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août 1970, chemin de traverse

Ça l’emmerde, Rod. Dix-neuf piges et il se traîne encore ce morpion. Lui, là, ce bout de gnome qui à sa droite piétine le sol sans trop savoir où se foutre, ce morveux taciturne qui n’a pas pipé mot durant tout le voyage. Pourtant, de Birmingham à Londres, y en a, des heures à tuer. D’un regard oblique, l’ainé ausculte le portrait poupon de Rabastan qui se demande certainement ce qu’ils font plantés comme deux couillons devant un mur en briques. Dans un élan de goguenardise douteuse, son frère est tenté de lui annoncer que, tradition familiale oblige, il vient en ce jour chaleureux du mois d’août l’emmurer pour de bon. Mais il est des choses avec lesquelles, malheureusement, on ne plaisante pas, et si la verve acerbe de l’adolescent tendrait ordinairement à se moquer du politiquement correct, il se sait au fond incapable de retourner les angoisses existentielles de son puîné contre sa bouille, allez, avouons-le clairement, adorable. Il faut dire aussi, en se levant ce matin, il ne s’était absolument pas imaginé dans cette posture. Y a mieux, comme congé. D’ailleurs il ne sait pas vraiment ce qui lui a pris de dire à leur père qu’il s’en occuperait, lui, d’emmener le petit dernier faire les sacrosaintes emplettes de sa première rentrée à Poudlard. C’est certainement le timbre irrité dudit pater qui a provoqué chez Rodolphus un incroyable essor de magnanimité, ce déjà-vu agaçant prévoyant pour le cancre de la fratrie un instant mémorable en compagnie d’Aldebaran Lestrange, Le Terrible. Lui, il s’en souvient encore, de son expérience. C’est son géniteur qui avait tenu à l’accompagner au Chemin de Traverse et ce divin instant lui est tellement resté gravé dans la sapience qu’à l’approche de la ruelle marchande, l’anxiété vécue sept années auparavant revient le saisir à la gorge. Un désarroi qu’il a certainement voulu épargner à ce môme qui, malgré tout, a nidifié sa place dans le myocarde fraternel.

La senestre finit par se lever et faire tapoter la baguette de l’éphèbe contre certaines briques à priori choisies avec soin, provoquant à l’occulte mécanisme un remous imminent qui fait se morceler le cul-de-sac. La pénombre est chassée, laissant sa place aux rayons affables de l’astre qui les accueille à mesure qu’ils s’avancent. C’est dans la multitude d’arômes, couleurs, faciès et sons qu’ils s’engouffrent scrupuleusement, un bain de foule qui contraint l’ainé à apposer sa paluche sur l’échine de l’enfant pour en surveiller la présence. « Reste près de moi, des bambins disparaissent tous les ans et on ne les retrouve jamais. » Faux. Si, effectivement, quelques nigauds s’égarent aussi couramment que les têtes réduites de l’Allée des Embrumes n’insultent les passants, aucune séquestration n’a jamais été publiquement avérée. Nonobstant ce détail, Rodolphus sait qu’on se fait nettement mieux obéir par la peur que par la jugeote – un dogme longtemps appliqué durant son parcours estudiantin, et on ne peut plus corsé lorsqu’au titre de Préfet on couronna son buste. « Bien, voyons cette satanée liste. » Pincé entre pouce et index, un parchemin longiligne sort d’une poche de futal. Une élégante calligraphie, serrée mais souple, a listé en d’interminables paragraphes les achats nécessaires. Leur mère en est sans nul doute l’auteure. « Que Salazar me taloche la gueule, elle est bien plus longue qu’à mon époque ! », remarque-t-il après avoir écarquillé les yeux et sourcillé à l’extrême. Les paupières sont finalement réduites en deux fentes sceptiques, car de cette lecture il ne veut rien rater.  « (…) Uniforme réglementaire de l’école. P.S : veiller à ce qu’il soit finement brodé, auto-repassant, et qu’il puisse réguler la température en toutes circonstances… » Le nez se relève du document et reste un moment immobile tant l’ainé en reste coi. « C’est de la folie ! Même un bégueule de Durmstrang ne porterait pas ça. Je n’arrive pas à croire qu’il s’agisse de la même liste qui était originellement adressée à Père... Elle a indubitablement rajouté ces sottises au dernier moment, quand elle a su que je t’accompagnais. » Bougonnant et fourrant derechef le papelard en poche, il reporte son attention vers l’intéressé. « Eh bien quoi ? Ne peux-tu pas reprendre mes uniformes ? Leur facture est irréprochable, ils ont été faits sur mesure par Madame Guipure mais je suis certain qu’ils t’iraient. » Le puîné, en rien coupable, écope toutefois du ton de reproche que le labre fielleux verse à son endroit. Cette manière qu’a Eleanor de surprotéger son fils attise sans cesse la jalousie de celui qui, pas moins fruit de ses entrailles, s’est senti abandonné dès la naissance du Second. Une plaie béante au grand jamais refermée, une foultitude de non-dits ravalés par ces deux partis que l’ombre d’Aldebaran domine et opprime. Reprenant bon gré mal gré contenance, il ajoute en entraînant à sa suite la stature microbienne. « Soit. Allons te trouver l’uniforme. Mais je te préviens, que Merlin m’en soit témoin s’il le faut, jamais l’on ne t’harnachera comme une greluche. Fais honneur à ton nom, mordiable. »

Et sur ces sympathiques entrefaites d’entrer chez la susnommée, fief en lequel grouille déjà une vaste clientèle. S’embêtant peu d’airs flâneurs, Rodolphus file en amont de la plèbe pour aller trouver au comptoir l’un des sous-fifres commis au labeur éreintant des caisses. « Vous, là. J’aimerais parler en personne à la maîtresse des lieux. » L’olibrius renfrogné lui jette un coup d’œil. « 'vouyez pas que j’suis débordé ? Madame Guipure n’est pas là, r’passez plus tard. — Allons Charles, un peu de tenue. » Éclosant de derrière les boiseries et tentures, une dame aux ridules poupines mais à l’élégance manifeste apparaît, dirigeant ses immensurables talons vers le sylphide. Les lippes pulpeuses et soigneusement rosies de la matrone se taillent un ample sourire. « Ne serait-ce pas là Rodolphus Lestrange ? » Transfiguré, le sorcier dulcifie ses traits en un masque des plus cavaliers, courbant légèrement son râble pour venir galamment saisir la menotte tendue et la gracier d’un baisemain. « Lui-même. » Pour peu, la femme roucoulerait. Ils s’écartent de la piétaille pour venir dans l’arrière-boutique. « Comment se porte votre père ?Comme un charme.Fort bien, fort bien ! Alors dites-moi, que me vaut l’insigne honneur de votre visite ?Il s’agit de mon frère. Il… Rabastan ? » Le garçonnet, planqué dans son dos, se morfond de timidité. Une attitude qui amuse et attendrit la boutiquière, qui pousse des aw parfaitement insupportables à l’oreille de l’ainé. À des lieues de compatir, le jeune-homme empoigne le mouflet et l’oblige à se camper devant lui. « Aurais-tu égaré tes bonnes manières entre Birmingham et ici ?Laissez, laissez, c’est un chou, on le croquerait. » Aux paumes, vissées sur les frêles épaules, de se contracter. Grotesque ! Elle aussi, il la fait fondre. Renforçant l’appui de ses phalanges, il abaisse son menton vers le fameux chou. « Pourquoi venons-nous, Rabastan ? » Aucune pression, vraiment.


