formol pour extraire leur parfum, vous le ferez vous même, je ne m'appelle pas Grenouille.

Il se rendit aussitôt compte qu'il aurait mieux fait de se taire. Citer de la littérature était déjà déconseillé pour toute personne de sa profession mais de la littérature moldue?autant tendre le baton pour se faire battre. Etre un mercenaire recquérait quelques règles auxquelles il valait mieux ne jamais transiger.

Toujours se faire passer pour plus bête qu'on ne l'était vraiment.
Ne jamais prendre le client de haut frontalement.
Ne jamais, jamaistrop en dévoiler sur sa personnalité.

Rookwood venait de lui faire faire les trois en moins d'un quart d'heure et Tiago sentait la pression monter. Il y avait quelque chose dans l'attitude de cet homme qui le mettait mal à l'aise, comme si la mince figure du mangemort était suivie d'un nuage sombre et opaque de malfaisance, comme si sa simple présence réveillait en Tiago des peurs dont il ignorait même l'existence. D'un coup d'oeil rapide, il inspecta la dernière page du dossier.

-Vous l'aurez compris, je préfère l'efficacité à la fantaisie. Si cela vous convient, nous ferons affaire, dans le cas contraire, Lorenzo Vitillieci sera votre homme, il écorche ses cibles.

Une nouvelle gorgée de thé et Tiago considéra Rookwood avant de demander à contre coeur:

-D'autres questions?

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Oh pitié, il allait vraiment nous la faire à la « tu es le néophyte je suis le grand gourou » ? Le mangemort assassinait déjà avant même la conception de l'insolent, ou environ dans ces eaux-là, vu l'âge flou de son interlocuteur. Il ne releva pas, retenant un sourire, notant quelque part au fond de sa mémoire que le garçon était susceptible. Typiquement le genre de défaut dont Augustus ne se formalisait pas, sauf lorsque ce genre de réaction lui était nécessaire afin d’appuyer sa supériorité dans la conversation.
Et visiblement, ici, le jeune imbécile semblait oublier qu'il était le fournisseur et que le mangemort était le client. La politesse n'était apparemment qu'un concept flou et éthéré pour la brute. Une qualité qui manquait souvent cruellement à tous ceux qui se prétendaient moraux, ou qui jugeaient juste Augustus comme le « mauvais ». (La diversité lexicale de cette frange de la population était vraiment navrante.)

-Thé vert grillé de Chine à la menthe marocaine accompagné de son macaron à la fleur d'oranger. Bonne dégustation Monsieur.
-Merci Mademoiselle.

Certes, il avait bien choisi. Pour l'avoir testé, ce thé était bon. Mais cela ne voulait rien dire. Il ruminait intérieurement là-dessus, et sur le fait que certes, il le servait bien, mais que, encore une fois, les plus rustres des anglais savaient servir du thé. Mais il du laisser la surprise s'installer en lui alors que l'homme se mettait à  lui expliquer sa façon de travailler. Tout en gardant la posture désinvolte de l'homme qui écoute un spécialiste lui expliquer comment il va cuisiner son foie gras poêlé, il sentait un très long, très lent frisson parcourir son échine.
Il était froid, calculateur, sobre. Il semblait vide de sentiment, de tendresse. L'efficacité était au cœur de chacune de ses explications, jusqu'à la sobriété de ses phrases. Augustus ne respirait le calme grâce à la force de l'habitude, celle d'Azkaban, celle qui ne te fait pas crier, celle qui t'empêche de pleurer alors que tout ce qu'il y a de sombre en toi vient t’assaillir, t'insulter, te heurter. Il était là, presque terrorisé par l'admiration, le respect, l'intérêt qu'il commençait à ressentir pour l'homme en face de lui. Il ne bougeait plus vraiment, ne buvait plus son thé. Il souriait et écoutait avec conciliation mais son âme, ou ce qu'il en restait, était en ébullition.
Il se forçait à ne pas trop songer aux conséquences. Il lui était interdit, formellement interdit de faire des suppositions trop hâtives. Il ne pouvait pas se permettre d'erreur, ni de gâcher des efforts à enquêter sur un homme dont il ne pourrait sûrement rien tirer, même s'il se révélait être celui qu'il pensait.

