La soirée avait commencée de manière totalement innocente – du moins, pour toi.

Tu avais été génial à ton job, et avait été payé une fortune pour ça. Simplement. Le genre de journée que tu adores particulièrement. Le genre de journée pour laquelle tu vis, en fait. Tu avais assisté à une soirée –parfaitement organisée, si tu te permets de l’ajouter- pas très loin du Chemin de Traverse, lieu que tu connaissais mieux que ton propre manoir tant tu l’avais fréquenté dans ton adolescence et tes jeunes années. Quelques verres de scotch t’ont été mis en main, tu es donc bien plus ouvert qu’habituellement, ce qui est rare pour toi. Si tu aimes l’alcool, tu ne te laisses généralement pas en boire assez pour perdre le contrôle de tes facultés, et pour oublier cette perte de contrôle dès le matin.

Mais là c’était différent. Tu étais un peu plus heureux que la normale. Tu avais eu une fille dans ton lit dans la journée, et on avait chanté tes louanges dans la soirée. Tu étais plus riche que quand tu t’étais levé ce matin, et personne ne t’avait contredit de la journée. Tu avais même apprit un secret ou deux sur quelques sorcières bien peu discrètes. Vraiment, que du bonheur. Alors tu t’étais autorisé, exceptionnellement, à dépasser de peu tes limites. Tu étais joyeux.

Ta proximité avec le Chemin de Traverse te pousse à te rappeler de ton début dans la haute société sorcière. A ta lettre miracle, reçue sur ces pavés, à peu près à cette période. Nostalgiques peut-être, tes pieds te conduisent alors sur ce même chemin, près de ton ancien lieu de travail – qui se trouve d’ailleurs étonnement proche du Chaudron Baveur, tiens. Plus proche que ce dont tu te souvenais, mais bon.

Tu t’arrêtes un instant devant la porte du bar, taverne, ou peu importe le qualificatif précis. Pourquoi pas ? Tu hausses les épaules et pousse la porte.

C’est étonnamment bruyant pour l’heure, tu penses, avant de te souvenir que vous n’êtes qu’en aout, que la rentrée n’a pas encore eu lieu, et que l’établissement croule donc probablement d’étudiants de Poudlard à la recherche d’une goutte de Bièreaubeurre -ou même de whisky pur feu ?- qu’ils peuvent boire loin de leurs parents. Voilà quelque chose que tu n’as jamais eu à vivre de ta vie, ça. C’est pas plus mal d’ailleurs, ça te semble être une énorme perte de temps. Quelques regards se tournent vers toi, et tu souris à la plèbe, certain de ton charme. Déjà plus de vingt ans qu’il marche, pas de raisons que ça s’arrête ce soir. Tu réajuste nonchalamment ton nœud papillon –ne pensant pas un seul instant être trop habillé pour l’endroit d’ailleurs- avant de t’asseoir au bar et de commander un hydromel, sachant pertinemment que tu ne trouveras ton champagne préféré dans cet établissement.

Ton verre à la main, tu te retournes sur ton siège pour observer la salle, à la recherche d’un visage familier ou d’une personne à séduire – pour finir la journée de la même manière qu’elle a commencé. C’est le premier que tu trouves, sirotant un verre, et apparemment détruisant complètement un homme aux échecs sorciers. Tu te redresses un peu sur ton siège pour observer la partie – le massacre plutôt- de loin. Ça ne dure plus très longtemps. Tu as juste le temps de finir ton verre qu’une nouvelle pièce explose. La partie est terminée.

Tu attends que l’homme défait quitte son siège avant d’aller prendre sa place. « Tempest. » tu la salue en défaisant un bouton de ta veste de costume. « Besoin d’un véritable adversaire, peut-être ? ».

La connaissant, elle ne va pas refuser ta proposition. Ce qui pourrait presque être plus intéressant qu’une nouvelle conquête dans ton lit, qui sait.

Pourquoi joue-t-elle contre cet ahuri ? Il ne cesse de faire des erreurs, de placer ses pions sur un coup de tête et pas dans un plan stratégique particulier. Tempest joue distraitement, agacée par le niveau médiocre de son adversaire. Si elle avait su, elle se serait contentée de boire un Feu du Dragon sans se faire chier à perdre son temps. Son visage est relativement impassible, mais pour qui la connaît, une certaine inflexion de ses sourcils trahit la fureur paisible. Ses doigts fins pianotent sur la table tandis que l'autre essaie de trouver une issue de sortie -qu'il ne trouvera pas, elle n'est pas sotte non plus. Le temps passe, s'éternise, et finalement il fait claquer son cavalier sur le tableau quadrillé. Cet imbécile n'a pas vu qu'elle avait une tour dégagée de toute entrave sur cette ligne. Elle soupire lentement et ordonne à la pièce d'aller massacrer le pauvre canasson. Les éclats de pièce s'écartent d'eux-mêmes. Le plateau de jeu est un champ de bataille sacrément encombré d'éclats beiges, tandis qu'elle a conservé pratiquement toutes ses pièces rouge sang. Une piètre performance pour elle, puisqu'elle considère que l'ennemi à abattre est loin d'être bon.

La mise à mort s'approche tandis que la directrice des Transports Magiques poursuit son plan de bataille et déroule les opérations de façon méthodique, sans que les tentatives de son adversaire ne servent à grand chose. « Échec et mat. », annonce-t-elle enfin de façon laconique en terminant le stratagème d'encerclement du roi blanc. L'épée tombe sur le plateau, l'autre dégage.
Un autre soupir et elle porte le verre à ses lèvres, se demandant l'heure qu'il est. Il est peut-être temps de rentrer, maintenant.