Dernière édition par Rodolphus Lestrange le Ven 6 Jan 2017 - 1:05, édité 2 fois
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août 1970, chemin de traverse

Rabastan déglutit en regardant le mur de brique devant lequel son frère l’avait emmené. Il essayait de se détendre, depuis leur départ de la maison, sans trop y parvenir. Sans savoir si c’était de l’inquiétude légitime qu’il ressentait ou bien simplement de l’excitation. Parce qu’il allait sur le Chemin de Traverse acheter ses fournitures scolaires. Il était admis à Poudlard ! Lorsque la lettre était arrivé il avait d’abord mis du temps avant d’y croire. Et ce qu’il avait eu du mal à croire également était très certainement le petit sourire de satisfaction qu’avait eu son père à la lecture de la lettre : preuve s’il en était que c’était un grand jour. Il avait plané pendant deux bonnes heures, avant de comprendre que maintenant il allait devoir sortir pour faire les achats. Et sortir avec son père. La joie était presqu’immédiatement retombée. Puis finalement, il avait été sauvé par son grand frère qui lui avait quitté l’école et qui avait décidé de se charger de son accompagnement. Rabastan avait sept ans d’expérience dans les jambes lorsqu’il s’agissait de ne pas faire paraître son soulagement de façon trop évidente et il garda le long soupir qui bloquait sa respiration pour lorsqu’il fut bien à l’abri dans sa chambre. Puis il s’était glissé jusqu’à son grand frère, dans un des couloirs de la baraque pour lui murmurer tout bas un vague « Merci. » Il lui avait vaguement frôlé sa grande main de ses doigts encore petits avant de finalement s’écarter. Il ne savait pour quelles raisons son frère avait bien voulu se dévouer, mais il l’avait fait, et peu importe l’intention l’important c’était le résultat. Il irait faire ses achats avec son frère. Aucune raison de s’angoisser donc. Respire, Rabastan, respire.

Pourtant il n’a pas encore réussi à se détendre, à croire que l’environnement inconnu en rajoutait une couche sur son inquiétude naturelle. Rodolphus fait bouger le mur de pierre, devant lui. Il écarquille les yeux, de la magie il en a déjà vu, à la maison, mais il n’a pas encore vu de mur bouger et lorsque derrière se dévoile toute une deuxième ville il en reste bouche bée. « Reste près de moi, des bambins disparaissent tous les ans et on ne les retrouve jamais. » Il a comme un sursaut et se rapproche un peu plus de son frère, « Je fais attention promis. » il murmure, obéissant. Si on lui demande de faire quelque chose, il le fait, Rabastan n’est pas du genre à aller chercher midi à quatorze heures pour ce genre de choses. Et il veut bien croire son aîné, ça ne doit pas être trop difficile de se perdre dans cette foule. Alors qu’ils avancent, il regarde autour de lui, aperçoit des gosses qui devaient avoir environ son âge et qui gesticulaient, criaient, s’agitaient. Il se rapproche encore plus de Rodolphus alors que ce dernier sort la liste préparée par Maman : « Que Salazar me taloche la gueule, elle est bien plus longue qu’à mon époque ! » Rabastan a la bouche grande ouverte en entendant son frère causer comme ça « Faut pas dire ça, c’est pas poli… » il marmonne d’une petite voix inaudible. On lui avait appris à bien parler, à bien se tenir et à surtout ne pas jurer comme un sang mêlé. Il n’y avait que son père qui parfois jurait à la maison, mais il avait des bonnes raisons — des histoires de politique, qu’il était trop jeune pour comprendre. Rodolphus est d’ailleurs trop investi dans la lecture de la liste pour écouter son cadet le reprendre sur les bonnes manières. Une liste sur laquelle il bloque, visiblement, comme quoi ce serait Maman qui aurait rajouté des trucs. Rabastan hausse les épaules, tout à fait ignorant des tenants et des aboutissants de l’affaire. « C’est pas la liste officielle ? » il demande toujours de sa petite voix. Il tend vaguement la main comme pour voir lui-même cette fameuse liste mais Rodolphus la fourre dans sa poche : « Eh bien quoi ? Ne peux-tu pas reprendre mes uniformes ? Leur facture est irréprochable, ils ont été faits sur mesure par Madame Guipure mais je suis certain qu’ils t’iraient. » Rabastan baisse la tête « Si sûrement, tout ce que tu veux. » Lui il voulait juste avoir de quoi aller à l’école, c’était tout. Il s’en moquait du pourquoi du comment, il porterait les fringues de son grand père s’il le fallait. « Mais t’es plus grand que moi non ? Père dit tout le temps que je suis petit. » En réalité Rabastan n’était pas si minuscule que ça pour son âge, mais il avait une tendance à se ramasser sur lui-même qui le faisait apparaître plus petit qu’il ne l’était.

Il porte sa main à sa bouche et mord nerveusement son index, il ne se rongeait pas les ongles puisqu’il n’y avait plus grand-chose à ronger mais il se mordait la phalange. Il n’avait pas vraiment envie que Rodolphus soit en colère contre lui, mais finalement le frangin baisse d’un ton et se ravance dans l’Allée alors que Rabastan le suit automatiquement, s’appliquant à bien suivre son pas : « Soit. Allons te trouver l’uniforme. Mais je te préviens, que Merlin m’en soit témoin s’il le faut, jamais l’on ne t’harnachera comme une greluche. Fais honneur à ton nom, mordiable. » Ça c’était quelque chose qu’il avait déjà entendu de nombreuses fois, il hoche la tête : « Oui oui, je ferais bien attention. » sans savoir si c’était là la réponse attendu, mais en cas de besoin c’était une phrase passe partout qui fonctionnait à merveille il avait pu constater. Ils entrent dans une boutique et le cadet continue, tête baissée, de suivre son frère qui visiblement sait très bien ce qu’il fait. Qui sait extrêmement bien ce qu’il fait à en juger par son comportement avec la dame qui, si Rabastan avait bien saisi le principe, était la propriétaire, il n’avait presque jamais eu l’occasion de voir son frère interagir avec des personnes autres que la famille et ça le surprend un peu comme une gifle non méritée. Il devait faire ça lui aussi ? Il n’y arriverait jamais, rien que pour arriver à la cheville de Rodolphus question assurance il lui faudrait bien des années de pratique alors... « Comment se porte votre père ? » Rabastan cligne des yeux et renfonce un peu plus sa tête entre ses épaules alors que son aîné fait tranquillement la conversation avant de finalement se figer pour de bon lorsqu’on prononce son nom. « Rabastan ? » Il redresse doucement les yeux et se trouve presqu’encouragé par la dame qui lui sourit en faisant des bruits non agressifs. Rabastan tente un léger sourire avant de sentir la main du frère le choper pour le foutre devant lui. Le geste brusque de son aîné le pousse à lever le bras machinalement vers son visage mais en ne voyant rien venir il le rabaisse rapidement « Aurais-tu égaré tes bonnes manières entre Birmingham et ici ? » Non, non… iil était sage et poli. « Je suis déso- » « Laissez, laissez, c’est un chou, on le croquerait. » Il reste un instant silencieux, sans trop savoir s’il devait s’excuser ou bien réagir à la remarque de la dame. Un chou ? Sa tentative de sourire s’agrandit un peu. Un chou ? C’était marrant ça, elle le trouvait… chou ? Mais il sent les mains de Rodolphus lui serrerles épaules et déglutit, perdant son sourire dans la foulée : « Pourquoi venons-nous, Rabastan ? »

Rabastan serre ses poings en constatant que ses doigts tremblaient légèrement, et c’est pas bien de trembler, en tout cas personne n’aime ça chez lui et on lui demande toujours d’arrêter son cinéma. Te plante pas de réponse, parce que là Rodolphus pouvait encore plus appuyer et ça pouvait faire mal, s’il s’amusait à viser la clavicule. Même s’il ne pensait pas que Rodolphus ferait ça, non ? A moins que ce ne soit comment ça qu’on faisait, quand on était dehors avec d’autres personnes. Alors te plante pas Rabastan. Pas comme y avait trente six milles réponses possible non plus, mais il avait l’habitude de s’angoisser pour un rien : « On vient pour des uniformes madame. » qu’il fait d’une petite voix avant de tousser et de reprendre un peu plus fort, et sans marmonner « Pardon, on vient vous acheter des uniformes. Pour l’école. » Il tire les manches de sa chemise pour bien couvrir ses poignets « Parce que je vais à l’école. » il continue, enhardi par le sourire de la propriétaire et parce qu’il se sentait plus ou moins légitime pour le coup « J’ai reçu ma lettre. Je vais à Poudlard. » Il aurait été moins fier d’annoncer qu’il venait d’être nommé Directeur de la Justice Magique « Et Rodolphus m’accompagne. Lui il a fini l’école. » Il lève la tête vers son frère en se mordant la lèvre inférieure, comme s’il attendait le verdict « C’est bien ça ? » il souffle beaucoup plus bas cette fois.
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août 1970, chemin de traverse

