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sujet; "Comment ça on est perdus?!" |
| Hécate prit l'eau que lui tendait Rabastan avec des mains rendues tremblantes par l'adrénaline et le choc. Elle porta l''eau à ses lèvres et tenta d'avaler mais sa gorge lui infligea une telle douleur qu'elle ne parvint même pas à avaler et ne réussit qu'à s'étouffer à moitié avant de tousser, d'une toux rauque qui lui déchira le larynx. Des larmes de douleur lui montèrent aux yeux mais elle les chassa et croassa:
-Me..rci.
Puis posant la gourde sur le sol, elle replia les jambes avant de tenir sa baguette entre ses doigts et de la passer aléatoirement sur l'arrière de sa tête en jetant un sort informulé. Le sang qui coulait de son crâne se tarit et le monde cessa de tourner comme un manège endiablé. Pas de traumatisme crânien. Elle avait décidément une chance de pendu. Même s'il fallait le dire vite. Hécate se prit à serrer la veste que lui avait donné Rabastan autour d'elle. Elle était gelée mais le tissus, trois fois trop grand pour elle, lui faisait du bien et le feu violacé qui brulait aidait également même si rien ne parvenait vraiment à effacer le froid que provoque la terreur. Elle supporta une nouvelle quinte de toux et articula doucement, sa voix devenue ténue et aussi rauque que si elle avait fumé pendant trente ans:
-Je...s..désolée..pas vu...venir...
Elle se tut. Elle n'arrivait plus à parler. Elle doutait d'ailleurs d'en avoir envie. Il avait vu sa pire peur, mais elle avait surtout vu la sienne. Les détraqueurs. Elle n'aurait jamais du assister à une telle chose et la gêne dans l'air était palpable, elle pouvait presque entendre les rouages du cerveau de son mentor tourner à toute vitesse. Hécate savait que n'importe quel apprenti aurait considéré ce qui venait de se produire comme un terrible, inacceptable aveu de faiblesse. Le Grand Rabastan Lestrange, incapable de repousser un épouvantard, et allant jusqu'à lâcher sa baguette. Les couloirs du ministère bruisseraient de rires ironiques si cela venait à se savoir et Rabastan était très probablement en train de réfléchir à un moyen sur et stable de la faire disparaitre pendant la nuit tout en faisant passer le tout pour un accident. S'il avait pour elle la méfiance qu'il avait pour le reste du monde -et pour quelle bon dieu de raison en serait-il autrement?- il ne supporterait pas de la garder à son service et Hécate le comprenait.
Pourtant, étrangement, la jeune femme ne ressentait aucune surprise, aucune déception quant à cette découverte brûlante sur le directeur du niveau deux. Elle ne se sentait investie d'aucun secret, détentrice d'aucune "sale petite rumeur". Qu'avait-elle vu au fond, sinon une version différente de ce qu'elle craignait le plus au monde: La perte de sa famille et la réduction au néant de tout ce qu'elle aimait? N'était-ce pas la plus grande peur de toute personne sainement constituée? De perdre ceux que l'on aimait de la pire manière qui soit? Pour elle, le pire était d'être transformé en ces choses répugnantes qu'étaient les inferis. Pour Rabastan, le pire était de ne plus être qu'un corps vide. En quoi cela était-il honteux?
Parce que c'est un mangemort. Et que les mangemorts n'ont peur de rien. Parce que la peur est pour ceux qui meurent, pas pour ceux qui survivent. Parce que s'il a peur, il est humain. Et un mangemort ne doit pas être un humain. Un mangemort est un masque. Pas une personne.
Hécate regarda les flammes, puis jeta un coup d'oeil discret à l'homme à côté d'elle.
Un mangemort est un masque. Pas une personne. Et elle venait de voir la personne, brièvement, dans le ton désespéré de sa voix, dans ses gestes confus, dans la peur et le torrent de peur et de sentiments qu'il avait montré face à l'épouvantard. Il avait laissé tomber son masque indestructible et montré l'humain qui lui avait failli, avait échoué, avait saigné et pleuré et qui avait peur. Rien de plus terrible pour un guerrier de sa trempe et de sa culture que d'ôter son armure et de montrer ses cicatrices. Hécate n'avait pas honte des siennes. Mais Rabastan Lestrange préférait visiblement les garder hors de vue pour que personne n'ait le culot de croire pouvoir le blesser encore.
Entre la douleur qui lui brûlait la gorge et le poids de la peur qui lui compressait la poitrine, Hécate ressentit une pointe de tristesse. Ils n'étaient tous que des hommes et des femmes. Que certains d'entre eux ressentent le besoin de gommer leur humanité, de l'amputer d'eux même pour avoir la force de vivre ou pour survivre face à la meute, de l'effacer de leur peau à l'acide avant de la remplacer par une marque, la rendait contemplative, et maussade. Les yeux sur les flammes, elle ouvrit la bouche et reprit une dernière fois la parole, tout bas, de manière à peine audible:
-Un détraqueur est l'absence de tout espoir...de tout but...pour en avoir peur au point que rien ne nous terrifie plus...il faut avoir une âme brûlante de vie. C'est très rare...
Et sans rien ajouter, elle se leva péniblement et alla ouvrir le sac avant d'en sortir un sac de couchage soigneusement plié et saucissonné entre des élastiques moldus qui auraient probablement sauté au nez de Rabastan s'il avait tenté de les défaire lui même. Revenant près du feu, Hécate étala ce qui allait devenir un matelas de fortune de manière à ce qu'elle fasse face à son mentor mais qu'il soit séparé d'elle par les flammes, puis s'allongea et garda les yeux fixés sur la leur violette qui éclairait la caverne.
Elle avait si peur que le sommeil lui paraissait être une notion qui plus jamais n'aurait de sens, mais étrangement, au bout de quelques minutes, la chaleur se diffusa dans ses os et l'épuisement pris le dessus. Elle ferma les yeux et resserra la veste noire autour d'elle, enfouissant son visage à l'intérieur jusqu'au nez, une chose qu'elle faisait depuis son enfance avec tout ce qui s'approchait plus ou moins d'une couverture. Le vêtement avait une odeur particulière, un mélange boisé...du cèdre...et quelque chose d'autre. De l'ambre. Cèdre et ambre. un parfum particulier qu'on ne retrouvait pas souvent. Elle inspira profondément et sentit ses pensées dériver.
