Ils sont en poste depuis quelques heures maintenant, deux ombres parmi les ombres, silencieux comme des tombes et tout aussi immobiles. Ils attendent. Ils attendent. Ce n'est certainement pas la mission la plus amusante des Mangemorts mais aux yeux de Theodore, elle est primordiale: surveiller Poudlard pour mieux détruire l'école. L'idée l'obsède. Si il s'écoutait, il piègerait tous les gens qu'ils voient passer pour les faire exploser une fois dans l'enceinte de l'école. Mais ils restent immobiles, deux ombres parmi les ombres, leurs yeux cherchant les environs de Poudlard à la recherche d'autres ombres, d'autres silhouettes se dirigeant vers l'école et portant la marque disgracieuse de la rébellion.
Et soudainement: là. Quelqu'un. Une ombre qui se détache et qui quitte le pays des ombres; Theodore devine une cape d'invisibilité de mauvaise qualité, qui tombe silencieusement sur le sol. Il plie le bras et son coude s'enfonce discrètement dans le flanc de Flora. Ils ont déjà leurs baguettes en main, mais n'ont pas les masques de leur fonction: promeneurs originaires de Pré-au-Lard ou simples sorciers curieux, on les croirait presque innocents.
Presque.
Ils commencent à bouger d'un même mouvement, baguettes pointées en direction de l'homme qui leur tourne le dos, l'air d'attendre quelque chose. Des ombres parmi les ombres, des ombres parmi les ombres; pourtant quelque chose doit alerter le rebelle, qui se retourne brusquement en allumant sa baguette d'un sortilège cuisant qui frôle douloureusement la joue de Theodore tandis qu'il pousse brusquement Flora sur le côté pour l'épargner. “ Confringo! ” gronde-t-il en se redressant, faisant fi de la douleur qui lui enflamme brusquement le visage; l'herbe explose entre eux et l'insurgé, qui est projeté en arrière dans un cri de douleur, non sans avoir eu le temps de lancer une autre gerbe d'étincelles dans leur direction qui commencent à courir sur l'épaule de Theodore pour mieux l'y brûler, il essaie de les frapper pour les éteindre en piétinant sur place. “ Assomme-le! ” siffle-t-il à l'adresse de Flora, gardant un oeil sur l'insurgé qui se relève en vociférant sortilèges sur sortilèges qui éclaire la scène de leurs lumières d'outre-tombe.

Être marquée, c’est plus prenant qu’elle ne l’aurait cru. Ça fait des heures déjà qu’elle joue aux statues aux abords de Poudlard attendant avec une patience qui s’effrite de minute en minute, que quelque chose, n’importe quoi, se passe. Que quelqu’un arrive, qu’ils aient quelque chose à se mettre sous la dent, à rapporter, ou quelqu’un à tuer. Flora s’ennuie, elle n’a pas l’habitude de ne rien faire, elle n’a pas l’habitude de faire le guet, de servir qui que ce soit. Elle sait qu’elle devrait être honorée d’avoir une mission quelle qu’elle soit, c’est en tous cas ce que diraient son unique tante paternelle. Mais elle, elle ne voit pas l’intérêt qu’elle a à être ici plutôt que chez elle avec une Hestia qui s’éloigne de jour en jour, avec une Hestia qu’elle a besoin de récupérer à tout prix. Elle ne supporte plus d’être seule avec ses pensées, pour ce qu’en ce moment elles ne semblent plus vraiment lui appartenir.

