Édouard adore Poudlard. Il chérit chacun des moments qu'il y a passé: ça a été sept des meilleures années de sa vie. Il était toujours entouré de ses amis, Rick et Faust, toujours apprécié, toujours félicité par les professeurs. Il se souvient des matches de Quidditch, des chamailleries sans fin dans le compartiment des préfets du Poudlard Express, des stupides batailles d'oreillers au dortoir et des longues heures de révision à la bibliothèque. Les journées passées à lézarder près du Lac noir, les autres dans les humides cachots du Maître des Potions, les buffets d'Halloween, les matins de Noël, tout, il se souvient de tout et il a tout aimé à Poudlard.
Sauf qu'il ne parvient pas à y rester. Il ne peut pas y rester. Il a l'impression que les regards méfiants et haineux vont le tuer alors il reste dehors. Il essaie de se rendre utile dans la Forêt Interdite, il essaie de se rendre utile en s'occupant de certains avant-postes pour les alliés étrangers, il attire les Mangemorts loin de Poudlard quand certains veulent sortir et il passe la plupart de ses nuits à Storm's End, qui se trouve pas très loin de Poudlard mais suffisamment pour que personne ne vienne embêter ceux qui y habitent. La plupart des loup-garous de la rébellion, parfois Amelia, parfois Elijah: Édouard, après un mois, les adresse tous par leurs prénoms et avait l'impression de les connaître par coeur. Il n'a vécu qu'une seule pleine lune avec eux, après avoir vu Amelia... et ça a été étrange. Édouard a passé beaucoup de temps avec les Loups, le groupe de Belliqueux qui rassemblait la plupart des loup-garous des Insurgés à l'époque, mais c'était différent. À l'époque aussi c'était une meute improvisée et officieuse mais il y avait nettement plus de tensions, entre ceux qui refusaient l'autorité de Franck Hudson, le chef du groupe qui n'était pas un loup-garou, et ceux qui voulaient mettre Llewellyn à la place... À Storm's End, Édouard a l'impression d'être en paix. Il a naturellement trouvé sa place avec les autres, June l'a accueilli à bras ouverts et Amelia, habituée au contact de ces gens-là, l'a aidé à se faire accepter.
Édouard les aime bien. Pour la première fois depuis sa morsure, depuis l'Accident qui a irrémédiablement changé sa vie, il ressent le besoin d'avoir ça. Une famille, une meute. Il a tellement, si ardemment, si fougueusement repoussé la Bête en lui, le loup, le monstre, qu'il a l'impression d'être deux personnes à la fois, parfois, certaines nuits. Mais avec les gens qui habitent à Storm's End il est juste Édouard. Édouard le loup-garou. Mais Édouard tout de même.

Ce jour-là, il revient d'une longue mission de quatre jours éprouvantes, passées à l'extérieur avec des envoyés étrangers. La dernière fois qu'il a pris Rohan avec lui ça s'est plutôt mal passé avec les américains alors pour cette fois, il lui a demandé de rester vers Poudlard et Storm's End. Il lui a dit de veiller sur Amelia avec un clin d'oeil, pour éviter qu'elle fasse trop de bêtises.
Il dépose son sac à l'entrée, retire sa veste qu'il envoie sur l'un des canapés du salon et fouille la maison jusqu'à trouver l'une de ses autres habitantes, Rachel. “ Tu sais où est Ghost? ”
Ghost, c'est Rohan. Édouard se souvient comme si c'était hier de la première fois qu'il l'a vu, dans cette maison même. C'était le matin, très tôt, quand il était venu déposer sa voiture à Storm's End avant de transplaner avec Kid et Draco aux environs de Poudlard. Il était juste passé récupérer à manger et ce mec était là: presque deux mètres de haut, trop blond, les yeux trop bleus, le visage trop symétrique: le portrait craché de Rick. Son meilleur ami mort. Édouard avait sursauté, reculé. En s'attardant sur le visage de l'apparition, il s'était aperçu qu'il n'avait pas exactement la même couleur d'yeux, pas le même nez, pas la même bouche et jamais Rick n'aurait pu entretenir ce genre de barbe. Mais son coeur battait quand même la chamade. “ Merlin, tu m'as fait peur. J'ai cru voir un fantôme, ” lui avait-il dit sans réfléchir. Et l'apparition avait souri: “ je suis un peu un fantôme. ” Et même si Édouard avait dû repartir au plus vite et ne revoir ce mystérieux fantôme que de longs jours plus tard, dès cet instant précis, il avait décidé qu'il prendrait soin de lui.
C'est exactement ce qu'il est en train de faire, en partant à sa recherche, le cadeau qu'il a préparé pour lui glissé dans une poche de son jean. “ Il est allé chercher de l'eau, l'a pas plu depuis que t'es parti, lui indique Rachel en haussant les épaules. 'Lui ai bien dit que c'tait pareil avec un Aguamenti mais 'm'a dit que ça avait pas le même goût... ” Édouard sourit en coin. Ils ont quelques discussions, lui et Rohan, sur les apports minéraux de l'eau naturelle comparée à l'eau artificielle sorcière... “  Merci, Rachel, ” dit-il en dévalant l'escalier, remettant sa veste sur ses épaules après l'avoir attrapée et sortant de la maison en prenant naturellement le chemin du ruisseau qui serpente non loin à travers le bog qui entoure le cottage.

Storm's End est réellement une bâtisse perdue entre nulle part et fort fort lointain. Il n'y a pas une trace de civilisation à la ronde, à part les marques des pneus de la voiture d'Édouard qui serpentent à travers un chemin connu de lui seul tout autour de la minuscule propriété. C'est des anciennes fermes, ici, dont les ruines s'élèvent parfois entre deux collines; des petits bois timides qui se dressent entre montagnes et ruisseaux; des cerfs qui se perdent, des moutons de la ferme d'à côté qui viennent d'un bâtiment trop lointain pour être aperçu; bref, c'est le paradis aux yeux d'Édouard. La nuit, quand tout le monde dort, avant de rejoindre lui-même une place restante dans un lit, Édouard se surprend à sortir pour apprécier le calme et la beauté de la nuit loin de tout.
Il remonte le long de ruisseau, ses bottes crissant sur les galets jusqu'à apercevoir l'imposante silhouette de Rohan un peu plus bas, en train de se passer de l'eau sur le visage. Le connaissant, il a certainement attrapé un thon rouge... oui, dans un ruisseau. Ça semble impossible mais si il avait réussi ce miracle, Édouard ne serait même pas surpris: il l'a vu accomplir, même en deux mois qu'ils se connaissent à peine, des prouesses qu'il pensait n'importe quel homme incapable de seulement songer à faire. “ Hey, ” s'annonce-t-il en se rapprochant, avec un petit sourire quand Rohan lève le visage vers lui. Il trotte les derniers mètres qui les sépare et lui tape une fois sur l'épaule pour le saluer officiellement. Plutôt que des poissons, il voit des plants d'aconit posés près des deux seaux d'eaux et hoche la tête en laissant sa main retomber le long de son flanc. “ Good call, commente-t-il en les désignant du menton. Elijah m'a dit qu'à ce rythme, on va vite épuiser les réserves d'ingrédients de Snape si on veut continuer d'utiliser la Tue-Loup. ” Il lui frappe une nouvelle fois l'épaule avec un sourire, avant de lui indiquer d'un mouvement de main un peu d'herbe sèche près de l'eau. “ Maintenant j'aimerais que tu t'asseois, big guy, parce que j'ai un truc pour toi. ”
Il fait suffisamment chaud pour qu'Édouard retire son blouson sans frissonner, prenant bien son temps en jetant un coup d'oeil amusé à Rohan, se demandant si il est curieux ou impatient. Il insiste en lui faisant signe de s'asseoir jusqu'à ce qu'il s'exécute, comme à contre-coeur. “ On est tombé sur un Détraqueur et quelques Rafleurs sur le chemin du retour (il grimace légèrement de douleur: il a été rafistolé sur le chemin et ils sont parvenus à éviter une grosse confrontation mais ce n'est pas passez loin)  et j'ai réussi à leur piquer un truc. ” Il sort la baguette en trop de la poche de son jean. “ Tiens. C'est pour toi. ” Et puis, précipitamment: “ elle va peut-être pas te convenir mais tu vas en avoir besoin d'une si tu veux qu'on applique toute la théorie que je t'ai fait bouffer ces dernières semaines. Tout ne s'apprend pas dans les livres, malheureusement. N'aies pas peur de la prendre, ” insiste-t-il en la lui tendant, avec un petit sourire encourageant.

