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sujet; that would be enough (simanna #6) |
PRISONERS • bloodstains on the carpet Simon Rosier | that would be enough There are moments that the words don't reach, There is suffering too terrible to name, You hold your child as tight as you can, Then push away the unimaginable, The moments when you're in so deep, Feels easier to just swim down, And so they move uptown And learn to live with the unimaginable ANGLETERRE, DÉCEMBRE 2003. « We’re going on a trip today, you excited? » Charlotte gazouille tandis qu’il lui enfile un bonnet pourpre sur la tête, dissimulant ses couettes rousses, « we’re going to see Mama. » L’appartement dans lequel ils avaient trouvé refuge était étroit mais il s’y était curieusement attaché — peut-être parce qu’il n’avait pas l’impression d’être en fuite, lorsqu’il jetait une œillade à travers la fenêtre. Il avait trouvé cette planque dans une petite ville portuaire, à défaut de pouvoir utiliser le refuge familial, craignant qu’Elias ou Neelam n’y soit retourné depuis. Il était seul avec Charlotte, loin du tumulte londonien et de l’angoisse de la guerre, anonymes parmi les anonymes, entourés de la présence rassurante des moldus qui étaient à mille lieues d’imaginer les atrocités les guettant. Souvent, il emmenait Lottie au bord de la mer, et il la regardait jouer dans le sable avant de l’emmener se tremper les pieds dans l’écume léchant le rivage, amusé par les cris surpris du poupon. Il la tenait par les menottes, la guidait sur ses minuscules guiboles flageolantes, et elle ne se lassait pas de l’eau, ou de la sensation de s’enfoncer dans le sable mouillé. Mais ces instants de liberté empruntée ne dureraient pas, et, aujourd’hui, touchaient à leur fin. Ils devaient retrouver Anna. Il avait méticuleusement organisé leur départ de Londres, tout comme il avait prudemment préparé leur arrivée dans le camp d’insurgés où résidait sa compagne, en tirant toutes les ficelles nécessaires : d’un passeur grassement payé à des alliés dispersés dans le pays, la baguette dans la manche mais jamais à la main. Il noue une écharpe autour du cou de Charlie, vérifie que ses gants sont accrochés à ses manches, et lui dépose un baiser sur le front, « you ready sweetheart? » Il avait glissé un philtre calmant dans son biberon avant de la préparer, et déjà la gamine luttait contre le sommeil. C’était la seule façon de voyager en portoloin avec un enfant en bas-âge, à défaut d’avoir trouvé un moyen de locomotion assez sûr. Il embarque une sacoche, installe une Lottie somnolente dans son porte-bébé et quitte les lieux, conscient que bientôt, il ne pourrait plus revenir en arrière. (Il aurait pu disparaître, dire à Anna de les rejoindre à l’autre bout du monde. Tout se serait arrêté là, mais quelque part, si l’idée s’échafaudait dans un coin de son esprit, il ne passait pas à l’acte, rattrapé par une culpabilité que les abus avaient néantisé pendant longtemps, et qui aujourd’hui, était absolument insupportable.) Ils s’étaient donnés rendez-vous à l’extérieur de l’endroit où elle vivait, afin de ne pas provoquer un esclandre inutile avec le reste des rebelles. Ils auraient tout le temps de lui cracher à la gueule lorsqu’il se rendrait en bonne et due forme. Il s’assoit sur un banc, Charlotte calée entre ses bras, et lui montre le paysage. En décembre, on n’entend plus les oiseaux et l’air est glacial, mais il lui désigne du doigt les arbres, le ciel grisâtre, et les restes de neige fondant à leurs pieds. Le bébé agite les bras et babille, s’impatiente sans doute, quand elle tend une main minuscule vers une silhouette familière se dressant au loin. « Look, it’s Mummy! » Anna n’a pas dissimulé sa flamboyante chevelure rousse, et bientôt, il se lève et marche à sa rencontre, le pas hâtif, si hâtif qu’il semble courir. Les minutes qui suivent sont floues, irréelles même. Lottie dans un bras, l’autre accroché à la taille d’Anna, qu’il embrasse comme si tout avait été oublié, effacé par l’absence, le manque, l’attente ; ce ne sera jamais simple, mais à cet instant, qui durera le temps qu’il durera, il la retrouve, et c’est tout ce qui importe. « Lottie, it’s Mummy, say hi to Mummy, » lui, il a le cœur qui frappe si fort dans son poitrail qu’il en est à bout de souffle, épuisé, peut-être, par cette fuite, et l’énergie déployée pendant ces mois d’isolement. Il a envie de dormir, de ne plus les quitter, tout en sachant que le pire est à venir. Le bébé tousse, lève deux billes céruléennes étonnées vers Anna, les menottes fermement accrochées à son pull. Elle la toise, l’air farouche, mais ne manifeste aucune intention de quitter les bras de son père — au contraire, sa prise sur le tissu se fait plus autoritaire. « Elle est grognon, c’est… c’est le voyage. » Il espère que ce n’est que le voyage. Parfois il lui paraissait que Charlie avait hérité du pire de leur caractère respectif, et il se disait, good for her, elle aura le courage et l’insolence nécessaires pour survivre à ce monde. « I missed you so fucking much. »