Enfin quelqu’un apparaît dans leur champ de vision et presque aussitôt le coude de son camarade s’enfonce dans son flanc. Elle le suit, baguette en main, déjà pointée sur la silhouette qui leur tourne le dos. C’est Theodore qui réagit en premier alors que l’autre se retourne et lance un maléfice cuisant à une vitesse fabuleuse. C’est Theodore qui lui épargne la douleur en la poussant sur le côté ; elle n’a pas réagi elle. Figée par l’éclat de la baguette, figée par l’image étrange que lui a renvoyé son cerveau d’un éclair vert bien différent de celui émit par le maléfice du rebelle. Elle fronce les sourcils. Souvenir, hallucination, ou manifestation nouvelle (mais tout aussi inutile que d’habitude) de sa clairvoyance ? “ Confringo! ” fait déjà Nott horriblement déformé par le sort. L’insurgé est projeté en arrière, leur laissant vaguement l’opportunité de prendre le dessus, mais Flora ne fait rien. Elle ne bouge toujours pas d’un poil alors que l’épaule de Theo est en feu, alors que c’est le moment de mettre un terme à la défense ridicule de l’insurgé et de le capturer. Flora reste là immobile depuis que Theo l’a bousculée, imperméable à la situation, trop prise par les flash verts et rouges qui dansent devant ses yeux, par les cris de voix trop familières, par sa voix - elle croît - qui s’y mêle ensuite.  “ Assomme-le! ” la sorcière ravale sa salive et cligne des yeux pour en revenir au monde réel, elle hoche la tête sans néanmoins regarder Theodore et lève sa baguette. “ Stupefix! ” Le sort fuse, mais rate le rebelle qui s’est roulé sur le sol pour l’éviter. Elle peste silencieusement. “ Impedimenta! ” L’homme s’est redressé et prépare sa rétorque, mais le second maléfice trouve sa cible et leur adversaire est ainsi arrêté dans son geste. “ Incarcerem ” bougonne-t-elle pour mettre fin à ce sordide échange de sorts. Ce n’est qu’alors qu’elle ose, coupable, tourner la tête vers son camarade pour observer les dégâts. D’un signe de tête elle lui fait savoir qu’elle est désolée. “ Everything okay? ” Comprendre: pardon de mon inattention, mais remets-t'en vite ; le fuyard est capturé, le plus intéressant est encore à venir.

Il les déteste, il les hait avec un colère qui le brûle encore plus que les petites flammes qui manquent consciencieusement l'habit Mangemort qui lui recouvre les épaules. Sa joue est en feu, il a mal à la pommette, son bras est gourd et si le feu n'a pas atteint la peau, il a tellement chaud qu'il a juste envie de s'enfuir en courant pour faire... autre chose, n'importe quoi.
Mais il n'a pas le droit de s'enfuir en courant. Il a signé pour ça, après tout. “ Everything okay? — Brill-iant, ” siffle-t-il en adressant à Flora un regard noir. Il l'aime bien, elle est efficace et déterminée: elle fait partie de ces fanatiques récemment marqués. Les soeurs Carrow ont toujours été... différentes des autres. Un peu comme lui, Theodore aime bien imaginer. Il l'aime bien, mais il ne lui fait pas confiance: encore moins maintenant qu'elle vient littéralement de se paralyser devant l'Insurgé.
Theodore ne supporte pas la simple vue de Flora alors il détourne le visage en direction dudit Insurgé. Il va le tuer, il va lui soutirer des informations et il pourra retourner chez lui s'occuper de sa blessure — Merlin, sa joue lui fait vraiment très mal — et tout ira bien, il écrira juste un mauvais rapport sur Flora.
Sauf. Que. Il connait cet Insurgé. Quigley. Quigley, Ronan Quigley. Il a volé pour l'équipe de Serdaigle dès sa seconde année. Son père fait partie de l'équipe nationale d'Irlande. Theodore est passionné de Quidditch, il sait tout sur lui, son père, sa manière de voler, ses forces, ses faiblesses et-- “ reste pas là les bras ballants, ” grogne-t-il à l'adresse de Flora, même si il est lui-même paralysé par des pensées néfastes (un mélange de on ne peut pas lui casser le bras, il ne pourra plus tenir le Souaffle et de il faut qu'on se dépêche avant que ses petits amis se ramènent) et plus que réticent à l'idée de s'attaquer à l'un des meilleurs espoirs du Quidditch de la promotion de Flora. “ Vas-y, Carrow, je t'en prie, ” rajoute-t-il en tournant les yeux vers elle, essayant de paraître défiant alors que dans sa voix ne plane que le doute.