Plus Augustus est nerveux, plus il paraît calme. Ses moments de grande joie, ses matins où il a pu dormir un peu, sont les seuls moments où on peut apercevoir la profondeur de la nervosité, du malaise, et du  mal-être de l'individu. Adélaïde et le calme qu'il lui inspire est la seule personne a l'avoir pu relativement perdre son calme.
Ainsi, au fil de la discussion et du discours de l'assassin, l'amabilité, la tendresse du mangemort devenait toujours plus présente. Sa cordialité n'était plus ce petit artifice posé pour qu'on ne puisse rien lui reprocher. Tout à coup son regard vibrait d'une étrange tendresse, et son sourire poussait l'homme à continuer, visiblement presque ravi de l'écouter parler.

-Vous l'aurez compris, je préfère l'efficacité à la fantaisie. Si cela vous convient, nous ferons affaire, dans le cas contraire, Lorenzo Vitillieci sera votre homme, il écorche ses cibles.

Un petit rire passa les lèvres d'Augustus. Un rire très léger, très doux, comme un petit roucoulement d'oiseau. Il paraissait amusé, presque charmé par la proposition de l'homme. « Voyons M. Blacksmith, vous savez très bien que M. Vitillieci n'a pas l'ombre de votre réputation. Et si vous connaissez ne serait-ce qu'un minimum qui je suis, vous savez que vous avez le profil idéal pour le genre de travail que je recherche. » Il paraissait véritablement, incroyablement ravi, et sa main passa un instant sur son visage, comme pour essayer de palper cette joie qui semblait si étrangère à la nervosité, la peur, la presque colère qui grondait en lui. Il regardait la tasse de thé comme un objet étranger et ne prêtait plus attention qu'à son interlocuteur.

« J'aurais bien d'autres questions à vous poser M. Blacksmith, mais je crains que vous ne soyez que difficilement enclin à y répondre, vu l'animosité que je sens en vous à mon égard. Sachez que cela me chagrine, et j'espère sincèrement que vous apprendrez à apprécier à sa juste valeur notre... partenariat. » L'insulte vibrait dans sa bouche comme la plus délicieuse des opportunités. Ô qu'il avait l'air incroyablement honnête dans son étrange tendresse. Ô que cette amabilité si fausse avait terrifié de si nombreuses victimes, connaissant trop bien ses étranges sautes d'humeur. Ô que certains s'étaient laissés berner par cette voix si douce, si tendre, et ces étranges yeux rieurs.
« Je ne saurais donc que vous enjoindre à contacter ma secrétaire en cas de toute question ou réclamation, je pense que tout ce dont vous avez besoin se trouve dans le dossier. Cela a été un plaisir de converser avec vous, monsieur, et j'espère que je reconnaîtrais bien assez tôt ce vif plaisir. Bien entendu, considérez la note pour votre thé payée. Je ne peux d'ailleurs que saluer votre choix. Sur ce, je vous souhaite un excellente journée. »

Sur ces mots légers il se leva, attrapant et enfilant son manteau dans un geste, envoyant un sourire à la serveuse qui passait. Il commençait déjà à regarder vers la sortie, avec cet air de l'homme très pressé qui se repasse son emploi du temps en tête avant de faire le moindre mouvement lorsqu'il s'arrêta, baissa le regard vers l'homme sans aucune finesse qui se trouvait à côté de lui et lâcha d'un air surpris : « Oh, mais  j'oubliais votre argent, patientez un instant. » Une poche, deux poches intérieurs, et ses doigts se referment sur une bourse, qu'il extrait gracieusement et dépose sur la table devant son employé, dans un petit tintement de pièces. Il lui présente de nouveau son sourire plein de charme, lui susurre presque un : « Au plaisir de travailler avec vous. » avant de finalement procéder à la sortie du salon de thé, un sourire satisfait aux lèvres.