MAGENMAGOT, JANVIER 2004. « J’appelle à la barre Annabella Grimaldi. » Il n’esquisse pas le moindre mouvement, se contente de regarder fixement un point imaginaire, flottant dans le vide, près du sol. Ils en ont parlé, avec sa sorcière à la défense, ils en ont suffisamment parlé pour qu’il ne commette pas l’erreur de croiser son regard. Monstre d’indifférence, il s’effondre intérieurement. Les pieds des chaises raclent le sol, des murmures indistincts s’élèvent de part et d’autre de la salle, et il sacrifie toutes ses forces, sa hargne, sa rage sur l’autel de l’indolence. Convoquer Anna est une provocation, Cornelia l’a prévenu, elle l’enfoncera quoiqu’elle dise. « Si elle pleure, cette gourde aggravera ton cas. » Il espère juste que la défense sera clémente envers elle. « Quelle était la nature de votre relation avec l’accusé ? — Il ... euh … » Ils échangent un regard si bref qu’il se demande si c’est bien lui qu’elle cherche. À ses cotés, Rebbeca Neimitz, son avocate, ronge sa lèvre inférieure. « Nous étions en couple. Il ... Nous avons une petite fille. » Il songe à Charlotte, et au souvenir qu’il lui laissera, à la honte qui entachera son nom et sa vie. Il ne la reverra sans doute pas, ou peut-être à travers une vitre — et il refuse que ce soit l’image qu’elle garde de lui. Il suppliera Anna de ne pas l’amener avec elle, de la laisser en dehors de ce bordel sans nom. Ses ongles creusent des sillons rougeâtres dans ses paumes. « Miss Grimaldi, est-ce vrai qu’en apprenant votre grossesse, l’accusé vous a quittée et n’est ré-apparu qu’après la naissance de votre fille ? » Il se redresse et glisse un regard alarmé à sa sorcière à la défense, qui demeure de marbre, comme si elle s’était préparée à cette révélation. Derrière eux, la salle s’agite, se perd en chuchotements outrés. Il commence alors à comprendre ce que Rebecca sous-entendait lorsqu’elle avait évoqué Matteo, il n’y avait que lui pour collaborer ainsi avec le procureur. « Non. Enfin oui, mais … – » Le procureur l’interrompt sèchement, et il a une putain d’envie de lui coller une droite, « Miss Grimaldi, vous êtes-vous déjà sentie menacée par l’accusé ? » Anna secoue la tête de droite à gauche, ouvre et referme la bouche. Sa sorcière à la défense pose une main contre sa bouche, puis griffonne quelque chose sur son parchemin. Il est trop occupé à fixer sa compagne pour se rendre compte de quoique ce soit — des photographes présents dans la salle aux œillades dédaigneuses du procureur. « Pouvez-vous répéter plus fort pour notre greffier, s’il vous plaît ? (Un silence.) — Non, jamais, il ... Non. — Je laisse le témoin à la défense. — Pas d’autres questions. — Merci Miss Grimaldi. » Ses billes bleu tombent alors sur un morceau de parchemin que Rebecca a fait glisser vers lui, « Trop d’hésitations. Pas crédible, » il lit sur son bloc-notes. Ses omoplates se cognent contre le dossier de son siège — et comme ça, Anna disparaît de son champ de vision.
AZKABAN, FÉVRIER 2004. Il a d’abord pensé à Charlotte, quand la sentence est tombée. Charlotte qui ne le connaîtra jamais. Charlotte qui grandira avec le poids de son nom sur les épaules. Charlotte qui est trop petite, Charlotte qui ne mérite rien de ce qui l’attend. L’audience, quant à elle, est satisfaite, et quand des agents viennent ôter les chaînes entravant ses poignets pour aussitôt lier ceux-ci dans son dos, il ose se dire, c’est que justice, et merde, de toute façon, quelle autre issue aurait pu être envisageable ? Une libération surprise, une perpétuité tout confort aux frais de la société ? Rosier est un condamné à mort. A dead man walking. Le procès a été expéditif ; ils ont commencé avec ses « actes monstrueux », avant d’enchaîner avec le témoignage d’Anna, estampillée victime d’un pervers-narcissique, et ils ont continué avec les pièces maîtresses de leur démonstration : le médicomage surveillant l’état de Charlotte, Matteo fucking Grimaldi, et Elias. Elias qui avait l’air de s’être paumé en chemin, un blouson de cuir élimé sur des épaules voutées, la gueule plus burinée que dans ses souvenirs. Et tour à tour, la vérité avait explosé, changeant simplement de point de vue, mais Matteo, cette pourriture, s’était déchaîné contre lui, révélant au reste de la Cour les terribles confidences qu’il lui avait lâchées dans une ruelle mal éclairée, il y avait quelques mois de cela, ivre et enragé. « L’accusé a donc reconnu qu’il avait trahi Elias et Margot Rosier ? » Oui, il l’avait reconnu, il s’en était enorgueilli même. Sa sorcière à la défense s’était ratatinée, consciente que si le procès ne lui avait pas déjà échappé des mains, il était désormais hors d’atteinte, et n’importe quelle ligne de défense ne rachèterait jamais une telle confession. Puis ils avaient appelé Elias. Elias pouvait à peine aligner deux mots sans jurer, se reprenant toutes les minutes, « f—sorry », et grommelait plus qu’il ne parlait. Devant un parterre de journalistes, il avait avoué, difficilement, qu’en effet, sa femme était enceinte au moment de sa mort. Et ça l’obsède. Ça l’obsède.
