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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

De ces choses qu’on promet, comme ça, sans y penser, ces choses qui paraissent importantes aux yeux des autres et non aux siens, Âqen a toujours voulu s’en tenir loin. Très. Très. Très. Loin. Menteur admirable, à lui-même comme aux autres, il ne croit résolument pas aux mots qui se jettent et aux engagements en carton, préfère les fuir, les regarder de loin pour mieux s’en moquer. Et cette fois, pourtant, il a lâché les mots les plus fatidiques. Ils ont arraché les promesses des lippes qu’il voulait garder scellées. Promesse de retrouver les reliques. Le truc bête, lâché sous la pression et l’infini mépris qu’il avait eu en apprenant la nouvelle des pillages, un fardeau qu’il se traine tout seul depuis, à ruminer qu’il n’est qu’un idiot. Comme d’habitude, que gronde la conscience. Bien sûr, comme d’habitude. Âqen n’a jamais su faire les choses correctement, à ne savoir que casser, perdre et poursuivre. Il est là, à shooter dans ce qu’il reste des bâtiments enflammés de Septembre, les cendres se mêlant à la neige, gravats disparus sous les flocons, sa baguette au bout du bras.
Emmitouflé dans un épais manteau, le nez enfoui sous une écharpe, il peste et grogne pour la centième fois que ce pays est pourri et que ça n’arriverait jamais en Egypte. C’est vrai, putain, les conditions climatiques sont si exécrables qu’elles en viendraient à faire pâlir celles des steppes russes. Le froid est siii mordant qu’il lui dévore la peau.
Il aime bien se plaindre, Âqen. Habituellement il y a toujours une oreille pour l’entendre, comprendre, approuver. Il oublie, souvent, de plus en plus, qu’elle n’est plus et que c’est totalement sa faute. Que cette silhouette familière est loin, perdue pour lui et l’humanité. Le mangemort secoue la tête avec une résignation certaine, avançant précautionneusement entre les ruines dévastées d’une masure qu’il imagine encore fumantes. Avec une obstination prodigieuse, il relègue la culpabilité au plus profond de ses entrailles, véritable artiste de l’oubli, escroc à sa propre mémoire. Effacés, les détails, les sentiments, la colère. Etouffés les élans coupables, les coups de reins pour s’élancer dans une chasse solitaire.
A force, il n’est même pas sûr de pouvoir la reconnaître. Il se persuade même d’avoir rêvé. Elle est morte, sûrement, morte et enterrée, quelque part, depuis le mois de juillet. Peut-être même l’a-t-il imaginée, dans la cohue, les cris et le sang. C’est qu’il confond déjà sa cousine avec Bonnie Rowle. Alors non, il n’est plus sûr de rien.
Les deux ambres de l’ancien Serdaigle détaillent les lieux à la recherche d’un indice quelconque. Même là, il ne sait plus ce qu’il cherche. Un mouvement et une silhouette attirent son regard et il pointe immédiatement sa baguette dans leur direction.
Formes lointaines, traits flous pouvant appartenir à n’importe qui, sa voix s’élève dans un claquement menaçant.
« Ne faites pas le moindre mouvement brusque ou je vous descends. » Il est mangemort, implacable sans honte aucune. Pour Neith, qu’elle n’ait plus à souffrir du poids des Shafiq. Que la guerre prenne fin avec l’amoncellement des cadavres. Ses pas sont prudents mais pressés, il veut en finir au plus vite. Proche, si proche. « Faites rouler votre baguette sur le sol et tout se passera bien. » Peut-être qu’il ment, un peu, que rien n’ira bien. Jamais.


Dernière édition par Âqen Shafiq le Lun 4 Jan 2016 - 0:39, édité 1 fois
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Ruines sous ses yeux fatigués, paysages dévastés qui racontent une histoire qu’elle ne tient pas à écouter. Odeur de désolation, le feu qui a tout ravagé, les cris qui se déversent dans son crâne, sans qu’elle n’y ait assisté. Une fois qu’on a approché de l’horreur, on ne peut plus vraiment la quitter, elle s’infiltre sous la peau et jure de ne jamais s’en aller.