“ Brill-iant, ” il a toute les raisons d’être mécontent et Flora en a parfaitement conscience, aussi elle ne relève pas son regard noir et son ton cinglant. Elle le mérite pour son inexcusable inattention. Elle préfère s’avancer vers l’insurgé ligoté, l’homme jusque-là à une distance trop importante pour qu’elle puisse en discerner précisément les traits. Elle le reconnaît. Elle est assez physionomiste Flora, elle a l’habitude d’observer, de jouer avec les gens, qu'elle considère comme des pièces sur un grand échiquier. Alors un vieux camarade de Poudlard, un camarade de classe, elle ne peut que le reconnaître. C’est normal, songe-t-elle, d’avoir affaire à quelqu’un de connu. Très peu de sorciers britanniques et irlandais ne vont pas à Poudlard. Toute sa génération de sorciers à quelques exceptions près ont donc foulé les dalles de l’école en même temps qu’elle. Et cette génération, jeune, fraiche, agile, ne peut que se retrouver au centre des conflits qui déchirent le pays. Ce n’est pas surprenant donc, songe-telle rationnellement. Et surtout, ça ne change rien. Ça ne peut rien changer. Lui n’est qu’un visage connu parmi d’autres. Elle ne lui a que vaguement adressé la parole au cours de sa scolarité. Elle a déjà fait pire. Même si lui souvenir de sa ruse lui semble déjà appartenir à quelqu’un d’autre. Même si elle ne reconnaît déjà plus la personne qui a trahi son ancien contact chez les rebelles. Flora n’a plus de contacts aujourd’hui, ça serait de la trahison et elle est loyale. Très loyale. Totalement loyale au Magister. Peut-être que si elle se le répète suffisamment de fois, elle arrivera à éradiquer le doute qui s’est insidieusement logé en elle.  “ reste pas là les bras ballants,  ” grogne Nott. Elle se demande s’il le reconnaît lui aussi. Ronan Quigley faisait partie de sa promotion à elle. Il est son souvenir à elle. “ Vas-y, Carrow, je t'en prie, ” insiste-t-il et elle prend son ton pour de la défiance ; il l’invite à rattraper son erreur, à montrer qu’elle est capable. “ On va avoir besoin de quelques informations Quigley, j’espère que tu accepteras de coopérer. ” elle esquisse un sourire froid, insincère alors qu’elle défait d’un mouvement gracieux de sa baguette le bâillon du jeune homme sans toutefois toucher au reste de ses liens.  “ Comment comptais-tu rentrer dans Poudlard ? ” Demander gentiment mène rarement à quoi que ce soit, mais sait-on jamais des fois qu'il soit faible, trop effrayé, des fois qu'il se montre bavard malgré tout. Il faut savoir reconnaître quand on a perdu et Ronan aujourd'hui il a perdu face à Nott et Carrow.  “ Où se trouve le passage secret ? ” Quoiqu'il arrive il est peu probable qu'il s'échappe avec la vie ; quoiqu'il puisse s'imaginer, l'éclat de reconnaissance dans les yeux de Flora et Theodore ne devrait pas lui conférer la moindre immunité. Et puisqu'il mourra certainement autant abréger ses souffrances en parlant et s'épargnant la torture pour laquelle les mangemorts ont été programmés.