Dors pas. Si autre chose attaque, pas dormir Pas...chose. Chose. Ambre et cèdre. Chaud. Chaud. Ambre. Dor...
Elle sombra dans le sommeil, laissant à son mentor le premier tour de garde. Elle aurait été bien incapable de le prendre de toute manière. |
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| « Me-rci… » Il ne s’était pas trompé sur ce point, sa voix était abîmée, écrasée. Rauque comme si elle avait hurlé plusieurs heures de suite et faible comme comme si elle l’avait plus parlé depuis plusieurs jours. Étrangement (peut-être pas tant que ça) il imaginait très bien la sensation qu’elle ressentait et alors qu’il la regardait à moitié s’étouffer sur une pauvre gorgée d’eau, sa propre gorge se serra. On pouvait dire ce qu’on voulait sur les Mangemorts, on pouvait bien croire ce qu’on désirait croire, imaginer ce que l’on souhaitait mais s’il y avait bien une chose que Rabastan ne sous-estimait pas c’était bien la souffrance morale, mentale. Le corps physique pouvait supporter bien plus de coups que l’esprit, et cicatrisait plus vite : si cela ne lui posait aucun problème d’éthique ou de conscience de bousiller les défenses émotionnelles d’un prisonnier ou d’un rival, il regrettait (autant que Rabastan pouvait regretter) profondément d’avoir entraîné Hécate sur ce terrain. Ne te force pas à parler… Il ne fallait pas trop forcer, s’il y avait bien une chose à éviter c’était que le choc paralyse momentanément ses cordes vocales ─ même muet on pouvait lancer des informulés mais Rabastan préférait largement qu’elle s’abstienne de paroles pendant ce moment pour mieux être opérationnelle plus tard. Et aussi peut-être pour ne pas l’entendre. Pour ne pas entendre ce qu’elle pourrait éventuellement lui dire. « Je...s..désolée..pas vu...venir... » « Tais-toi. » souffla-t-il, sa propre voix était basse et légèrement altérée « Ne te force pas à parler. » Et Merlin, ne t’excuse pas ! Elle se tut, elle ne l’avait peut être même pas entendu. Dans les moments qui suivaient la panique, la peur, tout pouvait paraître si flou, si vague.
Parce que ce qu’elle ressentait en cet instant devait égaler ce que lui pouvait vivre. Même s’il était parfaitement conscient que pour l’instant son cerveau tournait à plein régime pour l’occuper et pour éloigner le plus possible dans le temps le moment où le contre coup frapperait. Mais l’état d’Hécate, en ce moment, il le comprenait. Pour le coup il n’avait pas été le seul à se prendre la créature en pleine tête, elle aussi. D’un point de vue purement neutre, Rabastan ne craignait pas les Inferi. Il les trouvait écoeurant et n’était pas nécessairement un adepte de ce genre de magie qu’il jugeait bien trop dégueulasse et peu digne d’un sorcier de son statut. Des morts-vivants : trivial, sans aucun goût… Il n’avait pas peur de ça. Mais l’expérience de son premier Épouvantard, à Pouldard, lui avait appris à ne pas juger les peurs d’autrui. Parce qu’elles sont toujours fondées. Il n’était hélas pas difficile du tout de comprendre le commencement de ses propres craintes à lui, et grâce aux brefs souvenirs qu’il avait pu glâner le jour de leur rencontre dans l’esprit d’Hécate il pouvait recoller les morceaux et imaginer pourquoi ces créatures la terrifiait tant. Pas n’importe lesquelles de ces créatures. Rabastan n’avait jamais vu la jeune Leda Shacklebolt, mais il n’avait eu aucun mal cependant à la reconnaître derrière les traits détruits de l’Inferius. Il serait vraiment la dernière personne au monde à cracher sur l’amour fraternel. La forme était peut être différente mais ils craignaient la même chose. Il n’était pas un modèle d’empathie, loin de là, mais en ce moment il n’en avait pas besoin pour comprendre, pour ressentir ce que son corps et esprit traversaient.
Est-ce que ça l’énervait ? Est-ce que ça le mettait mal à l’aise de penser que, de son coté, elle pensait peut-être exactement la même chose ? Que pendant que lui s’occupait désespérément à disséquer ce qu’il pouvait voir chez elle, elle en usait de même avec lui ? Tu ne t’attends pas à ce qu’elle te demande la permission non plus ? Bien sûr que c’est ce qu’elle fait ! Il n’aimait pas ça. N’est-ce pas ? C’était plus facile de ne jamais rien vouloir laisser filtrer, de ne jamais rien lâcher : de vouloir rester indécodable, incompris, parce que comme ça, quelques soient les idées que les autres s’imaginent à notre propos, on peut toujours se répéter que ces idiots ont tout faux, n’ont rien pigé. On peut se construire une conscience et se répéter dans le creux de notre esprit qu’on a raison, raison, raison. Que les autres ne comprennent pas parce qu’ils ne peuvent pas, fondamentalement, comprendre. Alors que si soudain quelqu’un se mettait à réfléchir, à détailler, à analyser, à montrer une once d’empathie (ce que personne ne s’était jamais donné la peine de faire), les excuses si savamment construites pouvaient rapidement voler en éclat. Rabastan voulait-il qu’on puisse comprendre ce qu’il ressentait ? Ce qu’il avait vécu ? Il ne cessait de rager sur sa solitude mais elle lui plaisait beaucoup : parce qu’elle était un vrai nid à excuses, parce qu’elle lui permettait de mieux exterminer ses regrets. Tu es seul de toute manière, personne ne se donnera jamais la peine de comprendre, d’imaginer. Tout le monde s’en moque. Se moquer des autres devient bien plus facile. Pourquoi faire montre d’empathie envers des gens qui n’en ont jamais eu pour lui ?