À Azkaban, l’air est froid et les détraqueurs rôdent encore dans les parages, aux premières lueurs du jour. Il se plie volontiers aux règles, accuse les insultes et coups, quelle que soit leur provenance, gardiens ou prisonniers, chacun ayant probablement une raison de venir se défouler sur sa carcasse. Il ouvre à peine la bouche, rase les murs, prétend n’être qu’un fantôme — de toute façon, c’est ce qu’il est, un fantôme. Un porc destiné à l’abattoir. Aucun signe d’Eirene nulle part, il a entendu dire qu’elle était introuvable, à l’instar d’Avery — cet enfoiré avait dû se carapater avec Bones, et il leur souhaitait tout le malheur du monde (le sarcasme lui plairait, à Adele, il aurait bien apprécié leur compagnie sur le chemin de la potence). Il est seul, et entre les quatre murs trop rapprochés de sa cellule, il n’a que sa conscience pour l’empêcher de sombrer, et le poids de ses erreurs. Les journées sont identiques. Cornelia a inauguré sa première visite afin de rectifier certains points de son testament, et à sa mine enjouée, il a deviné que sa cousine avait déjà préparé son oraison funèbre. « See you around cousin, » elle lui avait lancé en rangeant ses parchemins, « eat a dick » il avait rétorqué, tandis qu’un maton l’attrapait par le bras pour le reconduire de l’autre coté. « T’en as plus pour longtemps Rosier, évite de gaspiller ta salive, » qu’ils le narguaient. C’est terrible d’accepter ainsi son sort, sans chercher à se battre. D’être aussi amorphe. Il bronche à peine face à sa fatalité — à moins que les mauvaises nouvelles de ces dernières semaines l’aient suffisamment détraqué au point de non-retour. L’arrestation, l’annonce de la mort de sa mère, le procès, le meurtre de Margot, de l’enfant d’Elias, la rancœur de Matteo, la joie à peine dissimulée de sa cousine, l’absence de Neelam. « Rosier, visite. » La porte s’ouvre à la volée et, déconcerté, il se redresse sur sa couchette, les sourcils légèrement froncés. « Magne-toi ! » Un gardien bourru l’escorte jusqu’aux parloirs, et il a beau marmonner, « qui demande ? » personne ne daigne lui répondre. Cornelia a suffisamment perdu son temps avec lui, et il doute qu’Elias vienne s’assurer de son bien-être après ce qu’il lui a fait. Anna n’a pas donné signe de vie depuis le verdict, et les rares personnes qu’il comptait dans son cercle de proches ont dû prendre leurs jambes à leur cou dès la fin du conflit. Un gardien vérifie qu’il ne cache rien dans son uniforme et pointe sa baguette vers l’un des socles conduisant aux bulles de visite. Il n’aime pas vraiment la sensation d’être aspiré par le sol, encore moins de manquer une fracture des chevilles en atterrissant à l’intérieur de ladite bulle. « Anna ? » Elle se tient près d’une chaise, la mine fatiguée, et lui n’ose pas esquisser le moindre pas en sa direction. « Tu… » es venue. « Tu vas bien ? » Et Charlotte ? Ses épaules s’affaissent, et les muscles de sa nuque raide se détendent, quand il accuse le coup de sa présence après des semaines sans se voir, ni se parler. |
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WIZARD • always the first casuality Anna Grimaldi | darling, hold my hand
Standing in a crowded room and I can't see your face. Put your arms around me, tell me everything's ok. In my mind, I'm running round a cold and empty space. Just put your arms around me, tell me everything's ok
DECEMBRE 2003 – La guerre était finie. Et avec ça, l'absence était devenue plus prenante. Où était Simon ? Avait-il réussi à protéger Charlotte ? Où s'étaient-ils cachés ? Aux premiers cris de victoire, elle était sortie et avait voulu les retrouver. Mais où chercher ? Cette inconnue avait ralenti sa détermination. L’état de Matteo aussi. Il était encore inconscient, et elle était incapable de le laisser ainsi. Elle s’inquiétait pour lui ; autant qu'elle s’inquiétait pour Simon, pour Charlotte ou pour Chiara. C’était son petit frère ; elle ne pouvait pas partir comme ça, le laisser et s'enliser dans une quête qu'elle n’était même pas certaine d’atteindre. Alors elle avait tu ses tendances impulsives et s’était assise au chevet de son frère en attendant son réveil. Cependant, ses doigts n’avaient de cesse de tripoter ce bracelet qui projetait sa magie auprès de Charlotte pour la protéger. Elle surveillait les moindre émotions, les moindres craintes, s’imprégnait