“ On va avoir besoin de quelques informations Quigley, j’espère que tu accepteras de coopérer. ” Theodore devrait lui dire d'arrêter de discuter. Ils n'ont pas le temps de discuter. Les Mangemorts ne discutent pas, ne négocient pas, ne demandent pas de coopérer. Ils prennent et ils prennent et ils prennent. “ Comment comptais-tu rentrer dans Poudlard ? Où se trouve le passage secret ? ” Elle a libéré  Quigley de son bâillon et Theodore a enchaîné avec un sortilège pour assourdissant pour éviter qu'il n'hurle à l'oreille de ses comparses. Ils n'ont pas besoin d'une dizaine de baguettes contre eux deux maintenant. Au pire il prendront l'Atout en otage. C'est plus simple de penser à lui comme un Atout, une carte maîtresse dans un jeu, un autre pion à déplacer sur un échiquier, rien de plus. Theodore aimerait brûler à l'Incendio les images qu'il a de lui, qui lui reviennent en cascade: en train de faire une Porskroff presque réussie face à l'équipe Serpentard... Theodore lui-même était allé le féliciter à l'infirmerie après qu'il soit tombé de son balai. Ça avait été courageux.
C'était dommage que tout ce courage ait été mal canalisé. “ Je ne parlerai pas, s'époumona l'Atout sans briser les défenses assourdissantes de Theodore. Et vous pouvez aller en Enfer! JE NE PARLERAI JAMAIS! ” insista-t-il quand Theodore pointa sa baguette vers lui.
Inlusion Carcerem. Il connait la formule par coeur: c'est l'une des premières que lui a enseigné Angus Bones. Emprisonner sa victime dans un cauchemar pendant trente secondes. Technique efficace de torture.
Il a levé sa baguette. Il ne peut pas la baisser sans lancer un sortilège.  Il s'apprête à lui jeter... quelque chose, n'importe quoi. Il ne sait pas. Il n'arrive pas à dissocier l'Atout et Quigley. Il ne tremble pas, non, quand même pas. Mais il se sent complètement vulnérable face au visage impatient de voir celui de ses deux détracteurs, qui fouille les ombres à la recherche du moindre indice — aurait-il reconnu leurs voix...? Il est complètement pris de court quand Quigley se met à pleurer à chaudes larmes et machinalement, il baisse sa baguette, agacé. “ Quigley, je t'en pr-- ” Il est interrompu quand le sortilège fuse comme une bombe éclairante, l'aveuglant, lui brûlant les yeux. “ SA BAGUETTE?! ” hurle-t-il à l'adresse de Flora en reculant, sentant ses genoux faiblir sous lui, clignant désespérément des yeux en espérant les réhabituer aux ombres — avec un peu de chance, même si elle ne l'a pas séparé de sa baguette, au moins Carrow a-t-elle réussi à bien le ligoter...
C'est plus simple de la blâmer elle plutôt que de penser aux réelles raisons de pourquoi Quigley a profité de leurs doutes et hésitations.

“ Je ne parlerai pas ” stupide, comme ses congénères. Stupide de refuser le dialogue demandé pourtant étonnamment gentiment pour des gens comme eux. Stupide de hurler, inefficacement, inutilement contre les défenses posées par Nott. “ Et vous pouvez aller en Enfer! JE NE PARLERAI JAMAIS! ” L’injonction aurait pu être efficace si Flora avait cru aux Enfers. Au lieu de quoi, elle est laissée parfaitement indifférente à ses cris. Elle n’est que vaguement agacée, rassurée par le mouvement de baguette de son collègue. Il va le faire taire ou le faire hurler un peu plus fort, mais pour de bonnes raisons cette fois. La rétorque de Quigley aura au moins eu le mérite de lancer la partie offensive de l’interrogatoire. Ils n’ont pas le temps de demander gentiment plus d’une fois. Les renforts du rebelle, si renfort il y a, pourraient arriver à tout moment. Finalement aucun éclair ne s’échappe de la baguette de Nott qui l’abaisse même sous le regard outré de Flora quand de grosses larmes s’échappent des yeux de leur prisonnier.