Pas besoin d’y aller. On a déjà tout nettoyé. La voix autoritaire d’Ancrath quand elle prend la décision de s’en aller à la recherche de vivres, elle l’écoute à peine, elle est déjà partie. Hazel ne s’arrête jamais pour réfléchir, course effrénée pour ne pas avoir le temps de penser. Ils ont dû manquer quelque chose, elle n’y était pas ; elle se fait indispensable et invincible pour étouffer l’effroi qui ressurgit. Le choc, une fois sur place, le silence assourdissant qui la prend à la gorge. Méthodique et rapide, l’enfant terrible, alors qu’elle passe au peigne fin les caves abandonnées, pousse du pied les débris, une moue dégoûtée venant faire frémir la commissure de ses lèvres. Bientôt sales, les cheveux qui lui tombent dans les yeux, et à peine couverte par un manteau trop peu épais, elle aurait presque envie de rire. Princesse, si loin déjà, la couronne sur sa tête et le monde à la portée de ses doigts. Maintenant, elle se sert par ses poings, les fourmis dans les phalanges qui anticipent la violence. Ce n’était pas sa vie. Courir à la recherche de bouffe, comme un vulgaire animal traquant sa proie inanimée. Elle frissonne sous le froid de décembre, et refait surface après avoir craché trois tonnes de poussière. Le toit de fortune ne lui semblait pas suffisamment stable, et elle n’avait aucun mal à s’imaginer ensevelie sous les lambeaux de l’habitat.
Rien. Rien du tout. Peut-être qu’ils ont fait correctement le boulot, pour une fois. Elle est pas prête de l’admettre à haute voix, pourtant, gamine orgueilleuse persuadée qu’elle fait tout mieux que tout le monde. Elle n’avait simplement pas pensé à l’atmosphère glaçante. Pas pensé retrouver des biens familiaux, des souvenirs, au milieu de la mort. Pas pensé être si touchée, après tant de temps. Ça entache sa productivité, bien sûr, l’insouciance fauchée en plein vol. Supporter son propre malheur, tant bien que mal, et dégueuler celui des autres. Mais elle ne rentrera pas les mains vides – il doit bien y avoir quelque chose d’intéressant, bordel de merde. La jeune femme approche ses paumes de sa bouche pour souffler dessus, vaine tentative visant à les réchauffer, réflexe de moldue mal intégrée. La baguette n’est pourtant pas loin, vissée à sa main gauche, la magie bien inculquée, et elle avance d’un pas décidé vers un autre coin. Quelques pas à peine, à découvert, et elle ne s’inquiète pas outre-mesure : la mort est venue la chercher plusieurs fois, mais elle ne l’a jamais trouvée.
« Ne faites pas le moindre mouvement brusque ou je vous descends. » Ça la prend par surprise, l’assurance inconsciente qui vole en éclats, et le souvenir des recommandations qu’elle juge bien souvent ridicules. Ne jamais s’éloigner du camp toute seule. Ça flotte dans son crâne, un instant, mais c’est bientôt remplacé par une autre information. Ses yeux fouillent au loin, mais la mélodie des mots est déjà bien intégrée, l’intonation froide et implacable, qui ne lui ressemble pas. Immobilisée, les contours se font plus distincts tandis que sa mémoire retrouve les traits anguleux de son visage ; elle n’est pas sûre de vraiment l’apercevoir ou de l’imaginer. Il est là pourtant, fantôme du passé, baguette dressée dans sa direction, et il n’est pas foutu de la reconnaître. « Faites rouler votre baguette sur le sol et tout se passera bien. » L’envie de rire qui lui remonte dans la gorge, rapidement transformée en haut-le-cœur. Elle attend presque l’explosion, le cœur battant, familière de ses propres éclats. Ne vient pas, toutefois, et elle la regrette presque, la tempête salvatrice. Se jeter sur lui, quelques secondes, peut-être qu’il hésiterait suffisamment pour qu’elle l’atteigne – peut-être pas, ce souffle glacial dans sa voix. « Tu serais pas foutu de m’atteindre même si je te montrais où viser, Shafiq. » Le ricanement arrive enfin, dans les souvenirs qu’il dévoile ; Âqen si foutrement méprisable en duel, leurs premières rencontres et la furie qui hurlait déjà, sombres présages dont elle aurait sans doute dû se méfier. Elle tente de se faire de glace, Hazel, mais la colère se réveille et brûle le peu de lucidité qui lui reste, souffle bouillant entraînant tout sur son passage. « Tu viens t’assurer qu’aucune vermine n’a survécu à l’incendie, se planquant en attendant son heure pour s’enfuir ? » Sifflement mauvais, et elle retient toutes les autres questions, celles qu’elle ne posera pas. Elle avance d’un pas, puis deux, provocante dans son refus d’obéir, désirant qu’il la distingue enfin, qu’il remarque l’éclat de la haine dans ses pupilles sombres. « Âqen Shafiq, nettoyeur personnel de Monsieur le Lord. Pas mal, comme promotion, passé de larbin familial à larbin du foutu maître du monde. » Ses jointures blanchissent sur sa baguette, et elle la soulève brusquement à son tour, sans trop savoir ce qu’elle comptait en faire, exactement. Pas certaine non plus que finalement, il ne soit pas plus rapide qu’elle. Une fraction de secondes, le temps qu’elle lève le bras, il réussirait peut-être à faire ce qu’il avait promis. Une Insurgée de plus ramenée au Magister, ça donnerait probablement bien sur son putain de CV.