Il est bien, ici. L’eau ruisselle paisiblement sur les pierres et le soleil lui donne des reflets dorés. Il a rempli les deux seaux presque à ras-bord avant de les reposer sur la berge en apercevant des plantes familières de l’autre côté du ruisseau. Il n’est pas très profond mais plutôt large, alors plutôt que de risquer de glisser et de s’étaler en essayant d’enjamber, Rohan retire ses chaussures et ses chaussettes, les dépose soigneusement à côté des seaux et remonte son pantalon, avant de traverser le ruisseau. L’eau est fraîche et il prend le temps d’apprécier avant de s’approcher des plants d’aconit. Aussitôt, le jeune homme plisse le nez, même à cette distance, l’odeur est infecte et il a très envie de piétiner ces maudites fleurs, mais il a entendu Elijah dire qu’ils n’allaient pas tarder à être à court. Il n’a pas besoin de la potion, lui. Il n’en a jamais eu besoin. Mais il a cru comprendre que certains loups ne supportaient pas de passer une nuit de pleine lune sans en prendre et il veut se rendre utile. Il veut leur montrer qu’il accepte qu’ils fassent les choses différemment, ici. Alors il creuse soigneusement la terre avec ses mains – heureusement, elle n’est pas trop sèche ici, de toute manière, l’aconit ne pousserait pas si c’était le cas, c’est une chose qu’il sait bien, ça – et arrache quelques plants en prenant soin de ne pas inspirer trop fort tant l’odeur le révulse. Il n’enlève pas tout, pour être certain que d’autres plants repoussent dans le coin, puis retraverse le ruisseau et dépose l’aconit sur le sol. Là, il s’écarte et retourne près de l’eau où il s’assoit. Il se nettoie soigneusement les mains pour se débarrasser de la terre mais surtout, de l’odeur de la plante, puis plonge ses orteils dans l’eau et lâche un soupir de satisfaction.
Il apprécie Rachel et les autres, mais il doit bien admettre que ce n’est pas pareil, quand Edouard n’est pas là. Il est le seul à l’avoir accepté immédiatement, sans poser de questions, sans douter une seconde de ce qu’il disait. Avant son arrivée, Rohan ne se sentait pas vraiment à sa place, même si June faisait de son mieux pour ça, il y avait toujours une certaine méfiance. Il comprend parfaitement pourquoi, ça n’en est pas moins douloureux pour autant. Edouard lui a rappelé James en l’acceptant dans son cercle aussi facilement que s’il avait toujours été là. Et ça lui a fait mal de penser à James, mais ça lui a aussi permis de se sentir un peu plus à la maison.

Rohan ferme les yeux et inspire profondément. Ça sent la terre humide et le soleil, toujours un peu l’aconit aussi, mais le reste prend le dessus sur cette odeur désagréable. Il perçoit clairement le vent dans les arbres et le chant des oiseaux. Sarah et James lui ont expliqué qu’on n’entend pas tout ça, en ville. Qu’il n’y a que le bruit des moteurs, des gens qui parlent et crient, l’odeur de pollution et des égouts. Le loup a grimacé et leur a demandé comment ils faisaient pour vivre dans un endroit pareil. Il ne parvient pas à s’imaginer rester dans un endroit où le ciel n’est que ténèbres à cause des lumières de la ville, où le silence n’existe jamais et où tant d’odeurs désagréables traînent. Il déteste quand Edouard vient avec sa voiture, cet engin sent si mauvais qu’il en a la nausée à chaque fois qu’il approche Storm’s End dedans.
Il est tellement mieux, ici. C’est agréable d’avoir un véritable toit au-dessus de sa tête pour dormir, même s’il a mis un moment à s’y faire. Au début, il n’arrivait pas à dormir, pas après avoir passé des années à le faire à la belle étoile puis dans la tente sorcière que James avait finalement réussi à voler. Puis finalement, il s’est rendu compte qu’il se sentait beaucoup mieux entre quatre murs, pour dormir. Il s’y sent plus sûr. C’est bien, d’avoir cet endroit où il peut se réfugier la nuit sans avoir à sacrifier les grandes étendues d’herbe et d’arbres. Rohan ne veut jamais quitter Storm’s End.

Il entend d’abord les bruits de pas. Il reconnaît aisément le rythme de marche et le poids qui fait crisser les cailloux sous ses chaussures. Le blond ouvre les yeux et passe une main dans le ruisseau pour se débarbouiller. Ensuite, c’est l’odeur qu’il perçoit faiblement et un petit sourire se dessine sur ses lèvres. « Hey, » fait enfin la voix et Rohan se tourne vers Edouard qui franchit la distance qui les sépare pour lui tapoter l’épaule. « Hey, » répond-il. Le jeune homme se redresse et attrape ses chaussettes qu’il enfile avant de faire de même avec ses chaussures. « Good call, Elijah m'a dit qu'à ce rythme, on va vite épuiser les réserves d'ingrédients de Snape si on veut continuer d'utiliser la Tue-Loup. » poursuit l’autre loup et il ne peut empêcher cette légère chaleur de s’emparer de lui, comme à chaque fois qu’Edouard est content d’un truc qu’il a fait. Ça lui donne l’impression d’appartenir à quelque chose, de gagner sa place. « Oui, j’ai entendu, » dit-il simplement. Un nouveau coup sur l’épaule, ce n’est pas gênant quand c’est lui qui le fait, c’est jamais pour faire mal, Rohan a compris que c’est comme ça qu’il attire l’attention, quand il veut qu’on l’écoute. « Maintenant j'aimerais que tu t'assois, big guy, parce que j'ai un truc pour toi. » Il fronce les sourcils, un truc pour lui ? Et pourquoi il doit s’asseoir pour recevoir quelque chose ? Il penche la tête sur le côté, mais Edouard insiste, alors il hausse les épaules et se laisse retomber dans un coin d’herbe tandis que l’autre retire sa veste.
Il y a une autre odeur, là. « On est tombé sur un Détraqueur et quelques Rafleurs sur le chemin du retour et j'ai réussi à leur piquer un truc. » Rohan grogne, littéralement, parce que c’est ça, l’odeur. Ça sent les potions et vaguement, en fond, le sang. Ça fait qu’il ne prête pas du tout attention à la fin de sa phrase et le regarde un peu bêtement quand il lui tend une baguette qu’il sort de la poche de son jean. « Tiens, c’est pour toi. » Froncement de sourcils. « Elle va peut-être pas te convenir mais tu vas en avoir besoin d'une si tu veux qu'on applique toute la théorie que je t'ai fait bouffer ces dernières semaines. Tout ne s'apprend pas dans les livres, malheureusement. N'aies pas peur de la prendre. »

Wait.

