Pretty woman

Eshmé & Dennis

J'ai toujours aimé recevoir du courrier. Récemment, je lis rarement des bonnes nouvelles quand j'ouvre mes lettres mais au moins j'ai l'impression qu'on a pensé à moi et je suis content. C'est une façon comme une autre de voir les choses positivement je suppose... En tout cas, quand la chouette d'Eshmé est arrivée chez moi avec une petite note m'indiquant que mon amie avait des infos pour moi, j'étais vraiment content. Chez moi, ces derniers temps, c'est une planque un peu (voire carrément) miteuse, une sorte de petite cabane dans un bois que j'ai trouvé par hasard en cherchant ma ratte Kitty qui s'était enfuie après avoir pris peur d'un hibou. C'est d'ailleurs ici que j'ai donné rendez-vous à Eshmé pour procéder à l'échange d'informations : elle n'a pas précisé la nature des siennes dans son message, mais moi j'ai une nouveau refuge à lui proposer si elle en a besoin, ça devrait faire l'affaire.

J'aime bien Eshmé. Elle n'a jamais été très bavarde et nous nous contentons généralement de parler des sujets qui nous préoccupent vraiment lorsque nous nous voyons, mais il y a quelque chose que j'apprécie particulièrement chez elle : c'est sa volonté de protéger son gamin. Je suis un peu faible quand ça concerne les enfants, probablement parce que ma famille me manque et que je ne veux surtout pas que son môme ait un jour à découvrir ce que ça fait d'être séparé de tout ceux qu'il aime. Du coup, en général je me décarcasse deux fois plus pour leur trouver à tous les deux des endroits sans danger pour qu'ils puissent vivre à peu près tranquillement.

Un sac dans la main et mes écouteurs d'enfoncés dans les oreilles, je réunis toutes mes affaires éparpillées un peu partout dans la cabane en fredonnant les paroles de la chanson Pretty Woman qui passe dans mon walkman. C'est le film préféré de ma mère, ça me détend de l'écouter, c'est un peu comme si je retournais à l'époque où tout allait bien. Je suis vraiment trop nostalgique comme mec décidément... J'attrape mes lampes poches et les enfonce au fond du sac, puis entreprends d'enrouler mon sac de couchage. C'est clairement le truc le plus chiant à faire, ça se plie jamais correctement ce truc, à chaque fois je finis par l'enfoncer comme un bourrin dans la minuscule pochette où il est censé se ranger. Ce soir, j'ai prévu de quitter cette planque. J'en ai repéré une autre, dans un grand bâtiment désaffecté, ça devrait faire l'affaire pour quelques semaines. J'espère juste qu'il y aura pas trop d'insectes. J'aime pas trop les insectes, surtout les cafards...

Je jette un regard sur l'ensemble de la cabane pour m'assurer que je n'ai rien oublié mais je crois pas. Je me laisse donc tomber sur la seule chaise des lieux et tapote l'air de la chanson en rythme sur mon genoux avec un doigt en dodelinant de la tête. Pretty woman, walking down the street, pretty woman the kind I like to meet, Pretty woman, I don't believe you, you're not the truth, no one could look as good as you...

Sur leur perchoir, mes chouettes commencent à s'agiter et Kitty se met à courir partout. Je fronce les sourcils, retire les écouteurs de mes oreilles et attrape ma baguette sur la table en face de moi avant de me lever pour me poster devant la porte. Je suis sûr à 95% que c'est Eshmé qui se trouve derrière le battant mais je suis un fugitif et un fugitif n'est jamais trop prudent. 5% de doute, c'est toujours 5% de trop. A travers un trou dans le bois abîmé de la porte, je distingue quand même le visage de mon amie et tourne la poignet pour me retrouver face à Eshmé que j'accueille avec le sourire.