Il ne savait pas ce qu’il pourrait faire si quelqu’un commençait à faire preuve envers lui d’une once d’humanité. Il n’avait pas envie d’imaginer. Parce que c’était bien trop compliqué. Tu n’as qu’à imaginer qu’elle ne pense rien. Qu’elle tente d’oublier. Ça semble correct et intelligent comme stratégie… Rabastan s’assit sur le sol, le plus proche des flammes qu’il le pouvait. Elle devait sans doute être bien trop perturbée pour commencer à se poser des quest- « Un détraqueur est l'absence de tout espoir...de tout but...pour en avoir peur au point que rien ne nous terrifie plus...il faut avoir une âme brûlante de vie. C'est très rare... » Elle avait parlé si bas que s’il avait voulu il aurait pu imaginé avoir halluciné ses mots. Mais malheureusement même la mauvaise foi de Rabastan Lestrange avait des limites. Il ne se rendit compte que quelques instant après qu’il faisait frapper nerveusement la pointe de sa baguette sur le sol de pierre. Il s’arrêta : ne tentait même pas de la regarder dans les yeux. Est-ce qu’elle attendait une réponse ? Sincèrement devait-il répondre ? Et si oui, que devait-il dire ? La seule chose qui lui venait à l’esprit en cet instant était un très long mmmmmh ; il ressentait l’immense désir de se plonger dans son esprit pour voir ce qu’elle pouvait penser, ce qu’elle pouvait imaginer, pour vérifier que tout allait bien, qu’elle n’allait pas trop loin, qu’elle ne risquait pas de briser ce qu’il se construisait depuis plus de quatre ans. Mais pour ça il aurait fallu la regarder dans les yeux. Mais pour ça il aurait fallu qu’il casse une confiance en laquelle il tenait. Alors au lieu de ça il croisa ses bras contre sa poitrine, faute de pouvoir les serrer autour de lui. « Peut-être bien… » c’était tout ce qu’il pouvait dire. Tout ce qu’il voulait dire. La chose la plus neutre qu’il avait trouvé. Il la regarda s’installer, se coucher et fermer les yeux. Et quand il fut à peu près certain, en écoutant le rythme de sa respiration, qu’elle dormait bel et bien, il remonta ses genoux juste sous son menton, entoura les jambes de ses bras alors que sa main droite tenait fermement sa baguette. Il se concentrait sur les flammes et bientôt ses pupilles le brûlaient, mais ce n’était pas désagréable, le feu et la chaleur avaient quelque chose d’hypnotisant.
Quel est ton souvenir le plus heureux Rabastan ? Son entrée à Poudlard ? Tu étais bien trop angoissé à l’idée de ne pas être envoyé à Serpentard. Le jour où il avait reçu la Marque ? Ne te mens pas à toi-même, ça faisait bien trop mal, bien trop peur pour que ça soit un bon souvenir. La naissance d’Arsenius ? D’Aramis ? De Cedrella ? Des gosses que tu n’as pas vu grandir, avec qui tu ne sais même plus parler. Il avait été tellement heureux, pour les trois fois, de les tenir dans ses bras. Allez ! La théorie était si simple : pense donc à ce souvenir, à ces trois souvenirs. Trois ! Tu as la chance de pouvoir te gorger de la force de trois moments magnifiques où tu n’avais pas à simuler tes sourires, où tu n’avais aucune raison de mettre en doute ton bonheur. Vas-y, elle dort et personne ne verra rien… Il lève sa baguette, ferme les yeux, laisse la chaleur des flammes l’envelopper complètement, laisse les lointains souvenirs de joie se raccrocher dans son cœur. « Expecto patronum. » il l’avait murmuré, parce qu’on n’a jamais besoin de hurler une incantation. Il l’avait dit bas, très bas, presque dissimulé par le crépitement du feu. Une brève chaleur parcourut son bras, l’espace d’un court, très court instant. L’extrémité de sa baguette cracha bien avec réticence un vague filet d’une fumée opaque, pas même argenté. La fumée s’évapora presqu’aussitôt. Rabastan ne soupira même pas, repositionna sa main contre ses jambes. Il s’en était douté. Il n’avait jamais réussi. De sa vie. Avant de recevoir la Marque même. Il avait toujours été bon, tout le temps. Mais c’était ses deux échecs.
Ne pas avoir su défaire un Épouvantard en cours de Défense Contre les Forces du Mal. Ne jamais avoir pu produire de Patronus, là où certains de ses camarades pourtant plus médiocres que lui quand on en venait aux sortilèges, maléfices ou autres charmes parvenaient au moins à produire un nuage de fumée à peu près consistant et tenace. On dit que les Mangemorts en sont incapables. Il n’avait pas encore eu ses dix sept ans à l’époque. Avait-il été destiné à devenir ce qu’il était ? Tu te cherches de nouvelles excuses. « Je n’ai pas besoin de putain d’excuses… » murmura-t-il pour lui-même. Assis, dans le silence, il attendait que le soleil se lève. Il avait fait ça de nombreuses fois. Il n’avait pas sommeil. Il n’avait pas besoin de dormir. Il attendait juste et ses yeux passaient du feu à la silhouette endormie d’Hécate. Demain serait un autre jour.
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| Hécate dormit mal cette nuit là et quand ses yeux s'ouvrirent, peu avant l'aube, elle ne se sentait pas reposée le moins du monde. Sa gorge était aussi douloureuse que si elle avait gaiement avalé une poignée de tessons de verre et ses muscles subissaient le contrecoup de la veille. Elle avait cauchemardé mais ne se souvenait pas du sujet de ses angoisses. Ou peut être qu'elle s'en souvenait mais souhaitait oublier.
Elle cligna des yeux et sans faire un geste, chercha Rabastan du regard. Il était appuyé contre le mur de la grotte, le regard fixé sur les flammes violacées, désormais presque mourantes et seule sa poitrine qui se soulevait régulièrement prouvait qu'il était vivant. C'était à peine s'il clignait des yeux. Hécate l'observa: il avait l'air épuisé, un épuisement physique mais aussi psychologique, qu'elle n'avait jamais vu inscrit sur son visage. Il n'avait pas du fermer l'oeil de la nuit et elle le comprenait: la soirée de la veille avait été aussi dure pour elle que pour lui. A la différence que lorsqu'elle admettait ses moments de débâcle, lui préférait les nier.