Pour lui, pour lui ? Rohan regarde la baguette, puis Edouard qui lui sourit et de nouveau la baguette. Alors il tend la main et s’en empare. Elle paraît ni trop lourde, ni trop légère. Elle est plutôt grande mais lui aussi, finalement. Le bois est sombre, il ne sait pas ce qu’elle contient, mais elle a l’air bien entretenue. Celui à qui elle était en prenait soin, visiblement. Elle doit lui manquer. « Je… merci, » murmure-t-il dans un souffle et il sourit comme un gosse, les yeux rivés sur la baguette qu’il observe minutieusement. Puis il reporte enfin son attention sur Edouard, pour lui demander s’il sait en quoi elle est faite – ce n’est même pas important, mais tous les sorciers savent en quoi leur baguette est faite, alors il veut savoir lui aussi – mais il se rappelle brusquement de ce qu’il a dit et son sourire disparaît. Ses sourcils se froncent et il se relève d’un bond pour tourner autour de l’autre loup et le renifler consciencieusement. « Tu vas bien ? T’es blessé ? T’es allé voir Susan ? Et les autres, ils vont bien ? » Il l’assaillit de questions, oubliée la baguette, tant qu’il n’est pas certain qu’il ne l’obtient pas pour un prix qu’il refuse de payer.

More beast than man.
Des fois, Rohan lui fait peur. D'accord, il doit bien lui rendre quelques kilos de muscles et il fait bien une moitié de tête de plus que lui, mais ça va au-delà de ça. Rohan lui fait peur parce que des fois, il voit plus précisément le loup que l'homme.
Et ça lui fait peur, parce qu'il sait que Rohan est un loup-garou depuis plus longtemps que lui et il se demande toujours si il finira comme ça. Comme ça: à sauter sur ses pieds en tournant autour de quelqu'un quand, inquiet, il veut le renifler pour voir ce qui ne va pas. Peut-être que c'est simplement le fait d'avoir été dans une meute pendant si longtemps...? Oui, peut-être. L'idée de la meute rassure Édouard mais lui fait un peu peur, aussi. Il aurait peur de perdre son humanité.

Rohan lui fait peur parce qu'il a l'impression que s'ils ne l'avaient pas trouvé, Rohan aurait mal tourné. « Tu vas bien ? T’es blessé ? T’es allé voir Susan ? Et les autres, ils vont bien ? » Édouard, pourtant, ne peut s'empêcher de sourire. Normalement, les gens qui s'inquiètent pour lui l'agacent, l'énervent (ces colères terribles qu'il jugule et étouffe en courant, en frappant, en s'éloignant du monde entier) mais pas avec Rohan. Rohan est différent: il est sincère, entier, instinctif. Il ne fait pas ça pour l'agacer. “ I'm fine, Rohan, lui dit-il d'un ton ferme en levant les yeux au ciel. Sit down. ” Mais l'autre loup-garou semble agité, fronce les sourcils, reste debout, continue de renifler et Édouard se sent obligé de grogner en exagérant son second roulement d'yeux dans leurs orbites — une sale tête qu'il maîtrise parfaitement et qu'il utilisait sur Derek et Penny quand ils étaient jeunes pour les calmer —, couplé à un froncement de sourcils broussailleux et presque déçus. “ Come on, mate. S'fine. Sit down. I didnae break my fuckin' neck to get you this wand. ” Nouveau roulement de yeux. Tu le vois, le troisième roulement de yeux, Rohan? Ça veut bien dire que tout va bien!

Sauf qu'Édouard a toujours un peu mal aux côtes où il s'est un peu désartibulé en s'enfuyant, et qu'il a encore l'impression d'avoir les jambes en feu après qu'on lui ait lancé un sortilège d'immobilité particulièrement puissant. Rien de grave, juste qu'il est fatigué et un peu las: il ne rêve que d'une tasse de thé, une course de quelques miles pour achever de le fatiguer et une bonne longue nuit de sommeil. Après un soupir résigné en direction de Rohan qui est toujours tendu comme un arc, Édouard détourne parfaitement le regard pour observer le ruisseau et la colline derrière, les seaux d'eaux et les plants d'aconit, la nature et seulement la nature. Il se sent en paix, avec toute cette nature et loin du château, du tumulte de Londres et des regards des sorciers... oserait-il dire normaux?
Finalement, c'est avec un certain agacement qu'il se tourne à nouveau vers Rohan, et une nouvelle colère. Il l'aime beaucoup, il l'aime moins quand il fait se fait plus bête qu'il ne l'est. D'accord, il a failli se désartibuler en allant chercher sa baguette, d'accord, il n'aurait pas dû mettre la mission en péril juste pour une foutue baguette mais il peut pas être content deux minutes? “ Will ye sit the fuck down, noo? I'm no gonna wait for you forever, Ghost. You got yer fuckin' wand. ” Et puis brusquement il se lève, tremblant, la colère allant et venant cruellement dans ses pensées, les infestant et les rendant incohérentes, une pierre qu'il vient de ramasser dans la main. Il la jette de quelques centimètres de hauteur, la rattrape au vol avant de brusquement l'envoyer de toutes ses forces devant eux, vers la colline, dans un vol parfait. “Make this hin' go up in flames! ” s'écrie-t-il brutalement.

Spoiler:

Edouard n’aime pas quand on s’inquiète pour lui. C’est un truc que Rohan aurait dû écrire sur un bout de parchemin et garder sur lui en permanence, pour se le rappeler et toutes circonstances. Parce qu’il a tendance à souvent l’oublier et à souvent s’inquiéter. Il est comme ça, il n’arrive pas à s’en foutre des autres et encore moins de l’autre loup. Edouard n’aime pas quand on s’inquiète pour lui, même quand il paraît évident qu’il ne va pas bien – c’est dans sa posture, la façon dont il se tient, qui indique qu’il a mal quand il respire mais aussi qu’il ne sait pas trop sur quelle jambe s’appuyer, parce que les deux sont douloureuses. Parce qu’il n’aime pas qu’on s’inquiète, il s’empresse de lever les yeux au ciel, comme si ce simple geste pouvait balayer les tracas de Rohan. « I’m fine. Sit down. » Sauf que le blond n’arrête pas de le fixer et de faire le tour pour autant. Eddie sent la fatigue et la douleur, il sent aussi l’adrénaline encore, ça a presque disparu, mais Rohan peut encore la percevoir sur lui. Il sent toutes ces choses qui signifient qu’il s’est mis en danger et qu’il s’en est sorti oui, mais qu’il s’est mis en danger tout de même. Quand il roule encore des yeux, le plus jeune grimace, parce que ça sert à rien de faire cette sale trogne en espérant qu’il en démorde. « Come on, mate. S'fine. Sit down. I didnae break my fuckin' neck to get you this wand. » Non ça il peut le voir, Rohan a envie de lui répliquer qu’il ne serait pas là pour prétendre qu’il va bien, si c’était le cas, mais il sait que c’est une façon de parler, alors il se contente d’arrêter de lui tourner autour, pour se figer devant lui, les sourcils froncés.
« Will ye sit the fuck down, noo? I'm no gonna wait for you forever, Ghost. You got yer fuckin' wand. » Le ton sec le surprend et il cligne des yeux, hébétés, alors qu’Edouard se lève d’un bond et qu’il n’est plus du tout Edouard. Instinctivement, Rohan s’écarte d’un pas prudent et le regarde ramasser une pierre, qu’il fait d’abord sauter dans sa main, puis la jette le plus loin possible, de l’autre côté du ruisseau. « Make this hin' go up in flames! » s’écrie-t-il et le blond le fixe attentivement. Il peut voir la tension dans chacun de ses muscles, sa mâchoire crispée, ses poings serrés qui tremblent. Il peut voir l’animal dans la peau de l’homme, qui n’en peut plus d’être enfermé et ne demande qu’à sortir.

