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sujet; Le Jour d'Après (Aramis Lestrange / Hécate Shacklebolt - Post Event #4) |
| Il régnait dans le ministère une ambiance pesante et silencieuse. Le niveau 2 en particulier, bruissait plus qu'il ne vivait, murmurait plus qu'il parlait. Tous étaient encore sous le choc de la "bataille des Rebuts" et de ses conséquences dont la plus visible était bien évidemment le cratère qui s'étalait devant l'entrée sorcière du ministère. Une marque défigurant le paysage comme les sorts avaient défigurés les corps et les coeurs. Hécate avait longuement regardé la place ce matin là. Le squelette de l'estrade y gisait toujours, presque englouti par la brume matinale, à peine éclairée par le soleil naissant et les pavés étaient encore rougis par endroits, écarlates du sang qu'elle avait fait couler. L'affrontement semblait déjà si lointain dans son esprit, semblable à un rêve dont la vivacité lui revenait pourtant sous forme de bruits, d'images diffuses et de sentiments dilués de colère et de peur. Il lui avait fallu un moment pour passer son chemin et seule la douleur qu'elle ressentait encore jusque dans chacun de ses muscles l'avait décidée à rentrer dans le bâtiment.
Désormais, elle avait rejoint le bureau de Rabastan et y étudiait un dossier en silence. Ses yeux parcouraient les lignes rapidement mais aucune information ne parvenait jusqu'à son cerveau. Les médicomages lui avaient certes assurés qu'une telle chose était parfaitement normale à la suite d'un traumatisme cranien tel que le sien et d'une sortie de coma. Elle subirait encore des difficultés de concentration et de mémorisation pour quelques semaines. Hécate plissa les yeux, tentant de lire mais les mots semblaient jouer à cache-cache et se déplacer devant sa ligne de vision, comme pour la narguer. La migraine commençait à arriver. Frustrée, la jeune femme referma le dossier et regarda autour d'elle. Il était sept heures trente et Rabastan n'était toujours pas là. Le bureau n'avait pas été aéré, il ne flottait pas dans l'air l'odeur caractéristique du café noir qu'il apportait toujours avec lui pour commencer la journée sans pulsions homicidaires. Hécate ouvrit donc paresseusement la fenêtre donnant sur la cour intérieure du ministère et s'assit sur le bureau, pensive.
Des têtes allaient tomber après ce qui s'était produit. Jamais la situation n'aurait du devenir aussi désastreuse et la responsabilité de chaque mort, de chaque explosion, tomberait telle un couperet tranchant sur la nuque des mangemorts les plus aguerris: Rookwood, Malfoy, Lestrange. Elle soupira et se passa une main sur le bas du visage. La punition serait sans doute sévère et dans l'esprit du seigneur des ténèbres, amplement méritée, mais qu'auraient-ils tous du faire? qu'auraient-ils tous pu faire lorsque le chaos avait noyé la place et les avait poussés dans leurs retranchements?
Lucius Malfoy avait limité la casse en proposant un compromis. Valkov et Malfoy junior s'étaient assurés que les rebuts disparaissent, par la porte ou par la fenêtre. Elle même avait participé à l'offensive et à la défense des cages. Rabastan avait évacué l'immense majorité des civils, avait sauvé la vie d'Hécate, avait refusé de sacrifier celle de sa fille. Cela était sans doute sa "très grande faute" mais comment blâmer un père de secourir son enfant? dans un camp et dans l'autre, les dragons protégeaient leurs petits et il fallait avoir l'esprit profondément tortueux et aride du seigneur noir pour ne pas comprendre que l'union des clans faisait la force. Diviser enfants et parents ne menait à rien, faire couleur le sang des plus jeunes ne servait que leur perte à tous. Les Weasley n'étaient en vie que grâce à leur unité, les Lestrange demeuraient debout parce qu'ils marchaient de concert, comme les loups, les lions, tous les animaux de meute. Voldemort n'avait rien compris. Et cette incompréhension allait coûter cher à Rabastan.
Dire qu'Hécate n'était pas inquiète aurait été mentir. Il était son mentor et il avait sauvé sa vie par deux fois ; ce n'était pas le genre de choses qu'elle avait pour habitude d'oublier facilement. Laisser un allié payer pour une faute presque inexistante était une pratique qu'elle ne connaissait pas. Combien de fois avait elle vu des conciles dégénérer, des soldats se jetant devant leurs supérieurs et formant une barrière autour de leur leader afin de lui épargner les foudres des dirigeants suprêmes des clans, partageant les responsabilités et se soutenant les uns les autres dans la défaite au nom de l'honneur et du sang versé tous ensembles? L'individualisme était une notion étrange, qui coulait sur le sol de l'Angleterre aussi naturellement que la pluie et qu'Hécate méprisait. Voldemort divisait pour régner, brisait pour dominer, terrifiait pour s'imposer. un chef devait être craint et respecté, par redouté au point d'abandonner femmes et enfants à la moindre de ses paroles, pas au point d'endurer des endoloris et des humiliations pires qu'inhumaines.
Elle secoua la tête. Il lui valait mieux éviter ce genre de courant de pensée si elle voulait avoir la paix, et la paix était tout ce qu'elle demandait à cet instant précis. Ses bras la lançaient, sa tête semblait habituée par toute une colonie de danseurs irlandais en pleine répétition et son sens de l'équilibre était toujours discutable.
"Ne pas pousser". C'était ce qu'avait ordonné le médicomage.
Doucement, elle se remit debout et offrit une caresse à Legba qui l'avait suivit dans le bureau de Rabastan. Perché sur le bureau de bois sombre avec une attitude régalienne, le félin observait les alentours de ses yeux vert, son collier d'or brillant contre sa fourrure anthracite. Il cherchait une proie, une innocente victime à torturer en cette belle journée. Et il la trouva lorsque parvint dans son champ de vision une créature qu'il avait en horreur, une race ennemie depuis que le monde était monde.
Un chien.
Aussitôt, le félin feula et cracha avec fureur avant de sortir les griffes et de bander ses muscles, prêt à l'attaque et de bondir.
-Legba! Non! s'exclama Hécate avec horreur en se retournant.
Trop tard. Legba était visiblement parti en croisade contre le canidé qui avait eu l'audace de de se montrer devant sa royale personne. Canidé qui soit dit en passant devait faire le triple de sa taille et le quadruple de son poids. Hécate n'eut pas même le temps de s'intéresser au maître qui le menait, plus soucieuse d'éviter que son animal de compagnie psychopathe ne finisse par énucléer la pauvre bête.
-Cette fois çi ça suffit! Stupéfix!
Legba fut stoppé en plein vol et retomba sur le sol comme un tas de chiffons. Le saisissant par la peau du cou, Hécate marcha jusqu'à l'armoire à dossiers et -tout en sachant qu'ils se vengerait probablement en ravageant cette dernière du sol au plafond une fois le sort dissipé- l'enferma à l'intérieur sans ménagement. Au placard, comme on dit.
Elle se retourna avec un soupir. Son énergie partait à une vitesse folle au moindre effort ou a la moindre poussée de stress mais elle s'efforça de ne pas le montrer au maître du malheureux chien qui se tenait toujours dans l'encadrement de la porte. Elle leva les yeux vers lui et hocha la tête poliment en guise de salut:
-Bonjour, dit-elle calmement, je vous prie de m'excuser pour...ce...greffier de malheur.
Elle baissa les yeux et offrit au chien un sourire presque dépité:
-Pardon à toi aussi.
L'homme la regardait en silence. Elle examina son visage sans un mot, en tentant de ne pas le scruter de manière trop insistante. Les pommettes hautes, le nez dessiné...les yeux. Deux yeux clairs et perçants à la dureté unique, qu'elle avait l'habitude de croiser quotidiennement mais avec une autre personne. Rabastan. Il lui ressemblait de manière presque inquiétante. Seuls les cheveux sombres et ondulés du jeune homme le distinguaient brutalement de Rabastan et même ces derniers n'étaient pas suffisant pour véritablement ôter à Hécate l'impression étrange de se trouver en face d'une version plus jeune, plus mate et plus taciturne de son mentor. Il n'y avait qu'un lien permettant une telle ressemblance et un nom vint immédiatement aux lèvres de la jeune sorcière.
-Vous devez être...Aramis, n'est ce pas? Votre père n'est pas encore arrivé, je l'attends moi aussi. Sa secrétaire dit qu'elle ne parvient pas à le joindre. Puis-je vous aider?
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| but i'm only human, and i bleed when i fall down I'm only human And I crash and I break down
La douleur zèbre encore ta peau, laissant s'aventurer tous les maux. Elle engloutit ses griffes encore & encore, ne te laissant qu'une horrible sensation dans le corps. Tu te pulvérises, tu te volatilises. Morceaux après morceaux, tu craques & défailles sous toutes les entailles. Tes travers te rattrapent, te condamnent. Tu n'as pas été assez bon. Tu l'as abandonné, délaissé. Tu as échoué. Et le feu s'empare de ton âme, dévore les dernières armes. Tu ne suffis jamais vraiment. Tu n'es jamais assez. Tu es toujours trop, de trop. Et ton corps se cisaille, t'échappe. Les douleurs font encore craquer tes muscles, les nausées ne sont plus aussi vertigineuses, capricieuses. Ton ventre se tord moins, se tord peut-être trop. Tu n'as pas peur de mourir, de dépérir. Tu as juste peur qu'ils partent en premier, qu'ils te laissent seul. Toujours seul.
« Doucement Philibert, oui, on va aller voir Papa. », le chien aboie bruyamment, la laisse de cuir à tes pieds. Il y a longtemps que tu ne l'as pas balader, guider. Il a eu si peur que tu ne reviennes pas, que tu ne lui reviennes pas. Tes doigts s'égarent entre les poils, lissent en douceur, en lenteur sa tête. La langue pendante, il profite, jubile. D'un coup de truffe, il relève ta main, il s'impatiente, tente d'attirer un peu plus, toujours plus ton attention. « Oui ! J'ai dit. », ta langue claque & il s'avachit en soupirant, agacé, las d'être délaissé. Et ta mère ne cesse de dire que ce chien reste un cadeau empoisonné. Ta mère ne cesser de le blâmer. Un sourire oscille sur tes lèvres, c'est toi le plus à blâmer. « Prends ta balle au lieu de faire le chiot gâté. » grondes-tu, agacé. Il aboie de contentement en allant chercher l'affreux jouet qui couine. Il va encore rendre ton père chèvre, en le traînant partout dans le ministère du bout de sa laisse. Il va sans doute renverser le bureau de sa secrétaire, maudissant Philibert de tous les enfers sur cette terre.