La jeune sorcière se leva enfin, lentement, ses muscles criant au scandale et s'assit face au feu, la veste de son mentor toujours sur les épaules, puis s'étira doucement et se leva avant de déposer le vêtement à côté de lui.
-Vous devez avoir froid...murmura-t-elle en guise de bonjour.
Puis, elle s'approcha de l'entrée de la caverne et désactiva les sorts de protection d'un geste de baguette. Au loin, par delà les monts et la forêt, une lueur rosée et dorée commençait à pointer. Le temps serait clément, elle le voyait à la brume qui se dissipait et découvrait le terrain. Les poils des bras hérissés par le froid matinal, la gorge martyrisée par l'air humide, elle s'ébroua toutefois et lâcha:
-Je vais chercher à manger.
C'était plus une déclaration qu'une demande. Hécate avait besoin d'être seule tout autant que lui et la tension qu'elle sentait dans l'air ne lui plaisait pas. Mettant les pieds dehors et s'ébrouant tout en frottant ses mains, des nuages de buée s'échappant de ses lèvres tandis qu'elle inspirait, elle se mit en route. Sans Rabastan sur ses talons, le poids du sac en moins et malgré ses blessures, elle progressait plus vite que la veille, et elle eut tôt fait de regagner la forêt avant de s'enfoncer entre les arbres à la recherche de baies, de champignons et de tout ce qu'ils pourraient se mettre dans le ventre. La pluie de la veille avait transformé le terrain en véritable pataugeoire et Hécate eut tôt fait de salir le bas de ses vêtements, et de finir par véritablement ressembler à une sauvage. Pourtant, elle ne ressentait aucune honte, aucun sentiment d'indignité. Elle avait une mission et se contentait de la remplie, peu importe le style et l'élégance -ou plutôt le manque d'élégance- qui accompagnaient le processus. Il n'y avait que les sorcières de salon et les anglais pour s'inquiéter de ce à quoi ils ressemblaient en plein exercice de survie.
Les mures étaient tardives cette année là et Hécate se mit à chercher des bosquets tout en ramassant les quelques baies qu'elle pouvait glâner au fil du chemin. Elle avait noué sa veste en balluchon et y fourrait ses provisions, qu'elle finit par agrémenter de champignons, puis avisa la rivière en face d'elle. Un peu de poisson ne tuerait pas, si? elle n'avait de toute manière ni le temps ni l'envie de se lancer dans de la chasse au gibier. Posant son petit sac de fortune à terre, elle ôta son pantalon et son débardeur avant d'entrer dans l'eau: le choc fut intense et elle serra les dents alors que l'eau gelée atteignait ses cuisses puis sa taille. Elle avait sa propre manière de pêcher, beaucoup plus efficace que celle qu'employaient les pêcheurs occidentaux, mais elle requérait de ne pas avoir peur de se jeter à l'eau. Et elle était bien plus aisée dans le Mississipi que dans les cours froids de l'Angleterre. Elle pensa un moment à reculer, mais son ventre poussa un tel rugissement qu'elle prit une grand inspiration et plongea. Le froid lui barra le front, bloqua sa respiration dans sa poitrine et ses blessures hurlèrent sous l'impact de l'eau, si fort qu'elle fut obligée de remonter. Elle n'allait pas y arriver. Elle n'y arrivait pas.
Et cette constatation l'horrifia. Les côtes brisées, les bleus, la gorge meurtrie, le crâne blessé, étaient des choses qu'elle pouvait supporter tant qu'elle parvenait encore à accomplir des tâches qu'elle jugeait basique: marcher, chasser, pêcher, parler. Mais elle n'en était plus même capable. Dépitée, elle essaya encore une fois, juste pour sentir une douleur lancinante lui vriller les côtes. Échec.
Hécate sentit un vent de colère balayer sa fierté et trempée, grelottante, les lèvres bleues, elle remonta sur la rive avant d'empoigner sa baguette et de lancer un sort informulé d'un geste rageur. L'eau frémit dans le lit de la rivière et soudain, une bulle s'en détacha, lévita dans les airs, avec à l'intérieur d'elle, deux beaux poissons qui semblaient ne pas vraiment comprendre ce qui leur arrivait. Hécate amena prudemment la bulle jusqu'à elle et la laissa se désintégrer sur la rive avant d'attraper les animaux et de les fourrer dans son baluchon. Elle se rhabilla avec des gestes secs. Plus capable de pécher. Obligée d'obtenir du poisson grâce à la magie. On aurait vraiment tout vu. La rage et le froid déclenchèrent chez elle une quinte de toux violente et c'est piteuse qu'elle rebroussa chemin vers la grotte.
L'Angleterre l'adoucissait. La rendait incapable. Elle aurait du pouvoir combattre cet épouvantard, elle aurait du pouvoir protéger son mentor à défaut de pouvoir protéger ceux qui formaient sa famille, elle aurait du pouvoir rapporter de quoi manger, elle aurait du être meilleure que ça! meilleure que les autres à ce jeu de survie auquel elle était pourtant formée depuis sa naissance! tout était trop différent! tout était trop compliqué! et d'experte elle se retrouvait néophyte, de princesse elle se retrouvait simple membre du peuple, de chef de guerre elle se retrouvait apprentie! apprentie d'un homme dont elle avait sans doute déjà perdu l'estime à cause de ses fiascos, et la confiance à cause de ce qu'elle avait vu! C'était peut-être ce qui la perturbait le plus dans toute cette histoire: elle n'avait pas trouvé en Angleterre de personne à qui elle avait eu envie d'accorder son respect et sa confiance depuis son arrivée, les amis de son père se montrant aussi hypocrites que lui et ses collègues ne manifestant qu'une sorte de dédain colonialiste à son égard. Il n'y avait que Rabastan qui avait montré cette force de caractère, cette dureté mais cette justesse nécéssaires pour Hécate à toute relation quelle qu'elle soit. En vérité, elle l'estimait. Peut-être qu'elle l'appréciait même. Il avait cette manière rude mais attachante de gérer ses affaires quotidiennes, une humanité qui ne transparaissait que dans ce qu'il oubliait de cacher: ses papiers de chocogrenouille, ses rictus de fatigue le matin, le tic de ses mains quand il était agacé, ses jurons retentissants et ses manières qui tenaient parfois plus de celles d'un voyou des rues que d'un aristocrate. Le tout, mélangé à ses standards de vie et d'intellect, donnait un cocktail explosif mais coloré qu'Hécate trouvait rassurant, plus à l'image de ce qu'elle connaissait, de ce qu'elle affectionnait, que ce que son propre père pouvait lui montrer. Rabastan était d'ailleurs l'antithèse de son père. Plus jeune, plus vif, plus franc, plus violent.