Rohan sait qu’il n’a que deux solutions.

Le remercier pour la baguette, encore. Lui dire qu’il est reconnaissant et qu’il sait qu’il peut se débrouiller tout seul et qu’il s’inquiète juste pour lui parce que c’est ce qu’il fait, il s’inquiète pour les siens. Et espérer que ça suffise, que ça apaise suffisamment l’homme pour que le loup suive et se taise. Mais Rohan sait que le loup en a marre de se taire, alors ça le laisse avec la deuxième solution. Permettre à Eddie de laisser sortir un peu de ce qu’il contient trop, tout le temps, avec tout le monde. Une partie de lui sent que c’est dangereux, qu’il n’a aucune réelle idée de ce ça signifie vraiment, quand Edouard laisse tomber les barrières. Une autre sait que s’il ne peut pas gérer, personne ne le pourra. Les autres loups d’ici sont faibles. Pas les humains, les humains sont compétents, plus qu’il ne le sera jamais, ils sont efficaces, impressionnants. Mais les loups sont faibles, parce qu’ils sont sans cesse réprimés. Ils ne s’acceptent pas, se droguent pour oublier ce qu’ils sont, ce n’est pas sain.
« First, ye’re not ordering me around, » qu’il grogne de cette voix rauque, comme s’il n’avait toujours pas l’habitude de parler. « Secondly, I fuckin’ said thanks for the fuckin’ wand, so don’t get yer knickers in a twist, » poursuit-il en s’approchant d’un pas, tandis que son regard cherche celui d’Eddie pour s’y figer et ne plus en bouger. « Thirdly, s’not my fault a Death Eater pissed in yer porridge, don’t take it on me. » Voilà, maintenant, il est à peu près sûr d’avoir toute son attention et d’avoir augmenté ses chances de se prendre un pain. Il n’a jamais vu Edouard en colère et il veut voir ça.

Il veut voir l’animal qui se cache derrière les sourires et les bonnes manières. Il veut savoir à qui il fait vraiment face, à qui il parle presque tous les jours depuis deux mois. « Now, if it’s a fight you want, I’m standing right here, but I think you should remember your ribs hurt like a bitch and you barely stand on your legs, so maybe pissin’ me off right now is not the best idea. » Il est toujours calme, lui. Rien de tout ceci ne l’énerve vraiment, il veut juste voir.

Des fois, Édouard devient juste dingue: ça lui vient comme un coup de vent, comme une vague, ça l'engloutit et il se noie et il n'existe que ses bras tremblants et sa veine qui bat à sa tempe. C'est plus fort que lui. Alors qu'il est si calme, si sérieux, des fois, il a juste des crises de colère: flamboyantes et sans conséquences, elles vont et viennent sans logique ni raison, juste comme ça. Il fait de son mieux pour qu'il n'y ait pas de dommages collatéraux. Il court, il boxe un arbre, il massacre trois kilos de brins d'herbe; et pouf, ça va mieux. Des fois, il fait exploser des bâtiments hospitaliers, mais ça c'est un détail.
Le caillou n'explose pas, il retombe de l'autre côté de la minuscule rive. Il rebondit et Édouard le suit des yeux dans sa descente en enfers jusqu'au lit de la rivière, jusqu'à le perdre de vue alors qu'il roule jusqu'à l'eau. Il a l'impression d'être un coton imbibé d'alcool et que Rohan est un chalumeau. Si il s'approche encore, il va exploser, il le sent.
Le caillou n'explose pas alors Édouard le fait pour lui.
« First, ye’re not ordering me around, » reprend l'épais accent gallois de Rohan et dans un grognement de rage difficilement réprimé, Édouard se détourne pour lui faire face, les sourcils toujours froncés et la mine patibulaire. « Secondly, I fuckin’ said thanks for the fuckin’ wand, so don’t get yer knickers in a twist. » Édouard déglutit, soutient son regard, se tend douloureusement quand il s'approche d'un bras. Il a envie qu'il le frappe. Il le sent, il le devine, il le sait parce qu'il en a envie, sa main le démange sauf qu'Édouard n'aime pas se battre. Il n'a pas envie de se battre. Il a juste envie de courir et de boxer un arbre et de laisser Rohan derrière lui le temps de se calmer. Il n'a pas le droit de faire sortir sa colère sur lui, même si le jeune homme semble particulièrement enclin à l'énerver. « Thirdly, s’not my fault a Death Eater pissed in yer porridge, don’t take it on me. »

Le pire, peut-être, c'est le ton affreusement calme qu'il a. Édouard aimerait pouvoir parler aussi calmement mais il sait que si il ouvre la bouche, il va hurler. La vague de colère est trop forte, le sentiment d'injustice aussi, et cette impression infecte de mal-être qui l'envahit depuis des semaines explose. « Now, if it’s a fight you want, I’m standing right here, but I think you should remember your ribs hurt like a bitch and you barely stand on your legs, so maybe pissin’ me off right now is not the best idea. » L'instant d'après, Édouard est sur lui. Mais il ne le frappe pas, ne le jette pas en arrière, ne le déséquilibre pas: il s'agrippe juste à son t-shirt, en attrape deux énormes poignées sur son torse et fait comme mine de le soulever même si ils savent tous les deux que c'est impossible; il s'en fiche, ne compte que le calme dans les yeux de Rohan et leur soudaine proximité. Édouard lui a sans doute griffé le torse et il a envie de détruire son t-shirt pour ne pas simplement le détruire tout entier. Mais il ne le fait pas, il le tient juste, menaçant mais ridicule, incapable de contrôler les tremblements de ses bras crispés. “ Fuck off, ” finit-il par gronder — comme un loup, presque — entre deux mâchoires serrées. Sa prise sur le t-shirt se resserre et ils sont si proches. Il inspire profondément. Rohan est si grand. Il expire profondément. Édouard s'en fiche.
Il le relâche brutalement en le poussant en arrière. “ Actual fuck off, ” répète-t-il d'une voix à peine plus détendue, reculant de deux pas comme soudainement... oui, peut-être effrayé. Édouard n'aime pas être en colère. La dernière fois qu'il a été en colère, vraiment en colère, des gens sont morts et un hôpital s'est effondré.