« Tu reprends le travail, poussin ? », le surnom te glace le sang, court dans tes veines, loin d'être serein, parfaitement vain. Le blond de ses cheveux a vieilli, tirant sur un blanc enneigé, dépassé. Prince des glaces, tu reprends tes droits, tes lois. « Oui, mère. », dans ta bouche glisse tous les hivers, tous les mystères. Les blessures d'enfant ont créés des murs inévitables, inviolables. Ils se sont dressés, n'ont pas cessés de t'éloigner. Ce monstre n'est plus vraiment ta mère. Tu l'as depuis longtemps tué, enterré. « Tu pourrais demander à ton père quelques jours en plus, tu n'as pas beaucoup dormi. », la fureur décime ton ventre, pullule dans son antre. « La faute à qui ? », tu lâches les bourrasques toxiques, intrépides, rejetant dans un mouvement de recul son contact. Elle te dégoûte, elle te rend fou. C'est à cause d'elle que tes nuits se font monstres sans sommeils, bêtes plus cruelles. C'est à cause de la peur d'entendre les cris de Gwen déchirer la nuit, éventrer les ombres de vos vies. C'est pour elle que ton monde n'a jamais cessé de s'effondrer, de vaciller. Tu accélères le pas, Philibert ne cessant de grogner, d'aboyer contre elle. Il a été dressé pour la détester, la balayer. « Philibert. », siffles-tu, il cesse d'aboyer, il se fige, se ratatinant d'un mouvement sec à tes côtés, sous ta vulnérabilité. Vous transplanez.
Le chemin de traverse vibre encore de cette odeur de chaires carbonisées, grillées. La mort se dilue, goutte à goutte. La mort vibre, rendant tout plus sombre, lézardant tes plaies à peine balayées, si peu cicatrisées. Tu chancelles un peu, te dirigeant vers la même boutique dont Felix ressort avec les bras chargés de douceurs & de douleurs. Lentement, tu commandes ses donuts à la vanille dont il raffole puis un café brûlant. Doucement, tu poses tout sur le bureau de ce pourrisseur d'existence. Tu as juste saisi son humeur, ses rancoeurs. Tu as juste un peu compris & tu refuses de vraiment vous trahir dans cette haine éternelle, sempiternelle. Pourtant, tu lui offres une trêve, un autre rêve. Peut-être n'est-ce pas réellement assez pour tout effacer ? Peut-être n'est-ce qu'un autre de tes mouvement pas réellement adroit, tellement maladroit ? Peut-être.
Tu fermes la porte sans demander ton reste, sans chercher une réaction, te dirigeant vers le noyau du niveau 2. Tu marches en travers des boyaux, refusant de regarder les nouveautés, les étrangetés qui rendent tout plus réelles, trop réelles. Le quotidien a été ravagé, brisé, tué. Le quotidien n'est plus vraiment pour toi. « Legba! Non! », Philibert montre déjà les crocs alors que tu vois à peine le chat. La voix est souveraine, lointaine, teintant d'une étrange familiarité ta mémoire, ton histoire. « Philibert. », claque ta voix, froide, teinté d'une autorité suprême, souveraine. Le chien se détend aussitôt, l'ordre est sans appel, cruel. Il n'a pas le droit de broncher si il ne veut pas subir ta férocité, ta sévérité. « Cette fois çi ça suffit! Stupéfix! », tes sourcils se haussent & tu l'observes sans rien broncher, rien exécuter. Brune, elle a les yeux & la peau métisse qui te fait souffler Shacklebolt, Hecate Shacklebolt. Trop grande ouverture d'esprit qui fait courir la famille à sa perte souveraine, éternelle, la nouvelle apprentie de Papa. La grimace se tord, la douleur court encore. Peu d'efforts physique, a-t-il dit. Le chat se retrouve au placard, tiré par la peau du cou, et tu ne sais pas bien si tu dois la détester, la crever de tes mots, sous tes maux. « Vous n'avez pas peur pour vos dossiers ? A sa place, je ne ferais pas de quartiers. », souffles-tu, sans doute, un peu trop sec, un peu trop guindé. Tu ne sais pas être naturel. Tu ne sais pas être doux, tout t'échappe, dérape lorsqu'il s'agit de relations, de passions, de questions.
Tu n'es qu'humain. Tu n'es qu'un pantin désarticulé, abîmé, abandonné.
Tu grattes légèrement ta main, gêné, agacé. « Bonjour, je vous prie de m'excuser pour...ce...greffier de malheur. », tes yeux se relèvent, se redressent. La clarté plonge dans l'abysse sombre, sans chercher d'ombre. Elle hoche la tête, polie, un peu vieillie par les événements & la vie. Tu te souviens, elle a été sali, trahi par le sel de ses blessures, la douleur des murs. Vous le payerez. Tu le payeras de ton sang, de tes sens. Tu as signé depuis longtemps tes allégeances. Ta main s'enroule à la laisse plus fort, retenant le molosse à tes côtés. « Pardon à toi aussi. », un souffle & Philibert s'assoit en la fixant, demeurant conscient, avenant. « Woaf. », un sourire, tu lui offres une caresse, lui laisse le reste de ta tendresse. Nyssandra te manque déjà. Il s'avance avec bienveillance, frôlant les jambes de la brune, retrouvant ses marques. « Il vous aime bien. », glisses-tu dans une mimique un peu dépité, un peu lassé, alors que la langue de Philibert glisse sur la main de la brune. « Vraiment bien. Méfiez-vous, il risque de vous coller au lieu de mon père. », hasardes-tu, comme si une menace roulait sous ta langue, comme si Philibert n'était pas aussi tenace que ça.
Ses yeux ne te lâchent pas. Tu sais la ressemblance, le manque de différence entre vous. Le bleu est le mère & le noir parcourt vos cheveux, avoue tout sans qu'il y ait réellement besoin de mots. Sous le fauve tranchant, pressant, tu as l'impression de retomber dans les vices de ton adolescence semée de malveillances. Tu as été victime sublime de ton nom & de ce physique caractéristique. Tu écrases dans tes mains ses mots blessants, butant sur les fragments de ton innocence. Tu t'es pourtant levé, relevé devenant cette image un peu troublante du fils. Un murmure, un regard, sous tous les égards, tu restes son enfant. Tu restes ce duelliste cruel, expert de tous les maléfices, de tous les vices. Tu en as fait cracher des poussières, des dents & des remarques déplacées, esquissées. Tu as conquis le respect de ta baguette, de tes inquiétudes fluettes de n'être pas assez, de le voir encore t'abandonner. Tu vois dans les yeux d'Hecate, cette fureur, cette colère menaçante, enivrante, grisante. Tu te vois.
« Vous devez être...Aramis, n'est ce pas? Votre père n'est pas encore arrivé, je l'attends moi aussi. Sa secrétaire dit qu'elle ne parvient pas à le joindre. Puis-je vous aider? », elle décroche, elle t'écorche. Sa voix sonne comme une étrange bataille, une vieille entaille. « Oui & vous devez être Shacklebolt, c'est ça ? », tu te pétris d'une doucereuse rancœur, de ce manque de valeur que tu as offert à toutes celles qui ont défilés sous tes yeux. Tu les as toutes détestés, balayés, peu respectés. « Il doit avoir oublié de mettre son réveil. C'est habituel. », tu t'amuses de ce père peu responsable, tellement inoubliable. Il ne cesse de se comporter sans maturité, il reste pourtant préoccupé par toi, par vous. Tu as entendu les éclats de voix dans le salon. Il n'a cessé d'insister, d'exiger de vous voir. Tu te souviens de sa main dans tes cheveux, un peu tremblante, tellement vacillante. Et les yeux ont fuis, ne se sont pas vraiment compris. Ton cœur s'alourdit. « C'est son tour pour Philibert. », murmures-tu, observant du coin de l’œil le chien gratter à la porte, exiger la présence de Rabastan. Il couine, s'agace, le cœur en guenille. « Ça fait longtemps qu'il ne l'a pas vu & il voulait sûrement l'embêter. », laisses-tu tomber de ta voix froide, laissant un sourire silencieux monter jusque dans tes yeux. Philibert n'était qu'un chiot quand tu l'as eu & il a passé plusieurs heures en couinant, en appelant ses frères & sœurs. Il avait froid, il avait peur. Et tu te souviens de la petite boule de poil que tu as mis sur ton lit & qui a fini sur ta tête au réveil. Il a encore cette foutue habitude de se prendre pour un chiot. Tu observes le monstre se glisser vers la brune & brutalement, flirter avec sa main, exiger des caresses, de la tendresse, en couinant. « Philibert. Calme-toi. », et le chien s'effondre en soupirant, et en boudant. « Il est du genre collant, pardonnez-moi. », siffles-tu alors que tes yeux clairs scrutent le chien, accusent la masse méfiante, défaillante.
« Que faisons-nous ? », demandes-tu au chien, comme si il était ce vieil ami fidèle, trop fidèle. Tes désirs te damnent & tu sais que tout ce qui t'attire te condamne. Tu veux rester, aiguisant ta curiosité pour cette autre fille dans sa vie. « Je ne peux pas rentrer avec lui. Ma mère ... », tu te stoppes, déglutissant difficilement, cruellement. Ta mère t'attacherait au lit & te forcerait à manger ses horribles muffins dures comme de la pierre, dure comme cette terre. « Eh bien, c'est ma mère. ». Philibert grogne au nom, montrant les crocs. Il a tous les droits, tu oublies les lois quand ça la concerne. « Je suppose que nous pouvons l'attendre. Je vais l'attendre avec vous. », tu te redresses, te dresses de cette fierté à peine esquissée, trop utilisée. Tu es fils de mangemort, prince de sang-pur, tu n'as que faire de son avis & des murs. « Vous aimez le thé ? », demandes-tu en douceur, en lenteur, en penchant la tête légèrement. « Le thé est toujours bon quand on sort de l’hôpital. », glisses-tu, presque compréhensif, moins agressif. Tu as entendus les rumeurs, ses humeurs. Et dans un silence lent, tu lui offres un peu de chaleur sous la froideur.
