―――-―• i see fire •-―――--- La fumée s'élevait, épaisse et noire, sans qu'Alicia ne parvienne à y échapper. Recroquevillée dans son armoire, elle s'époumonait à appeler ses parents absents pour la soirée. Personne ne viendrait la secourir. Elle toussait, se tenait la gorge, ses yeux la piquaient et ses joues étaient baignées de larmes vaines. Peu à peu, les images, les odeurs, les sons, tout lui parut lointain. Les lumières valsaient devant ses yeux, tandis que son corps d'enfant s'emplissait de vapeurs toxiques. Je vais mourir, pensa-t-elle du haut de ses sept ans. Alicia sentit à peine les bras puissants se refermant sur elle, bras qui l'arrachaient  à son enfer brûlant qui tombait en cendre autour d'elle. Un brasier né de son être,  né de sa colère. Simple étincelle qui avait pris une ampleur inimaginable. Les moldus s'attroupaient autour de la demeure Spinnet, hurlaient, pleuraient. Les sirènes de pompier étaient assourdissantes. Et la gamine finit par s'évanouir.

« Oh Ali, on a eu tellement peur … » s’exclama Madame Spinnet en se jetant sur elle alors qu’elle ouvrait à peine les yeux. Elle observa longuement le plafond blanc, les murs blancs, les draps blancs. Elle était en vie. Les larmes de sa mère la firent revenir à la réalité et Alicia cligna des yeux. « Il y avait des flammes partout … » Sa voix avait quelque chose de mécanique, comme une phrase qu'elle aurait répété des heures durant.  Les lèvres de son père se posèrent sur son front pour lui offrir le baiser le plus tendre de l’univers. « Tu as eu ta première révélation magique. » La petite fille aurait sans doute été heureuse, dans d’autres circonstances. Si elle n’avait pas réduit la demeure familiale et tous leurs souvenirs en tas de cendres, si elle n’avait pas manqué d’y laisser la vie. Voilà qu’à présent, elle était retenue à Ste-Mangouste avec la moitié du corps brûlé. Les Médicomages prenaient le temps de la remettre sur pied, malgré son état lamentable. « Elle ne sera plus jamais la même. Cependant, les enfants s’en sortent généralement mieux que les adultes … Sa guérison est plutôt rapide. » disaient-ils à ses parents. Alicia les écoutait d’une oreille distraite, le regard rivé vers la fenêtre ouverte. Elle ne voulait plus fermer les yeux. Chaque fois, les flammes dansaient, la dévoraient, la consumaient toute entière. Le poids de la culpabilité et de la douleur étaient insupportables. « Quand est-ce qu’on s’en va d’ici ? » demandait-elle souvent, et chaque fois sa mère lui répondait : « Quand tu seras complètement guérie, ma chérie. » Et puis Alicia continuait : « Où est-ce qu’on va vivre ? » et Madame déclarait : « Nous cherchons encore une maison. Une belle maison, où nous vivrons tous les trois, comme avant. » L’enfant avait envie de crier qu’elle ne voulait pas d’autre maison que la leur, aussi belle soit-elle. Mais elle ne pouvait pas jouer les égoïstes alors qu’elle était celle qui avait tout détruit. Ses journées étaient longues et monotones. Jusqu’à ce qu’Alicia fasse la rencontre qui allait changer sa vie. Une gamine de son âge l’observa depuis l’entrée de la chambre, silencieuse. « Ca fait plein de fois que je te vois en passant. Pourquoi t’es là ? » Alicia la regarda. « T’es qui ? » La petite lui sourit d’un air provocateur et posa ses poings sur ses hanches, d’un air convaincu et déterminé. « Angelina Johnson. Et toi, c’est quoi ton nom ? » Elle pencha la tête sur le côté. « Alicia Spinnet. » La petite fille à la peau et aux ravissants yeux noirs s’approcha de son lit d’un pas sautillant. « Alors, Alicia Spinnet, à partir d’aujourd’hui on est les meilleures amies du monde, d’accord ? » « D’accord. » souffla-t-elle en serrant la main qu’elle lui tendait.