Il déteste le fait que Rohan soit plus bête que homme parce que ça lui fait peur. Il déteste le fait que Rohan soit plus bête que homme, aussi, parce qu'il a l'impression d'être plus bête que homme, parfois, quand il est avec lui. Il a l'impression qu'il veut une meute et des loups autour de lui et qu'il veut ce genre de relations — mais comment est-ce que ça peut seulement être sain, de s'énerver pour un rien tout le temps, même contre les gens qu'on adore? Édouard déteste ça.
“ I'm no gonna fight you, Rohan. I have a mission debrief tae attend anyway, ” ment-il aisément, ayant naturellement délégué le debriefing à un membre de l'escouade qui n'a pas été blessé et s'étant plutôt accordé de passer un peu de temps à Rohan pour observer ses talents magiques et l'aider à s'améliorer. Mais c'est plus simple de laisser la colère le diriger et c'est plus simple de se cacher derrière. Il ne craquera pas, il ne peut pas. Pas ici, pas maintenant, pas devant lui, pas pour lui. “ Enjoy yer fuckin' wand. ” Et de se détourner d'un mouvement brusque, enfonçant ses poings serrés tremblants dans les poches de son blouson, n'attendant que de sortir de son champ de vision pour se mettre à courir comme si sa vie en dépendait.

Ca y est, il va le laisser sortir, son vrai visage. Celui dont il a tellement peur. Il va lui montrer ce qu’il cache dans ses tripes à s’en faire gerber, il va le laisser voir quel genre de loup il est vraiment. Le genre que Rohan peut respecter, pour lequel il peut se battre, crocs et griffes. Quand il lui agrippe son t-shirt, il peut presque entendre le tissu qui gémit sous le mauvais traitement, il s’attend à le voir se déchirer. Il sent que ça brule un peu, sur la peau de son torse, rien que des égratignures, rien qui fasse vraiment mal et il commence déjà à être déçu. « Fuck off, » gronde-t-il et ça le traverse, ça lui tire un frisson, ses cheveux se redressent sur sa nuque. Déjà, Rohan a chaud parce qu’il sent l’adrénaline qui monte, il sent chacun de ses muscles se préparer à recevoir un coup et à devoir le rendre. Son corps qui se prépare à combattre, à faire saigner. Il est tendu comme la corde d’un arc, son regard ne quitte pas celui d’Eddie. Il sent son souffle chaud, erratique, qui balaye son visage et il ouvre la bouche pour lui dire Make me, mais l’autre le repousse brusquement en arrière. Il perd un peu l’équilibre, mais se rattrape facilement, les sourcils froncés par la confusion. « Actual fuck off, » qu’il répète avant de se reculer.
Non, ce n’est pas censé se passer ainsi. « I'm no gonna fight you, Rohan. I have a mission debrief tae attend anyway. » Il n’en revient pas. Il ment, il lui crache un putain de mensonge à la gueule, parce que le blond sait très bien que si Edouard avait le moindre débriefing, il y serait allé dès son retour, avant même de venir faire un tour à Storm’s End pour lui filer une putain de baguette magique. « Enjoy yer fuckin’ wand, » qu’il lâche finalement avant de se détourner et de se mettre à courir. De fuir comme un putain de lâche. Alors Rohan jure bruyamment, s’approche des seaux et des plants d’aconit et y dépose soigneusement la baguette, juste à côté, parce que c’est un cadeau d’Eddie et il n’a aucune envie de la casser. Il reviendra pour elle, comme il reviendra pour le reste.

Le loup se redresse et s’élance.

Il y a beaucoup de choses qu’Edouard fait bien mieux que lui. Lancer des sorts, ça paraît plutôt évident. Mais ce n’est pas seulement qu’il est bon sorcier, il est excellent. Et surtout, sa magie est belle. Rohan aime le regarder faire, même lorsqu’il ne s’agit que de stupides sorts que tous les sorciers maîtrisent dès leur première année à Poudlard. Il est très bon pour apaiser les gens et les pousser à parler, aussi. Il lui suffit d’être là, d’attendre, avec son sourire. A ça aussi, il est bon. Ses sourires sont récurrents, naturels, faciles. C’est simple de répondre aux sourires d’Eddie. Il est plus doué pour faire du café et évoluer dans la cuisine en général, les différentes machines rendent Rohan dingue et tous ces ustensiles le terrifient. Il est plus doué pour parler à Amelia, il arrive à la détendre, à la mettre à l’aise, elle se crispe toujours dès que Rohan entre dans la même pièce qu’elle. Il y a tout un tas d’autres choses qu’Edouard fait bien mieux que Rohan.

Mais pas courir.

Quand il arrive enfin à sa hauteur, il sait déjà qu’il ne pourra pas l’arrêter en lui demandant simplement de le faire. Alors même s’il est à deux doigts de le percuter, il n’arrête pas son élan, écarte un bras et le fauche au niveau de la taille au passage. Ils s’étalent dans l’herbe et ça n’a rien de beau à voir, parce que ça grogne, ça jure et ça roule sur le terrain légèrement incliné. Quand ils semblent s’arrêter enfin, ils sont couverts d’herbe et de terre, ils ont l’air de deux tarés avec le visage rouge, à souffler comme des bœufs en essayant de prendre le dessus sur l’autre.
Quand on se fait souvent attaquer par plusieurs ennemis en même temps, on apprend à tricher et à viser les points faibles de ses adversaires. C’est une question de survie et Rohan a appris ça très jeune. Il pourrait attendre qu’Edouard se fatigue, ou qu’il se décide enfin à vraiment s’énerver, mais il n’a pas envie de perdre son temps et il a quelque chose à dire. Alors oui, il fait en sorte de l’atteindre aux côtes. Pas trop fort, son but n’est pas de réellement le blesser là où il est déjà fragile, juste assez pour le faire gueuler un peu et en profiter pour le plaquer au sol, lui bloquer les bras et les jambes et plonger son regard dans le sien. « You gonna spend your life running ? » qu’il demande d’un ton dur. « You think it makes you better ? » Il approche son visage du sien. « Let it out, Eddie. The wolf’s a monster only if you make him one. » Son ton se radoucit, sa prise se desserre. « You’re what’s caging him and making him angry, » le réprimande-t-il en plaquant sa paume sur son torse. « Just fuckin’ let him out ! » qu’il s’exclame.

C'est une course un peu désespérée. Édouard sait que ça fait des années qu'il n'a pas couru comme ça, parce qu'il a boité pendant presque cinq ans et que ça fait seulement quelques mois qu'il a retrouvé l'usage de sa jambe grâce à sa soeur. Il n'est jamais encore allé au delà de ses limites, comme il le faisait avant. Il se jette en avant et même ses jambes peinent à suivre, prenant des foulées qu'il devrait plus ménager, sa respiration devenant rapidement courte mais — et alors? Il n'existe pas de meilleure manière de calmer Édouard quand il part dans ses crises de colère. Alors il court, il se jette sur le chemin qui se faufile jusqu'à Storm's End, le coeur battant la chamade dans ses tympans et le sang hurlant dans ses veines comme un monstre.
Il entend les foulées de Rohan, plus rapides et puissantes, et accélère un peu — vainement, le loup a toujours été meilleur que lui dans ce domaine-là. Il est dans le point mort de la vision d'Édouard, qui se refuse à tourner la tête vers lui; peut-être qu'il veut simplement courir à ses côtés jusqu'au cottage? Il ne le voit pas faire, peut juste l'entendre, sur sa gauche, un peu derrière lui; alors il est complètement pris de court quand Rohan le plaque au sol dans un tacle digne d'un joueur de rugby. Il se promet de ne jamais introduire Rohan à ce jeu qu'il adore. Question de sécurité nationale.
Ils roulent dans l'herbe et la boue, chacun repoussant l'autre sans tendresse mais avec violence et brusquerie; cette fois, les doigts d'Édouard s'enfoncent dans la chair de Rohan sans pitié, il lui donne un coup de genou dans les hanches, le repousse de toutes ses forces en utilisant le poids de son adversaire contre lui. Mais Rohan le prend en traître, lui donne un puissant coup de coude dans ses côtes fragilisées. Édouard a le souffle coupé à cause de la douleur, pousse un gémissement impossible à réprimer et machinalement, son corps se crispe en essayant de protéger son point faible; Rohan en profite pour l'étaler au sol et l'immobiliser de tout son poids.