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| "vous devez être Shacklebolt, c'est ça ?"
L'usage du nom de famille face à l'emploi du prénom. Une distanciation évidente et un dédain presque suintant. Il la jaugeait avec une hauteur qui n'avait rien à voir avec sa taille, une défiance farouche, celle d'un tigre aux crocs luisants, aplati dans les hautes herbes et prêt à contrer un assaillant. Hécate ne s'offusqua pas de son ton pour le moins irrévérencieux pas plus qu'elle ne réagit lorsqu'il évoqua les habitudes quotidiennes de Rabastan, qu'Hécate connaissait tout aussi bien que lui mais qu'il semblait ressentir le besoin d'énoncer, comme pour lui rappeler que si quelqu'un dans cette pièce pouvait prédire et expliquer les agissements du directeur Lestrange, c'était lui. Personne d'autre. Et surtout pas elle. Hécate pencha la tête sur le côté, ses yeux sombres se plissant imperceptiblement alors qu'elle observait le jeune homme, droit comme une statue de marbre, froid comme la glace la plus pure et fier comme un lion. Combien d'apprentis avait-il vu à l'exacte place qu'occupait Hécate à ce moment précis? combien de visages bouffis d'orgueil à l'idée de servir le "grand Rabastan Lestrange", combien de "fils de", d'arrivistes aux dents longues, de jeunes loups à l'ambition dévorante et d'apprentis tyrans en costume bien coupé? Combien de jeunes gens en pâmoison devant son géniteur, le regardant comme on regarde l'enfant d'un roi, le reflet pâle d'un dieu, une copie d'oeuvre d'art? Il devait les mépriser, tous ces guignols qui pensaient qu'apprendre sous la coupe du meilleur ferait d'eux des artistes de la mort et des personnes spéciales. Comme il devait les détester Il devait la détester souverainement. Et elle ne le blâmait pas.
Les enfants sont d'un naturel jaloux et Hécate en savait quelque chose. Combien de fois n'avait-elle pas jeté des regards d'un noir à vous transpercer l'âme quand d'autres enfants du clans avaient eu le malheur de s'approcher de sa grand mère voire d'être félicités par elle? Elle avait eu envie de les attraper par les cheveux ces arrogants, de leur rappeler qu'ils n'étaient rien, personne, juste des apprentis qui passaient et venaient tandis qu'elle demeurait. Aramis la voyait-il comme elle voyait ces enfants, dans cette vie si lointaine qu'elle semblait passée? Comme une sirène tentatrice, une sangsue chronophage, un vampire collé au cou de son père? Probablement. Si elle avait été à sa place, elle aurait servi à tout le monde le traitement de la douche froide et pire encore. On ne partageait que rarement l'affection que l'on avait pour un parent. Pour une mère. Un père. Une soeur, un frère. Ces choses là ne se divisaient pas.
Alors elle ne dit rien, se contentant d'écouter, alors qu'il évoquait la responsabilité de Rabastan envers son chien. Philibert. Hécate sourit sans le vouloir: cette bête était la plus adorable chose qui lui ait été donnée de voir depuis un bon moment et comme toute personne ayant un coeur en état de marche, rien ne la faisait fondre plus efficacement qu'un animal en manque de jeu et voulant désespérément l'élire compagne de divertissement. Elle observa l'animal, visiblement amateur de grandes tragédies, s'écrouler au sol dans un retentissant gémissement alors que son maître lui ordonnait de se tenir tranquille.
"Je ne peux pas rentrer avec lui. Ma mère ... Eh bien, c'est ma mère"
Là encore, Hécate ne fit aucun commentaire. Il y avait trois sujets auxquels les gens n'aimaient pas que l'on touche même du bout du doigt: leur argent, leurs relations extra conjugales et leur famille. Faire une réflexion sur un de ces trois sujets valait presque toujours au malheureux imprudent une tempête verbale dans les règles. En outre, elle avait déjà entendu parler de "la femme Lestrange" et jamais en des termes particulièrement élogieux. Certains racontaient avec une ferveur presque obscène la manière dont elle avait tenu Rabastan loin de ses propres enfants, dont elle avait dépéri avec les années, les disputes déjà fréquentes du couple lors de la première guerre des sorciers. On n'attaquait jamais le patron par devant, mais on exposait ses plaies par derrière. C'était une méthode qu'Hécate n'approuvait pas et le dernier imbécile qui avait voulu amuser la galerie avec ces anecdotes en sa présence s'était vu offrir un allez retour magistral ainsi qu'une belle brochette de menaces épicées et colorées.
« Je suppose que nous pouvons l'attendre. Je vais l'attendre avec vous...vous aimez le thé ? Le thé est toujours bon quand on sort de l’hôpital.»
Hécate eut un sourire fatigué et approuva de la tête.
-Un thé serait une excellente idée, merci. Celui de Ste Mangouste est proprement infect, j'en viens à penser qu'ils le coupent avec du désinfectant...
L'humour était une de ses armes pour ne jamais montrer quand une chose la heurtait, l'atteignait. Et pourtant, la simple mention de l'hopital lui avait envoyé un frisson le long de l'échine. L'hopital, les voix étouffées, le froid, le coma et son errance dans un état de semi-mort, puis son réveil, douloureux, si douloureux...Hécate cligna des yeux pour chasser les images et se pencha vers Philibert tandis qu'Aramis sortait d'une commode le nécessaire à thé. Le chien poussa un gémissement de satisfaction lorsque la jeune femme lui gratta le ventre du bout des doigts. L'animal -qui menait c'était le cas de le dire "une vraie vie de chien-gigotait à ce moment sur le sol en balayant le tapis de sa queue, trop heureux de se voir ainsi traité comme un nabab. Hécate se redressa et frappa dans ses mains:
-Allez Philibert! debout!
Le chien bondit sur ses pattes en un instant et se posta face à elle, l'arrière train en l'air, la langue pendante. Ramassant la balle magique lentement, un sourire plaqué sur le visage, Hécate feinta un lancer, puis un deuxième, et finalement, envoya l'objet rebondir dans le couloir.
-Va chercher!!
Aussitôt, telle une tornade de poils, Philibert s'élança hors du bureau et Hécate suivit sa progression à l'oreille, les hurlements horrifiés des secrétaires et les jurons des employés ponctuant la course du chien, lequel revint quelques poignées de secondes plus tard, la balle solidement fixée dans la gueule. Ces jeux enchantés avaient la propriété de rebondir plus haut que la normale, plus vite, et plus loin. Un délice pour les canidés, un enfer pour les maitres. Mais Hécate se sentait d'humeur à être inconséquente et elle accueillit Philibert avec une exclamation de fierté tandis que la bête tournait sur elle même avec des bruits aigus de contentement. Il se percha sur ses pattes arrières et appuya ses pattes avant sur les épaules d'Hécate, qui accusa le choc. Il bavait le bougre!...oh et après tout au diable les conventions! un bon coup de Récurvite et elle serait propre comme un sou neuf. Elle alla chercher la balle dans sa gueule et le fit redescendre.
-Oui! bon chien! qui est un bon chien? c'est toi! allez, on recommence! Un...deux...
Cette fois, Philibert ne tomba pas dans le panneau lorsqu'elle tenta de feinter un lancer et elle projeta la balle avec force vers le couloir. Le projectile fila dans l'air avec rapidité et passa le seuil de la porte, fit quelques mètres dans le couloir...avant d'être stoppé dans sa course. Par le visage d'un rafleur.
-Oh oh.
Philibert se jeta en avant, percutant le pauvre homme qui culbuta dans un formidable fracas de dossiers et de boites en carton, avant de poursuivre la balle. Le rafleur, rubicond et écumant, se releva et se tourna vers Hécate avec visiblement la ferme intention de lui faire avaler son extrait de naissance, mais celle çi leva les mains, avec sur le visage, un air de parfaite innocence.
-Y'a des jours comme ça, les balles volent....un peu de thé?
Le rafleur sembla s'étouffer avec sa propre salive mais, remarquant Aramis aux cotés d'Hécate, préféra battre en retraite et ramasser ses papiers en silence. S'attaquer à l'apprentie du directeur était risqué, mais à l'apprentie et au fils était suicidaire. Lorsqu'il s'éloigna et que Philibert revint, la balle entre les dents, Hécate fit mine de le sermonner alors que la queue du chien fouettait l'air à toute vitesse.
-Ouh, vilain chien! comment as tu osé sauter sur cet homme respectable? Pour la peine, va chercher la balle!
Et nouveau lancer fracassant. Avec un sourire, Hécate croisa les bras et se tourna vers Aramis, qui tenait à présent deux tasses de thé et la regardait d'un air indéfinissable.
-C'était moins une, j'ai frôlé la mort. De nouveau.
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| but i'm only human, and i bleed when i fall down I'm only human And I crash and I break down
Les familles purs restent des cercles très fermés, sans cesse observés, oscillant entre crainte & admiration. A chaque pas, les yeux se braquent, se détraquent. Les fantasmes sont nombreux, victorieux, merveilleux. On vous imagine, on vous dessine loin des réalités, loin de l'intimité. Et le spectacle commence, s'avance. Entre fascination morbide & passion exquise, les travers vous fauchent, osent, s'imposent. Magie noire, clame-t-on sous tes pas, mauvaise réputation & pourtant tes yeux clairs ne trompent pas. Tu lui ressembles, tu t'assembles sous son regard, sous ses égards. Fils d'un père trop connu, on t'a taillé, fantasmé, détesté. Et elle aussi, est-ce qu'on la déteste ? Est-ce que saigner n'a pas suffit ? Le sang trop pur a été versé, déversé. Il n'a cessé de gicler, d'abreuver les sentiers des peurs & des vieilles douleurs. Les plaies se sont refermées, mais elles ne cessent de te lancer.