des petites joies qu’elle ressentait à travers ce bracelet, dans l’attente du jour où cette connexion serait physique et réelle. Et ce jour était venu. Simon avait tout organisé. La nervosité l'avait immédiatement gagnée. Un moment, elle était assise au chevet de Matteo à lui dire combien il serait merveilleux qu'ils retournent ensemble dans leur résidence d’été à Brighton avec Chiara et Charlotte. La seconde d’après, elle était à l’extérieur, respirant l'air glacial de l'hiver et s’avançant vers ce qu'elle attendait depuis des mois : les retrouvailles avec sa fille. À quoi ressemblait-elle ? Avait-elle grandi ? Se portait-elle bien ? D'abord, seul le paysage immaculé apparaissait devant elle ; la neige, la glace, les stalactites, la nature s’était figée dans ce froid hivernal. Et puis elle l’aperçut, ce point sombre au travers de toute cette blancheur, et elle se rappela ce qu’était le bonheur. Ses yeux se mirent à briller et ses pas à s’accélérer. Les larmes menaçaient déjà de dévaler ses joues, mais elle voulait arriver au plus vite auprès d’eux et ne pas s’effondrer. Il était là. Ils étaient là, s’avançant vers elle, s’approchant peu à peu. Bientôt le point prit des formes. Bientôt leurs silhouettes devinrent réelles. Bientôt des bras l’accueillirent et elle s’abandonna à l’intérieur. Il l’embrassa comme jamais il ne l’avait embrassée, ou peut-être avait-elle oublié. Elle avait l’impression que tout avait repris un sens. Elle était heureuse. Charlotte était là, du haut de ses six mois, le regard étonné et craintif, dévisageant sa mère comme une inconnue. « Lottie, it’s Mummy, say hi to Mummy. - Hi sweatheart ! » Elle tendit les bras vers sa fille, mais cette dernière eut un mouvement de recul. « Elle est grognon, c’est… c’est le voyage. » Elle ne réagit pas immédiatement à la remarque, trop occupée à observer sa fille, si belle, si parfaite. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre à cet instant-ci. « I missed you so fucking much. » Sa voix, son odeur, son contact … Tout lui avait manqué, mais à présent, elle avait l’impression que rien n’était jamais parti. Elle se blottit à nouveau dans ses bras, et colla son visage contre le sien. « I missed you too. » Elle aimerait que le temps s’arrête, mais elle savait ce que ces retrouvailles signifiaient. Un nouvel au-revoir, une nouvelle séparation, une nouvelle absence … Elle savait qu’ils ne s’enfuiraient pas ensemble, qu’ils ne quitteraient pas le pays, que Simon ferait face aux conséquences liées à son statut pendant la guerre. Elle aimerait tant pourtant … « Je ne suis pas prête à ce que tu ne me manques à nouveau. C’est trop dur. » Ses yeux sont larmoyants mais était-ce le froid ou la tristesse … Son cœur modérait son bonheur et lui rappelait que la réalité la rattraperait bien assez vite. Le temps, toujours le temps. Et le destin aussi … Voués à la séparation. Voués à l’absence. Voués au manque. Voués à l’amour impossible …
DECEMBRE 2003 – « Shhh. Shhh. Everything's okay. You're okay, baby. » Charlotte blottie contre son épaule, Anna tentait d'apaiser les larmes de sa fille. Enchaînant allers et retours dans leur petit appartement, elle la berçait doucement et lui soufflait des paroles rassurantes. Il était trois heures du matin et la petite sanglotait depuis plus de deux heures. Parfois ses larmes se calmaient, elle levait alors ses petits yeux bleus vers sa mère et semblait chercher quelque chose. Ne la trouvant pas, elle se remettait à pleurer. Anna tentait de se convaincre que ce caprice n’était pas dû à l'absence de Simon, mais elle ne se faisait pas d'illusion, tout ceci n’était qu'une punition qu'elle lui donnait pour l'avoir abandonnée. Le rejet était tel que la petite s’était même mise à plus apprécier la présence de son oncle Elias – et ses ressemblances avec Simon – que celle de sa mère. Anna le vivait très mal mais ne le laissait pas paraître. Elias et Matteo, cependant, lui lançaient souvent ce regard inquiet qui lui rappelait à quel point elle était faible et vulnérable. Pourquoi avait-il fallu qu'elle parte ? Pourquoi avait-il fallu qu'il parte ? Simon lui manquait … « Okay sweetheart, we will call uncle Elias. You will be okay. Daddy loves you. » I love you too. Alors que les sanglots de sa fille ne cessaient guère, une larme coula le long de sa propre joue. Mais elle, l’aimait-t-elle ?