Édouard le déteste. « You gonna spend your life running ? » Il a envie de lui cracher au visage, d'hurler pour ne pas l'entendre, pour ne pas comprendre. Il s'en fiche, il s'en fiche, il s'en fiche, il n'en a rien à faire. Il n'a pas envie que Rohan lui fasse la leçon, ni ici, ni maintenant, ni jamais. C'est vraiment le monde à l'envers, Édouard le déteste pour ça. « You think it makes you better ? » Non. Il sait que non. Mais que peut-il y faire? Il n'est pas un loup-garou, il n'est pas fait pour être un loup-garou. Des fois, Rohan lui donne l'impression qu'il n'a connu que ça: la vie en meute, la vie de loup, la vie de monstre. Et ça lui fait peur, parce qu'Édouard ne peut s'empêcher de se questionner: un jour aussi oubliera-t-il qui il était avant d'être mordu? « Let it out, Eddie. The wolf’s a monster only if you make him one. » Édouard a un sourire de loup, justement, quand il entend ça. Il a encore plus envie d'hurler et se rend compte que ses prises, en écho à celles de Rohan, se sont desserrées sur son t-shirt, alors il serre un peu plus les poings, alors il se force à avoir toujours l'air patibulaire; et pourtant il tend l'oreille, il l'écoute, il entend ce qu'il n'a pas envie d'entendre. « You’re what’s caging him and making him angry. » Qu'il soit énervé. Ce n'est qu'une bête, un monstre, un rien que rien. Quelque chose qui grogne, quelque chose qui ne mérite pas qu'on le regarde. « Just fuckin’ let him out ! »
Il ne comprend pas. Rohan est un loup. Il est plutôt évasif sur son passé, ne parle qu'en demi-mots de ce qu'il a vécu: la meute, la fuite, la forêt. Il s'émerveille et s'angoisse d'un rien: télévision, toasters, journaux dont les photos sont immobiles, matches de rugby, briquets téléphones portables, voiture. Il ne peut pas comprendre qu'Édouard est un mec normal qui veut une vie normale. Qu'il s'en fiche de ce loup, qu'il s'en fiche de cette vie, qu'il s'en fiche de lui: il veut être un Auror, il veut redevenir Auror, il a toujours voulu être Auror et maintenant- maintenant, il n'est plus rien.

Mais il a été un Auror, autrefois. Il oublie parfois que sa vie n'a pas toujours été pleines lunes et douleur. Et des fois ça lui revient: l'entraînement intensif de douze mois, l'arrogance et la sensation d'enfin trouver quelque chose de bien à faire de sa vie. On leur a appris à se battre et à se défendre et à attaquer; c'est donc tout naturellement qu'Édouard recrache son entraînement en utilisant le poids de Rohan contre lui pour le faire basculer sur le côté, un peu violemment, s'emparant de sa gorge avec sa main avant que blond ait le temps de faire quoique ce soit; et quand il bouge comme pour le repousser, il serre les doigts, sans pitié ni tendresse, jusqu'à ce que les mains de Rohan s'agrippent à son poignet. Il ne desserre pas sa prise. Il n'aura pas besoin de parler. “ I'm no gonna fight ye, ” répète-t-il en grognant.
Il l'observe longuement avant de parler, grondant dès que Rohan se met à bouger. “ You're no going tae lecture me about this, Rohan. Ye don't know shit about me, ye don't know shit about being me. Some of us were humans. Some of us hud lives, before. ” Une pause. Il ne regrette pas ses mots. Il n'a pas le droit. “ An' ye gonna be grateful, don't forgit that without us you'd prolly be dead in a ditch. ” Sa main se resserre autour de sa gorge, Rohan devient de plus en plus rouge. Édouard s'en fout. Il veut s'en foutre, en tout cas. “ Don't forget yer place, Ghost. And don't forget who's givin' you a chance. ” Et juste comme ça il se détache, remarquant enfin combien il a haussé le ton et combien il tremble et combien il serre la gorge de Rohan comme s'il voulait lui arracher; et si le regret s'inscrit sur son visage l'espace d'un instant, l'instant suivant, il s'est redressé et toute trace de remord a disparu. Il tend la main à Rohan pour l'aider à se relever. “ Don't ever tackle me again, you mad basterd. Mais il est calmé, et un peu las, et franchement dépité de lui-même. Don't try tae get inside my heed, Rohan. Ye willnae like it. ” Et de se renfrogner — le dramatique n'a jamais été son fort — sans laisser tomber sa main, offre de paix temporaire ou amitié éternelle, lui-même l'ignore.

Que ce soit bien clair, le but de Rohan n’est pas qu’Edouard le déteste. Ou alors, juste assez de temps pour qu’il se décide enfin à laisser sortir cette part sombre dont il semble avoir si peur. Il aime beaucoup l’autre loup, il ne veut pas qu’il lui en veuille après ça, seulement qu’il comprenne qu’il ne pourra pas passer sa vie à fuir. Le blond a essayé, ça n’a pas très bien marché pour lui. Lorsqu’il parvient à le renverser, quand c’est à son tour de se retrouver sur le dos, Rohan se dit que ça a marché, mais alors la main d’Edouard se referme autour de son cou et il n’arrive plus à respirer correctement. Il ne le quitte pas du regard, mais entoure le poignet de l’ancien Auror de ses doigts, pour lui faire lâcher prise. Sauf qu’il ne lâche pas, au contraire, il resserre encore plus et cette fois, l’air ne passe plus du tout. « I'm no gonna fight ye, » qu’il grogne encore. Ah bon et il fait quoi, là ? Il va le tuer, peut-être ? Plutôt que d’accepter ce qu’il est parce qu’il a peur d’être un monstre, il va le tuer ? Rohan a envie de rire. Enfin non, il a envie de respirer, surtout, mais s’il le pouvait, il se taperait une bonne tranche de rire. Il se rend compte que c’est stupide, pas vrai ? « You're no going tae lecture me about this, Rohan. Ye don't know shit about me, ye don't know shit about being me. Some of us were humans. Some of us hud lives, before. » Rohan est resté calme jusqu’à présent, parce que lui n’a aucune raison de s’énerver, il n’a pas besoin de le faire. Mais à ces mots, son regard s’assombrit. Il a été humain, lui aussi. Il ne s’en souvient peut-être pas toujours très bien, parce que Claevis s’est employé à lui faire oublier les dix premières années de sa vie, mais il a été humain. Et il ne se souvient peut-être pas de tout, mais il se rappelle encore de son père qui était tellement grand et tellement large qu’il pouvait les serrer tous les trois dans ses bras sans aucun problème. Il se rappelle de sa mère qui leur racontait toujours des histoires avant de les mettre au lit. Il se souvient de sa grande sœur, qui avait de longs cheveux blonds et qui insistait toujours pour que leur mère lui fasse la même coiffure compliquée qu’elle, avec toutes ces tresses qui partent dans tous les sens mais qui forment un bel ensemble. Il se souvient de son petit frère qui avait peur de l’orage parce qu’un jour, un éclair avait frappé en plein milieu d’un troupeau de moutons pas très loin – l’odeur avait été atroce, pendant plusieurs jours – et depuis, il était persuadé qu’ils allaient finir carbonisés eux aussi, même bien à l’abri dans leur maison.
Il ne se souvient pas de tout, mais il se rappelle quand même. Il sait qu’il n’a pas toujours été un loup, qu’il aurait dû recevoir sa lettre pour aller à Poudlard, qu’il aurait dû aller au Chemin de Traverse pour y acheter sa baguette, ses livres et son premier chaudron. Il se rappelle qu’il voulait un hibou, parce que sa sœur avait préféré un chat et que cette bestiole était infernale. Alors Edouard n’a pas le droit de lui cracher ça au visage, comme si lui n’avait pas eu une vie avant la morsure, comme s’il n’avait jamais eu de rêves que devenir un loup a brisés. Et vraiment, Rohan n’a jamais eu l’intention de se mettre en colère, mais il voulait qu’Eddie s’énerve comme un loup, en grognant, en griffant, en mordant, pas qu’il s’énerve comme un humain, en criant et en étant cruel.