-―• we are alive •――Alicia savait déjà qu’elle irait à Gryffondor avant même de passer les portes du château. Longtemps, ses parents s’étaient battus pour savoir si l’enfant irait à Poufsouffle comme sa mère ou Serdaigle comme son père ; fallait-il croire que la demoiselle n’avait ni la patience des Putois, ni la sagesse des Aigles. Sa témérité et son tempérament de feu – ironique compte tenu de son passif avec la chaleur tumultueuse des brasiers – ne pouvaient que la prédestiner à rejoindre les preux Lions. Elle fut ravie que sa meilleure amie Angelina Johnson la suive chez les Rouge et Or, scellant définitivement cette amitié née quatre ans plus tôt. Les deux têtes brûlées ne mirent guère de temps à trouver leurs marques parmi les murs ensorcelants du Châteaux et ses escaliers détestables. Leur passion commune pour le Quidditch les rapprocha encore et elles décidèrent qu’elles feraient partie de l’équipe de leur maison lorsque le moment viendrait pour elles de prouver ce qu’elles valaient. C’est ainsi qu’elles intégrèrent l’équipe en troisième année, l’une comme l’autre. Leur beau duo fut complété par Katie Bell, d’un an leur cadette, qui leur ressemblait bien trop pour qu’elle ne devienne leur amie.

« Est-ce que c’est … Bizarre ? » Alicia esquissa un sourire amusé, en plongeant son regard dans ses yeux bleus. « Qu’est-ce qui est bizarre ? » murmura-t-elle tandis que ses lèvres effleuraient les siennes. La demoiselle haussa les épaules en laissant courir ses doigts sur sa joue. « D’embrasser une fille. » Ce fut au tour d’Alicia de hausser les épaules. « Non, c’est différent. » Sa réponse parut satisfaire Ileen qui sourit. « Tu as été géniale au match, tout à l’heure. » « C’est parce que tu étais là. » lança Alicia, malicieuse. Jamais elle ne s’était vue ainsi, c’était une première. Douce, attentionnée, tendre, tout ce qu’elle n’était pas d’habitude. La présence d’Ileen l’apaisait, lui faisait voir le monde autrement. Elles passaient des heures toutes les deux à marcher au bord du lac, à s’asseoir l’une à côté de l’autre en pressant leurs bras l’un contre l’autre. Parfois, Alicia posait sa tête sur son épaule pour contempler le paysage. Mais jamais elles ne témoignaient davantage d’affection, surtout en public. La Rouge et Or subissait déjà assez les railleries de ses chers camarades de Serpentard qui se servaient de ce sujet un peu sensible pour la déstabiliser pendant les matchs. Elle n'avait même rien dit à Angelina et Katie de la liaison qu’elle entretenait depuis quelques semaines avec Ileen Panshawe, cette gamine de Serdaigle aux longs cheveux blonds et aux yeux trop bleus. Elles s’étaient rencontrées à la sortie d’un match opposant leurs maisons respectives. Victorieuse, Alicia lui était rentrée dedans et l’avait faite tomber. Une rencontre banale, digne d’un roman à l’eau de rose moldu. « Ali ? Qu’est-ce que tu fous ? On va fêter la victoire, tu viens ? » cria Angelina depuis le couloir. Alicia sursauta et reprit ses esprits. « J’arrive ! » Elle lâcha Ileen et se leva brusquement, ce qui avait le don de blesser son amie trop sage. Les frasques de la Gryffondor avaient le fon de la troubler et la rendre folle, elle suivait difficilement la cadence. Elle ouvrit la porte en se donnant une certaine contenance, un air plus provocateur et froid qu’elle arborait généralement. « Salut Ileen ! » lança Katie en croisant les bras, sourire entendu aux lèvres, tandis que la Serdaigle s’éloignait dans le couloir. Katie et Angelina savaient, sans pour autant dire quoi que ce soit à ce sujet. Et c’était pour cette raison qu’Alicia les aimait à en crever.

En entendant parler de l’Armée de Dumbledore, Alicia Spinnet n’avait pu faire autrement que de la rejoindre. C’était une juste cause à mener avant de quitter Poudlard et entrer dans la vie active. Elle avait toute confiance en Harry Potter et ses acolytes Weasley et Granger quant au retour du Seigneur des Ténèbres. Autour d’eux, les choses changeaient. La peur grandissait dans les cœurs et les esprits, et réagir trop tard ne faisait pas partie des habitudes d’Alicia qui préférait prévenir que guérir. Cela lui permettait également de penser à autre chose que la fin de sa scolarité qui approchait à grands pas, sa séparation avec Katie qui resterait au Château, la fin de cette vie sublime qu’elle menait en ce lieu qu’elle considérait comme sa deuxième maison. Aussi, quand Katie fut ensorcelée et envoyée à Ste-Mangouste, Alicia n’hésita pas une seconde avant d’accepter de rejoindre l’AD. Ses entraînements de Quidditch se multiplièrent également, dans l’espoir d’être sélectionnée pour intégrer les Harpies de Holyhead à la sortie. Vivre de sa passion était son rêve et elle n’imaginait pas une seule seconde faire autre chose que poursuiveuse dans l’une des plus grandes équipes nationales de Quidditch. Un rêve qu’elle partageait, là aussi, avec ses meilleures amies de toujours.