FEVRIER 2004 – Son regard s’égare au travers des grilles métalliques qui séparent la salle d’accueil du reste de la prison. Elle essaie de discerner à travers ces barrières un semblant de vie, mais il n’y avait que d’interminables couloirs bruts et quelques gardiens répartis tout au long. Elle est nerveuse, angoissée même, souvenir inconscient de l’isolement qu’elle avait connu sous les débris de Sainte-Mangouste. Elle tremble mais se tient au rebord du comptoir pour dissimuler sa peur. A vrai dire, elle ne sait pas ce qu’elle craignait le plus : l’atmosphère morbide d’Azkaban ou sa confrontation avec Simon. Elle ne l’avait pas vu depuis son procès, n’avait pas eu le courage de lui faire face, se sentant coupable, désespérément coupable. « Madame ? - Oui, excusez-moi … » Elle se redresse et tend son formulaire. « Merci. Veuillez signer ce papier et me donner votre baguette ainsi que tous objets magiques que vous pourriez porter. Vous récupérerez tout cela à la sortie. » Anna acquiesce et donne sa baguette au gardien. « Très bien. Gardez ce badge avec vous et suivez ce gardien. » Elle tourne la tête vers le gardien désigné et le rejoint d’une démarche robotique. Elle a l’esprit ailleurs, sûrement déjà face à Simon à se rejouer le scénario qu’elle avait préparé maintes et maintes fois. Ce qu’elle ferait, ce qu’elle dirait, ce qu’elle regarderait … On ouvre une grille devant elle et apparait une sorte de voile transparent ondulant légèrement. Elle a un mouvement de recul. « Ce n’est rien, ce n’est qu’une mesure de sécurité supplémentaire, pour vérifier que vous ne portez aucun objet magique sur vous. » Elle arque un sourcil, mais comprend. Elle s’avance doucement vers ce détecteur et passe au travers. La sensation était assez désagréable, comme si elle venait d’enfoncer son doigt dans un plat de gelée. Elle frissonne à l’idée de traverser à nouveau cette porte pour revenir … Son périple reprend et avec, ses craintes et ses pensées négatives. Plus elle approchait, et moins elle savait ce qu’elle faisait. « Madame, veuillez vous tenir ici, sur cette plateforme. Lorsque vous voudrez sortir, faites nous un signe et remettez vous sur cette plateforme nous vous ferons remonter. » Elle regarde le gardien avec méfiance mais il ne change rien à ses expressions ou à sa posture ; ce n’était pas lui qui la rassurerait. Elle se poste alors sur la petite plateforme sans savoir ce qui l’attendrait et elle se fait aspirer dans une bulle magique. A l’intérieur, une table, deux chaises et cette atmosphère glaciale, commune à toute la prison. Elle vacille légèrement en se retirant de la plateforme et doit se retenir à une chaise pour reprendre son équilibre. Elle est fébrile. Son esprit est vide. Elle n’arrive plus à penser, à imaginer, à bouger … Elle entend un bruit d’aspiration et le voit, face à elle. Simon. Elle baisse immédiatement les yeux comme si son regard pourrait la tuer sur place. Elle a peur de ce qu’il pense, elle a peur d’avouer qu’elle était responsable, elle a peur d’admettre qu’il ne sera bientôt plus là, elle a peur … « Anna ? » Elle maintient sa tête baissée mais se risque à jeter un coup d’œil vers lui. Il semble fatigué, triste, abattu … Elle ne sait pas quoi dire, alors elle se tait. « Tu… Tu vas bien ? » L’ironie est telle qu’elle se met à sourire en agitant la tête de droite à gauche. Ses paupières se baissent, juste un instant ; elle inspire et ose enfin croiser son regard. Son corps s’anime immédiatement de tremblements, de frissons en fait. Elle veut se jeter dans ses bras, mais elle ne sait pas si elle a le droit. Elle veut lui demander pardon, mais sa gorge reste nouée. Elle veut l’embrasser, mais elle a peur du rejet. Son esprit divague, est emporté dans un torrent d’actions hypothétiques. Son corps, par contre, reste figé dans une léthargie absolue. Elle ne savait pas quelle était la bonne réaction, y en avait-elle une ? Elle plonge son regard dans le sien et n’arrive à lire dans ses yeux que l’absence, le vide et l’oubli qui l’attendaient… Il ne serait bientôt plus là. Il ne la regarderait bientôt plus comme il avait l’habitude de la regarder. Il ne prendrait bientôt plus sa main. Il ne toucherait bientôt plus sa peau. Il n’embrasserait bientôt plus ses lèvres. Il ne lui dirait bientôt plus Je t’aime. Et elle avait mal. Toutes ces attentions lui manquaient déjà tellement alors qu’elles n’étaient pas encore parties. Elle n’acceptait pas, n’était pas prête à dire adieu à tout ça … Pourtant elle avait laissé le temps passer, les semaines s’écouler et il ne leur restait plus beaucoup de temps. Elle avait encore tant de choses à lui dire. Il fallait commencer quelque part. « Je suis … » Elle pince les lèvres et agite doucement la tête. « Je suis désolée … » de ne pas être venue avant, de ne pas avoir empêché ces gens de te mettre en prison, de ne pas être une assez bonne mère pour notre fille, de ne pas être aussi forte que je ne le prétends. « Je … J’ai … » Elle ne sait pas où elle va, ce qu’elle veut. Pourquoi était-elle là déjà ? « Comment … Comment vas-tu … toi ? » Question bête, absolument irréfléchie, mais ses bafouillages n’aidaient pas. « Je … » Elle s’arrête un instant, fixe ses billes céruléennes et s’accroche à cette image pour ne jamais oublier … « Tu … » Elle n’y arrive pas, elle n’arrive pas à faire comme si tout était normal, comme si rien n’arrivait, comme si cet instant n’était pas le dernier qu’elle partageait avec lui. Elle a envie de pleurer, mais elle s’était promis de ne pas le faire. Ce n’était pas elle qui était à plaindre, c’était lui. Uniquement lui. Lui qui était condamné à cet acte pire que la mort. Lui qui n’avait plus d’avenir. Lui qu’elle aimait inconditionnellement, mais qui ne saurait bientôt plus comment l’aimer. Elle n’était pas prête à le laisser partir … |
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Simon Rosier | that would be enough There are moments that the words don't reach, There is suffering too terrible to name, You hold your child as tight as you can, Then push away the unimaginable, The moments when you're in so deep, Feels easier to just swim down, And so they move uptown And learn to live with the unimaginable Bon à rien. C’est ce qu’il est et ce qu’il restera. Et n’en a-t-il pas assez de ruiner la vie des autres, la sienne, d’être ce poids à traîner contre vents et marées, d’exister quand tout le monde se porterait mieux sans lui—cesserait-il un jour d’être là. Et aussi, aussi, il aimerait ne plus être fatigué ; car le temps s’écrase contre sa gueule avec la violence de mandales méritées, le fout au pied du mur, constamment. Il n’a plus les épaules pour, ne les a jamais eues. Il voudrait que tout s’arrête sans se rappeler quand il ne le souhaitait pas. C’est comme un disque rayé, le même qui grésille depuis des années. Profondément déconnecté de la réalité, sa fin prochaine lui échappe parfois, comme il oublierait le prénom d’une vague connaissance ; et c’est dans le regard perdu d’Anna qu’il discerne ce que l’avenir lui réserve. Il était en sursis depuis longtemps. Il n’avait jamais cru à une victoire du Lord, pas avec une armée aussi désunie, aussi avide de gloire, où chacun se tirait dans les pattes dans la course à la grandeur — peut-être était-il défaitiste, mais Rosier avait tout de même profité de quelques avantages. Il aurait accepté cet inéluctable fatum sans broncher s’il n’y avait pas eu Charlotte. Et Anna, qui aura souffert jusqu’au bout à ses cotés. Elle a l’air éreinté, et ses membres, il le sait, ne tremblotent pas de froid. Il ne lui dit pas, mais il lui veut de se tenir là avec ses yeux plein de larmes, comme s’il les méritait. Pourquoi tu pleures. Pour qui ? Finalement, il empoigne le dossier de la chaise, la tire vers lui, y pose ses fesses, bras croisés sur le torse, billes dans le vide, complètement ailleurs. Il l’entend parler, balbutier plutôt, des « je », des « tu », des phrases avortées avant même d’avoir été commencées. « Ça va, » il lâche ces mots sans les entendre. « La cantine pourrait être meilleure. » Il est calme, presque serein. Ses dents grincent par intermittence, et ses ongles s’enfoncent dans son bras. Les phalanges blanchissent, mais ses traits plus tirés qu’à l’ordinaire demeurent impavides. À dire vrai, la présence d’Anna le tourmente plus que de raison, et s’il est amené à croiser son regard à cause d’un mouvement de tête malheureux, la plaie béante de leur relation chaotique se rouvre violemment — est-ce là le souvenir qu’il lui laissera, leur histoire pavée de promesses brisées, d’abandons lâches et de retrouvailles amères. Il aurait voulu être une meilleure personne mais ce n’était pas donné à tout le monde ; certains avaient le vice dans les veines, un neurone détraqué, un œil cynique, une parole malheureuse. Sans être fondamentalement mauvais, leurs erreurs les rattrapaient invariablement — il était doué pour ça, lui. Rongé jusqu’à la moelle par le prix de ses décisions, il n’avait plus rien d’autre à donner que sa vie pour expier ses crimes. « Désolée de quoi ? » il articule enfin. Il parle au sol, et sous sa barbe généreuse, les lippes bougent à peine. « Je veux pas que tu sois désolée. » Elle était au procès, elle avait entendu ce qu’ils avaient dit à son sujet. Criminel calculateur, esprit malade, séide psychotique, pervers narcissique — et elle reviendrait toujours alors que ce portrait avait fini par le convaincre lui-même. Il est nocif pour leur fille, il ne mérite pas de l’élever, ni de l’approcher