Hécate regrettait de ne pas avoir su, ou pu, montrer ce dont elle était capable, d'avoir...échoué. L'apprenti devait déblayer le terrain pour le maître, c'était une partie nécessaire de tout apprentissage, et le mentor ne se devait d'intervenir qu'en cas de rigoureuse nécessité. Elle aurait du réussir. Tout réussir. Et par ressortir de cet exercice amochée comme elle l'était. Comment s'étaient débrouillés les autres apprentis de Rabastan? avaient-ils tous passés ce test avec aisance? avaient ils tous montrés cette distinction que le mangemort semblait attendre? était elle l'exception sauvage et décevante de ce panel?
Désormais frigorifiée, contrariée et anxieuse, elle pénétra dans la grotte, vers laquelle ses pas l'avaient portés tout naturellement et montra le sac quand Rabastan écarquilla les yeux, observant sa silhouette trempée et ses cheveux humides d'un air indéchiffrable.
-J'ai trouvé ça, se justifia-t-elle de sa voix ténue et éraillée.
Elle posa le tout sur le sol et se mit à séparer les baies des mures, avant de s'attaquer au poisson. Un coup de couteau et ils ne bougèrent plus. Un coup de baguette et ils se mirent à s'écailler eux mêmes. Hécate éternua une fois, deux fois, puis ranima les flammes magiques qui sous son influence, prirent une teinte non pas violette, mais rouge sang. Elle se réchauffa, et poussa quelques fruits vers son mentor avant de tenter un très fin sourire d'encouragement. Très discret. Mais présent.
-Je n'en ai pas déniché beaucoup, mais si je me souviens bien vous n'êtes pas un gros mangeur alors...je crois qu'il devrait y en avoir assez. Je prendrai du poisson. Oh, et ça aussi.
Elle attrapa le sac de voyage à côté d'elle et en sortit un sac plastique qu'elle avait repéré la veille et duquel elle extirpa deux barres aux emballages colorés. Elle en ouvrit une et la posa près d'elle avant de mettre la seconde avec les fruits destinés à Rabastan.
-Ça s'appelle un Snickers. Chocolat, caramel, cacahuètes. Ca vous donnera l'énergie suffisante pour accomplir le reste de la montée. Mangez, ce n'est pas empoisonné. Sinon je serais morte depuis bien des années déjà, j'ai du manger le quadruple de mon poids en snickers durant mon enfance...
L'ambiance était si lourde. Peut-être était-ce pour réparer ses erreurs, ses manquements, mais Hécate tentait de dérider l'atmosphère, sans grand succès. Alors elle mâcha, tandis que les craquements du feu accompagnaient la cuisson des poissons.
-Je vous demande de m'excuser, lâcha-t-elle doucement mais avec fermeté, j'aurais du repousser cet épouvantard moi même hier soir. Vous aviez fait voeux de ne pas intervenir, j'aurais du...prendre les devants. Explorer la grotte avant que vous n'ayez à le faire. C'était une erreur. Et je comprendrais que vous vouliez mettre fin à mon apprentissage une fois rentrés.
Assumer ses erreurs. Un principe essentiel qui parfois écorchait l'égo et blessait le coeur, mais qu'il fallait accepter. Surtout avec des hommes comme Lestrange. |
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| Il ne s’endormait pas : même s’il l’avait voulu il n’aurait pas réussi. C’était sans doute mieux ainsi, il fallait bien que l’un d’entre eux veille sur l’autre et Hécate avait besoin de dormir. Lui pouvait survivre sans sommeil. La chaleur des flammes qu’il ne lâchait pas des yeux pénétrait ses iris, il clignait des yeux, se penchait en avant, restait dans cette posture, roulé sur lui-même, un long moment avant de se redresser de nouveau et de contempler de nouveau le feu. Même manège, plusieurs fois de suite. Le feu commence à perdre en force et la lune à pâlir dehors mais il ne tourne même pas la tête, reste concentré sur son rituel qui fait passer les heures, qui l’empêche de trop penser. L’avantage de la fatigue était qu’elle vidait le cerveau plus efficacement qu’aucune autre technique de relaxation : son cerveau était vidé, sa mémoire déconnectée, son corps se contentait de fonctionner machinalement, de l’empêcher de dormir. Avant que le soleil ne commence à se lever, Hécate se redressa. Il ne sursauta même pas, il la suivit du regard, elle posa sa veste près de lui : « Vous devez avoir froid... » il ne lui répondit pas, il doutait en cet instant de pouvoir articuler une phrase correcte syntaxiquement et ayant un quelconque sens. Sa respiration était extrêmement lente, comme si tous ses muscles et organes s’étaient mis au repos, le monde paraissait aller trop vite autour de lui. Il entendait sa voix, mais elle lui paraissait très lointaine : « Je vais chercher à manger. » Parfait… c’était sans doute mieux qu’il soit seul quelques instants, au moins le temps de remettre toutes les fonctions cérébrales et musculaires en marche. Il la regarda quitter la caverne.