Et au fond de lui-même, dans ce qu'il n'ose lui-même pas encore fouiller de peur de faire le moindre écart, brûle une curiosité sans bornes.
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Augustus Rookwood avait une voix qui rappelait à Tiago celle qu'aurait pu avoir, du moins si cela eut été possible, le serpent Kaa de Rudyard Kipling, l'auteur moldu. Kaa, ce python mordoré aux yeux charmeurs et au ton doucereux, chantant, presque velouté. Une voix faîte pour bercer, pour rassurer, pour susurrer.
Il avait la voix de Kaa, la voix d'une sirène et il ondulait presque tant son image pourtant fixe, irradiait le calme, la maîtrise, la manipulation glacée dissimulée, enveloppée, dans les accents poudrés de sa voix.
Tiago sentit un frisson remonter le long de son dos alors qu'il lui parlait.

"J'aurais bien d'autres questions à vous poser M. Blacksmith, mais je crains que vous ne soyez que difficilement enclin à y répondre, vu l'animosité que je sens en vous à mon égard. Sachez que cela me chagrine, et j'espère sincèrement que vous apprendrez à apprécier à sa juste valeur notre... partenariat"

Le dernier mot fit l'effet d'une douche froide à Tiago et il se tendit imperceptiblement, sa respiration se faisant plus lente et son attitude plus attentive, comme si son corps tout entier redoutait un danger que son cerveau d'être humain, doué de science sociale, refusait d'analyser. L'instinct. C'était son instinct qui hurlait à cet instinct, cet instinct qui faisait fuir les fauves et les canidés, s'envoler les oiseaux, plonger les poissons dans les eaux les plus noires. L'instinct de fuite ou de combat, que provoque l'immédiateté de la menace, sa proximité, sa létalité certaine.
Pourtant le tueur se força à rester totalement impassible, à ne plus montrer cette fois la montre "animosité" pas plus que la moindre crainte.
Il était déstabilisé, une chose dont il n'avait pas l'habitude, et il pressentait, cette fois encore dans ses entrailles, que quelque chose était en train de se jouer à cet instant précis, une chose infiniment plus sombre que la commande d'un meurtre.
Le plus inquiétant pour Tiago à la seconde précise où cette petite idée, aiguisée comme un rasoir, fit son chemin dans son esprit, fut qu'il n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait être cette épée de damoclès au dessus de sa tête. Il entendait la mélodie de Rookwood, voyait la lumière que comme un poisson des abysses, il dispensait dans l'obscurité, mais ne savait pas pourquoi il était devenue soudain, la proie de ce prédateur au sang froid.

"Fais moi donc confiance" murmuraient les yeux de Rookwood.
"Pourquoi tant d'agressivité?" soufflait l'expression de son visage.
"Je ne te veux pas de mal..." annonçait son léger sourire.

Tiago avait la boule au ventre, un étau de métal autour des intestins.

« Je ne saurais donc que vous enjoindre à contacter ma secrétaire en cas de toute question ou réclamation, je pense que tout ce dont vous avez besoin se trouve dans le dossier. Cela a été un plaisir de converser avec vous, monsieur, et j'espère que je reconnaîtrais bien assez tôt ce vif plaisir. Bien entendu, considérez la note pour votre thé payée. Je ne peux d'ailleurs que saluer votre choix. Sur ce, je vous souhaite un excellente journée. »

La voix du python glissa sur Tiago comme un voile et soudain, le mangemort fut debout, dans un geste souple et maîtrisé qui rapprocha de nouveau Rookwood d'un reptile. Comme un python, il se déplia lentement, l'oeil acéré, alerte, patient, le corps prêt à s'enrouler autour de sa prochaine fois pour lentement, l'étouffer entre ses anneaux tout en lui murmurant que bientôt "tout serait fini et tout serait bien."
Lorsqu'il donna l'argent à Tiago, ce dernier ne jeta pas un oeil à la bourse, se refusant même à y toucher dans une attitude d'indépendance et de refus de soumission.

« Au plaisir de travailler avec vous. »

Puis, silencieusement, il partit. Tiago resta un moment immobile. Le coeur battait trop vite dans sa poitrine, il respirait trop vite. Ce n'était pas de la peur, pas la peur liée au tatouage que portait Rookwood qui venait de provoquer cela. C'était l'homme en lui même.

Tiago resta bien dix minutes assis à la table sans boire une seule gorgée de thé. Il avait la gorge infiniment trop serrée.

Comme si un python aux écailles vert et fauve venait de s'enrouler autour d'elle.

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