Un silence plane. Stan ne s’en est pas trop mal sorti. Ça manque encore un peu de cran, mais au moins l’enfant n’a pas affirmé venir acheter un uniforme-auto-repassant-et-régulateur-de-température. Ça aurait pu être pire. Le môme aurait pu bégayer, regarder le bout de ses godasses, se tortiller les doigts jusqu’à se les saucissonner, et finir par chialer à grosses larmes. Rod, lui, ça lui est déjà arrivé. Tout le package d’emblée. Fort heureusement pour son orgueil, le cadet n’était pas encore né. Et ce n’est pas Aldebaran, seul et unique témoin de la mémorable panique vécue ce jour d’avril 1957, qui se serait amusé à déterrer en famille pareil souvenir du cimetière des Hontes Patriarcales. « C’est bien ça », mastique le labre qu’un demi-sourire caresse. Quant à Mme Guipure, elle est perdue. Ses bajoues tremblotent comme si un long et puissant ronronnement dérangeait sa poitrine, et ses yeux abrités derrière une immense paire de lunettes luisent aussi ardemment que deux astres. La voici qui, le teint rosi par on ne sait trop quel plaisir, se met à babiller pléthore d’éloges congratulant le novice, laïus auquel le jeune adulte ne prend pas garde puisque, déjà, un mètre vient s’agiter tout autour de son puîné pour en prendre les mesures. Il s’écarte, moins par politesse que par crainte de se prendre un coup de fouet – c’est que l’objet a la bougeotte ! La taille de Rabastan est littéralement prise sous toutes les coutures avant même que l’ainé n’ait eu à confirmer la commande d’un costume sur-mesure ; c’est semble-t-il une évidence, lorsqu’on porte l’auguste nom de Lestrange. Une plume et un épais opuscule sautent dans les menottes de la couturière pour en saisir les résultats. Elle étouffe un petit rire. « Tiens ! Il est un peu plus grand que vous, lorsque vous aviez son âge. » À croire que Fille Guipure a retenu toutes les mensurations des clients de Mère Guipure, ou bien est conservé dans ce grimoire l’anthropométrie du monde sorcier depuis Morgane seule sait combien de générations et pour combien de familles. Le mètre ensorcelé abandonne son sujet d’expérimentation pour s’en aller vaquer ailleurs, tandis que la boutiquière demande au garçon de grimper sur un tabouret avant de s’esbigner vers la réserve.

Rodolphus s’avance à son encontre, placé juste à son côté, face au miroir et auscultant d’un air faussement grave le reflet de la silhouette fraternelle qui, ainsi hissée, arrive pratiquement à sa hauteur. « Alors comme ça, tu as décidé de me dépasser ? » Le timbre est suspicieux, mais la figure est bien trop vite débarrassée de sa tension pour que le ton employé ait été le moins du monde sérieux. « J’avais tort. Mes uniformes ne t’auraient pas allé. » Une pointe de fierté dévale sur ses lippes, imaginant le grand jeune-homme que, dans plusieurs lunes, deviendrait ce bout de chou. Ses commissures flanchent derechef sous le retour d’une risette et il est long, le temps que mettent ses orbes à contempler le benjamin. Ces dernières années, il les a passées à fuir la demeure de Birmingham, à fuir un ogre de père éructant çà et là ses humeurs de despote. Tant de vacances à sillonner le pays, à trouver refuge auprès des Black, à prétendre, à se faire violence pour honorer ces mêmes racines l'étranglant calmement. Il se souvient avoir détesté ce bonhomme, l’avoir méprisé pour être devenu non pas un allié, mais un fardeau, trahissant la promesse de cette accalmie sur laquelle il avait cru compter à la naissance du second. C’est toujours plus facile, haïr. Davantage lorsqu’on ne croise pas l’objet abhorré. Le visage devient un prénom, et le prénom un sentiment. Rabastan a longtemps été synonyme d’âcreté. Pourtant, aujourd’hui, Rod a vu quelque chose, un infime bouleversement ayant néanmoins brisé ses plus solides certitudes. Cette gestuelle épeurée amorcée par deux petits bras, ce réflexe trop incongru pour que, cette fois, il reste opiniâtrement aveugle. Ses ridules deviennent songeuses, elles perdent de cette mine folâtre plus tôt grimée et les sourcils se froissent en tordant son front de rides soucieuses – prématurées sur un si jeune portrait, diraient certains. Le contact avec le regard du reflet est dès lors perdu. « Dis-moi Rabastan », trop basse pour être pleinement assumée, la phonation de l’ainé vient trouver refuge dans la seule ouïe pouvant l’entendre. « Comment est-ce, à la maison, lorsque je ne suis pas là ? »


Dernière édition par Rodolphus Lestrange le Ven 6 Jan 2017 - 1:05, édité 1 fois
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août 1970, chemin de traverse

Rabastan laisse échapper un long soupir lorsque son frère lui lâche un demi sourire et se détend considérablement ; il répond à son tour au rictus de son aîné avec un léger battement des paupières, un des signes récurrent utilisés par Rabastan pour montrer qu’il était content, c’était son sourire à lui. Il respire encore plus facilement lorsque la dame semble à moitié s’extasier devant ses paroles, comme s’il venait de réciter une prière à la Vierge Marie. Il ne saisit pas tout ce qu’elle dit, trop occupé à rester étonné de voir que quelques mots peuvent attirer autant de sympathie de la part d’une inconnue. Chez lui c’est sa maman qui peut, à l’extrême rigueur, le complimenter, et encore, pas trop souvent. Parce qu’il faut pas pousser non plus, il est gentil et poli mais comme qui dirait son père ce n’est pas non plus pour ça qu’on devrait lui décerner une médaille. Il était juste bien élevé, manquerait plus qu’il fasse mauvaise impression en public. Il ne trouve pas vraiment de choses à répondre alors quand la bonne femme se répand en petites remarques appréciatrices et qu’un mètre ruban magique s’agitait autour de lui pour le mesurer. Elle rit alors que le mètre finit par s’arrêter et fait remarquer à Rodolphus que son petit frère n’était apparemment pas si petit que ça. Les yeux de Rabastan s’écarquillent un instant, surpris d’entendre que Rodolphus était plus petit que lui. C’était pas vraiment le refrain qu’on lui sortait à la maison, mais après… La dame s’en va, après lui avoir demander de se bouger jusqu’au tabouret, sur lequel Rabastan se perche, en équilibre, en testant nerveusement si le petit meuble était oui ou non bancal. Il sentait la présence de son frère à coté de lui mais avait du mal à redresser la tête pour croiser son regard dans le reflet. « Alors comme ça, tu as décidé de me dépasser ? » Il le regarde un moment avant de finalement regarder de coté lorsque son frère laisse échapper qu’il n’aurait pas pu récupérer ses uniformes. « Toi t’avais onze ans quand tu es venu… moi j’en ai presque douze. C’est sans doute ça. » ça le dérangeait un peu trop qu’on essaye de lui faire croire qu’il était plus que son frère sur un point. Il était pas souvent là Rodolphus, pour ne pas dire quasiment jamais ; ça avait été facile pour lui de hisser l’aîné sur un piédestal, surtout lorsqu’on lui répétait à longueur de journée que Rodolphus, lui, avait fait ci, et ça, que Rodolphus, lui n’aurait jamais balbutier comme ça, n’aurait pas marché de travers comme ça, n’aurait pas laissé une marque de doigt sur le miroir ou autre…