―――――――-―• time to flee •-―――――――--- Autour d’elle, les sorciers tombaient, hurlaient, pleuraient, riaient. C’était un massacre sans précédent. Poudlard tombait en ruines, et Alicia échappait de peu aux sortilèges qu’on lui lançait en poussant des cris de rage.  C’était une telle panique que c’était tout juste si on ne s’attaquait pas, par erreur, à ses alliés. La jeune femme avait sciemment délaissé son équipe de Quidditch tout juste intégrée pour venir au Château lorsque la rumeur avait couru qu’il était attaqué par les Mangemorts. Elle ne pouvait pas laisser faire sans intervenir. Cet endroit était sa maison et ceux qui y résidaient encore ses amis, ses camarades de l’AD, de Gryffondor. Peut-être serait-elle virée de l’équipe pour les avoir abandonnés un soir de match, mais le choix d’Alicia était vite fait. Même alors que le Quidditch était toute sa vie. Cela signa pourtant son arrêt de mort, en quelques sorte. Facilement reconnue, grâce à sa notoriété en tant que nouvelle joueuse nationale sans doute, Alicia Spinnet devint l’une des nouvelles cibles du gouvernement en place. Traquée, obligée de disparaître, de sacrifier tout ce qu’elle aimait. Fini le Quidditch, fini les dimanches en famille, fini le confort d’une maison.

Les semaines passées dans la nature sauvage de la Russie lui permirent de réfléchir. Alicia avait baissé les bras. Détruite par les pertes subites et le fait de n’être rien d’autre qu’une fuyarde aussi jeune l’avait poussée à fuir. Il lui fallait une échappatoire, quelque chose à quoi se raccrocher. Katie Bell avait continué sa vie comme si de rien n’était. Quant à Angelina, Alicia n’avait plus de nouvelles. Une vie parfaite et une amitié à toute épreuve qui avaient volé en éclats à cause d’un gouvernement faisant régner la peur. Alicia passait le plus clair de son temps perchée dans les arbres, à écouter le chant des oiseaux. Elle aurait pu passer sa vie ainsi, loin des dangers et de la noirceur du monde. Pourtant, elle fut bien vite rongée par la culpabilité et la solitude. La fuie et la lâcheté ne lui ressemblaient pas ; elle avait toujours foncé dans le tas sans se soucier des conséquences. Alors, qu’est-ce qui avait bien pu changer ? Pour la première fois depuis plusieurs semaines, Alicia inspira une grande bouffée d’air, serra les poings et transplana jusqu’à la rue dans laquelle elle vivait avec ses parents, avant que tout ça ne commence.

L’espace de quelques minutes, Alicia avait eu l’espoir de trouver ses deux parents assis à table en train de boire le thé. Et puis elle avait dû se rendre à l’évidence : plus jamais ils ne se tiendraient là comme si de rien n’était, parce que plus rien ne serait jamais comme avant. Elle poussa lentement la porte entrouverte, baguette serrée dans sa main à s’en faire mal aux doigts. Un spectacle affolant s’offrit à elle : malgré l’extérieur de la maison en parfait état, l’intérieur était dans un état lamentable. Tout n’était que gravas et poussière. « Maman ? Papa ? » appela-t-elle d’une voix tremblante en avançant dans le living-room d’un pas un incertain. Quand était-elle devenue cette petite fille lâche ? Alicia se redressa, serra les dents et reprit ses investigations. Il n’y avait personne, aucune trace de ses parents ni de leur chouette. Elle espéra qu’ils aient eu le temps de fuir. Qu’ils soient quelque part, sains et saufs, et heureux. Peut-être au soleil, au bord de la mer. Ou dans une belle maison de campagne, bordée par un champ de blé luxuriant et d’une petite balancelle à l’ombre d’un saule. Sa mère disait souvent qu’elle rêvait de vivre dans une maison comme celle-là. L’imaginer couler des jours heureux loin de la guerre la ragaillardit. Tout sauf les penser morts. Elle s’effondrerait, sinon. Du plat de la main, Alicia poussa la porte de sa chambre qui, comme le reste de la maison Spinnet, avait été saccagée. Son regard fut attiré par une tâche rouge, presque brune, au sol. Elle releva lentement les yeux vers le plafond et plaqua sa main sur sa bouche en réprimant un haut-le-cœur. Son chat, Prunille, était pendu par la queue, un poil dégueulasse hérissé et le regard vide. Des mouches volaient autour et s’y posaient, pénétraient sa gueule ouverte. Alicia ne put retenir le haut-le-cœur suivant et dégueula sur le sol, pliée en deux, les larmes ruisselant sur ses joues sans qu’elle ne cherche à paraître digne. C’en était trop. Elle allait leur faire payer.

