Ils marchent sans piper mot. Ce n'est pas rare qu'en la présence d'Harvey les gens se taisent, d'ordinaire pourtant ce n'est pas le cas d'Aslander, mais il faut dire qu'aujourd'hui Hawk ne lui facilite pas la tâche. Perdu dans ses pensées et dans son ressentiment à l'égard de Wolf, de Swan ou de n'importe quelle autre personne responsable de sa mise sous tutelle une fois de plus. Harvey n'a pas ouvert la bouche depuis qu'ils ont quitté le quartier général des Dregs. « So, you comin' or what ? » ont été les seuls mots capables de franchir le seuil de ses lèvres alors qu'il se faisait encore à l'idée qu'on le considère incapable de faire une simple course pour le gang. Il devrait s'estimer heureux, c'est Az qui l'accompagne pas un des gros bras sans cervelle qui ne peut pas le supporter et à qui Harvey rend bien cette inimitié. Et cependant... il ne s'estime pas heureux, l'ambiance est étrange, lourde et presque porteuse de mauvais présage, sans compter le fait qu'Aslander traîne les pieds, a l'air complètement perdu dans des pensées qui ne sont pas les siennes et aussi concerné par la mission que par la possibilité de croiser un lutin de Cornouailles au beau milieu du désert.

C'est pas tous les jours qu'un joueur échappe aux filets savamment tissés par le Pit, tissés par Harvey. Enfant de la nuit, premier-né d'une araignée et d'un ver à soie, Harvey se dit parfois que c'est lui qui aurait dû hériter du surnom de Spider. Il ne sait toujours pas comment quelqu'un a pu voler dans les caisses, se faire la malle avec un pactole qui n'était pas sien et ça le taraude. Dire qu'il aime avoir les choses sous contrôle est un euphémisme et il a les tables de jeu sous contrôle. Habituellement. La veille il a fait une erreur et le regard de Wolf quand, deux heures après la fermeture du Pit, il a entendu de la bouche d'Harvey qu'une centaine de gallions avaient été volés sans qu'il s'en rende compte, sa colère glaciale a été si intense qu'elle envoie encore des frissons dans la colonne vertébrale du régulateur de jeux. « Fix your mess. NOW ! » Le ton brûlant d'une ire à peine camouflée par le décorum et le besoin de maintenir une stature impassible a plongé Harvey dans une spirale infernale de remords. Et c'est pour ça qu'il n'a rien dit, qu'il n'a pas objecté, lorsqu'on lui a dit que quelqu'un l'accompagnerait dans sa quête pour un remboursement. Bullshit. Il s'en serait aussi bien sorti tout seul, d'ordinaire avoir Az à ses côtés est un avantage, ils s'entendent bien, très bien même. À vrai dire, Aslander est peut-être celui avec qui il s'entend le mieux. Non, c'est pas vrai, Tiger est celle avec qui il s'entend le mieux, Swan est celui avec qui parler lui vient le plus facilement, nuance. Mais aujourd'hui, Az est complètement à côté de ses pompes, le regard légèrement vitreux, clairement enivré à l'alcool ou à l'orviétan. « Promise me you won't beat him senseless, let me do the talking. » Ironique. Harvey en charge du discours moralisateur, lui qui préfère les monosyllabes aux grandes allocutions. Mais c'est le boulot qu'on lui a demandé de faire et il se damnera avant de décevoir Wolf deux fois dans la même journée. Il va sans dire qu'il ne laissera pas un Aslander trop enthousiaste à l'idée de fracasser des côtes et briser des fémurs parce qu'il est trop à l'ouest pour réaliser ce qu'il est en train de faire ruiner ça pour lui. Le but est de récupérer le fric volé, d'inculquer une leçon et bien sûr, il y aura probablement un ou deux coups décernés par Az pour être sûr que la leçon entre bien. Mais Harvey a un autre objectif, faire en sorte qu'en dépit du fait qu'il a compromis ses chances d'avoir un jour une visite sans surveillance au Pit, ce type revienne dépenser son argent. Ou plus exactement se faire plumer.