De défiance en méfiance, tu la scrutes. Tu attends le faux pas, l'erreur fatal.
Le sourire glisse sur ses lèvres. La haine cruelle explose, implose. Elle se pose contre tes lèvres, papillon aux ailes empoisonnés. Les courbes de la jalousie résonnent en centaine d'interdits, en centaines de vies qui ont défilées, filées entre ses doigts, sous les lois de ton père. Tu ne les as jamais aimé ses arrivistes, ses fuyard plein de malices. Ils ont tous crus pouvoir te l'enlever, te le retirer. Tu ne permets plus l'abandon, son abandon. Tu ne tolères plus ses raisons ou ses positions. Il est ton père & comme un chien en laisse, tu grognes, t'abandonnes. Elle n'est pas différente. Elle n'a rien de différents. Au fond, ça te torture, ça court déjà en blessures. Au fond ça te tue sûrement, évidement. Il pourrait d'avantage l'aimer, la chérir, la pétrir que toi. Il pourrait te laisser, te délaisser. Peut-être qu'il l'a déjà fait. Il l'a si souvent fait. Et le goût amer sur tes lèvres ne cesse de te harceler, de te hanter ; Peut-être qu'il ne t'a jamais aimé. Et qu'a-t-elle fait pour mériter son attention ? Elle n'est qu'elle, petite poupée brisée, abîmée par les événements. Et, bien entendu, tu ne peux que comprendre la douleur, la douceur des coups. Tu ne peux pas vraiment, tellement la détester. Il y a des cratères en elle, des morceaux d'enfer. Il y a un peu de toi sous ce sourire fatigué, exténué. Il y a un peu de ces batailles, de ces entailles, de ces détails.
Elle approuve & tu réalises que tu ne veux pas d'une guerre. « Un thé serait une excellente idée, merci. Celui de Ste Mangouste est proprement infect, j'en viens à penser qu'ils le coupent avec du désinfectant... », un sourire lui répond. Éraflée, brisée, elle étouffe sous une once d'humour la peur, les horreurs. Elle ne veut rien craindre. Elle ne veut pas parler, pas trembler. Et tu comprends du bout de tes doigts, lui livrant un peu de toi. De quelques pas, tu assènes encore la distance en tirant le nécessaire à thé de la commode. Tu connais bien chaque objet, chaque papiers. Un peu comme un enfant, tu en as passé du temps, ici. Les odeurs de thé te rappelle une intimité certaine, sereine. Un soupir, tu aimes cet endroit. Et doucement, tu tournes la tête en voyant Philibert glapir de plaisir. Enfin quelqu'un pour jouer, pour le caresser. Il montre son ventre, découvrant de sa langue pendante une tendresse toute canine. La queue fouette l'air, balaye le tapis. Colosse à poil, il est loin de ses airs de molosse. Tu retiens un rire en te mordant la lèvre. Et la chaise craque sous son poids, les mains claquent. « Allez Philibert! Debout! », il se redresse, alerte. « Va chercher!! » « Shacklebolt. », assènes-tu, soudain. Mais trop tard, tu observes le désastre. Il se jette déjà dans le couloir, courant après la balle dans un jappement excité, pressé. Merlin, ton père va la tuer. Mais déjà les hurlements se font entendre, se font prendre. Tu passes ta main sur ton visage, gêné, exténué. Il revient & elle l'encourage, ne le décourage pas. Il en profite, les yeux plein de malice, la balle calé dans sa gueule. Et il se dresse, glissant ses pattes sur la poitrine de la petite Shacklebolt, la dominant déjà de sa taille. Et le rire embrase, embrasse tes prunelles, un peu cruel, tellement éternel. Il la noie de sa bave, de sa lave fougueuse, orageuse. Difficile de croire que d'un coup de crocs, il peut tuer, tout gagner. « Oui! bon chien! qui est un bon chien? c'est toi! allez, on recommence! Un...deux... » , tu souris, sentant déjà que ça va tourner en déconfiture, en fêlures. « Je doute que ce soit une très bonne idée. », murmures-tu. La balle file, tragique & sublime. Et le cri du malheureux brûle tes oreilles & ta cervelle. Le pauvre homme passe sa tête, en fureur boudeuse, rageuse. « Y'a des jours comme ça, les balles volent....un peu de thé? », le pauvre homme blêmit, subissant ton regard de glace, tes égards de prince des enfers sur cette terre. « Un problème, monsieur ? », claques-tu dans un mépris savoureux, victorieux. Tu les détestes ses rafleurs de pacotille qui se croient tout permis. De politesse en finesses insolente, tu oscilles entre les interdits & toutes les vies que tu as pris, que tu reprendrais sans hésiter. Le sourcil se hausse, se rehausse. Qu'il essaye, tu ne lui offriras qu'un sommeil éternel. La main est déjà sur la baguette, menaçante, évidente dans ses promesses & son manque de délicatesse. « A-Aucun. », il bat en retraite, et tu relâches tous les muscles. Tu te détournes, te retournes, menant le thé vers la petite table. « Ouh, vilain chien! comment as tu osé sauter sur cet homme respectable? Pour la peine, va chercher la balle! » , un claquement de langue, un air amusé, assuré. « Cela vous arrive souvent de chercher aussi sciemment les problèmes ? », l'humour perce, transperce laissant le sérieux en morceaux, sous tous les assauts.
« C'était moins une, j'ai frôlé la mort. De nouveau. », tes yeux la chassent & tu tends la tasse vers elle. « Vous auriez mérité que je le laisse vous donner la fessée. », cingles-tu en douceur, sous les lourdeurs d'un orage qui crevasse, se prélasse. Et pourtant l'humour se mêle, se décèle au fond de tes yeux. « Il aurait sûrement apprécier. Ils sont sans manière & sans cervelle lorsqu'il s'agit de corriger ou traquer. », tu souris, lentement, tendrement, avec ses airs de sphinx. « Je plaisante, bien entendu. Sauf sur les manières de mes collègues. ». Une lueur dans tes yeux, une caresse d'un sourire, tu redeviens l'enfant solaire sous tes airs sombres. « On va nous laisser nous reposer avant de retourner se faire massacrer. », glisses-tu, de cette voix qui n'avoue plus que ce qu'elle sous-entend. Elle pourrait entendre, apprendre les contours de ta colère qui court sur le bord de tes lèvres. Votre sang ne devrait pas servir comme de la chaire à canon. Votre chair ne devrait pas pourrir d'un dégoût malsain, pantin aux fils agiles. Et puis dans un frisson toxique, tu frôles sa main & déjà, tu sens la fin. Ta respiration s'alourdit, s'avachit. Ton estomac se tourne, se détourne. « Par Rowena. », murmures-tu, la tasse se pose vite, sans calme, ni larmes. « Philibert. », claques-tu & aussitôt l'animal lâche la balle & revient, alors que tu t'écroules.
L'air se raréfie, tu vacilles. Les semaines se comblent, tu rembobines le temps. La peur. Elle est partout. Elle pose toutes ses odeurs, ses rancœurs sur toi. Tu es plus petit, plus facile, plus fragile. Tes yeux les perçoit à peine, ils évoluent dans les ombres. Ils saccagent, ils ravagent. Il faut te cacher. « Ils sont là. », un murmure résonne dans le présent, guidé entre tes lèvres, soulevé par la léthargie magique, toxique. « Ils viennent pour moi. Cat, où es-tu ? Pourquoi tu es pas là ? », les pensées sont profondes. Tu n'es plus vraiment toi, tu es elle, un écho du passé, un souvenir enlacé, brisé. Tu te cambres. « Peur. », lâches-tu, la sentant pulluler, t'éventrer. Ça vrombit dans ton ventre, ça se déplace, ça te terrasse. Ça s'avance. « J'ai tellement peur. Ils vont m'attraper, ils vont me trouver. Je ne suis plus en sécurité. ». L'as-tu déjà été? Tu cours, à bout de souffle, à bout d'effroi. Tu sens des doigts se serrer, se resserrer. Ce ne sont que des monstres. Ce n'est que ta tombe.
Et le sort te frappe, t'attrape. Il te pousse, te repousse. Tu cherches sa main dans les nuages, dans les ravages de ton âme. « Ne me laisse pas tomber, ne me laisse pas sombrer. », le bleu s'écarquille. « Mal. Plus mal ? », questionnes-tu le corps coupé, éventré contre la pierre. Mort rapide, sans adieux, ni dieux. Mort trop tranquille, tellement facile. « Cat, pardon. ». Je n'ai pas été assez forte. Pas comme elle. Pas assez. Jamais assez. Et tu reprends vie, brutalement, douloureusement. La respiration reste saccadé, brutalisé. Philibert grogne, montrant les crocs. Philibert se fait gardien de ton âme, de ses vieux cauchemars sans larmes ni armes. C'est fini & d'une voix douce, tu susurres, « Ils l'ont prise aussi ? ». Éventré, le sol tourne encore, reste ton seul réconfort. Brisé, tu laisses le monde tanguer, t'avaler.
Ils lui ont volés sa sœur, sa vie. Ils te l'ont presque dérobé, aussi.
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| Il était si différent de son père. C'en était fascinant.
Là ou Rabastan semblait avoir été forgé dans des flammes trop brûlantes pour être imaginées, Aramis Lestrange avait une prestance froide malgré ses cheveux sombres et ondulés, sa peau mate, ses traits expressifs. Il se mouvait avec la grâce d'un siamois et tout en lui évoquait le félin: la dignité,le calme, l'oeil inquisiteur, la griffe toujours prête à sortir malgré l'élégance de la parole et des gestes, l'humour qui ne faisait que glisser sous la surface de ses mots quand il parlait, tel une anguille.
« Vous auriez mérité que je le laisse vous donner la fessée. Il aurait sûrement apprécié. Ils sont sans manières et sans cervelle lorsqu'il s'agit de corriger ou traquer."