Elle ne s’est jamais laissée amadouer par les larmes Flora. Peut-être que c’est parce qu’elle n’a jamais beaucoup pleuré elle-même. Elle ne comprend pas l’intérêt. Elle ne comprend pas le désespoir qui peut se cacher derrière quelques gouttes d’eau. Mais quand bien même l’aurait-elle compris, elle s’en moquerait certainement. Quigley - peu importe qu’ils aient du partager une paillasse une fois quand un professeur avait cru bon de séparer les jumelles, peu importe qu’il ait un jour ramassé un de ses livres dans le couloir, peu importe les railleries auxquelles il a pu se mêler au sujet des jumelles, peu importe les points rapportés à sa chère maison - est une menace à l’autorité de son Maître et donc, un ennemi.

“ Quigley, je t'en pr-- ” Elle n’a pas le temps de claquer la langue de dégoût, que Quigley lève la baguette qu’elle ne lui a jamais ôté et lance un maléfice aveuglant. “ SA BAGUETTE?! ” Elle a détourné la tête Flora, réflexe plutôt intelligent quand on voit un sortilège filer vers soi, et ses cheveux et ses paupières clauses ont absorbé le gros des dégâts. Il faut dire que c’est surtout Theodore qui était visé. “ Expelliarmus ” lance-t-elle, visant à peu près juste, quelques points noirs dansant devant ses iris. Elle ne prend pas le soin de répondre à Nott. Elle ne va pas s’excuser ; au moins elle a ligoté le prisonnier, au moins elle l’a capturé. Ils sont deux cependant à avoir omis de lui prendre sa baguette. Le morceau de bois tombe justement à ses pieds et elle abat son talon dessus. Crac. Ce n’est pas comme s’il devait avoir l’occasion de la réutiliser un jour. “ Tss ce n’était pas très malin ça. ” Pas très Serdaigle. Il vient d’aggraver son cas, tout ça pour quoi ? Pour prouver qu’il ne se soumettra jamais ? C’est très brave, c’est très stupide.

Il est temps de passer aux choses sérieuses, de faire ce que Nott aurait du faire plutôt que de réagir aux larmes feintes de Quigley. Le devoir l’appelle, elle lève sa baguette, un geste assuré pour un esprit qui l’est beaucoup moins. Elle est créative Flora, surtout quand il s’agit de magie, mais pas pour la torture, un aspect relativement nouveau de sa vie, avec lequel elle n’est somme toute pas encore vraiment à l’aise. Ses lèvres s’entrouvrent pour prononcer le sort appris à Poudlard auprès de son oncle Amycus, mais elle pense soudain et de façon totalement non pertinente à une sorcière blonde et délicate qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Depuis combien de temps exactement ? Sa baguette reste figée dans les airs, tandis qu’un sifflement agacé passe ses lèvres. Elle n’a pas l’habitude de perdre la mémoire. Qu’est-ce qui est arrivé à Narcissa ? Elle est morte, souviens toi. Elle sait. Tout le monde est courant. Ce qu’elle ne sait plus c’est ce qu’il s’est passé avant, pourquoi elle est morte, où elle était avant ça. Pas au manoir d’Herpo Creek, c’est certain. Nowhere, it doesn’t matter argue une partie d’elle tandis que l’autre froide, impatiente, lui conte les séances d’amusement de Naguini, lui rappelle une conversation perdue avec Draco. Sans le savoir elle marmonne de façon à peine audible le nom de la sorcière, obsédée. Le souvenir est vague, distant et quand elle creuse pour le retrouver, il lui échappe. Elle secoue la tête et raffermit l’emprise de ses doigts sur sa baguette. Ce n’est pas le moment de divaguer, ce n’est pas le moment d’avoir peur non plus, de craindre être en train de suivre les traces de sa mère. Non, je ne peux pas devenir comme elle. “ Crucio ” Elle ne bat même pas des cils, elle n’est déjà plus là à côté de Theodore, mais loin, loin, dans une salle qu’elle ne reconnaît pas, sur une chaise en métal froide et inconfortable, un seul visage lui est véritablement familier : la sœur de Lorcàn. Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Sa baguette n’a même pas daigné émettre une petite étincelle d’encouragement à son égard, aussi désintéressée de la situation que sa maîtresse, trop confuse pour lancer un tel maléfice proprement. Et ça l’énerve, pas seulement de ne pas être en contrôle de ces mirages qui l’empêchent d’être concentrée sur le moment présent, mais que son partenaire la pense certainement en train de faiblir. C’est bien ce qu’elle aurait pensé elle à sa place: qu’il se dégonfle, qu’il n’a rien à faire là. Encore que sur ce point, il n’aurait peut-être pas tout à fait tord. Elle ne sait pas ce qu’elle fait là elle non plus.