En réalité Rabastan avait du mal à croire qu’il était de la même famille que ce garçon si parfait qu’on lui décrivait. Mais là il était juste à coté, ils étaient seuls, et pas enfermés dans la chambre de Rodolphus, seuls dans un espace autre que celui de la maison. C’était une sensation étrange. Rabastan essaye de s’imaginer comment ses achats auraient pu se passer si ça avait été la silhouette paternelle dans son dos mais ses pensées bloquent, il suppose que tout aurait été très rapide. Aldebaran n’aime pas afficher son cadet, il ne l’affiche même jamais pour ainsi dire, et même dans les autres familles amies de la sienne où il avait pu aller, on lui avait toujours demandé de rester discret, de ne pas parler. Moins il se faisait remarquer, mieux c’était pour tout le monde, et c’était si facile de se cacher dans l’ombre de son père. Il se demandait comment ça avait été pour son grand frère, toute cette période avant sa scolarité. Rabastant avait été trop petit pour s’en souvenir. Il regarde le sourire de son frère s’effacer, avant de le voir ciller dans le reflet du miroir. « Dis-moi Rabastan » il retient son souffle un instant, c’était le genre d’entrer en matière qu’il n’aimait pas. Pour être honnête il n’aimait pas vraiment quand on lui parlait, ou surtout quand on lui demandait de parler. Le fait que la voix de Rodolphus soit plus basse que d’habitude ne le rassurait pas non plus. « Comment est-ce, à la maison, lorsque je ne suis pas là ? » Pour le coup il se retourne complètement, pour le regarder en face à face : c’est vrai que juché sur un tabouret il n’est pas si petit. Il ouvre la bouche avant de la refermer, sans savoir quoi répondre.

C’était une question piège ? C’était ça, le truc ? Comme le gamin allait être loin de la surveillance parentale pendant un an entier on voulait voir comment il allait répondre à certaines questions basiques ? Rabastan ne savait pas ce que c’était vraiment que la paranoïa, mais on aurait déjà pu le taxer d’en être un. Il décide de jouer la sécurité, c’était toujours ce qu’il fallait faire, et finit par hausser les épaules : « Ben c’est… la maison. » il répond, assez bas lui aussi, dans un système de mimétisme enfantin « ça… va. » Il avait du mal à mentir, parce qu’il ne fallait surtout pas mentir chez lui. Mais ça va était quelque chose qu’il savait répéter jusqu’à la nausée. « Tu manques à maman. Becky est gentille et Père travaille. » Le résumé parfait qu’il pouvait ressortir encore et encore. En vrai ça le fait paniquer. Il regarde Rodolphus, il se dit qu’il est débile de lui mentir. Il sait non ? Enfin il doit savoir que… ça ne va pas. Est-ce qu’il veut juste vérifier que le cadet pourrait éventuellement assez bien mentir pour que personne à l’école ne puisse se rendre compte qu’il y a griffon sous baguette ? Ou bien il voulait la vérité ? Son menton tremble : « Pardon, je ne sais pas ce que tu veux que je dise. Pardon… » Il porte sa main à sa bouche, se ronge l’ongle nerveusement.
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août 1970, chemin de traverse

Brisé. Ce petit gars est brisé. Le portrait que lorgne l’ainé ressemble à ces épaves que l’on constate parfois voguer sur les visages surannés. Cet enfant n’a pourtant pas plus de quelques hivers, et, déjà, la vie l’a tabassé. Ordinairement insensible à ce que l’Humanité a à implorer, sectaire des peines tel qu’un mécène courtise les arts, Rodolphus plie ses ridules car toutefois vient le trouble. Ça ne va pas, non. Il ne rentre pas assez chez eux pour constater les pleins dégâts mais le peu de temps qu’il passe là-bas lui a amplement suffi pour comprendre. Comprendre que les palabres déçues du patriarche, jadis ânonnées à l’ombre du marmot, se sont très vite transformées en une émeute de gestes. À dire vrai et jusqu’alors, le sort de son puîné l’importait peu ; quelques baffes et coups de grolles au cul n’ont jamais tué personne. Pourtant ce calvaire n’a rien de prosaïque, rien de totalement légitime. La perfidie du Père s’élève à un certain degré sadisme. ‘Et alors quoi ?’, aurait rétorqué l’héritier, quelques années auparavant. Et alors on ne touche pas au sang de son sang, sous prétexte que les illustres attentes ne sont pas entièrement comblées. Rabastan n’a plus rien d’un cracmol, et pourtant l’on s’acharne. Toutes les lettres d’admission n’y feront vraisemblablement rien. Un violente compassion pour ce frère dont il avait quasi renié l’existence éclabousse soudain les orbes du jeune-homme, parce qu’il sait, lui, ce que c’est que de se faire sans cesse chouriner la volonté par cet intraitable Créateur. C’est usant. C’est mortifiant. Il a longtemps pris les lacunes de son cadet pour de la faiblesse, et il l’a longtemps méprisé pour ça – pour cette traitrise. Ce n’est néanmoins pas un air froid qui gravit son faciès à l’écoute des excuses, tout au plus une impavidité sévère qui refuse de voir le garçon céder comme il a pu céder devant leur Goliath. « Ça va, arrête. Là où tu vas, il n’y a que les avortons qui bafouillent des excuses. » Le port droit et la mine grave peuvent faire croire à un arrêt brut de tout échange. Mais la voix toutefois poursuit, lors même que les yeux se braquent sur le reflet du gamin. « Ne me prends pas pour Père. Je n’ai rien d’un ennemi. »

À la confession murmurée sans fâcherie s’adjoint la venue de Guipure. L’aparté a jeté un curieux silence dans lequel la tailleuse se coule comme un bovin dans une tasse de thé. Ses lunettes cherchent la silhouette de l’éphèbe mais celui-ci s’est éloigné vers les boutons de manchette qu’il examine sans grande passion, mains nouées sur le râble. Le court huis-clos avec son benjamin l’a plongé dans une grisaille effarante annihilant toute patience et galanterie chez lui ; ces marivaudages ne lui ont de toute manière jamais plu, sortes de singeries armoriales devant être respectées du berceau au tombeau dans l’aréopage qui l’a vu naître. De bien belles foutaises scrupuleusement honorées au fil des ans, une discipline – comme toutes celles jugées nécessaires par Aldebaran Sr – apprise et répétée, répétée, répétée. Certaines mains serrées ou baisées, il rêve parfois de les arracher et les donner à grailler à quelque porc qui soit. Un coup d’œil est jeté par-derrière épaule. La propriétaire tourbillonne autour de Stan, dorénavant affublé d’un costume réglementaire à l’étoffe comme de convenu raffinée. Quelques derniers ourlets sont repris et l’hyperactive donzelle se risque une risette à l’encontre de l’ainé des Lestrange. Il répond un sourire policé, sitôt remplacé par une noire exaspération quand au duo il tourne derechef son dos. Qu’ils en finissent. La plèbe se pressant ici, son charivari et ses effluves capiteuses malmènent son flegme que les mots de l’enfant ont dérangé. Il est agacé. Agacé par ce cette sollicitude qui l’ébranle. Cette inhabituelle inquiétude déboulant peu à peu. C’est comme si… dix-neuf ans d’anxiété ravalée venaient de trouver une réciprocité inattendue chez cet agrégat d’angoisses. Rabastan n’est après tout pas bien différent de lui, chacun connaît sa leçon et chacun la récite par-cœur. … ne seraient-ils en fin de compte que de bons chiens bien éduqués ? Des clébards nés pour une seule chose, obéir à leur Maître. Grande et belle parentalité que voilà. Chapeau-bas l’artiste. Les lippes répriment un rictus. Guipure en a terminé.