Hécate ne répondit pas et se contenta de laisser un sourire s'épanouir sur ses lèvres. Il y avait dans le reproche du jeune homme un aiguillon de malice qu'elle ne manqua pas de remarquer mais dont la beauté résidait dans le fait qu'il était emballé d'un manteau de sévérité. Ce genre de boutade, si unique, était trop beau pour qu'on le gâche avec une réponse.
« On va nous laisser nous reposer avant de retourner se faire massacrer. »
Cette fois, Hécate lui jeta un regard en coin, discret mais perçant. Voilà une réflexion qu'elle ne s'était pas attendue à entendre de la bouche d'un Lestrange. Elle avait été assez naïve, en voyant ce mangemort à la haute stature, pour penser que son nom déterminait ses allégeances plus efficacement que n'importe quel tatouage, mais il y avait visiblement une partie d'Aramis Lestrange, même infime, qui refusait la douleur gratuite due au seigneur des ténèbres, qui rejetait la dévotion entière et aveugle qui caractérisait la génération de son propre père. Comment l'en blâmer? Aramis, Hécate et tant d'autres jeunes gens appartenaient à une génération sacrifiée, à une génération jetée dans un brasier allumé par leurs aînés. Ils se battaient pour une guerre déclenchée par d'autres, pour des échos d'idéaux ou juste, simplement pour sauver du carnage ce qui pouvait encore l'être. Un frère, une soeur, une fille, une fiancée, un époux, une mère, un père, un ami d'enfance. A d'autres les grandes idées. Eux se battaient pour sauver un navire qui prenait l'eau de toute part et éviter que des personnes telles que les insurgés ne le sabordent à grands coups de haches. Hécate pouvait sentir l'amertume dans la voix d'Aramis mais feignit de n'avoir rien entendu. Il pouvait être amer. Il en avait le droit.
Alors qu'elle se faisait cette réflexion, elle tendit la main vers la tasse de thé qui lui était tendue et l'espace d'un très brève seconde, leurs mains s’effleurèrent. Et ce fut là que démarra le cauchemard.
«Par Rowena. Philibert»
Hécate recula d'un pas rapidement alors qu'Aramis reposait sa tasse et vacillait avant de tomber au sol. Le chien, rapide comme l'éclair, vint faire barrière de son corps, grognant. Mais la jeune femme ne fit pas un geste, n'esquissa pas un mouvement. Elle savait ce qui était en train de se produire pour l'avoir observé un nombre incommensurable de fois chez sa Grand mère, sa tante Annabelle ou les filles de cette dernière. Le regard absent, la déconnexion brutale, la perte d'équilibre. Aramis était donc un voyant...et lorsqu'Hécate réalisa que c'était à son contact qu'il venait de plonger dans le monde mystérieux seulement connu des clairvoyants, elle fut prise d'un frisson. Que voyait-il?
La réponse arriva sous la forme de paroles, qui si elles sortirent des lèvres du jeune homme, parurent pour Hécate être comme prononcée par une autre voix, tant elles étaient familières. Elle sut à la seconde où il parla, ce qu'il voyait. Et le coeur de la sorcière acheva de voler en éclat, de se déchirer en lambeaux misérables.
« Ils sont là...ils viennent pour moi. Cat, où es-tu ? Pourquoi tu es pas là ? »
"Cat". Un surnom qu'une personne seulement avait été en droit de lui donner sans qu'elle en prenne ombrage. Léda. Hécate sentit son visage se décomposer alors qu'Aramis poursuivait sa vision. Elle voulait hurler, hurler à la petite Léda qu'Aramis ressentait et était à cet instant qu'elle était là, que sa grande soeur était à ses côtés. Elle savait l'inutilité, la futilité d'une telle action mais sa gorge était désormais compressée par un étau de métal et chaque déglutition était semblable à avaler des tessons de verre. Je suis là ma chérie, je suis là, n'aies pas peur je t'en supplies, je suis là, juste à côté de toi.
« Peur. J'ai tellement peur. Ils vont m'attraper, ils vont me trouver. Je ne suis plus en sécurité. »
Hécate sentit la bile lui remonter dans la gorge en même temps que les larmes lui mouiller les yeux. Aucune lettre de décès, aucun enterrement n'aurait pu lui ravager l'âme aussi efficacement que ces mots, pourtant prononcés par un adulte qui n'étais pas Léda. Chaque jour depuis la mort de Léda, Hécate s'était raccrochée aux souvenirs du petit ange qu'elle avait perdue, à ses dessins d'enfant, aux fleurs séchées, aux lettres envoyées, au parfum encore présent sur les épaisse écharpes de laine que Léda portait dans la neige, à tout ce qui rappelait sa vie, son bonheur, la lumière qu'elle avait dispensé aux alentours tout le temps qu'elle avait vécu telle un petit soleil. Elle avait refusé de penser aux derniers instants de cette petite soeur tant aimée, à ce qu'elle avait pu ressentir, se contentant de croire, naïvement, les mots de la lettre de Poudlard. "Une mort instantanée" avaient-ils dit. Hécate avait voulu croire que Léda n'avait rien vu venir, qu'elle ne s'était rendue compte de rien, et avait quitté ce monde en un souffle. Mais ce n'était pas ainsi que les choses s'étaient produites. Léda avait été traquée par les "combattants de la liberté, poursuivie comme un animal , elle qui n'avait pas encore l'âge de comprendre la complexité de ce qui l'entourait. Elle avait eut peur. Elle l'avait suppliée de venir comme un enfant appelle sa mère au sortir d'un cauchemar à l'exception que le le cauchemar n'avait pas pris fin pour Léda et que personne n'était venu chasser le monstre lancé à ses trousses. Elle était morte terrifiée, seule, sans Hécate. Cette pensée retourna l'estomac de la jeune femme et elle retint un sanglot. Sa gorge était douloureuse à force d'etre serrée, tous ses muscles étaient si tendus qu'elle se sentait presque écartelée.
« Ne me laisse pas tomber, ne me laisse pas sombrer. »
Hécate cette fois, sentit deux larmes couler sur ses joues alors qu'elle se retenait de crier, de pousser un gémissement de douleur. J'aurais voulu être là, j'aurais tout donné pour te tenir la main, mon ange. Je suis tellement désolée. Je t'en supplies, pardonne moi.
« Mal. Plus mal ? »
Trois mots et Hécate se sentit mourir de nouveau. C'était finit.
« Cat, pardon. »
Tu as été tellement forte ma chérie, tellement, tellement courageuse. Dors mon ange, dors, laisse toi porter. Fermes les yeux, tu n'auras plus jamais mal. Vas-y ma beauté, je t'accompagne où que tu sois. Je t'aime tellement, j'aurais tellement voulu pouvoir t'aider. Je t'aime tellement mon ange. Souviens toi de maman, de moi, laisse toi aller...je te retrouverai.
Il y eut un silence et Hécate resta immobile. Sa respiration était toujours bloquée dans sa poitrine et ses mains livides s'accrochaient à la table. Des larmes continuaient de couler dans le silence le plus parfait sur ses joues sombres, tombant sur le tapis. Des larmes énormes et chaudes, des larmes impossibles à rendre factices. Elles tombaient sans s'arrêter, emportant avec elle des fragments de maquillage noir. Les lèvres d'Hécate tremblaient et elle tentait de se reprendre sans réellement y parvenir. Elle ne pouvait pas se permettre de flancher. Pas ici. pas maintenant. Mais elle était épuisée et l'épuisement est l'ennemi de la retenue.
« Ils l'ont prise aussi ? »
Hécate le regarda. Elle hésita un moment avant de répondre. Rabastan lui avait clairement dit le jour de leur rencontre l'inutilité d'exprimer sa douleur, l'incapacité des autres à comprendre et leur refus de chercher à le faire. Il n'y avait aucune compassion entre les murs du ministère, Hécate était seule. Mais quelque chose dans les yeux d'Aramis la poussa à ouvrir la bouche. La voix qui sortit de sa gorge était étranglée, rauque:
-Elle...s’appelait Léda. Elle avait 13 ans et elle...elle aimait les fleurs.
Pourquoi avait-elle ajouté cela? peut-être parce que la seule image qui parvenait à s'imposer à son esprit était celle de sa petite soeur dans sa robe jaune soleil, les cheveux couverts de marguerites, au milieu de Hyde Park.
-Ils l'ont tuée. Elle était allée à Pré-au-Lard pour...acheter du papier à lettre parfumé à...je lui avais dit que c'était inutile et que je lui rendrais visite mais...elle voulait m'envoyer une plante de la serre qu'elle avait faite sécher alors elle...elle y est allée.
Elle s'interrompit.
-Pardon. Je suis désolée.
Lentement, elle s'agenouilla, parce que se tenir debout était devenu trop dur, et parce qu'elle voulait s'assurer que son interlocuteur allait bien. S'inquiéter pour lui lui donnerait peut-être moins envie de mourir sur place. Philibert grogna en sa direction mais la jeune femme parla doucement:
-Du calme mon grand, je ne vais pas le toucher. Regardes, je reste juste là. Voilà. Juste..là.
Puis, regardant Aramis, elle articula:
-Ne vous inquiétez pas, je ne m'approcherai pas, je connais les règles. Dites moi juste ce qu'il faut. Mes cousines ont toujours soif après une vision, ma tante à froid, ma grand mère meurt de chaud...je ne sais pas ce dont vous avez besoin.
Vas y. Respire. Une inspiration après l'autre. Tu peux le faire. Concentres toi sur lui. Il a besoin d'assistance, tu n'es plus dans une situation où l'aide est possible de toute manière. |
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| but i'm only human, and i bleed when i fall down I'm only human And I crash and I break down
Inspirer. Expirer. L'air te glace, te crevasse, t'encrasse. Il y a encore la vision sur tout ton corps. Partout. Elle court en maladies, en interdits, en dénis. Les courbes de ta douleur t'enlacent & t'embrassent. Il y a bien longtemps que tu as perdu le vent de ta sagesse, il ne reste que cette douce fatalité qui te blesse & t’oppresse. Il ne reste que ses démons anthropophages, t’entraînant dans leur sillage. Là où ta respiration chasse, terrasse la mémoire, l'amertume, les écumes balayent ton cœur & tes douleurs. Elle est encore un peu là, collée à tes reins, à ton bassin. Elle grignote de ses dents mortes le reste de toi. Elle murmure sous les blessures. Et tu entends, tu apprends les tracés de son âme, de ses drames, de ses larmes.