Le sortilège qu'elle prononce n'a aucun effet et ça déclenche quelque chose dans la poitrine de Theodore, quelque chose de dur et de haineux et de franchement terrible. Il déteste sa fonction et sa qualité de Mangemort. Il déteste le fait qu'il soit bon pour torturer les gens, parfois bon pour les tuer, il déteste sa facilité à suivre les ordres et il déteste aussi ce qu'on lui fait faire. Mais Theodore Nott est une bête qui survit. Il est le dernier de son espèce, le dernier individu de son nom et de sa race: il se doit de survivre et pour ça, il est prêt à tout.
Mais les cauchemars le hantent, parfois, par-dessus la fine couche d'Orviétan qu'il pose sur son sommeil pour l'accompagner vers des contrées inconscientes clémentes. Les cauchemars le hantent, les gens morts qu'il a tué indirectement et directement, les gens qu'il a torturés, tourmentés, dépouillés. Il regrette, bizarrement, autant qu'il en est fier: c'est grâce à ça qu'il est ici aujourd'hui. Qu'il est en vie. Qu'il va se marier, avoir une vie. Il a choisi le bon camp, celui des gagnants.
Mais cette émotion qui se révèle dans sa poitrine ne ressemble à rien qu'il connaisse. Il a l'impression que c'est l'Excess, qu'il prend en petites quantités réparties toute la journée, qui fait brusquement effet: qui s'empare de son coeur, qui l'étreint et l'écrase. C'est de la colère, qu'il ressent. “ You fucking Squib, ” siffle-t-il, même si il habitue rarement son entourage à de telles injures et encore moins une telle vulgarité, levant sa baguette avant d'asséner un de ses propres “ Crucio! ” sur Quigley.
Il hurle. Il hurle à leur en déchirer les tympans mais ça ne va pas plus loin que la bulle de silence qui les entoure. Il hurle et il se tord et tout son corps tressaille mais il ne peut pas leur échapper, et la baguette de Theodore ne se baisse pas, ni ses yeux, alors qu'il l'observe silencieusement souffrir, gueuler, ruer, gémir et pleurer honnêtement, cette fois. Les Sorts Impardonnables, lui a-t-on appris, ne sont pas une histoire de puissance mais de volonté. Imperium: notre volonté de contrôler va plus loin que la volonté de l'autre d'être libre; Endoloris: notre volonté de faire mal va plus loin que la volonté de l'autre de s'en sortir; Avada Kedavra: notre volonté de tuer va plus loin que la volonté de l'autre de vivre.
Et il sait que Quigley a de la trempe. C'est juste lui qui veut lui faire mal.  
Il baisse finalement sa baguette après de longues minutes de souffrance de la part de l'ancien Serdaigle. “ Maintenant parle, ” intime-t-il simplement, ses yeux fixés sur l'Insurgé et ignorant royalement Carrow à côté de lui.