* * *

Le costume minutieusement roulé et une pile de livres fraîchement achetés lévitent aux côtés de l’adulte. En passant près de la vitrine des accessoires de Quidditch, Rodolphus a craqué sa mâchoire d’une mimique froissée sans faire la moindre halte, avant d’emmener le puîné chez l’Apothicaire et d’en ressortir avec une pléiade de fournitures soigneusement choisies par ses soins. C’est finalement devant l’illustre établissement des Ollivander qu’il immobilise son pas et qu’il daigne enfin regarder le môme – car il n’y a pas à dire, depuis leur discussion chez Guipure, les mots se sont faits rares, plus encore les confrontations. Oh, il sait, oui. Que dans cette petite cabèche, c’est la panique. Ses orbes vont de l’enseigne au museau juvénile. « J’ouvre les paris. Bois de tremble et plume de phénix… » Un sourcil s’arque. « Non. Attends. Bois de rose et… moustache de troll. T’aurais l’air fin, avec ça. » Ça se veut badin. Mais détendre l’atmosphère, avec cette boule de névroses, s’avère sensiblement laborieux. « Ne fais pas cette tête, si je me trombe, je te paie une Bièraubeurre », par pitié, n’importe quoi qui puisse dérider ce garçon ou, mieux, lui tirer un semblant de sourire.
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août 1970, chemin de traverse

La réplique de Rodolphus le force à correctement se redresser, instinctivement. Et à laisser sa main retomber contre son flanc. « Ça va, arrête. Là où tu vas, il n’y a que les avortons qui bafouillent des excuses. » Il hoche la tête, en résistant à la tentation de s’excuser de nouveau, il savait mieux que ça. Il baisse les yeux, sent des picotements dans sa nuque et serre le poing, la respiration coupée mais finalement, lorsqu’il constate qu’il ne se passe rien, il finit par expirer et par redresser lentement la tête pour se retourner vers le miroir. Il croise de nouveau le regard de son frère « Ne me prends pas pour Père. Je n’ai rien d’un ennemi. » Il frissonne et la paume de sa main vient serrer un bref moment ses côtes avant de revenir contre sa taille. « Je sais… » il murmure. Sans trop y croire pourtant. Bien sûr que jamais Rodolphus ne l’avait frappé, mais… Il déglutit. Il reste muet, se demandant si son frère allait reprendre la parole mais la dame revient, et il du coin de l’œil il le voit se retirer discrètement. Ne me prends pas pour Père, les deux n’étaient pas comparables, Rabastan avait au cours des années développé ce sixième sens qui l’avertissait de la présence paternelle, qui lui permettait même de sentir lorsque ce dernier était de mauvaise humeur avant même que maman ne s’en rende compte. Il avait appris à détecter tous les signes, à analyser tous les mots, tous les légers tics faciaux, toute sa gestuelle. Rabastan avait toujours mal au ventre et la nuque raide lorsqu’il était dans la même pièce que son père, il avait toujours froid dans ses bras et dans sa poitrine quand il devait lui parler. Évidemment que ce n’était pas le cas avec Rodolphus, mais…
La propriétaire lui dit des mots gentils, il la regarde et lui fait un sourire, avec ses dents bien blanches. Elle tend la main vers sa joue pour la pincer mais un mouvement de recul l’en empêche « Attention petit chou, va pas tomber. » Il hoche la tête « Merci, pardon. » Elle a un petit rire et reprend son travail, alors qu’il reste droit, sans se balancer. Il tourne parfois la tête pour regarder Rodolphus, qui semble s’ennuyer comme un rat mort. Et encore. Ça le saoulait de venir… mais pourtant. Il était venu. C’était pas simple du tout, les rapports fraternels, trop d’écart d’âge, trop d’écart en magie évidemment, trop d’écart en tout. Maman préférait Rabastan, Père préférait Rodolphus. Les deux fils s’en rendaient parfaitement compte. À chaque fois qu’il revenait à Birmingham pour les vacances, Rabastan scrutait presque chaque rapport que son aîné avait avec leur mère, pour être certain qu’il n’allait pas lui prendre la seule alliée qu’il avait, si on oubliait Becky, lorsque son père décidait de s’énerver. Quand Rodolphus revenait, Rabastan grattait à sa porte dans l’espoir qu’on le laisse entrer, pour qu’il puisse passer une heure ou deux en toute sérénité, couché sur le lit de l’aîné pendant que ce dernier était à son bureau, en train de regarder le plafond, de l’écouter raconter des histoires sur Poudlard… Parfois on lui ouvrait, parfois on l’ignorait. Quand l’aîné était de retour à la maison, Rabastan respirait, parce qu’il n’était plus le seul fils sur lequel se concentrer et Aldebaran était souvent trop occupé à s’occuper de son premier né pour faire gaffe au cadet. Mais quand malgré tout, ça pétait, il regardait son frère.
Il n’en voulait pas à aîné de ne pas pouvoir l’aider.
C’était de sa faute aussi s’il était nul et incompétent et un mauvais fils, pas de la faute de Rodolphus. Cependant il ne pouvait pas s’empêcher de lui en vouloir.

Finalement la dame lui ébouriffe les cheveux du bout de ses doigts et lui fait un sourire « Ce sera tout mon lapin. » Les deux Lestrange finissent par quitter le magasin, dehors il fait chaud et Rabastan reste toujours les yeux écarquillés face à toutes les personnes qui se trouvent là. Son frère ne lâche pas un mot, et il l’imite dans son silence. Il peut rester plusieurs heures voire jours sans parler si on ne lui en donne pas l’occasion, alors ça ne le dérange pas. Les achats se passent donc dans un calme silence, assez rapidement. Rabastan se rend bien compte que la liste s’amenuise et il constate que sa boule dans le ventre est bien moins importante ici qu’à la maison. Alors il commence à ralentir légèrement le pas. Même si son frère lui continue d’avancer tambour battant. Il aimerait bien que ce moment, même s’il était silencieux, même s’il pouvait être lourd, dure encore et encore. Rien que pour éloigner le moment où ils devront rentrer à Birmingham. Finalement ils s’arrêtent devant la boutique de baguette magique. C’était l’étape la plus stressante, à ce qu’on disait c’était la baguette qui choisissait son sorcier et la seule crainte de Rabastan c’était d’entendre qu’aucune ne lui conviendrait. Ce qui n’aurait pas été si étonnant que ça. Rodolphus ouvre finalement le bal, alors que le cadet regardait l’unique baguette posée en vitrine comme s’il allait être frappé par la grâce divine « J’ouvre les paris. Bois de tremble et plume de phénix… » Rabastan le regarde, en haussant les sourcils, un pari… sur sa baguette ? Il n’avait pas vraiment idée de ce que les bois où les cœurs pouvaient signifier. Il savait juste que son père avait une baguette avec un ventricule de dragon et sa mère un crin de licorne. « Non. Attends. Bois de rose et… moustache de troll. T’aurais l’air fin, avec ça. » Il se fige, les yeux grands ouverts. C’était possible que certaines combinaisons soient… ridicules ? Ça allait être pour lui alors. Tout comme il était persuadé qu’il allait se faire répartir à Poufsouffle, pour ensuite se faire dégommer par son père. Ce genre de choses c’était toujours pour lui. « Tu cr- » « Ne fais pas cette tête, si je me trompe, je te paie une Bièraubeurre. » Il cligne deux fois des yeux, rapidement, sa façon de montrer qu’il était d’accord avec ce qu’on lui disait, avant de finalement ouvrir la bouche « Tu crois que… » il déglutit « je vais avoir une bonne baguette ? » En réalité ce qu’il demandait surtout c’était il se passe quoi si ma baguette est minable ? Il regarde son frère et pointe sa propre baguette du doigt « On te l’a pas acheté celle là hein ? » Il savait que Rodolphus n’avait pas été chez Ollivander pour avoir sa baguette « Dis, Rodolphus… Si jamais y a rien qui me va, est-ce que tu pourrais en acheter une même au hasard ? » S’il rentrait sans baguette il allais se f-
Ils pousse la porte de la boutique, tout est silencieux et de longues boîtes sont empilées les une sur les autres jusqu’au plafond. Un homme apparait soudain, de l’arrière boutique, alerté sans doute par un sortilège d’intrusion et Rabastan sursaute. « Bonjour, bonjour. Les frères Lestrange. Eh bien eh bien… » Il a une voix basse et Rabastan regarde son aîné, en se demandant comment l’homme faisait pour les connaitre, ils n’avaient tout de même pas leur noms gravés sur leur front. « Vous venez pour une baguette. » Lorsqu’il se rapproche, Rabastan se colle un peu plus contre son frère, le vieil homme lui fait peur et le met mal à l’aise. Mais il n’attend même pas de réponse, déjà il lui en met une dans les mains. « Bois de cerisier, 27.6cm, cœur en crin de licorne très souple, voyons voyons. » Rabastan reste avec la baguette entre les mains, sans savoir quoi faire et quand Ollivander imite un mouvement brusque avec son poignet, Rabastan fait de même. Il sent comme une bref fourmillement dans ses doigts et toute une étagère s’écroule par terre dans un immense fracas. Il fait un pas en arrière, lâche la baguette. « Pardon, pardon… » Il recule jusque derrière son frère « Je suis désolé pour votre étagère, je suis désolé. »
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août 1970, chemin de traverse