Rohan déteste quand les humains s’énervent, ils font plus de mal que les loups.

« An' ye gonna be grateful, don't forgit that without us you'd prolly be dead in a ditch. » Il a envie de lui répliquer que c’est June qui l’a trouvé, pas lui, qu’il était déjà remis sur pied depuis un moment, quand Edouard est revenu à Storm’s End. Alors il doit beaucoup de chose à l’ancien Auror, oui, mais il ne lui doit pas d’être encore en vie, alors franchement ? Il l’emmerde. Il l’emmerde et Rohan veut lui dire, mais la main d’Eddie est toujours refermée autour de sa gorge et s’il n’arrive pas à reprendre son souffle rapidement, il va finir par faire quelque chose que Douglas n’aimera pas du tout. « Don't forget yer place, Ghost. And don't forget who's givin' you a chance. » Il le libère, enfin, alors Rohan hoquète, crache, se roule en boule puis s’étale à nouveau par terre, où il reprend de grandes goulées d’air, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. Quand il reprend à peu près ses esprits, Edouard est debout et lui tend la main. « Don't ever tackle me again, you mad basterd. » Son ton est calme, à nouveau, mais Rohan ne l’est plus. « Don't try tae get inside my heed, Rohan. Ye willnae like it. » Il se relève, mais sans l’aide de l’autre loup, parce qu’il sent que s’il le touche là tout de suite, il va fondre sur sa gorge pour la tailler en pièces.
Mais il n’a pas envie de faire de mal à Edouard, alors il se met debout tout seul et se masse la gorge, devenue douloureuse. Il ne le regarde pas non plus, parce qu’il a la tête qui tourbillonne de trucs auxquels il a pas pensé depuis des lustres. La dernière fois, c’était avec James et Sarah et ça l’a tellement mis mal qu’il n’en a plus jamais parlé. « I had a life, too, » qu’il croasse parce que sa gorge lui fait mal, alors ça ressemble plus à un grondement qu’autre chose, mais il n’y a pas de colère dans son ton, seulement de la défiance, une pointe de tristesse, aussi. De déception, peut-être. « A mom, a dad, a big sis’ and a lil’brother. » Il serre les dents, son regard se perd un peu, il remue les doigts, les serre, les remue à nouveau. « But then it was only Claevis and the pack and if you’re not a wolf, you die. » Il a essayé de rester un humain, juste un humain. Claevis aurait probablement fini par l’égorger et bouffer son cadavre. « You do things to survive. » Il ferme les yeux, déglutit, il ne veut pas penser à ce qu’il a fait pour survivre, à ce qu’il a été contraint de faire pour leur montrer qu’il était fort. « But they don’t define you. They don’t define me. » Et sa voix tremble un peu, parce qu’il a besoin d’y croire, que ce qu’il a pu faire par le passé ne fait pas de lui un monstre, qu’il a juste fait ce qu’il fallait et que maintenant, il peut faire les bonnes choses, parce qu’il était toujours supposé faire de bonnes choses.

« I can’t be human again, only human, and neither can you. I don’t want to be inside yer head, I bet it’s dark and full of terrors and I have enough of this shit inside mine, it’s just-- » Cette fois, il relève la tête et il n’a pas pris sa main, mais il accroche son regard pour ne plus lâcher. « You’re not the only one who’s angry and I want you to know that it’s fine and it doesn’t always have to end in blood and tears if you’re with people who can take it and right now ? The only one who can take it is me, and you know it. »  Parce qu'il n'y a qu'un loup qui puisse encaisser sa rage et aux dernières nouvelles, Rohan est le seul véritable loup dans le coin. 

« I had a life, too. »
Didn't we all? a-t-il envie de siffler mais il se retient, de justesse. Ça lui va mal, la cruauté, à Édouard. Il détourne le regard et il tient pas ce qu'il a dit et il assume pas et il a encore plus envie de s'énerver alors il s'empêche de penser au fait que Rohan a les joues rouges et la marque de ses doigts sur la gorge et que sa voix est hésitante, douloureuse, Édouard le sent et l'entend. Il refuse de penser à ça et il refuse de penser au fait que quelques instants auparavant, il s'en fichait comme d'une guigne.
Il lui parle de sa famille. Son père, sa mère, sa soeur, son frère et Édouard ne sait pas quoi dire et quoi faire. Il essaie de s'imaginer à quoi? neuf? dix ans? perdre sa famille. Il s'imagine devenir un loup et il s'imagine voir les cadavres de son père, sa mère, Frederick et Penelope, égorgés ou vidés de leur sang ou massacrés ou les trois. Il essaie vraiment d'imaginer mais tout ce à quoi il peut penser, c'est la colère et la rage qui déjà se réveillent en lui à la simple idée qu'on puisse faire du mal à sa famille.
Puis il repense à la mort sans sépulture de Penny et cette fois, c'est l'envie de pleurer qui lui fait piquer le nez. Pas de funérailles, pas de sanglots. Il n'a pas le droit de pleurer. « You do things to survive. » Il a l'impression d'avoir entendu ça quelque part, ou alors il a toujours voulu se l'entendre dire. Ils sont en Guerre, certaines choses doivent être faites. Il se souvient s'être convaincu qu'attaquer un hôpital était la chose à faire; il se souvient aussi du terrible instant après l'explosion démesurée, quand il s'est dit: yes. Burn. avant que l'incompréhension et la peur le frappent de plein fouet. Édouard est en guerre avec lui-même, contre la Bête, depuis des années. Est-ce que c'est vraiment différent? « But they don’t define you. They don’t define me. »