Le contrôle t'échappe, t'érafle. Il s'enfuit à l'agonie.
« Elle...s’appelait Léda. Elle avait 13 ans et elle...elle aimait les fleurs. » , la voix déraille, s'éclate. Des morceaux, des lambeaux, son cœur se fracasse, terrassé, écrasé, tué. Elle s’appelait Léda. C'est presque trop simple, un peu stupide, pas vraiment futile. C'est effarant cette sensation de vide au bide. C'est glacial cette tristesse brutale, banale. Pourtant le deuil n'a rien d'ordinaire. Pourtant le deuil n'a rien de doux, de mou. Ça brûle. Ça s'allume. Elle aimait les fleurs. Et toi, tu l'as tuée. Tu as brutalisé, ravagé. Tu reviens hanter. Tu ne sais que condamner par ton étrange lucidité, cette fragile faculté. Tellement banal. Tendrement brutale, tu te fais les princes des horreurs, des mécaniques viciés des cœurs. « Léda. », ta voix se fait rauque, t'indispose. La rocaille glisse sur chaque entailles. Léda, son cœur bat encore contre le tien. Colibri qui chante, danse. Sa vie fut si vite brisée, effacée, coupée. « Quel fleur était sa préférée ? », souffles-tu en douceur, victime d'une épuisante lenteur.
« Ils l'ont tuée. Elle était allée à Pré-au-Lard pour...acheter du papier à lettre parfumé à...je lui avais dit que c'était inutile et que je lui rendrais visite mais...elle voulait m'envoyer une plante de la serre qu'elle avait faite sécher alors elle...elle y est allée. ». Tout lui est pénible, difficile. Tout est encore trop sensible. Ton cœur se déchire, ne respire plus très bien, jamais bien. Toi aussi, tu as failli perdre une sœur. Toi aussi, tu as failli te briser, chuter. Toi aussi, tu aurais pu y passer. Les tremblements de sa voix te rappellent sa fragilité, ta stupidité. L'atrocité des événements te fait courber l'échine, avoir peur de la prochaine épine dans ton pied. Et si, toi aussi, on te prenait Gwen ? On te la volait ? Tu serais détruis, tellement sali, si petit.
De ses doigts, Gwen a chassé bien des larmes. Elle ne t'a jamais vraiment trahi, jamais vraiment anéanti. Ne m'abandonne pas, les mots s'incrustent sur ta peau, sous tous les maux. Elles sont fines, pas tellement divines ; Les cicatrices. Tu ne veux rien cacher. Tu ne veux pas te damner, te condamner. « Pardon. Je suis désolée. » , elle n'a pas à l'être. Tu comprends. Tu la ressens. Les reliefs de sa perte s'inscrivent en toi, la tendresse coupable, peu pardonnable de Léda reste. L'enfant est encore désolée. Elle n'a pas su la protéger, la garder. « Vous n'avez pas à l'être. », ta gorge est nouée, ravagée. Sous un silence, il ne reste que l'inacceptable des pertes. Il ne reste que la colère. En plein vol foudroyé, les quotidiens vacillent, oscillent. Les choix sont faits, les dés sont jetés. « On ne peut pas en vouloir d'aimer & de pleurer. », souffles-tu, quittant un peu ta froideur, tes proches rancœurs. Et de la gueule au cœur, ça se casse, ça t'encrasse. Il n'y a qu'un goût d'inachevé sur le bord des lèvres. Il n'y a que l'abandon des vieux rêves.
Aux portes de l'absence, il ne peut plus avoir d'indifférences. Vous ne pouvez plus perdre, plus vous soumettre.
Elle s'agenouille. Elle a peur, elle a tant de douleurs. Les milles souffrances sont gravés, signés. Tant pis. Personne n'aura jamais pitié de vous. Personne ne pleura pour nous. Privilégiés parmi les privilégiés, tu sais bien ce qu'ils pensent dans leur défiance, leur méfiance. Elle & toi êtes cette jeunesse dorée, sanctifiée, jalousée. Elle & toi n'avez que des droits, jamais de devoirs. Les naïfs. On oublie que les premier à souffrir, à subir, c'est vous. C'est toujours vous.
Philibert s'arque. Les babines se retroussent, le poil s'ébouriffe. Il protège, règne, souverain canin. « Philibert. », le ton est sec, rigide, sensible. La toux est acide. Ta main attrape les poils, tirant en douceur. Tu ne dissimules pas la sévérité, la fermeté. Il a été bien éduqué. Mieux que Greengass. « Tiens-toi. », claque ta langue. Le chien se ratatine, soufflant son mécontentement dans un couinement & il enfouit sa truffe contre le sol. Il n'aime pas se faire réprimander, sanctionner. Ce n'est qu'un petit bébé.
« Ne vous inquiétez pas, je ne m'approcherai pas, je connais les règles. Dites moi juste ce qu'il faut. Mes cousines ont toujours soif après une vision, ma tante à froid, ma grand mère meurt de chaud...je ne sais pas ce dont vous avez besoin. » , l'articulation te file un frisson. Elle veut penser à autre chose. Elle ne veut pas parler, se casser. Elle veut être forte. Elle veut toujours être forte. Qui peut la juger de vouloir oublier ?
« Du thé. », la langue se fait râpeuse, prometteuse. Elle jongle dans un anglais parfait. « J'ai besoin de thé. ». Les chiens ne font pas des chats, les anglais ne sont attachés qu'à leur flegme, leur thé & leur pluie battante & trébuchante. Ou peut-être, est-ce toi qui offre la paix du bout des doigts ?
Tu ne peux pas punir, sévir pour ça. Et sous la maladresse glisse une promesse de tendresse. Et sous les peurs glissent la consolation, une tentative hâtive. Peut-être n'est-ce que tes hantises, une de tes crises. Peut-être n'es-tu que l'ombre d'un gamin abandonné, délaissé. Peut-être n'as-tu pas totalement pardonner. Peut-être. Tu te redresses en lenteur, en douceur. Le corps accusant le choc, les époques. Tu es là, tout va bien. Tout ira bien.
Du bout de tes mains, tu effleures la tasse délaissée. Le liquide tremble, ne se ressemble pas. Les dents s'enfoncent dans tes lèvres. C'est tellement, tellement ridicule. Tu ne veux pas être faible. Tu ne sais pas parler, t'exprimer. A quoi bon la rassurer ? A quoi bon essayer ? On t'a bien dit, tu as bien compris, que ce n'était pas pour toi. Un rire amer se hisse hors du masque, craque la fresque parfaite. « Je peux comprendre. ». Vraiment ? Tu n'es qu'un monstre d’égoïsme, on te supplie, on t'interdit. Mais jamais, tu ne t’embarrasses d'une sensibilité excessive, primitive. « J'ai failli perdre ma sœur. », un murmure sous les dorures. Le traumatisme s'enlace, te lasse. Tu es faible, tellement faible. L'amour ne devrait pas te tenir, te retenir. « Si P-, tu mords ta langue. Dans son bureau, à cet instant, tu n'es plus son enfant. L'as-tu seulement été ? Si Rabastan n'était pas intervenu, les dents se serrent, la langue soupire, s'agite. Que lui aurait-il fait ? Combien de fois serait-elle tombée, aurait-elle sombré ? Je ne l'aurai peut-être plus vu. ». Tu as un peu de reconnaissance, un peu moins de défiance. Au fond, tu l'aimes. Tellement. A en crever. A s'en damner. Peut-être trop. Mais ce n'est jamais assez. « Si je n'avais pas pris la moitié du sort, je porterai son deuil. », tu n'es pas si calme. Tu ne peux plus être calme. Les vagues t’entraînent & te ramènent, te brisant sur le rivage. « Alors je peux comprendre. ». Je peux entendre. Tu peux l'entendre.
Ta main attrape tes cheveux, semant le désordre, laissant à d'autres l'ordre. Et bien que tu en veuilles à la terre entière, bien que tu devrais hurler ta peine, il ne te reste qu'eux. Il n'y a jamais eu qu'eux. Et si ce n'est pas assez, tu es désolé. Tu sais qu'on fait mieux. Tu sais que tu t'étales dans ton imperfection, dans tes impulsions. Mais tu es là. Tu es peu adroit, peu droit. Tu n'es pas doué avec les sentiments, les pressentiments. Tu n'es pas vraiment bien. Dommage pour toi. « Je suis désolé. ». De timidité en imbécillité, tu ne sais que t'excuser. Alors tu recules, tu renonces. L'abandon te lèche, te presse. « Je n'aurai pas dû. ».
Tu ne restes qu'un enfant blessé, intimidé. Tu n'as rien de parfait.
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| En silence, Hécate prit le reste du service à thé, resté sur le bureau et le posa sur le sol, entre eux, comme une offrande de paix. Une tasse ne serait probablement pas suffisante pour noyer la sécheresse de cette gorge blessée, de ce coeur asséché par une vision aussi brutale qu'impitoyable. La voyance n'épargnait personne et surtout pas ses propres enfants. D'une main, la jeune femme effleura la truffe de Philibert, qui boudait comme un petit délaissé, le museau entre les pattes. Le chien émit un bruit plaintif: les animaux ressentent la souffrance et il y en avait trop dans la pièce. Alors Hécate le gratta derrière l'oreille, pour lui dire que ce n'était pas sa faute, à ce gros bébé plein de poils. Puis elle se tourna ensuite vers Aramis, pour lui offrir un demi-sourire, le maximum qu'elle puisse produire, pour qu'il comprenne que ce n'était pas sa faute à lui non plus.