Une certaine circonspection lui soulève un sourcil lorsque le bambin requiert son aide hasardeuse. L’interrogation tombe à terre sans avoir le moins du monde été relevée par l’éphèbe qui devant un tel désarroi ne saurait que dire. Faut-il être insane – ou définitivement apeuré – pour pouvoir imaginer un tiers choisir aléatoirement sa compagne de toute une vie. Pareil blasphème corromprait tout de l’osmose censée lier sorcier et baguette. Les lazurites tutélaires suivent la petite carrure entrer dans la boutique à l’identique d’un gypaète surveillant le parcours d’un lapin trop grêle pour servir de festin, avant qu’un soupir ne ponctue la coite observation. À son tour cependant il emboîte le pas du garçonnet pudibond, pénétrant un parage que l’odeur de renfermé habite sans nul doute. Pour tout comité d’accueil, d’immensurables étagères aux ombres laconiques reçoivent la paire de frangins, et les sons de la rue marchande assourdis fissa plongent les visiteurs dans l’ambiance d’une tanière. Malgré son âge, c’est une première pour le jeune adulte qui, comme l’a si bien fait remarquer son puîné, n’a jamais eu à traîner ses savates de ce côté-ci du Chemin – grand-père Alioth en soit loué. Aussi est-ce avec une certaine curiosité que son regard roule çà et là sur le décor austère et obombré, louvoyant sur telle boîte aux absconses inscriptions, s’égarant vers tel recoin anguleux, incisant telle vitrine ; jusqu’au moment où le maître des lieux ne daigne enfin apparaître. Qu’il reconnaisse leur trogne n’étonne qu’à moitié l’héritier. Il y aurait un millier de réponses sachant éclairer semblable bizarrerie, à commencer par la disposition notoire des mages à surprendre leurs congénères par quelques étranges faits des plus inexplicables. Ou bien alors, lui et son frère ressemblent à s’y méprendre à leur père – auquel cas l’idée le rebuterait franchement. « Monsieur », salue-t-il courtoisement l’artisan. Assurément. Ils ne viennent pas acheter des chaudrons, mais une baguette… L’adhésive présence du cadet achève de l’exaspérer, individu que les intrusions importunes en son espace vital tarabustent aisément et qui en ce milieu de journée atteint déjà son quota de tolérance. Sa mâchoire se fend de creux raidis que pourchassent ses canines, longs crocs mâchant l’intérieur de ses joues comme le moucheron continue de s’agglomérer à ses frusques. Le présent d’Ollivander rejoint les menottes de Rabastan, et il profite de l’opportunité pour s’écarter du tandem non sans penser à établir un certain périmètre de sécurité. N’avoir jusqu’alors jamais mis les pieds chez le fabricant ne l’empêche pas de connaître les fâcheux phénomènes survenant parfois lors des premiers essais. Et ça ne rate d’ailleurs pas. Un malheur n’arrivant jamais seul – car il faut reconnaître que l’amalgame cerisier + licorne est quelque peu affligeant –, l’apprenti décide de réaménager le commerce à grand coup de plumeau. Sourcillant face à la légère calamité commise, Rodolphus braque derechef ses yeux contre l’effigie du grison. Serait-il sénile, le vieux façonnier…? Ne lui aurait-on conté qu’un ramassis de sornettes…? La légende de l’habile créateur flairant du premier coup l’harmonie des flux serait-elle surfaite…? Voilà qu’en plus la panique du petit s’accroît et que ses babines grelottent.

Sans demander leur reste, l’aîné décide de prendre congé en signant un mouvement sec du chef. « N’y voyez rien de personnel, mais j’ai deux mots à lui dire. » Et cette fois au frère de s’adresser. « Repose. » C’est bien de la baguette, dont il est question. Une fois fait, trois doigts repoussent le benjamin dehors. Le chant de carillon trahit leur sortie et les voilà de retour sur le pavement populeux où leur silhouette fait immédiatement halte. Dans un quant-à-soi manifeste, le premier-né toise son interlocuteur. « Que t’ai-je dit à propos des excuses. » Parfaitement rhétorique, la devinette cinglante se perd dans un rictus las. Après de longues secondes à jauger l’enfant, il finit par s’accroupir et adopter de fait la même hauteur en campant un genou à terre tandis que sur l’autre cuisse est nonchalamment posé le bras droit. « Regarde-moi. » La phonation s’est adoucie sans pour autant tomber dans le confort qu’est la pitié. Les prunelles juvéniles tardent à fixer leurs jumelles mais il n’abandonne pas pour autant la scrutation tenace des calots fraternels ; jusqu’à ce que, enfin, les visions ne s’affrontent totalement. « Bien, » acquiesce-t-il avec égard, comme s’il saluait l’aplomb du bonhomme. Et de poursuivre avec calme, sans ciller et surtout sans laisser le soin à l'apeuré marmot de faire papillonner ses globes ailleurs. « Je sais que tu as peur. Je sais que tu as mal. Tu n’es qu’un gamin et pourtant, ton cœur souffre déjà comme celui d’un vieil homme. Je n’ai aucune idée de ce que tu peux exactement ressentir, et je ne sais pas comment tu le vis. Mais je ne te laisserai pas devenir ce pitoyable garnement que Père croit avoir engendré. Pas plus que je ne te laisserai te morfondre dans cette détresse qui est la tienne. Cette année, tu rentres à Poudlard. Tout va changer. Tout doit changer. » De sous manteau, il saisit la bourse emplie de pièces leur ayant permis l'emplette des fournitures scolaires. Il la lui tend. « Respire un bon coup et retourne-y. Il y a là-dedans une baguette qui t’attend et elle se fiche pas mal de savoir si Aldebaran Lestrange ou quiconque d’autre sera d’accord avec elle. Ça s’appelle le culot, et je te souhaite d’en avoir un jour. » Les Gallions cliquètent dans la paume qui les recueille. « Il est temps que tu prennes les choses en main. » Ce n’est pas en se cachant dans les jupons de leur mère ou dans les plis de sa cape que le chérubin risque de démasquer son potentiel – car il en a un, et son frère y croit dur comme fer. Cet alliage de maladresses n’est qu’une voilure éclipsant l’intellect affiné du malheureux. « Je t’attends ici », achève-t-il, une promesse qu’il respecte aussitôt en coulant son râble contre le mur de l’atelier et en croisant ses bras.
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août 1970, chemin de traverse