au risque de la contaminer avec ses névroses. Il ne le dit pas, que c’est une bonne chose qu’il parte enfin, qu’il disparaisse de leurs vies. « J’ai revu mon testament avec Cornelia, le timbre est rauque, monocorde, à l’instar de quelqu’un qui perd l’habitude de parler. Elle t’enverra une copie. J’ai légué ce qu’ils n’ont pas pu saisir à Charlotte. Elle t’expliquera. » Il semble avoir répété ce discours devant un miroir et le débite avec une indifférence glaçante ; un notaire aurait eu un ton plus chaleureux. Peut-être ne veut-il pas craquer devant elle. Peut-être a-t-il peur de la mort, malgré tout. Ça le réveille parfois, la nuit. La gueule du détraqueur s’approchant de lui devant une audience triée sur le volet, se réjouissant d’assister à ses derniers instants. Ça l’obsède, et un nœud désagréable lui tord les tripes. On ne peut être désinvolte qu’en apparence, à moins de trouver une façon de combattre son instinct primaire, qui est de survivre, quand bien même y a-t-il une condamnation à mort dans la balance. « Pleure pas pour moi. Il décroise ses bras, et l’une de ses mains se pose sur la surface de la table, tendue vers elle. Je suis désolé—je suis désolé pour ce que j’ai fait. » Il ignore s’il le pense. « Ne parle pas de moi à Lottie, s’il te plaît. » Ça lui arrache le cœur, d’évoquer sa fillette. « Elle a tellement besoin de toi… si tu es avec elle, c’est tout ce qui compte. Vous serez bien ensemble. » La réalité le rattrape, à mesure qu’il prend conscience de ses mots, de ce qu’il lui demande. « Si j’avais su–si j’avais su ce qu’il se passerait, y a quinze ans, je t’aurais demandé de rester. » Ça remonte. C’était une autre époque, ils étaient plus jeunes — il allait bien, ne portait pas encore les ravages de ses addictions sur la figure. Il l’avait laissée partir, et il l’avait regretté sans pour autant essayer de la rattraper. Trop fier, trop con. Ils auraient pu avoir une vie ensemble, et pas cette sombre farce de relation. « M’en veux pas. » Il n’a plus la force de se battre contre lui-même et le reste du monde. « Je comprendrai jamais ce qui te pousse à revenir à chaque fois… tu peux pas être triste pour ça. Tu peux pas être triste. » La voix est basse, presque inaudible. (Il a besoin de sortir.) Son palpitant s’emballe, remonte dans sa gorge. « Tu mérites mieux. C’est pas si mal… c’est pas si mal, que ça finisse comme ça. » Non, c’est pas si mal. |
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WIZARD • always the first casuality Anna Grimaldi | love in the brain
Must be love on the brain and it keeps cursing my name. No matter what I do, I'm no good without you and I can't get enough. Must be love on the brain. ( x)
Ses pensées n’étaient qu’un enchevêtrement désordonné de mots, d’images et de souvenirs. Ses lèvres tentaient de formuler des paroles mais seuls des sons indistincts étaient audibles. Elle se sentait lamentable et honteuse, tellement inutile qu’elle ferma les yeux et baissa la tête. Elle ne faisait que rendre l’instant plus difficile, plus insupportable. A quoi pensait-elle en venant ici ? En acceptant de le voir ? Elle regrettait. Le meilleur souvenir qu’elle aurait pu garder de lui, elle l’avait déjà en elle. Cet instant unique qu’ils avaient partagé au moment de leurs retrouvailles après la guerre, ses bras l’enveloppant, son souffle contre son visage et Charlotte qui gigotait dans leurs bras unis. Il était là le souvenir qu’elle voulait garder d’eux, pas ainsi, pas à cet instant, pas dans cette bulle aseptisée, pas avec ces regards braqués sur eux. Elle voulait tout arrêter, repartir, oublier qu’elle était venue ici, oublier qu’elle l’avait vu dans cet état, oublier qu’il mourrait bientôt. Elle avait besoin de fuir, de s’échapper de tout ça … Il semble si amorphe ; résigné. Son destin l’embrassait et il semblait le prendre comme un cadeau. Comme s’il le méritait. Ce sentiment était peut-être le pire. Il abandonnait, il acceptait son sort, mais pire que tout ça, il consentait à l’abandonner. Elle avait l’impression qu’il était déjà parti, qu’il ne l’aimait déjà plus. « Ca va. La cuisine pourrait être meilleure. » Elle leva les yeux, le visage interdit, pas vraiment certaine de ce qu’elle avait entendu. Toujours appuyée sur sa chaise, elle avait envie de bondir par-dessus la table pour l’embrasser. Elle avait envie de taire l’échange vide qu’il y avait entre eux, et lui rappeler qu’il l’aimait, et lui rappeler qu’il devrait souffrir. Elle voulait qu’il souffre autant qu’elle souffrait elle, elle voulait qu’il réalise ce qu’il perdrait pour ne pas être la seule à combattre le désespoir. Ce besoin égoïste ne lui ressemblait pas, mais elle n’en avait que faire de ce qui était bien ou pas, elle ne voulait simplement pas être seule.