Tu ne serais pas très utile si quelque chose venait t’attaquer maintenant. Rabastan comptait sur l’adrénaline dans ces moments là pour lui sauver la mise, ça avait déjà marché quelques fois… Les brusques élans que pouvaient connaître les muscles et l’esprit quand on était en danger étaient les meilleurs réveil du monde. Mais il était toutefois heureux pour cette fois d’avoir une occasion de se remettre d’aplomb sans avoir à mettre sa vie en danger. Il porta sa main devant ses yeux et claqua des doigts, il cligna instinctivement des paupière et inspira profondément. Cette brusque bouffée d’air agit comme un stimulant pour tout son corps, il se releva, étira ses jambes et ses bras qui étaient comme engourdis par la longue nuit passée en position assise. Il passa sa main sur son visage. Merde… Il sentait bien qu’il était fatigué, plus fatigué que d’habitude, plus fatigué que ce qu’il tolérait normalement. Adossé contre le mur de la caverne, il ferma les yeux un bref moment et au même moment il sentit comme son esprit lâcher lentement prise. Arrête ça ! Un crochet vint retourner son ventre et une violente sensation de chute le fit rouvrir les yeux avec un sursaut qui parcourut tout son corps. C’était beaucoup plus facile de ne pas dormir de la nuit quand on n’avait rien à faire de sa journée… À bien y réfléchir, Rabastan ne savait pas combien de temps il avait pu rester à ne pas dormir là bas et combien de temps il avait passé dans les cauchemars. À bien y réfléchir… ses yeux se ferment, il tente de se souvenir ou bien… juste fermer les yeux… Rabastan ! Le derrière de sa tête frappe le mur, reste réveillé ! Il faut juste un choc quelconque, pour l’empêcher de partir. Il se heurte de nouveau la tête contre le mur, pas trop fort, juste ce qu’il faut. Il serre le poing gauche et cogne ses doigts repliés sur la paroi. Un, deux, trois. Respire. Reprend. Un, deux, trois… La douleur familière au niveau de ses phalanges le ramenait à la réalité.
Un bruit de pas l’arrêta dans son entreprise : il s’immobilisa. Hécate revenait. S’il cherchait un électro-choc pour être certain de bien se réveiller, il venait de le trouver. Elle était dans un état… un état peu digne d’une femme de l’Élite. Et elle n’avait pas l’air au comble de la bonne humeur. Ce qu’il pouvait très bien comprendre. Quand elle parla, sa voix était encore faible. Elle posa ce qu’elle avait trouvé sur le sol et s’assit, il l’imita. Au passage il récupéré sa veste qu’il enfila. Ses éternuements le firent sursauter, preuve s’il en était qu’il lui faudrait dormir absolument la nuit prochaine quitte à prendre une potion pour l’aider. La brusque chaleur provoquée par les nouvelles flammes lui firent du bien à lui aussi. Sa remarque le fit hausser les sourcils : non il n’était pas un gros mangeur, loin de là. Il trouvait ça surprenant qu’elle l’ai remarqué, personne ne faisait jamais attention à ça. Mais ce qu’elle fit ensuite l’aurait presque fait rire, dans une autre situation, dans une autre vie où il aurait encore su vraiment rire. « Je sais ce que c’est… » fit-il en prenant la barre dans sa main. Sa voix ne portait aucune trace de fatigue mais la lassitude devait percer. Même le meilleur des comédiens ne pouvait tout dissimuler, à son grand dam. « J’ai tout de même eu trois enfants. » Ça lui faisait étrange de parler de ses enfants. De ses enfants qui étaient vieux maintenant. Arsenius… devait être juste un peu plus jeune qu’Hécate. Nouvel electro-choc. Alors qu’il faisait glisser le papier de la barre entre ses deux doigts il lança un long regard en direction de la jeune femme. Elle pourrait être ta f… Elle était plus âgée que toutes les jeunes pousses qu’il avait pu avoir sous son aile, et beaucoup plus forte. Presque l’âge d’Arsenius Et alors ? Arsenius avait beau être son enfant, ce n’était plus un enfant. Et Hécate n’était pas une gamine non plus. L’âge de… Elle était plus vieille que lui quand il avait été… quand Cedrella avait fêté son premier anniversaire. Tu t’intéresses beaucoup à son âge, qu’est-ce que tu cherches à justifier ? Il avait à demi fermé les yeux, il eut un très léger sursaut : putain ! Son cerveau partait complètement en vrille. Il devait se concentrer. Il reprit sa phrase, le plus naturellement qu’il lui était possible : « Et je t’assure qu’on ne les nourrissait pas qu’avec des fruits et des légumes. » Enfin Cedrella ne mangeait pas de ce genre de conneries chocolaté à un an. Arsenius en revanche y avait eu le droit. Et le chocolat… d’expérience, Rabastan savait que c’était ce qu’il y avait de meilleur. Il déchira l’emballage, croqua dans la barre et la termina assez vite. Ça lui suffisait presque, le goût du chocolat le réconfortait comme il le renforçait. Et la présence d’Hécate le forçait à rester conscient sans qu’il n’ait besoin de constamment se sortir lui-même de ses brèves torpeurs.