-Vous n'avez pas à vous excuser, murmura-t-elle, vous n'êtes pas responsable du don qui vous a été donné...parfois, il est empoisonné. Et le premier à en souffrir..c'est vous. Je ne vous en veux pas. Comment le pourrais-je?
Nouvelle tentative de sourire, nouvelle ébauche un peu manquée mais pleine de bonne volonté. Elle sentait qu'il dérogeait à ses principes en parlant autant. Elle avait entendu des rumeurs à son propos, connaissait sa réputation de taciturne, d'homme froid comme le marbre et aimable comme la porte d'un goulag soviétique. Mais elle se moquait des réputations: les réputations étaient des miroirs, elles en disaient plus sur les personnes qui les émettaient que sur ceux qui en étaient la cible. Aramis Lestrange avait la réputation d'avoir un coeur de glace. Jusqu'à preuve du contraire, elle s'en moquait comme des calendes grecques. Il était humain et elle n'avait encore rencontré personne au ministère hormis peut-être des personnalités comme Avery ou Rookwood, qui lui inspire une antipathie telle qu'elle ne puisse pas faire preuve de la moindre empathie. Aramis Lestrange ne provoquait en elle aucune pitié, mais une immense compassion. Elle était également une "fille de". Elle avait également payé son nom. Ses deux noms. Et elle avait goûté à la mort et la perte, tout comme il avait faillit y gouter lui aussi.
Hécate n'était pas rancunière ni obtue au point de le blesser en rétorquant que "presque perdre sa soeur" n'était en rien semblable à la perdre vraiment. La douleur n'était pas une compétition. Ils étaient tous perdants à ce jeu là et ne cessaient d'enchaîner les défaites.
-Vous avez eu beaucoup de courage de vous sacrifier ainsi pour votre soeur. Beaucoup de personnes sont capables de grands discours quand il s'agit de ceux qu'ils aiment mais rarement d'actes aussi braves. Elle est en vie grâce à vous. Et quoi qu'en pense le monde...c'est un acte de bravoure. Et d'amour. J'aurais aimé avoir l'occasion de pouvoir offrir le même à Léda. Mais ce qui est fait est fait.
La jeune femme laissa Philibert lui renifler les doigts et prit une tasse avant de se resservir un peu de thé, puis s'assit sur le sol, lentement, pour se mettre au niveau de son interlocuteur. Elle se releverait quand il le ferait. Mais pour le moment, ils étaient tous les deux à terre, que ce soit littéralement ou métaphoriquement et ils se valaient bien l'un l'autre.
-Vous avez demandé quelle était sa fleur préférée...c'était le tournesol. Il cherche la lumière toute sa vie et ne la lâche jamais jusqu'à ce qu'il meure. Elle était ainsi elle aussi. Toujours à voir le bien dans toutes les situations, toujours à rechercher la lumière même chez les personnes aux apparences les plus sombres. Elle disait toujours qu'en essayant très fort, on pouvait trouver une raison de "tourner comme les fleurs".
Petit rire triste. Hécate se souvenait. Et en se souvenant, elle revit le nécromancien. Elle revit ce qui s'était passé durant son coma. Elle revit Léda chuter et entendit la voix murmurer: aides moi. Elle fut obligée de poser sa tasse. Sa main tremblait.
-...Je...j'aimerais vous poser une question. Si vous vous sentez la force d'y répondre.
Réfléchissant à la manière dont elle pouvait tourner la chose, elle marqua une pause et fixa Aramis dans les yeux. Il était très beau. Son père également avait un charme incendiaire, mais les deux hommes malgré leur ressemblance n'avait rien en commun quand il s'agissait de leur aura. Rabastan semblait semer une nuée de flammes dans son passage et passait dans les couloirs tel un empereur contrarié à qui il n'aurait manqué qu'une cohorte de gardes en armes et une couronne pour faire tomber des têtes. Aramis avait la grâce et la prestance de toutes les éminences grises ayant un jour parcouru les couloirs des palais, conseillé les puissants, fait marcher des royaumes à la baguette sans lever le cil. Deux types de noblesse, chacune unique. S'arrachant à ces pensées, Hécate articula:
-Je n'ai parlé à personne de...ce dont je vais vous entretenir. Et j'aimerais que vous le gardiez pour vous. Le directeur Lestrange n'a pas...besoin de savoir. Son taux de stress dépasse déjà très largement la limite du raisonnable.
Nouvelle pause.
-Après la bataille des rebuts j'ai...été plongée dans un coma magique afin de revenir à un état physique viable et durant ce coma j'ai rencontré...quelqu'un. Un voyageur, un nécromancien. Il se disait manzazuu, et se proclamait serviteur des forces noires, celles qui régissent la destruction et la mort. Il m'a incitée à mettre mes "talents" à un service autre que celui du ministère...et il m'a montré des choses. L'avenir selon ses plans.
Hécate déglutit et raconta à Aramis ce qu'elle avait vu. Ronald Weasley et ses lieutenants en toge blanche, le ministère en flammes, L'estrade sur laquelle étaient châtrés sans merci tous les descendants des 27 sacrées, Aramis et son père compris, le débarquement du Roi Rouge sur les plages de France...elle lui raconta tout. Sans fioritures. Sans mélodrame. Et du bout des lèvres, acheva:
-J'ai refusé son offre. Et je l'ai payé. Il a...sacrifié ma soeur. Pas son corps mais son âme. Les détraqueurs se contentent de voler les esprits mais cet homme il l'a...anéantie. Elle n'est plus rien dans le grand jeu de l'univers. Je ne regrette pas mon choix. Les regrets nous tuent. Mais je dois savoir: ces visions qu'il m'a montrées...ont-elle une chance de devenir réalité? J'ai besoin de savoir s'il peut être stoppé. Si ce que j'ai fait, si mon choix, peut permettre de l'arrêter.
Elle ne voulait même pas penser à la probabilité que la mort de Léda et son refus de se joindre au nécromancien ne puisse en rien empêcher la réalisation de ses funestes projets. Les choix les plus durs ne peuvent être assumés que lorsqu'ils apportent un changement dans le jeté de dés du destin. Hécate ne connaissait pas Aramis. Mais elle ressentait à son égard une sorte de proximité inexplicable, parce que derrière ces yeux d'une clarté limpide reposait une souffrance si semblable à la sienne.
Celle des enfants perdus. Celle des enfants guerriers. Celle des enfants sans larmes, parce que pleurer ne va pas au teint de ceux nés pour briller et battre.
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| but i'm only human, and i bleed when i fall down I'm only human And I crash and I break down
Elle s'appelait Lèda & elle aimait les fleurs. Les sensations t'ébranlent encore, s'égrainent sur ton corps. La magie te dévore, s'évapore. Entre vous, il y a une appréhension, une hésitation, une silencieuse compréhension. Et Lèda te brûle encore les doigts, terriblement proche, terriblement loin. Les sentiments s'épaississent, s’immiscent. Elle reste collée, accrochée à toi. Tu ne sais plus si c'est bien elle ou toi qui ressent le besoin de rester, de résister, de l'aimer un peu tendrement, un peu maladroitement. Hécate te semble être soudain un pan de toi, un morceaux de ton cœur parmi les lambeaux de ta raison. Parmi les yeux bleus froids qui se perdent sur chacun de ses gestes, sur les gestes tendres envers le chien. Il agite déjà la queue, sans doute, déjà un peu amoureux, un peu envoûtée par la princesse des marais. Et pourtant, il y a la voix un peu triste, un peu lente, un peu pesante de Lèda qui murmure, qui susurre ; Elle s’appelle Hécate & elle n'a jamais connu que les douleurs.
Dis, tu peux la protéger un peu, ma sœur ? ( Tu n'arrives même pas à protéger Gwen & Nyssandra) Dis tu me promets d'effacer sa douleur & ses peurs ? ( Tu ne fais pas ses choses là, toi.) Je ne veux plus qu'elle pleure. ( Toi aussi, tu ne veux plus).
« … Et le premier à en souffrir..c'est vous. Je ne vous en veux pas. Comment le pourrais-je? » , tu clignes des yeux, les gestes suspendus vers la tasse de thé, tu chasses Lèda en douceur, en lenteur. Elle tente de sourire, elle échoue un peu. Elle laisse le cœur se fendiller, vaciller. Elle a dû passer des mois à colmater les plaies, à ne plus rien ressentir. Et tu as tout bousillé, tout détruit de tes mains. Tu fais rouler l'eau chaude dans la tasse, t'agaçant de tes tremblements, de ce cœur si faible, tellement faible. Elle ne t'en veut pas, mais, toi, tu te détestes. Toi, tu te hais. La colère roule amère & sommaire. « Vous avez eu beaucoup de courage de vous sacrifier ainsi pour votre soeur. Beaucoup de personnes sont capables de grands discours quand il s'agit de ceux qu'ils aiment mais rarement d'actes aussi braves. Elle est en vie grâce à vous. Et quoi qu'en pense le monde...c'est un acte de bravoure. Et d'amour. J'aurais aimé avoir l'occasion de pouvoir offrir le même à Léda. Mais ce qui est fait est fait. » . Lentement, les mots d'Ilyana te percute, des années après sa mort, après l'avoir tué ; L'avenir n'a jamais été fait pour les hommes. « Je n'ai pas été capable de grand chose. Elle a quand même été exposée à ça. ». Le dégoût signe ta reddition, ta position. Tu ne fais jamais assez. Tu n'es jamais assez. Tu ne payes jamais assez. « Elle n'est pas vraiment en vie. », elle dort. Le sommeil devient sa prison de verre & de glace, il ne laisse aucune traces alors que les ecchymoses te donnent envie d'hurler, de pleurer. Tu l'as supplié de se réveiller, de ne pas te laisser. Tu ne veux juste plus être abandonné.