Except that they do. Parce que Rohan est plus loup qu'homme, parce qu'Édouard est plus meurtrier que protecteur, parce qu'ils sont plus soldats que réfugiés. Édouad aimerait y croire, vraiment y croire, mas il ne peut pas. Il a ramené contre lui la main que Rohan n'a pas voulu prendre, a serré le poing et son regard se risque en direction du blond; et les yeux trop bleus de Rohan s'accrochent aux siens. « I can’t be human again, only human, and neither can you. I don’t want to be inside yer head, I bet it’s dark and full of terrors and I have enough of this shit inside mine, it’s just-- » Édouard n'a pas envie d'entendre la suite. « You’re not the only one who’s angry and I want you to know that it’s fine and it doesn’t always have to end in blood and tears if you’re with people who can take it and right now ? The only one who can take it is me, and you know it. » Il détourne le regard.
“ I don't want tae be angry. Ever. ” Édouard n'aime pas perdre le contrôle. Comme une nuit de pleine lune, sauf que la colère peut le prendre... n'importe quand, pour n'importe quoi. Il déteste, surtout, quand on le voit comme ça. Il est redescendu aussi vite qu'il est monté et pourtant, dans le noeud de son estomac, il sent toujours une petite tension. Une petite vibration qui menace d'exploser. “ Ye get under mah skin, Rohan, ” fait-il avec une fausse esclaffe en finissant par tourner de nouveau le visage vers lui. Il a les traits tirés, tendus, les poings fermés qui menacent de voler; mais sinon, il ne bouge pas. Et enfin, une prière sur ses lèvres: “ please. ” Et une supplique: “ drop it. ”

Il n'a pas envie d'en parler. Ni maintenant ni jamais. Pourquoi c'est si dur à comprendre? “ Let's go back, yeh? and let's try out this wand of yours noo. Here. ” Il lui tend la main. Cette fois, pas pour l'aider à se relever. Cette fois parce que c'est ainsi qu'il salue les gens, Édouard, et qu'il préfère saluer les gens, pas en se roulant sur le dos ou en se reniflant d'un air suspicieux. Il a les yeux sombres et inquiets en regardant les traces rouges qui ne quittent pas le cou de Rohan (June va le tuer) mais ils restent sur Rohan. Édouard ne sait pas faire la paix autrement. Édouard n'a pas besoin d'un ennemi en plus dans ce monde, surtout pas chez quelqu'un comme Rohan. Surtout pas Rohan tout court, en fait. Il se rend seulement compte à quel point son loup perdu est devenu important pour lui en quelques mois à peine. “ Am sorry. ” Et les mots sortent enfin, ceux qu'il déteste et ceux qu'il a toujours du mal à formuler; ils sortent, sincères et honnêtes et entiers, juste pour Rohan. “ I just wish it got easier wit' time. ”

Ça n’a pas l’air simple, d’être Edouard Douglas. Ce n’est pas tous les jours facile non plus d’être Rohan Helvar, mais ça fait un moment qu’il a accepté ce que ça signifie, il vit avec, comme tout le monde. Mais Edouard, c’est encore plus compliqué. Parce qu’à ses yeux, il complique tout. Contenir tout ce qu’il contient, essayer de rester quelqu’un de bien quand ce qu’il a envie de faire parfois, c’est juste de tout exploser, de tout détruire parce que y a des jours où rien ne semble valoir la peine d’être conservé, c’est compliqué. Ca a l’air douloureux, d’être Edouard Douglas, parce que y a des peines, des souffrances qu’il ne montre pas mais qui sont bien là et il tente de les ignorer, mais certains jours c’est impossible. Ces peines, Rohan peut les sentir, comme des plaies infectées qui finissent par puer tellement on les a ignorées. Il ne sait pas exactement ce qu’elles sont, ni d’où elles viennent, mais il n’y a qu’Edouard qui pense que c’est mieux de tout garder à l’intérieur. Rohan il sait que c’est un poison, lui. Et il n’a vraiment pas envie de voir Eddie pourrir de l’intérieur.
Il a une trop belle âme, pour ça. C’est pour ça qu’il veut que ça sorte, une bonne fois pour toute. Trancher dans la chair, pour que le sang noir s’en échappe, pour qu’Edouard puisse à nouveau respirer, pour qu’il n’y ait plus jamais d’ombre dans son sourire. « I don't want tae be angry. Ever. » Il a envie de lui dire que c’est pas le loup qui le met en colère, que c’est lui qui met le loup en rogne, il a envie de lui dire que c’est pas en ravalant toute sa hargne que ça partira. Mais il sent que c’est assez pour aujourd’hui, Eddie a arrêté de crier et il n’a aucune envie de lui donner une bonne raison de le détester. Alors il esquisse un petit sourire un peu triste, et ne dit rien. « Ye get under mah skin, Rohan, » Ca, ça lui tire un rire rauque en revanche, parce que c’est le but.

« Please, drop it, » ajoute-t-il et Rohan hoche la tête calmement. Oui, il laisse tomber pour aujourd’hui – il ne lui dit pas, non plus, mais il n’est pas connu pour laisser tomber le Helvar, alors Edouard l’aura sur le dos une prochaine fois, encore et encore, jusqu’à ce qu’enfin, il arrête de cacher ce qu’il est réellement. « Let's go back, yeh? and let's try out this wand of yours noo. Here. » Il lui tend la main, probablement pour la serrer, c’est ce que font les gens, normalement. Pour se saluer, pour se dire pardon. Son père avait tendance à attraper Arthur par l’épaule pour l’écraser contre son torse en aboyant un rire chaleureux, il s’en souvient, de ça. Claevis lui donnait une grande tape dans le dos ou lui ébouriffait les cheveux, pour le saluer. Et on ne s’excusait pas, dans la meute. Celui qui commettait l’affront se prenait une raclée et n’avait plus qu’à se soumettre ou mourir.
C’est un peu différent, chez les humains, Rohan a pu observer ça depuis qu’il est arrivé ici. Mais une poignée de mains, c’est nul, ce n’est pas suffisant. « Am sorry, » fait Edouard et il a la gorge un peu nouée, le blond, parce qu’il sait qu’Eddie ne s’excuse pas facilement, parce qu’il est têtu et parce qu’il est souvent persuadé d’avoir raison. « I just wish it got easier wit’ time. » C’est pas en regardant le temps qui passe que les choses changent. C’est aussi un truc qu’il a appris à la dure, mais qu’importe. Là, ils s’excusent et se pardonnent.

Alors Rohan s’avance, agrippe la main d’Edouard dans la sienne, plus large, puis il l’attire brusquement contre lui. Son autre bras entoure l’ancien aurour, sa paume se pose dans son dos, et il appuie sa joue contre la sienne. Il en profite pour prendre une profonde inspiration, il sait que c’est quelque chose qui gêne Eddie bien souvent, parce que c’est trop… loup, mais c’est plus fort que lui. L’odeur d’Edouard est parfaite. A chaque fois qu’il la perçoit, son cœur s’emballe et une voix chante pack, pack, pack dans sa tête. « S’fine, I’m a dickhead too. » Il le libère de son étreinte avant que ce soit trop pour l’autre loup, puis esquisse un large sourire, le genre complètement dénué de la moindre rancœur, parce qu’il ne peut pas en éprouver envers Eddie, c’est impossible.
« Okay let’s go, it’s time for you to laugh at my poor attempt at magic, » dit-il d’un ton léger. Il se détourne et grimpe jusqu’au ruisseau, où les deux seaux, les plants d’aconit et la baguette les attendent toujours. Rohan se penche, attrape la baguette et l’observe. « I think this one’s not bad. I mean, I kinda can feel it ? You’re supposed to feel it, right ? Like it’s not perfect, but it’ll do. » Il hésite, la fait rouler entre ses doigts. « Any idea what it’s made of ? » Oui, il est toujours curieux d’en connaître la composition. Puis une légère appréhension s’empare de lui, se transforme petit à petit en crainte et son estomac se noue. « Y’know, last time I tried a spell, I kinda blew up a tree, maybe I’m just not made for magic, » qu’il marmonne et ses traits s’assombrissent.