-―• and go back •―― « Je répète, Mademoiselle : quel est votre nom ? » Alicia jeta un coup d’œil autour d’elle à la recherche d’une façon de fuir. Mais la panique la clouait sur place. En se jetant à corps perdu vers l’ennemi, elle avait oublié de monter un plan pour faire machine arrière, et voilà qu’elle était face à ce Mangemort au cou duquel elle rêvait de se jeter pour lui arracher la carotide avec les dents. « Amalia ! Combien de fois t’ai-je dit de ne pas me faire faux bond ?! » beugla un homme d’une belle carrure en s’approchant d’elle et en la saisissant par le bras. Frappée par sa puissance et sa beauté, son cœur fit un bond. « Mais, je … Euh … » Qui est cette Amalia ? Il y a erreur, eut-elle envie de s’exclamer, avant de se rendre compte qu’il était en train de lui sauver la vie. « Je suis désolée. » grimaça Alicia en se prenant au jeu. Il s’excusa auprès du Mangemort la tête froide et l’entraîna violemment par le coude loin de l’homme à la longue cape noire et au regard dur. « Où est-ce que vous m’emmenez ? Qui me dit que vous n’êtes pas l’un des leurs et que je suis en train de tomber dans un piège ? » grogna-t-elle en le foudroyant du regard. Non, Alicia ne passait jamais par quatre chemins avant de demander quelque chose. Jamais. C’était beaucoup trop dire pour si peu. « Rien, petite. C’est à toi de décider si tu as confiance ou non en quelqu’un qui vient de t’arracher des griffes d’un homme qui n’aurait pas hésité à faire de toi une esclave. » Alicia frissonna. Dit comme ça, elle préférait lui faire confiance à lui, effectivement. « C’est qui, Amalia ? » demanda-t-elle encore en lui jetant un regard en biais. « Ma mère. Amalia Crows était ma mère. » La demoiselle fronça les sourcils et ne posa plus aucune question.

Alicia Spinnet se laissa guider vers la lumière; les Belliqueux, on les appelait. Ceux qui avaient décidé de se battre. Elle avait trouvé sa nouvelle famille, grâce à cet homme qu'elle aurait suivi sur terre ou dans les airs.

« Les cheveux, c’est vraiment obligatoire ? » geint Alicia en observant les longues mèches de cheveux au sol, éparpillées comme un halo. Elle se sentait légère, mais surtout complètement nue. Machinalement, sa main se porta à sa tête : ses cheveux lui arrivaient aux épaules. Elle poussa un gémissement désespéré. « Reste tranquille. » ordonna l’homme d’un ton qui ne permettait aucune insubordination. Mais rester tranquille était trop demander à la jeune femme. « Tu n’arrêtes pas de m’appeler Amalia, mais je suis … » « ... Je sais qui tu es. » coupa-t-il en donnant un nouveau coup de ciseaux qui effleura la peau pâle de son oreille. Elle fronça le nez. « M’appeler par le nom de ta mère décédée, c’est morbide. » Il ne réagit pas. L’homme, de son nom Quinn, réagissait rarement. Tenter de définir ce qu’il pouvait ressentir relevait du défi, et Alicia aimait les défis. « On t’a déjà dit que tu étais franchement désagréable ? » tenta-t-elle encore, d’une voix douce. « Et toi, Alicia Spinnet, on t’a déjà dit que tu étais beaucoup plus chiante que tu en avais l’air ? » Son cœur rata un battement. Elle ne l’avait jamais vu s’énerver, et ça le rendait carrément sexy. Mais elle se reprit, et haussa les épaules. « Je crois que c’est bon. » lança Quinn en tournant son fauteuil pour qu’elle observe son reflet dans le miroir. Elle laissa courir sa main dans ses cheveux, ébahie. Elle ne se reconnaissait plus. Les traits de son enfance commençaient peu à peu à disparaître. Cette coupe de cheveux lui donnait un air plus sauvage, plus mature. Des airs de guerrière. Le temps qu’elle réagisse, Quinn avait déjà quitté la pièce. Alicia remit de l’ordre autour d’elle et se laissa choir dans le fauteuil à bascule près de la cheminée éteinte, aux côtés de cette drôle de sorcière qui ne parlait pas beaucoup. Elle était belle, très mystérieuse, un peu trop parfaite malgré son apparente fatigue pour être honnête. Soudain, une flamme vive et brûlante naquît dans la cheminée et Alicia sursauta. « Arrête de faire ça ! » grogna-t-elle en se recroquevillant sur la chaise. « Tu n’aimes pas le feu ? Il est beau, fascinant, terrifiant … » Elle secoua la tête en signe de négation et ferma les yeux. « Je déteste le feu. »