« Désolée de quoi ? Je veux pas que tu sois désolée. » Elle l’était pourtant, du plus profond de son cœur, elle l’était. Elle n’avait pas fait le nécessaire, elle n’avait pas fait assez. S’il était en prison aujourd’hui, s’il allait recevoir le baiser du Détraqueur demain, c’était uniquement parce qu’elle n’avait pas su être convaincante, parce qu’elle n’avait pas su le défendre. Incapable. Ce jour-là, elle n’avait pas seulement été responsable de sa condamnation, elle avait aussi fait de sa fille une orpheline. Une autre. Une de plus. Etait-elle vouée à élever ses filles seules, et s’il lui arrivait un jour quelque chose à elle aussi ? Elle renifla bruyamment et essuya ses yeux embués de larmes. « J’ai revu mon testament avec Cornelia. » Elle le fixa sévèrement et marmonna un « Non ». Elle ne voulait pas entendre parler de ça. Tout semblait déjà si réel, si proche qu’elle ne voulait pas y ajouter une preuve de sa disparition prochaine. « Elle t’enverra une copie. J’ai légué ce qu’ils n’ont pas pu saisir à Charlotte. Elle t’expliquera. » Elle eut un haut-le-cœur. Il avait tout organisé, même l’avenir de sa fille. Cet avenir où il ne serait pas, où il ne serait plus. Ses poings se serrèrent et sa mâchoire se contracta. Elle avait envie de hurler. De lui crier dessus, de lui dire d’arrêter, parce qu’elle n’était pas prête, parce qu’elle ne pouvait pas vivre sans lui. Elle voulait lui faire violence, le frapper, lui faire du mal seulement pour apaiser sa colère, seulement pour apaiser sa peine. Elle était brisée et se noyait dans le déni. « Pleure pas pour moi. » Elle hochait la tête de droite à gauche, s’opposant à cette demande. Elle ne pouvait pas lui faire ce plaisir. Pleurer était la seule façon pour elle d’extérioriser sa douleur, d’oublier le manque. Il tendit la main vers elle mais elle n’eut pas la force de faire un pas en avant pour l’attraper. C’était trop dur. « Je suis désolé—je suis désolé pour ce que j’ai fait. » Elle ne comprenait pas de quoi il parlait. Qu’avait-il fait ? Son amour l’aveuglait tellement qu’elle avait oublié tous leurs déboires amoureux. « Ne parle pas de moi à Lottie, s’il te plaît. » Un petit rire rauque lui échappa. Si seulement il savait … Parler à Lottie de lui était bien la seule chose qui la calmait. « Elle a tellement besoin de toi… si tu es avec elle, c’est tout ce qui compte. Vous serez bien ensemble. » Elle voyait encore Charlotte pleurer à s’en étouffer la veille au soir, lorsqu’elle avait voulu la border avant de quitter l’hôpital. Sa fille la haïssait. Et elle ne pouvait rien y faire, pas plus qu’elle ne pouvait sauver la seule personne qui lui importait. Elle se sentait désespérément abandonnée, oubliée, délaissée. « Si j’avais su–si j’avais su ce qu’il se passerait, y a quinze ans, je t’aurais demandé de rester. » Elle se mit à rire, de ce rire nerveux qui n’était pas sien. Elle avait l’impression qu’il se moquait d’elle, qu’il voulait simplement lui faire plus mal qu’elle ne souffrait déjà. S’il l’avait retenue, les choses auraient été tellement différentes. « M’en veux pas. » Elle lui en voulait. Pourquoi ne s’était-il jamais battu pour eux ? Pourquoi avait-elle toujours dû mener cette bataille seule ? Mais par-dessus tout, pourquoi s’était-elle acharnée ? Elle aurait dû arrêter. Elle aurait dû faire comme lui. Elle s’en serait beaucoup mieux sortie aujourd’hui. Elle aurait tellement moins mal aujourd’hui. La rage en elle était telle que ses paumes en sang ne suffisaient plus à la calmer. « Je comprendrai jamais ce qui te pousse à revenir à chaque fois… tu peux pas être triste pour ça. Tu peux pas être triste. » Ses yeux fixaient le sol, juste à l’instant où une larme fendait l’air pour s’y déposer. Elle ne pouvait pas le laisser parler ainsi, elle ne le supporterait pas. « Tu mérites mieux. C’est pas si mal… c’est pas si mal, que ça finisse comme ça. »
Elle secoua la tête avec vigueur alors que ses mains se décrochaient du dossier métallique de la chaise. Elle laissa un silence lourd s’installer entre eux. Un silence simplement ponctué par leurs respirations dissonantes. Visage baissé, mâchoire contractée, joue humide, son regard resta désespérément ancré sur le sol quand elle lâcha ces paroles. « Tu es vraiment con. » Elle aurait pu dire bête, mais ce mot n’était pas assez fort pour exprimer sa colère. « Qui es-tu pour décider de ce que je dois ressentir ? Qui es-tu pour décider de ce qui est bien pour moi, maintenant ou demain ? » Elle renifla et sans crier gare, s’approcha de lui et le repoussa violemment. « Je t’aime et tu ne pourras jamais rien y changer. Tu peux me dire d’aimer quelqu’un d’autre, tu peux dire que je mérite mieux, tu peux dire que tu ne m’aimes pas, rien ne m’empêchera jamais de t’aimer, d’être triste, de pleurer parce que tu ne seras bientôt plus là. » Sa voix se brisa. Les paroles étaient sorties d’une traite sans qu’elle ne respire. Sa respiration était saccadée, et les larmes dévalaient ses joues de manière incontrôlée. Elle le repoussa à nouveau. « Je n’aurai plus personne. Plus personne. » Si chacun des hommes qui partageaient sa vie mourrait, elle se résignerait à ne plus aimer. « Dis quelque chose, fais quelque chose, mais arrête de faire comme si tu le méritais. Arrête de faire comme si mourir ne te faisait rien. M’abandonner … » Elle ravala ses sanglots. Il ne l’abandonnait pas volontairement cette fois, pourtant elle lui en voulait tellement. « Abandonner ta fille. Tout ça est déjà tellement dur. Tu ne peux pas me faire comme si tout était résolu et que tu n’avais plus à m’aimer … » Elle savait que c’était faux, pourtant depuis qu’elle était arrivée, c’était ce qu’elle ressentait : qu’il ne l’aimait plus. « J’ai besoin de toi. Charlotte a besoin de toi. Elle me hait. » Cet aveu la brisa définitivement. Se retenant à la table, elle le força à croiser son regard. « Elle me déteste … » Elle aimerait pouvoir remonter le temps. Elle aimerait pouvoir arrêter tout ça. Tout changer. Être heureuse … |
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| | | | | that would be enough (simanna #6) | |
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