« Pourquoi doivent-ils tout nous arracher, nous voler ? ». Pourquoi étiez-vous toujours les laisser pour compte ? Pourquoi deviez-vous toujours tout sacrifier ? La boisson chaude roule contre tes lèvres alors que Philibert lèche les doigts de la brune. Il n'est pas avare de tendresses, de délicatesses. Un sourire timide apparaît & disparaît alors que tu la vois le caresser, lui vient se caler, se coucher tout contre elle, avec un regard pour toi. Et tu fixes Hécate dans ses gestes sereins, apaisants, traînants. Elle prend son temps, elle prend un moment. Et il y a comme une bulle autour de vous. « Vous avez demandé quelle était sa fleur préférée...c'était le tournesol. Il cherche la lumière toute sa vie et ne la lâche jamais jusqu'à ce qu'il meure. Elle était ainsi elle aussi. Toujours à voir le bien dans toutes les situations, toujours à rechercher la lumière même chez les personnes aux apparences les plus sombres. Elle disait toujours qu'en essayant très fort, on pouvait trouver une raison de "tourner comme les fleurs. ». Pourquoi vois-tu un peu de Gwen dans Lèda ?
Créature populaire, Gwen épouse la lumière, la faisant tourner à sa guise, illuminant ton monde & tout ceux qu'elle effleurait. « J'aurai aimé la connaître. », tu murmures. Oui, tu aurais aimé pour admirer sa joie, sa tendresse & sa douceur. Elle est, au fond, tout ce que vous n'êtes pas. Tout ce qu'on ne vous a pas permis d'être. On vous impose la force. On vous demande la férocité, la vélocité de ses monstres sans peurs, sans douleurs. Mais les rires tristes ne trompent personne, ne te trompent pas vraiment, pas tellement. Tu fronces les sourcils, observant la tasse se poser, les doigts trembler. Ce n'est pas bon, absolument pas bon. Tu repousses ta tasse, l'écoutant doucement & sagement. « Je n'ai parlé à personne de...ce dont je vais vous entretenir. Et j'aimerais que vous le gardiez pour vous. Le directeur Lestrange n'a pas...besoin de savoir. Son taux de stress dépasse déjà très largement la limite du raisonnable. » , tu la scrutes attentif, intrusif. Les cernes colorent encore sa peau d'ébène, la grisonnant de fatigue fragile, la percutant d'une faiblesse douloureuse, orageuse. « Nous ne parlons pas de tout avec P-. Tu retiens ta langue, tu n'es plus un enfant qui s'amusait à colorier le masque des mangemorts de son père. AvecMonsieurLestrange. », cales-tu sans desserrer les dents, sans expirer, ni inspirer. Tu n'es plus un enfant & pourtant, tu voudrais juste l'appeler Papa. « Un voyageur, un nécromancien. Il se disait manzazuu, et se proclamait serviteur des forces noires, celles qui régissent la destruction et la mort. Il m'a incitée à mettre mes "talents" à un service autre que celui du ministère...et il m'a montré des choses. L'avenir selon ses plans. » , le sourcil se hausse. « Selon ses plans ? », tu chasses l'étrangeté d'une chose qui n'a jamais été régulier. L'avenir n'est jamais certain, jamais serein. Il ne se dessine pas comme une carte fixe, un plan préétabli, un chemin tout tracé. Non, l'avenir comme le temps est une variable avec plusieurs inconnus qui ne demandent qu'à changer, se bousculer, se renverser. Jamais les jeux ne sont totalement faits. Les dès ne peuvent être pipés & bien des hommes ont tords d'exiger de l'avenir.
Elle détaille, raconte, ébauche un avenir aux allures d'apocalypse sans cicatrices. Et conclu, livide & anéanti. On lui a pris sa sœur une seconde fois, une fois de trop. Tu ne peux imaginer sa peine & son immensité. Tu ne peux que comprendre le chagrin, les larmes silencieuses, déjà balayées. Il ne faut pas pleurer. Il ne faut rien montrer. « L'avenir n'a pas de plans, Hécate. La familiarité d'un prénom glisse dans une douceur maladroite qui trébuche sur le tapi. Il ne peut pas suivre un chemin tout tracé parce qu'un nécromancien l'a décidé puisque ce sont ses plans. ». Comment pouvait-on oser mentir sur ça ? Comment pouvions-nous croire en des fantasmes ? « Le passé, on ne peut pas le changer. Il sera toujours d'une probabilité de 1/1 puisqu'il n'existe qu'un chemin pour y arriver. Les mathématiques étaient le plus évident pour faire comprendre, pour apprendre la divination & les secrets du temps. L'avenir est beaucoup plus aléatoire. Il existe des centaines de milliers de chemins qui élaborent différents scénarios. Et dans ses scénarios, il y a aussi d'autres chemins avec des détails qui sont changés parce qu'on a fait d'autres choix. Un sourire. Ce qu'il vous a montré pourrait se réaliser mais il faudrait changer des centaines de variables. ». Tu la scrutes, attentif & incisif. « En d'autres termes, il y a très peu de chance que son scénario se réalise. Il ne réunit pas assez de critères pour augmenter ses chances de réussite. ». tu clignes des yeux ; « L'avenir tel qu'on me le montre n'est pas celui qu'il a décrit. Et je prends toujours les chemins les plus probables. ».
Tu replonges le nez dans ton thé ; « Et vous avez dû le mettre très en colère. Vous lui avez voler une chance de rendre son chemin le plus probable. Une gorgée. Vous n'avez peut-être pas sauvés votre sœur mais vous avez sauvez des dizaines de vies. ». Et peut-être qu'au final, c'est elle qui a remporté cette guerre dans la bataille de son coma, au creux des entailles sur sa peau abîmée, fragilisée.
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Ils avaient la même douceur dans la voix. Le père et le fils. Quand les armures tombaient et qu'ils prennaient le temps de se poser, de rendre les armes même pour une seconde, ils avaient la même voix grave mais claire, dénuée d'aspérité, tranchante de franchise. Et ils avaient le même regard: régalien, bleuté, dans lequel se diluent trop de maux et de tourments, trop de violence, trop de non-dits, trop de férocité, trop de méfiance. Aramis était beau, sensible, doté d'un don hors du commun et d'un esprit qu'Hécate pouvait percevoir comme à la hauteur de ce don. Il était si âbimé. Si blessé par le monde. Comme elle. Comme toute leur génération.
Alors qu'il lui expliquait les tours et détours du futur, sa voix ne cillait pas, calme fleuve d'assurance et de pragmatisme. Ancré dans le sol et le réel, il lui expliqua, il la rassura. Et Hécate parvint même à produire un léger soupir de soulagement. Les visions du Manzazuu l'avaient terrifiées plus qu'elle n'aurait jamais voulu l'admettre: voir son propre frère presque écartelé sur une table d'opération, devant une foule avide de sang, le voir torturé et exposé à la vindicte populaire, lui qui n'avait pour tort que de porter le nom de leur père, lui dont les yeux mordorés exprimaient une telle intelligence, une telle sagesse, lui avait déchiré le coeur. Elle avait aussi souffert de voir Rabastan dans une position aussi humiliante. Il y avait toujours une part de douleur à voir des hommes fiers et aussi renfermés que lui contraints d'exposer leurs plaies. L'innocent et l'éternel coupable, le jeune élève américain et le guerrier anglais, l'enfant et l'adulte, jetés dans la même fosse, soumis aux mêmes tourments. La vision lui avait été insupportable et savoir qu'elle découlait plus des délires d'un mégalomaniaque que de la réalité des choses mit un peu de baume sur les plaies de la jeune femme. Il y avait de l'espoir. Nul n'était pour le moment obligé de mourir. Il y avait de l'espoir pour eux.
Comme s'il sentait son trouble, Philibert releva sa truffe humide et la frotta contre la paume de sa main. Lui souriant, Hécate le gratta derrière les oreilles, puis sur le ventre, lui murmurant de gentils mots. Le chien, la langue pendant, se laissa cajoler puis dans un mouvement, roula sur le côté pour s'affaler sur les genoux de sa nouvelle amie, le tout avec un bruit de satisfaction, qui ressemblait à un gémissement. Avec un très léger sourire, Hécate se tourna de nouveau vers Aramis et prit une des tasses de thé avant de la boire délicatement. Ils étaient étrangement tranquilles là, dans ce bureau, et elle eut soudain l'impression de le connaître depuis toujours. Il lui rappelait Virgile, son assurance tranquille, sa force silencieuse, sa pudeur. Elle avait envie de l'apprécier. Alors elle but son thé, caressa le chien et demanda:
-Vous confiez souvent votre chien à votre père? Je n'avais aucune idée qu'il était du genre à aimer les animaux...vu qu'il peste contre tout ce qui a deux pattes ou plus et respire le même air que lui, j'aurais plutôt pensé qu'il serait...réfractaire, ou quelque chose comme ça.
La remarque arracha à Philibert un nouveau gémissement et Hécate lui caressa le haut du crâne:
-Mais non mon beau, ce n'est pas de ta faute, il faudrait vraiment être mal embouché pour être réfractaire à ta jolie petite bouille...
Redirigeant son attention vers le maître, elle poursuivit:
-J'ai entendu dire que vous faisiez partie de la fine fleur des tireurs d'élite. En fait j'entends beaucoup de choses, les couloirs bruissent constamment de ragots. Certains disent que vous êtes secrètement fiancé à une héritière tchèque, d'autres que vous avez déjà deux enfants que vous auriez envoyé en France à la naissance et le meilleur: que vous auriez entretenu une relation aussi passionnelle que vénéneuse avec Felix Hvedrung, avant qu'il ne se découvre une autre proie. Oh. Et il parait aussi que vos dents sont fausses.
Elle fit une moue qui signifiait clairement "que voulez-vous, le monde est ainsi fait" et haussa une épaule:
-Je pense que nous payons nos noms. La rumeur veut que je sois une grande afficionada des sacrifices humains...tout ça parce que j'ai fait ramper un mangemort dans le couloir. il y a quand même un monde entre les deux. Forcer les rotules de quelqu'un à récurer le parquet n'est pas la même chose que de le saigner comme un porcelet à la pleine lune.
Philibert jappa, comme pour ponctuer ses mots:
-Absolument! je trouve leur politique de calomnie tout a fait outrageante moi aussi! contente de voir que tu es un chien de goût!
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| | | | | Le Jour d'Après (Aramis Lestrange / Hécate Shacklebolt - Post Event #4) | |
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