“ You fucking Squib, ” elle serre les poings. Flora sait qu’il a tous les droits de lui en vouloir, elle est inefficace, incapable de lancer un sortilège qui, pour des gens comme eux, relève du basique. Elle sait qu’elle est en tord, même si elle est loin de le faire exprès, même si elle aimerait bien faire taire ces mirages et être en mesure de torturer Quigley calmement. Mais elle en veut à Nott. Elle lui en veut, parce qu’elle est déjà énervée par les troubles de son esprit, déjà inquiète de ce que cela peut vouloir signifier, parce qu’elle se voit déjà enfermée à Sainte-Mangouste avec Maât et qu’elle n’a pas besoin qu’en plus Nott la traite de cramolle. “ Yeah yeah, look to your own failures Nott. ” marmonne-t-elle à son tour. Il n’est pas sans faute non plus. C’est elle qui capturé le dissident, c’est elle qui l’a désarmé - certes après qu’il ait aveuglé son compère. Si l’on doit compter les points, malgré tous ses handicapes Flora a de l’avance.  “ Crucio! ” le sien fonctionne et Flora serait presque déçue. L’important est le bon déroulement de la mission, l’important est qu’ils parviennent à tirer quelque chose de Ronan. Mais sa fierté est piquée par les mots de Theodore et elle aurait presque aimé le voir échouer comme elle.

Seulement la réussite de Nott est totale. Quigley hurle à s’en déchirer les cordes vocales. Le maléfice est plus puissant que n’importe quel crucio que pourrait lancer Flora, même en plein forme psychique. Elle le hait.

Elle ferme les yeux, consciente que cela risque de passer pour une énième marque de faiblesse. Elle se fout de Ronan à dire vrai. He made his bed now he’s got to lie in it. C’est ce qu’on obtient quand on est du mauvais côté, quand on soutient une cause vouée à l’échec. Quigley n’est même pas un sang-de-bourbes, il n’est pas obligé de se battre, les gens comme ça la Carrow ne les comprendra jamais. Si elle clôt ses paupières c’est pour essayer de faire abstraction des cris, pour essayer d’ignorer les flash qui reviennent encore et encore, rapides, incompréhensibles. Elle veut hurler à Nott d’arrêter, elle veut lui dire que ça suffit, qu’elle - qu’il en a eu assez. Mais elle ne le fait pas, parce qu’elle sait qu’elle ne peut pas se le permettre, qu’elle a déjà trop gaffé aujourd’hui et que Nott ne le lui pardonnera pas. Elle se moque bien de ce qu’il peut penser d’elle, comme elle se moque totalement de l’avis de la plupart des sorciers qu'elle côtoie au quotidien, mais elle sait qu’il est le senior de la mission et qu’en tant que tel il est bien capable d’écrire un rapport à son sujet. Elle ne peut pas se permettre de laisser sa loyauté et sa capacité à faire ce qu’il faut être remises en cause ; elle n'est pas certaine d'être capable de les défendre comme il le faudrait.

“ Maintenant parle, ” fait Nott en mettant fin aux souffrances des deux anciens serdaigles et Flora échange un regard avec un Quigley en larme et elle le hait lui aussi pour sa présence, pour ce que ça provoque en elle. Si ça ne tenait qu’à elle, elle préfèrerait en finir de suite, au diable les informations qu’il pourrait leur donner. “ f-fuck you. ” est tout ce que le jeune homme parvient à leur répondre entre deux sanglots une fois qu’il a repris son souffle. Si courageux, si résistant, si bête. “ Now, I’m sure you don’t mean that. ” Elle le vise aussitôt de sa baguette, elle a besoin de réussir, elle a besoin de cette mini-victoire, besoin de montrer à son collègue qu’elle n’est pas une incapable chronique. “ Geminio ossa ” un éclair rouge fuse vers la jambe droite du rebelle qui hurle de nouveau alors que des craquement se font entendre quand les os de son genou se multiplient jusqu’à déchirer sa peau. Les cris lui glacent le sang, mais elle fait l’effort de rester de marbre, l’effort de ne pas détourner les yeux vers Nott pour voir - peut-être - l’extinction d’une partie au moins de son mépris dans son regard brun. “ Autre chose à dire ? ” fait-elle à l'intention de Quigley.