Il ferait peut-être mieux de rester chez lui en fin de compte. Il allait saouler tout le monde à l’école, et on finirait par le renvoyer et ce serait encore pire. Il saoulait déjà son frère, il le voyait bien, alors que c’était son frère, il était habitué à Rabastan. Alors qu’il s’est stratégiquement replié derrière la grande silhouette du frangin, la voix de celui-là claque sèchement et Rabastan se demande si en fait il n’aurait pas mieux fait de se planquer derrière le vendeur — mais arrête de penser comme ça ça énerve ! « Repose. » il avait repris la baguette qu’il avait laissé tombé, obéissant il la remet, du bout des doigts sur le petit comptoir, avant de se laisser entraîner à l’extérieur. Il ne l’emmène pas bien loin, juste à l’entrée. Rodolphus est un plus petit que leur père, mais il n’en reste pas moins gigantesque de son point de vue de gamin, Rabastan déglutit et regarde un point sur les pavements, vers la droite. Il entend la voix de son aîné « Que t’ai-je dit à propos des excuses. » Déso- Il prend une longue inspiration, pour s’empêcher de laisser échapper le moindre mot. N’empêche qu’il était désolé — c’était énervant, ça, c’était compliqué. Il ne savait jamais quand il devait s’excuser et quand se taire : parce que parfois s’excuser c’était de la chouinerie, et parfois ne rien dire c’était de l’insolence. Cerner cette attente là était difficile et il avait l’impression qu’on s’appliquait à attendre le contraire de ce qu’il faisait. Finalement il sent Rodolphus se mettre à son niveau « Regarde-moi. » Il inspire encore une fois, expire, et derrière ses lèvres closes serre les dents avant de tourner ses yeux vers les siens. Ils ont presque les mêmes ; ils les tiennent de leur mère. Ça le rassure un peu, parce que les yeux de maman sont plus gentils que ceux de p- « Bien. » il n’a pas la voix de maman par contre. Mais il n’a pas l’air si énervé. Rabastan cligne comme pour le remercier de son ton calme et où on pouvait trouver des pointes de bienveillance. « Je sais que tu as peur. » Il ouvre la bouche, ne sait pas s’il doit nier ou bien au contraire se taire. Il est finalement obligé de se taire puisque Rodolphus continue. Ses yeux s’écarquillent et, mal à l’aise, il a envie de partir et d’échapper au regard de l’aîné. Mais il a trop peur de détourner les yeux à ce moment là, encore plus de bouger. Il passe machinalement sa main sur ses côtes gauches. « Cette année, tu rentres à Poudlard. Tout va changer. Tout doit changer. » Il inspire une nouvelle fois et ses yeux brillent un peu plus : il espére bien que oui, tout va changer. Il avait juste espérer que ça se serait amélioré un peu avant, quand il avait reçu sa lettre, ou encore avant, quand il avait enfin montré ses pouvoirs. Mais oui, loin, perdu en Ecosse, c’était certain que ça allait changer. Il hoche la tête. Puis Rodolphus lui donne l’argent : « Respire un bon coup et retourne-y. » Il prend la bourse et détourne le regard pour regarder la boutique. Le nom de son père le fige un peu — il a pas l’habitude d’entendre son prénom, dans la bouche de Rodolphus c’est encore plus étrange. « Ça s’appelle le culot, et je te conseille d’en avoir un jour. » Rabastan fronce légèrement les sourcils : il n’avait jamais parfaitement compris ce que signifiait ce mot, mais lorsqu’à la maison on le regardait en disant : Quel culot… c’était rarement suivi d’une remise de médaille. Il avait machinalement associé ça avec l’insolence. Il baisse un peu les yeux et fait rouler les pièces dans sa paume, ça calmait de faire tourner des objets dans ses mains. Il fait glisser une pièce entre ses doigts, la fait passer à l’autre doigt… « Il est temps que tu prennes les choses en main. » Il relève un peu la tête « J’y vais. » il souffle « Je t’attends ici. » lâche son frère en s’adossant contre le mur de la boutique. Rabastan reste un instant à l’observer avant de finalement avancer vers la porte. Il se tourne vers son aîné : « Je fais vite. » il promet, peut-être parce qu’il a peur aussi de sortir et de ne retrouver plus personne dans la rue, à ce stade là il ne pourrait pas en vouloir à Rodolphus de le lâcher carrément, lui-même aurait fait la même chose s’il avait dû se trimballer un tel boulet. Finalement il ouvre la porte pour disparaître de nouveau dans la boutique.




Il ressort un quart d’heure plus tard. Il a un petit sourire. Et son frère est toujours là — il tend la boîte dans laquelle se trouve la nouvelle acquisition dans la direction de son frère « J’en ai eu une ! » Plus que ses lèvres qui s’étirent dans un petit ris, ce sont ses yeux qui ont l’air joyeux. Il ouvre la boîte et en sort la baguette pour la montrer à son aîné « Regarde… j’ai dû en essayer quatre avant ! Mais je n’ai rien refait tomber. » Sa voix baisse un peu « … il m’a dit que c’était pas grave et que ça arrivait tout le temps. » Rabastan se retourne vers la porte « … il était vraiment gentil. » Il avait surtout une voix toute douce et des gestes extrêmements posés. Rabastan, seul avec lui, n’avait pas du tout eu peur, en fin de compte. Il pose la boîte par-dessus la pile de bouquins et fait rouler la baguette contre la paume de sa main, la prend d’abord de la main gauche avant, après une petite hésitation, la reprendre de la main droite. « Il a dit que c’était du roseau, avec un ventricule de dragon et elle mesure… » il ferme les yeux un instant « 25 centimètres et quelques. » Il a les yeux rivés sur l’arme. « … j’en ai une. » qu’il répète « c’est la mienne. » Il regarde de nouveau la boutique, il aimerait bien y retourner et juste… passer plus de temps avec le propriétaire, qui était gentil. Mais maintenant qu’il avait le Saint Graal ils allaient devoir retourn- il perd son sourire avant de se rapprocher de Rodolphus pour lui attraper la manche « T’as dit que si tu te trompais tu me payais un truc à boire non ? » il fait, avec un peu d’espoir « tu t’es trompé alors ?... on peut ? » Sous-entendu, j’ai pas envie de rentrer, on peut rester ?
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août 1970, chemin de traverse