« Eshmé ! Je t'attendais justement ! Entre, ça caille dehors. »

Je m'efface de l'entrée le temps qu'elle franchise le seuil puis ferme la porte derrière elle. Une fois que c'est fait, je range ma baguette dans la poche arrière de mon jean et frappe dans mes mains avant de reprendre :

« Je t'aurai bien proposé un thé mais comme tu peux le voir... je suis un peu limité niveau matériel en ce moment. Et sur le point de déménager. Mais si tu veux, j'ai des Kit-Kat... »

J'extirpe une barre de chocolat d'une des pochettes de mon sac et la lui brandis sous le nez, histoire de prouver que je suis pas un si mauvais hôte que ça. Mais je sais que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps, c'est pourquoi je plonge dans le cœur du sujet sans plus de préliminaires :

« Alors que me vaut le plaisir de ta visite ? »
   

Eshmé s’était faite – bien malgré elle à la solitude. En quittant le camp des insurgés, qu’elle le veuille ou non, elle demeurait seule, dans son coin, comme une paria. Mais elle l’avait choisi, pour son propre bien, pour son propre fils, pour leurs propres vies. Elle ne voulait pas, à la base. Mais elle n’avait pas le choix. Personne ne devait se douter de l’endroit où elle irait. Pour ne pas que cela remonte aux oreilles de Cillian. « Fuir… toujours fuir. Tu n’es pas fatiguée Ginger ? —— Parfois on n’a pas le choix Jane. Je n’ai pas le choix. Alors pour une fois, essaie de te tenir à l’écart de nous. —— Tu as survécu parce que je t’ai demandé de fuir. Parce que je t’ai conseillé de le faire. Parce que tu ne savais pas quoi faire. Aies un peu plus de respect. —— Par Merlin… » Dans le froid, elle se faufila à travers la forêt pour rejoindre l’une des rares personnes qui avaient encore de l’estime pour elle et qui pouvait l’aider. Dennis était l’un des rares qui n’avait pas encore perdu la foi, qui se battait pour aider autrui au détriment de sa propre vie. Eshmé ne lui avait jamais rien demandé. Il s’était porté garant tout seul, de bon gré. Eshmé avait apprécié, sans broncher, mais elle lui avait promis qu’en échange, elle lui donnerait des infos, sur ce qu’il voulait, peu importait. Elle observait autour d’elle la plupart du temps. Et le fait qu’elle soit une animagi arrangeait parfois bien les choses pour pouvoir entendre des bribes de choses qu’elle n’était pas censée savoir. Mais c’était au moins une excellente monnaie d’échange avec Dennis. Et Dennis adorait Joshua, il leur cherchait à chaque fois un nouveau refuge qui durerait que quelques jours, mais Eshmé avait adopté une attitude de nomade. Donc pour ce que cela changeait…

Elle tapa trois fois sur la porte, c’était le code entre eux. Elle lui avait envoyé une missive avant, codé, pour convenir d’un lieu de rendez-vous. Étonnamment, elle demeurait assez froide et impassible. Même si à l’inverse, à l’intérieur, c’était la grosse tempête. Jane bouillonnait, ses nerfs manquaient de lâcher à tout instant. Mais au moins, le souffle chaud de Joshua dans son cou lui rappelait combien c’était la seule chose qui importait. Son fils. « Eshmé ! Je t’attendais justement ! Entre, ça caille dehors. » Sa décontraction la laissait parfois sans voix, surtout par les temps qui courraient. Elle lui enviait cette fougue de la jeunesse, qu’elle avait fut un temps, mais qu’elle perdait à mesure que le temps passait, que le poison de la trahison continuait de s’insinuait en elle. « Je t’aurai bien proposé un thé mais comme tu peux le voir… je suis un peu limité niveau matériel en ce moment. Et sur le point de déménager. Mais si tu veux, j’ai des Kit-Kat… » Elle lui lança un sourire amusée, en prenant la barre de chocolat. Il avait le don de toujours trouver des produits moldus de qualité. Elle la mit dans sa poche en lui faisant un signe de tête pour le remercier. « Alors que me vaut le plaisir de ta visite ? » Elle se tendit soudainement, nerveuse. Elle sortit son fils du couchage qu’elle avait fait de fortune pour le protéger du froid. Il dormait suffisamment profondément et elle intima Jane silencieusement de le surveiller. « Bonsoir Dennis… Toi comme moi n’avons pas beaucoup de temps. Comme spécifier dans la missive et comme convenu, je sais des choses. Cependant, as-tu ce que j’ai demandé ? Joshua et moi on a besoin de se déplacer encore une fois… Et tu es le seul qui me donne toujours un bon gîte et un bon couvert. Et Joshua raffole de tes friandises à chaque fois. » Elle ne cherchait pas à l’attendrir, elle savait que Dennis comprenait la situation, la précarité de l’instant. Et rien que pour ça, il méritait tout le respect qu’elle pouvait encore donner à quelqu’un.