« Je vous demande de m'excuser. » Ah bien… voilà donc ce qui bloquait. Et qui rendait l’atmosphère tellement lourde qu’elle en était étouffante. « j'aurais du repousser cet épouvantard moi même hier soir. Vous aviez fait voeu de ne pas intervenir, j'aurais du... prendre les devants. Explorer la grotte avant que vous n'ayez à le faire. C'était une erreur. Et je comprendrais que vous vouliez mettre fin à mon apprentissage une fois rentrés. » Bien… Il était étrangement particulièrement habitué à entendre des gens s’excuser. Face à lui, les gens trouvaient toujours des choses à se faire pardonner bizarrement. Et on était désolé d’avoir fait ci, d’avoir aider un tel, d’avoir livré telle information, d’avoir caché cet homme, d’avoir aider cette femme à s’échapper, de l’avoir bousculer un peu dans le couloir, de l’avoir regarder avec un peu trop d’insistance… Pardonnez-moi devait être une phrase qu’il entendait le plus souvent dans ses journées. Et pourtant la voix d’Hécate était tellement différente de celles qu’il était habitué à entendre… Elle n’avait pas peur. Aucune trace de crainte. Il posa ses doigts sur sa tempe. Pourquoi juger nécessaire de s’excuser quand on n’éprouvait aucune peur ? Lui-même lorsqu’il implorait le pardon de son Maître (et cela pouvait arriver mine de rien assez souvent) il était toujours, toujours terrifié. Peur d’un retour de flamme et d’une douloureuse sanction tout comme les gens qui se pliaient en deux devant lui avait peur qu’il ne leur explose à la figure. Les excuses qui ne servaient pas à se protéger signifiaient qu’elles étaient… inutiles ? Sincères. Il était sidéré : comment avait-elle fait pour survivre aussi longtemps parmi eux avec autant d’honnêteté ? Rabastan était un homme franc, mais vu sa place sur la chaîne alimentaire il pouvait se le permettre, et même ainsi il se prenait de temps à autre de sérieux coups qui lui rappelait qu’il évoluait dans un monde où beaucoup de choses devait se faire dans l’ombre et derrière des sourires mielleux. Hécate, elle, avait longtemps été à un endroit un peu fumeux de cette chaîne. Et elle avait tenu. Et n’avait pas été bouffée. Une putain de survivante. « Excuses acceptées Shacklebolt. » marmonna-t-il, il se racla la gorge et continua, plus clairement : « Je ne pense pas qu’il sera vraiment nécessaire de te le rappeler avec précision mais étant donné ma propre maîtrise de la situation… » Il caressa le bois de sa baguette de sa main droite, machinalement « Enfin, si tu estimes avoir mal géré la situation en temps qu’élève, je ne pense pas avoir été particulièrement performant en tant que maître. » Apparemment elle se jugeait plus elle, qu’elle ne le jugeait lui et franchement, ils étaient arrivés à un stade où cela ne servait à rien de le nier, il ne savait pas se débarasser d’un Épouvantard. Ce n’était pas qu’elle sache cela, étrangement, qui le gênait le plus. « Je suis juste satisfait qu’il n’y ai pas eu trop de… dommages collatéraux. » Puis soudain, il doute : ne demanderait-elle pas à partir ? Pas si étonnant que ça, TU-NE-SAIS-PAS-FAIRE-FACE-A-UN-ÉPOUVANTARD ! Il se glaça. Elle réclamait de partir, elle tentait juste de tourner ça d’une autre manière. Tu peux la laisser partir… Tu n’as pas besoin d’elle. Non bien sûr que non. Il n’avait besoin de personne. Mais elle était… Quoi ? Douée. Simplement. Douée. Il l’avait vu se battre, il l’avait vu lancer des sorts. Elle pouvait être terrifiante, elle était débrouillarde. Il ne voulait juste pas qu’elle parte comme ça. Tu as besoin d’elle… C’était purement pour le Maître. Simplement pour le Maître. Il n’avait besoin de personne, lui, Rabastan Lestrange. Mais il n’allait pas la laisser partir. Tu sais pourquoi tu veux la garder près de toi. Tu veux la garder parce qu’elle sait produire un patr… « Je suis navré alors de te décevoir sur ce point mais ce n’est pas cette journée qui t’affranchira de ma compagnie. Il en faudrait bien plus pour que je te renvoie. » Il inspira : « Tu… Ce que tu as vu. Tu n’auras jamais plus à le revoir. C’est à moi de m’excuser. Ce n’était pas du tout professionnel. Et tu aurais pu mourir. » Nouvelle inspiration : « Mais frôler la mort n’est pas un motif suffisant de démission. » Il tente un demi sourire, renonce assez vite. Il y a deux sujets qu’il brûle d’aborder mais il sait très bien qu’il ne parviendra jamais à amener le premier sur le tapis. Et il ne sait pas s’il a tant envie que ça d’en parler… A-t-il vraiment besoin de la menacer pour qu’elle garde le silence sur ce qu’elle a pu voir ? Elle est assez sensée pour garder le silence sans aucune motivation venant de sa part… Et d’autre part il ne crève pas vraiment d’envie de lui ramener la scène humiliante en tête. Comptait-il sur son oubli ? Il aimerait bien… Il pouvait, lui, tâcher d’oublier comme il le faisait toujours, mais il ne pouvait pas effacer la mémoire d’autrui de la même manière. À moins d’utiliser un sort. Il ne voulait pas risquer de lui démonter le cerveau, il savait qu’il n’était pas un modèle de douceur et de dosage en matière de sort. Il ne voulait surtout pas lui démonter le cerveau… Il se racla de nouveau la gorge : « Alors tu sais… ahem. Tu sais matérialiser un patronus ? C’est vraiment… impressionnant. » Oh, Rabastan, serait-ce de la jalousie ? Demande-lui comment elle fait, vas-y ! Il ne saurait jamais en lancer un, même si Dumbledore lui-même revenait d’entre les morts pour lui donner des leçons… Bien entendu, alors demande-lui de rester près de toi… Il ferme un bref moment les yeux… Avoue que tu voudrais toujours l’avoir avec toi rien que pour avoir cette protection d’assurée… Jamais il ne dirait ça ! Il rouvre les yeux, passa sa main sur son visage : « Vraiment impressionnant. De la belle magie. » La plupart de ses collègues crachaient allègrement sur ce charme, n’essayaient même pas de le lancer, ne regrettaient pas d’être dans l’incapacité d’en produire un, n’en voyait même pas l’utilité. Rabastan n’était pas idiot. Tout Mangemort qu’il était, il savait reconnaître la beauté quand il en voyait et ça… c’était de la belle magie. « Tu es une apprentie… plein de surprise, Shacklebolt. » Une apprentie qui en sait plus et de loin sur certains sujets que son maître. Une apprentie intéressante en somme, et il avait autant à apprendre d’elle qu’elle de lui. Tu vois que tu as besoin d’elle. Il devra vraiment s’obliger à dormir la prochaine nuit…
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"Alors tu sais… ahem. Tu sais matérialiser un patronus ? C’est vraiment… impressionnant.Vraiment impressionnant. De la belle magie...tu es une apprentie pleine de surprises Shacklebolt"
Elle se prit à sourire. Il n'allait pas lui éclater la tête à coups de rocher pour provoquer une amnésie concernant ce qui s'était produit, il venait de la complimenter et le plus important: il ne la renvoyait pas! (il fallait sans doute qu'elle revoie l'ordre de ses priorités.) Hochant la tête la jeune femme haussa une épaule et finit de manger le reste de sa barre chocolatée. La voix de Rabastan était légèrement enrouée, et la dernière chose au MONDE dont Hécate avait envie était d'une nouvelle séance forcée de silences gênés. Elle avait eu sa dose en la matière, aussi décida-t-elle de remettre les choses à plat, ou plutôt, en perspective.