“ F-fuck you. ” Et Theodore pince des lèvres, agacé. Il ne sait pas d'où vient toute cette exaspération mais il sait qu'il vaut mieux l'utiliser tant que ça dure, profiter de sa présence pour aligner sortilège sur sortilège, et éviter de penser à Quigley dans les airs en train de faire passer le Souaffle avec une aisance toute inhumaine, éviter de penser au pitch de Quidditch et au fait qu'il n'y a pas si longtemps que ça, il portait les couleurs saphir et cuivre de Serdaigle et se mélangeait à la même foule d'élèves que deux.
Il sent Flora se tendre à côté de lui alors il baisse un peu sa baguette, lui laisse le choix et le loisir de faire souffrir à leur ancien camarade de classe la prochaine torture. En attendant, il ferme les yeux et applique, encore et encore, les principes enseignés par monsieur Rookwood. Compartimentaliser les émotions, ranger dans une boîte, laisser la boîte prendre la poussière. C'est seulement quand elle prononce la formule qu'il les rouvre, ses yeux, avec un frisson qu'il ne peut réprimer. “ Geminio ossa, ” incante-t-elle, délicieusement cruelle, et Theodore sent sa jambe se raidir d'elle-même, celle qui lui fait affreusement mal mais dont il jugule la souffrance avec brio grâce à l'Excess. Elle a été fracturée il y à peine moins de cinq mois et pourtant elle semble comme neuve, si ce n'est que sa légère raideur parfois et les douleurs chroniques, évidemment; sentir le sortilège, même à l'encontre de quelqu'un d'autre, lui rappelle cette horrible souffrance et il se sent devenir tout pâle dans le clair de lune.
Pas le droit à l'erreur, ni à la faiblesse. Ils le savent tous les deux. C'est une leçon qu'ils ont appris à la dure. En attestent leurs deux Marques. “ Autre chose à dire ? ” Mais Quigley étouffe un autre gémissement étranglé de douleur et Theodore grince des dents à la simple idée (impossible, mais entêtante tout de même) que, par tous les dieux, ça aurait pu être sa jambe.
La tête de Quigley retombe sur sa poitrine et Theodore s'approche d'un bond pour prendre son visage dans sa main, le forçant à le regarder. Les pupilles de Quigley sont dilatées, il a l'air hagard, il perd tellement de sang... Theodore ne regarde pas les os, ni le sang, ni la jambe, juste les yeux de l'Atout. Il aimerait lui asséner une autre menace mais aucun mot ne lui vient alors à la place, il se contente de placer sa baguette sur sa mâchoire, la faisant glisser le long de l'os jusqu'au cou, à la jugulaire... la pointe de la baguette s'anime de petites étincelles, la chaleur doit être insupportable et bientôt, Quigley se met à trembler, de douleur, et les doigts de Theodore s'enfoncent sans douceur dans ses joues pour le maintenir droit et honnête... c'est seulement quand les yeux de Quigley se révulsent qu'il le relâche et recule.
Inconscient. Theodore s'essuie la main sur sa tenue de Mangemort, impatient, revenant vers Carrow en lui décrochant un regard noir. “ Si il se vide de son sang, c'est de ta faute, ” prévient-il. Il raffermit sa prise tremblante sur sa baguette. La courte inconscience de Quigley lui donne quoi? Une poignée d'instants avant qu'ils se retrouvent confrontés à leur sordide affaire. Une poignée d'instants de repos et de calme. “ Je vais faire le tour pour voir si aucun ne va venir le secourir. Endigue l'hémorragie, on reprend après. ” Et puis, pour faire bonne mesure: “ get a fucking grip, Flora. ” Et il se rend seulement compte qu'il a utilisé son prénom quand il s'éloigne faire le tour de leur petite zone si proche du château — et à la fois tellement loin.