Mais une connaissance -un ami, même- s'installe sur le siège face à elle, ramenant un sourire satisfait sur son visage. « Alastar. Tu crois que tu peux faire mieux que le précédent ? » Le coin de ses lippes s'élève en rictus moqueur. Un mouvement du poignet et un sortilège informulé plus tard, les pièces sont reconstituées et prêtes à repartir au combat.

Elle ne doute pas des capacités d'Alastar Doherty à être meilleur que son précédent adversaire dont elle a oublié déjà le nom et le visage, vu comment elle était dépitée face à son jeu misérable. Lui laissant l'avantage du début de la partie, elle reprend une gorgée du Feu de Dragon (une boisson brun sombre qui, comme les braises, rougeoie régulièrement, et provoque une chaleur lénifiante dans la gorge tandis qu'on l'avale ; un cocktail moins corrosif que le Whisky-Pur-Feu, d'ailleurs, qu'elle a cru bon de demander sans alcool, mais de façon discrète).
« Comment s'est passée ta journée, mon cher ? » Small talk de base, qui ne fait jamais de mal. Et puis ça faisait quelques semaines qu'elle ne l'avait pas vraiment croisé, donc elle est ravie que ses pas l'aient amené dans le Chaudron Baveur, au milieu de la plèbe. Elle aurait cru qu'il avait tendance à être plus classe dans ses fréquentations de taverne, mais le Chaudron est une institution donc ce n'est pas si étonnant de le voir ici. Suivant du regard les mains du fortuné, elle essaie de deviner sa stratégie avant d'être encerclée. Il serait sot de suivre le même sort que le précédent joueur.
Clairement, la soirée promet d'être intéressante.
« Je suis surprise de ne pas te voir avec une énième sylphide au bras, tu sais. », lance-t-elle doucement d'une voix qui ne correspond absolument pas au désolement qu'elle pourrait montrer. Loin de là. Elle le taquine, c'est tout. Tente peut-être de le désarçonner tandis que c'est à lui de jouer le premier coup de la partie.

« Alastar. Tu crois que tu peux faire mieux que le précédent ? » Son sourire indique clairement qu’elle se moque de toi. Tu apprécies assez peu ce geste, de manière générale, mais pour une fois, tu rigoles, te prêtant au jeu. Peut-être est-ce l’alcool dans ton système, ou simplement le fait que tu connais ton adversaire depuis quelques années déjà, et que tu sais donc pertinemment qu’elle est au courant de ton niveau de jeu aux échecs. La vraie question, selon toi, c’est si elle sera à la hauteur de ton jeu. « Je ne crois rien Tempest, je sais. »

Les pièces se reconstituent et tu croises les jambes avant de commander un nouveau verre d’un geste de doigts, l’air nonchalant –ta spécialité, il faut le dire.

« Comment s'est passée ta journée, mon cher ? » elle te demande, en sirotant son verre. Le tien s’approche, et tu prends une gorgée d’hydromel avant de répondre. « Bien, ma foi. Une journée fructueuse, si je puis dire. » Comme la grande majorité de tes journées, tu dois bien l’avouer – le faire à haute voix, cependant, te donne l’air hautain t’as-t-on dit. Appréciant la compagnie de ton adversaire, tu te retiens, chose rare chez toi. « Je suis surprise de ne pas te voir avec une énième sylphide au bras, tu sais. » Tu éclates d’un rire franc, avant d’avancer ton premier pion de la partie – ouverture simple mais efficace. Tu doutes fortement que Tempest s’inquiète sincèrement du manque de nymphes à tes côtés. Small talk ou tentative de déstabilisation, tu ne sais pas trop. Connaissant la brune, il s’agit probablement de la dernière. « Hélas ! J’aurai bien demandé à ton mari de m’accompagner – aussi nymphe qu’il est- mais il avait apparemment des choses plus urgentes à faire. » Tu lui fais un sourire à la Alastar, ta spécialité, celui qui a tendance à éblouir n’importe qui. Après tout, c’est son tour de jouer, et tu aimerais vraiment gagner cette partie contre elle. Question d’égo. Si elle gagnait, tu en entendrais parler toute ta vie, la connaissant, ce qui ne t’enthousiasme pas particulièrement, tu dois l’avouer. Si tu le voulais, après tout, tu étais persuadé que tu pouvais gagner un prix aux échecs sorciers – prix que tu pourrais ajouter à ta collection des prix « plus beau sourire » et « sourire le plus charmeur » de Sorcière Hebdo.

Non, vraiment, il faut que tu gagnes. Ta technique habituelle serait le flirt, bien entendu, surtout face à une femme, mais là, il ne s’agit pas de n’importe quelle femme. C’est la femme de Joe, Joe que tu respectes bien trop pour tenter de séduire sa femme, même si c’est juste pour gagner la partie. Après tout, ton charme est tel qu’elle pourrait véritablement être séduite, et ça, tu préfères ne pas le tenter.

Alors tu préfères faire signe au barman. « Un hydromel pour belle créature, s’il vous plait. » Après tout, la solution la plus simple pour déconcentrer quelqu’un, c’est l’alcool. Il fait même le travail à ta place ! Non, vraiment, c’est la meilleure solution.