Moins d’une minute après que son cadet se soit derechef introduit dans l’échoppe, une grappe de jouvenceaux est venue molester sa quiétude retrouvée. Il a eu beau laisser ses yeux dardés sur les toitures en entendant son nom hélé dans la foule – chose qu’il tient en horreur, il a eu beau garder son exacte position à l’approche de l’essaim – l’espoir donne des ailes, et il a eu beau ignorer les entités lourdaudes se presser tout autour ; ces couillons ont quand même insisté. Les voici donc, étalant mines goguenardes et morgues outrancières, piqûres frappées d’or et couleurs salazariennes, eux qui sont les dauphins de l’Élite, les dépositaires d’une caste à la préséance nobiliaire, eux qui sont… chiants à crever. Et dire qu’à une époque, il a voulu ressembler à ça, un mouton excellemment bien dressé, observant avec étroitesse le décorum d’un rang non plus honoré dans la grandeur mais dans la gloriole. Quoique les temps aient quelque peu changé, puisque cette nouvelle génération le débecte davantage qu’il ne dépréciait jadis ses anciens camarades et (pas si) lointains cousins. C’est comme si elle s’était délestée des notions les plus cardinales pour ne ménager que le pire de ce que l’aristocratie sorcière peut édifier ; risettes puantes, diction de puterelle bien baisée, fatuité constante et illégitime, goût pour le clinquant et le m’as-tu-vu, et cætera, et cætera. Et dans ces brochettes de minaudières, pas un seul qui n’en vaille vraiment la peine, pas un seul qui ne soit foutu de révérer les traditions, les vraies. Le pire dans tout ça ? C’est que ces putois l’adorent. « Ça alors, Lestrange, on te croyait parti ! » Lui, par exemple, ce môme de quoi, allez, treize berges, il reconnaît à peine sa gueule et le voilà prompt à l’accoster comme s’ils avaient élevé des Bandimons ensemble. « Malcolm », qu’il salue, aussi aimable qu’une taloche. L’une des tâches les plus assommantes dont il ait eu à s’acquitter en tant que Préfet-en-chef, ça a été de retenir tous les bon sang de patronymes de sa Maison. L’autre n’a pas le temps de s’enorgueillir que déjà il s’efface dans son agglomérat de potes ; passé la bouffée d'exaltation, il a l’air de se souvenir à qui il s’adresse. « On allait cogner du gouapeur à Hilton’s, y a deux fois plus de Sangs-de-Bourbe cette année. Ça te dirait de… venir ? » La nuque vrille cette fois vers un sixième année, Anton, massif pour son âge, un vrai truand des bacs-à-sable sapé comme un prince. C’est donc vrai. Leur nouvelle mode se résume dorénavant à la castagne de troglodyte. Et c’est à ce moment précis qu’il se souvient, malgré des années de forcing social, pourquoi il ne peut voir ni en dessin, ni en tableau, ni en vrai ses congénères. Parce que les primates dégénérés lui filent déjà de l’urticaire, mais alors quand ils prétendent lui être semblables... « C’est mignon. » Pris de court, le belliqueux s’empourpre. « Une sortie entre copines, donc. » Les hormones s’agitent, s’égosillent dans les valoches, mais pour une fois, les terreurs se tiennent sages. Question de réputation. Pas la leur, non, plutôt celle de leur aîné. « J’ai à faire. » Un troisième mire à travers vitre et remarque le minois besogneux. « Oh. T’es avec ton frère ? » Et à un quatrième, blond comme les blés, de laisser échapper un malheureux « Le cracmol ? », déclenchant des toupilles de clavicules à son endroit et des regards atterrés que ses camarades hoquètent en silence. « Le, euh… le plus jeune… » Malcolm lui glisse subtilement « il en a qu’un seul », concourant certainement pour la palme de la clairvoyance, mais ne parvient qu’à amplifier la tétanie du flavescent abruti. Les souffles sont retenus ; lequel des légendaires châtiments de Rodolphus Lestrange va s’abattre sur Boyd…? Aucun. Si l’on en croit le faciès brusquement détendu du sorcier, et son rire léger, aérien – d’une extrême politesse. Sa dextre rejoint l’épaule du garçon qui sursaute au contact, puis de dire « Je t’aime bien, toi. Boyd Weiss, si mes souvenirs sont bons ? Ma fiancée a bien connu ta sœur. Vous avez un sacré franc parler, dans votre famille. » Le gamin se décontracte, mime le rire. « Oui m’sieur.Tiens, tu sais quoi ? Je vais te donner ça. » La senestre plonge dans une poche et ressort une bille de jeu d’un bleu abyssal. Les doigts juvéniles s’en saisissent et les lippes étouffent un remerciement ébaubi, voire carrément interloqué. « Elle va te porter chance dans votre petite virée. Maintenant si vous voulez bien m’excuser. » Ça opine à tout-va – et ça soupire aussi un peu en constatant qu’aucun drame n’a eu lieu. Et puis ça décanille, lançant des saluts auxquels l’éphèbe répond proprement, un sourire identique colmatant les brèches de son ire.

* * *

« J’en ai eu une ! » Serait-ce de l’émerveillement, qu’il voit poindre sur les ridules du benjamin ? Rodolphus se désincarcère du mur et lorgne la bouille radieuse de l’enfant non sans lui prêter une œillade amusée. Ça valait bien une journée de repos sacrifiée, pareille euphorie, ça valait chaque heure passée à jouer les maudits baby-sitter. À quand remonte la dernière fois qu’il a vu cette frimousse guillerette… ? Tout souvenir peine à faire surface – c’est dire. « Regarde… j’ai dû en essayer quatre avant ! Mais je n’ai rien refait tomber. » Les orbes louvoient jusqu’au boîtier éventré puis étudient le bois, n’interrompant leur examen qu’à une ou ceux reprises pour jeter sur le profil songeur un œil discret, quelque peu prévenant puisque la palabre du petit confesse à demi-mot l’accalmie du cœur mutilé. « Il a dit que c’était du roseau, avec un ventricule de dragonVentricule de dragon », reprend en écho le phonème masculin, branlant du chef comme s’il flattait la providence d’un tel choix. Puissant mais versatile, une instabilité substantielle que devrait normalement contrebalancer le roseau. Tout absorbé à ses réflexion, Stan ne remarque probablement pas le rire mutique saboulant le poitrail fraternel comme s’affermit l’emprise de la menotte sur sa possession. « Félicitations. Tu peux être fier. » Son cynisme naturel aurait d’ores et déjà allongé la sentence par quelque pointe effilée, convoquant probablement le banal de pareille situation et défrichant ladite fierté de l’émoi juvénile, mais il ne s’en sent ni l’humeur ni l’envie ; ce bonheur simple, il le laissera intact dans la mémoire de Rabastan. « Ouais. J’ai dit ça », confirme-t-il lors même que la menotte s’agrippe, déchiffrant sans peine la marée d’affres chavirant sur le jeune visage. L’aîné se fend d’une contorsion taquine, tentant de ramener bon grès mal grès un semblant de facétie dans le climat soudain maussade. « C’est fini. J’arrête les paris avec toi, ou je risque d’y perdre tout mon pécule. Tu ne serais pas de mèche avec le tavernier par hasard…? »

* * *

« BOYD ?! » Ils s’agitent autour de leur acolyte. « Mais qu’est-ce qu’il a ?! » La rixe avait pourtant si bien commencé, un vrai pugilat. Un peu plus loin, deux premières années se redressent cahin-caha, la mine tordue de douleur après avoir essuyé un déluge de coups. Anton bigle sur son compère avec une certaine anxiété, oubliant déjà leurs victimes qui détalent dans leur dos. « Je… jesépa. Il s’étouffe !! » Malcolm trésaille de panique, tenant dans ses bras le souffreteux qui, cramoisi, s’asphyxie en effet tout seul. Quelque chose engloutit son gosier, quelque chose de… répugnant. « Il… il a quoi dans… dans la gorge c’est… ah pwah ça schelingue c’est… » Ils grimacent, portent à leur nase manches et cols, jusqu’à ce que Boyd ne soit parcouru de spasmes irrépressibles et qu’il ne suffoque dans la minute. D’entre ses commissures labiales, un coulis noiraud finit par dégorger. « Est-ce que… il vient de… mourir ? » Un autre minet de la bande s’avance, la face écœurée. « Étouffé par… » Malcolm réprime un relent. « … de la merde. » Nul ne prête attention à la bille qui roule, roule, roule jusqu’au caniveau avant de tomber dans les égouts.

* * *

« Deux Biè— une Bièraubeurre. Il prendra ce qu’il voudra. » D’un geste mou, il désigne au fameux tenancier la bouille du môme assis en face. La salle est relativement bondée, relativement bruyante et relativement odorante, mais pas non plus au point où l’on ne s’entend plus causer et où chaque inspiration devient une véritable anhélation. Laissant Rabastan faire son choix, il en profite pour recueillir de la pile de livres les opuscules des cours principaux avant de les poser tranquillement sur leur table, entre lui et son frère. Le tavernier reparti, il décoche aux ouvrages un mouvement de mâchoire. « Tu as des préférences ? » Parce que, non. Il ne saurait dire ni ce qui passionne son puîné, ni ce qui l’ennuie. Onze ans sur cette terre à partager le même sang, et il se rend peu à peu compte de la distance les séparant, ce long silence semblable à un océan d’amertume. Mais dans les vagues qui l’agitent, à qui prêterait une oreille attentive, serait sûrement offert le chant du regret – une aubade carnassière pour qui, comme Boyd, se risquerait à cracher dans les flots.
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