| La Force rouge sentit l'assaut de sa soeur cadette et le concentré de mal, de haine et de viciosité qu'elle dégagea en lui transperçant l'abdomen de ses griffes fumantes lui arrachèrent un sifflement de crotale. L'homoncule fut pourtant balayé, arraché à elle, propulsé contre la terre et aspiré, comme l'immondice qu'il était, dans les profondeurs du monde d'en bas. Il y eut une explosion, une terrible déflagration à laquelle nulle chose, nul être, nulle conscience n'aurait jamais survécu, se serait-elle produite dans le monde physique, hors de ce rêve, hors de l'entre deux.
La Force rouge regarda le sang couler de son ventre, un liquide semblable à de la lave en fusion et murmura:
feu et tonnerre ...pluie et vent ... tonnerre et feu ... rien ... plus rien
L'entité mère de toute vie imparfaite posa le regard sur son enfant, sur la petite princesse aux crocodiles, dont la forme gisait toujours au sol et elle diminua de taille,jusqu'à n'être guère plus grande que ne l'était la jeune femme. Autour d'elle, Mère Rouge, dansaient les ombres, qui pleuraient en regardant ses blessures et la suppliaient de se retirer dans leur monde, tout comme elles la suppliaient de sauver leur petite soeur, la petite Hécate.
Fais quelque chose, Mama Red Elle se meurt Fais quelque chose Mama Red Elle a peur!
Renvoie la vers l'homme étoile Faut la faire se réveiller On a vu ce qui est à venir Toutes les choses vont s'améliorer!
Aide la Mama Red! Elle veut vivre la petite poupée Faut lui dire de plus faire dodo Elle a trop de gens à aimer
La Force rouge s'agenouilla près d'Hécate, laissant son sang couler sur le sol. Elle avait peu de temps. Mais elle pouvait aider sa fille. Sa silhouette, terrifiante une minute auparavant, était à présent faîte d'une obscurité chaude, caressante, faîte de volutes qui créaient presque autour de son visage sans traits comme une chevelure épaisse. Se penchant, elle posa une main sur le front d'Hécate, toujours penchée sur le côté. Prostrée. Vaincue. La main noire lui caressa la peau tendrement tandis que l'entre deux retrouvait une forme paisible. Les nuages rouges dans le ciel se dissipèrent, les bâtiments retrouvèrent leur forme d'antan et soudain, une lumière vint même éclairer les alentours. Du soleil. C'était du soleil. Hécate cligna des yeux, la vue brouillée par les larmes et entendit un murmure doux sussurer dans son oreille.
Tu es plus proche que jamais de la sortie de ce monde Tu peux trouver ta voie hors d'ici, toute petite fille Je ne puis rester plus longtemps près de toi Mais où que tu ailles mon pouvoir t'accompagne Fierté sur ton coeur pour avoir résisté à la grande Noire Fierté sur ton âme pour l'avoir gardée intacte au lieu de la vendre Sois assurée qu'un jour la petite Léda nous reviendra car elle est mon enfant et en aucun cas la propriété de ma sombre soeur Sois assurée que ce n'est pas la fin. Tu vas survivre Hécate Tu vas te battre. Mais plus important encore, toute petite enfant de mon sang: Tu vas aimer. Tu vas vivre et l'amour, la rage et la passion te garderont en vie Car il en est ainsi pour les enfants de la force rouge depuis que le monde...est monde...
Hécate ferma les yeux, les larmes roulant dans la poussière.
-Je suis désolée, souffla-t-elle.
Je le sais enfant de mon sang. Je sais quels tourments sont les tiens et puisque je ne peux ni désire te mentir, je te l'avoues: le temps des souffrances n'est pas terminé. Tu vas endurer encore bien des épreuves, petites princesse, et les larmes couleront encore quand tu rejoindras le monde physique. Aujourd'hui commence l'ère la plus sombre de ton existence, une ère de regrets et de remords, de liens perdus et d'amitiés avortées. Ton chagrin ne s'éteindra pas demain, ni même à la prochaine lune. Mais comme le soleil succède à l'orage et l'été au froid hiver, saches que ta peine finira. Je vois ta lumière briller. Tu ne seras plus seule...tu aimeras. -Je ne comprends pas c-ce que vous dites...je n-ne veux pas a-aimer...ç-ça ne sert à rien...ç-ça ne rendra pas plus..puissante pas plus...capable...
Tu as beaucoup à apprendre. Mais tu apprendras. Tu apprendra dans le noir à lever les yeux vers le ciel pour en voir les étoiles. Et tu brilleras parmi elle, petite fille.
La force rouge embrassa Hécate sur le front et murmura:
Reposes toi, tes soeurs des ombres veillent à présent sur toi en ce monde. Lorsque tu seras prête...retourne toi aussi d'où tu viens.
-Mama Red...je te r-reverrais?
Je ne quitte jamais mes petits.
Et la femme se leva, attirant à elle les ombres qui quadrillaient le ciel, laissant une dizaine d'entre elles auprès d'Hécate. Son ventre saignait toujours de ce sang trop brillant pour appartenir à un humain et elle leva la main avant de se dissoudre dans le vent, lentement, comme une encre diluée dans de l'eau claire. Il y eut une odeur de fumée de bois, un souffle d'air brûlant,puis seulement le silence et le sommeil. Hécate ferma les yeux.
Pas de panique, dors bien On t'attendra ici Reposes toi, et reviens Tout n'est pas fini! Y'a de l'espoir! Tout n'est pas fini! Y'a de la vie!
Hécate ferma les yeux et se laissa aller. Le sol était étonnement chaud et mou. Elle s'enfonça dans un sommeil plus profond encore que tout ce qui se connaissait sur terre. Et hors de l'entre deux, l'air vibra.
Le nécromancien était trop proches et les ombres rampaient dans les coins de la salle d'hôpital, dans chaque repli de drap, sous les tables, sous le lit. Elles murmurèrent, bruissèrent, juste assez fort pour qu'il les entende, cet être dangereux et putrescent à l'âme déjà viciée. Il avait volé la petite Léda. Il l'avait offerte en pature à la soeur Noire.
Souviens toi de ce qu'on t'as dit On t'as tous prévenu Souviens toi, t'es tout petit On va te bouffer tout cru!
Tu touches on t'bouffe! Tu mord, t'as tort! Tu piques on t'niques T'approches, j'tembroches!
L'air de la pièce frémissait d'électricité statique tandis que l'eau, reposant dans une carafe sur la table de chevet d'Hécate, se gelait progressivement. Une ombre se glissa derrière le vase, déformée par le verre bombé et regarda le manzazuu à travers l'eau, deux yeux rouges brillant au milieu des volutes noires.
Hi hi hi tu veux essayer? Vas y approche toi... Tu peux bien batailler... mais tu la toucheras pas... |
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