-C'est un des sortilèges que j'ai eu le plus de mal à apprendre vous savez...ça et le transplanage. Une fois j'ai failli me désartibuler et j'ai atterri le nez dans un cyprès, double fracture. Oh et j'ai essayé de monter sur un balais. Une fois. Alors en matière de belle magie...j'ai de belles lacunes. Je crois que le karma a juste eu pitié de moi et s'est dit "on va lui donner le patronus, elle aura moins honte". Vous voyez l'idée?
Satisfaite plus que de raison à l'évocation de ces souvenirs, elle goba quelques fruits et lança à son mentor:
-Et vous n'êtes pas en reste. Legilimens et occlumens...il y a assez peu de pratiquants de ces arts chez moi, nous sommes surtout des tribus de voyants, d'empathes et d'animagus. Vous feriez un tabac à la Nouvelle Orléans, les legilimens accomplis sont toujours le centre de l'attention générale. Et mon peuple aime les sorciers puissants. plus encore que les anglais.
Elle lui sourit de nouveau, d'un air plus amusé cette fois et bondit sur ses pieds. Elle avait fait son maximum pour détendre un tant soit peu l'atmosphère et si cela ne marchait pas sur son auguste mentor, preux patron et tutti quanti, cela aurait au moins eu le mérite de la revigorer elle. Une poignée de myrtille rejoignit son estomac et, les cheveux encore humides, elle se dirigea vers l'entrée de la grotte avant de respire profondément. Cette fois, le soleil était bel et bien en train de se lever, et des flèches d'or transperçaient le ciel de l'Angleterre pour venir frapper arbres et collines, montagnes et rivières, donnant au jour nouveau qui naissait alors une aura presque irréelle. Les derniers lambeaux de brumes s'effilochaient, la chaleur arrivait doucement. Hécate fit craquer son dos et retourna à l'intérieur de la caverne, éteignant le feu d'un coup de baguette et rangeant ses affaires à la hâte.
-Il faut y aller, dit elle sérieusement mais avec un entrain qui faisait presque oublier la nuit de cauchemar qu'ils avaient vécus, la pente est raide, elle va être glissante mais si nous voulons atteindre le sommet du col avant le zénith, nous devons partir maintenant. Nous n'avons pas d'eau, la journée promet d'être chaude et avec nos blessures je ne veux pas risquer la moindre insolation.
La jeune femme projeta le sac sur son dos et grimaça. En pleine santé, le porter n'avait pas été ardu mais après une journée et une nuit de combats, il lui semblait peser 6 tonnes. A la bonne heure, elle ferait donc son devoir, mais que Rabastan ne compte pas sur elle pour passer comme une fleur sur l'affaire du sac ni pour s'empêcher de râler pendant au moins deux mois à ce sujet. Tandis que les dernières gouttes de rosée tombaient sur le sol de roche de la grotte, les deux sorciers se mirent en route.
De jour, la montagne semblait infiniment plus accueillante que ce qu'avait prévu Hécate. Il y avait même parfois des pans de végétation, principalement des sapins, et ils se mirent tous deux à couvert sous l'ombre des arbres car malgré l'heure peu avancée de la matinée, le soleil cognait déjà avec rudesse sur les Pennines. Hécate prit un plaisir sans limites à écouter les oiseaux, à renifler les odeurs et à regarder tout autour d'elle cet environnement sylvestre dont elle n'avait pas l'habitude. Ce n'était pas un marais ça c'était...presque mieux qu'un marais. Verraient-ils des renards? autre chose? Hécate se moquait bien de la mission à présent, et la vue de cette nature sauvage l'aidait peu à peu à panser la plaie que lui avait infligée l'épouvantard, du moins d'un point de vue psychologique. Comme un cauchemar, la vision de Léda s'effaçait peu à peu et Hécate marchait avec détermination. La vue serait formidable d'en haut. Rabastan lui avait demandé de les emmener hors des bois. Elle allait les emmener. Elle pouvait le faire.
Et c'est environ trois heures plus tard qu'ils aperçurent l'orée de la forêt de pins et de connifères. Là, la pente s'adoucissait, comme c'est le cas en haut des cols, et un vent frais balayait les derniers arbres. Au delà, il y avait de l'herbe. de l'herbe! et un ciel bleu, à perte de vue. Hécate engloutit les dernières dizaines de mètres la séparant du sommet de la montagne et déboucha à l'air libre, avant de se tourner et de contempler le paysage sous ses yeux. Des monts et des collines à perte de vue, tous verts, tous baignés de lumière. Un vent emportant avec lui pollens et autres feuilles, odeurs et parfums, glissait sur son corps comme une récompense. Des nuages blancs et épais voyageant comme d'énormes mastodontes dans l'immensité du ciel.
La jeune femme laissa son sac à dos tomber au sol et fit quelques pas en avant. Puis, avant un cri de joie, elle lança son poing vers le ciel et hurla:
-YES! OUI! Je l'ai fait! On l'a fait!!
Ravie, les cheveux en bataille, elle se retourna vers Rabastan et éclata de rire.
-Nous sommes sortis de la forêt! J'ai passé l'épreuve! Abimée oui, mais entière! On a réussi!! Ah ah ah!
Avec un nouveau cri de joie, elle écarta les bras et inspira profondément. Tout le voyage venait d'être légitimé par cette vue, par le magnifique sentiment de victoire et d'accomplissement qu'elle ressentait. Elle était dans son élément. Et elle avait gagné.
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| | | | | "Comment ça on est perdus?!" | |
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