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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

C’est idiot. Il se sent idiot. La baguette au bout des doigts, à ignorer tous les signes qui lui martèlent le cerveau. Doucement, les traits se précisent, la mémoire s’éveille, souvenirs amers qu’il écarte d’un mouvement rageur. Impossible. Pas maintenant et certainement pas là. Il n’est pas prêt, n’a rien fait pour se sortir de l’épais marasme dans lequel il est enfoncé – un peu (beaucoup) sa faute. Ne sait pas quoi faire, pas quoi penser. Ses neurones sont dysfonctionnels de toute façon, qu’il tente de se persuader. Noms, prénoms, traits et visages se mélangent. Il se dit, des fois, qu’il serait même incapable de reconnaître le Lord s’il se trouvait face à lui. La proximité le met mal à l’aise, phalanges agitées, iris voilés comme la raison. Il prend le temps d’inspirer lentement et détourne le regard de l’apparition, persuadé qu’une fois qu’il reposera de nouveau ses prunelles sur l’angle de sa mâchoire, la commissure de ses lèvres, l’étincelle morte de ses ambres, il ne verra plus que figure étrangère. C’est un fantôme, une vue de l’esprit dont il refuse d’accepter la présence. The impossible girl qu’elle est. Parce que ça fait moins mal, paradoxalement, de se persuader qu’elle n’est plus là, que d’avouer qu’il n’est pas encore sorti de l’immense fiasco dont il est le seul architecte.
« Tu serais pas foutu de m’atteindre même si je te montrais où viser, Shafiq. » Il se tend, grimace sous l’affront qu’il n’accepte que d’une seule et unique personne, la seule qu’il a toujours sous la peau et dans les veines, la seule qu’il essaie de sortir des pensées assassines. Le ricanement qui s’échappe lui arrache ce frisson rempli d’amertume qu’il réprime à chaque fois qu’il croise le regard de Neith. Il n’avait pas pensé qu’une autre soit encore là Une grimace incertaine lui fend visage sans qu’il ne baisse la baguette menaçante, sans qu’il ne prononce un mot. De toutes les répliques acerbes qui lui viennent, celles qu’il aurait jadis lâché sans retenue ni remord, aucune ne semble apte franchir la barrière étroite de ses lèvres. Il a ce sourire habituel, pourtant, idiot et mutin, qui lui étirait déjà la face quand elle se présentait à lui, avec ses colères et ses doutes. Il sonne faux, ce sourire en biais, mal placé et trop lointain. Sa rage à elle, en revanche, sonne si juste qu’elle ravage tout et qu’Âqen peine à soutenir le regard qu’elle impose sur ses iris qui explosent. Ca ne lui ressemble pas de n’avoir aucun baume pour atténuer sa haine, aucune répliquer pour atténuer les hurlements silencieux. Mais ils ne se ressemblent ni l’un ni l’autre. Aucun d’entre eux n’est le même, quelques années pour faire d’eux d’autres personnes, ombres ou marionnettes, du passé il ne reste plus qu’un goût amer et des souvenirs qu’Âqen préfère fuir. Il ne sait plus ce qu’il doit penser, faire, dire. Les possibilités infinies s’emmêlent et il reste là, à la fixer avec un air de plus en plus bovin, s’imaginant mourir, là, de suite.
« Je suis très bon duelliste. N’approchez pas. » Ses doigts s’agrippent toujours fermement autour de l’arme mortelle qu’il pointe sur la silhouette familière, s’efforçant de ne pas flancher. Qui que ce soit, il se persuade qu’elle est sous polynectar, que c’est un enfoiré de métamorphomage qui se joue de la vie des autres (hôpital, charité, où êtes-vous ?). « Tu viens t’assurer qu’aucune vermine n’a survécu à l’incendie, se planquant en attendant son heure pour s’enfuir ? » Elle se rapproche, toujours.Trop. Comme un gosse, il voudrait la repousser en hurlant, trouver la force de menacer sa vie, encore. Ses prunelles vibrent de haine sourde, de la colère abyssale de ceux qui n’ont plus rien à perdre. S’il était courageux, apte à affronter ce qu’il craint le plus, Âqen plongerait son regard dans le sien, il jetterait la légilimencie en première ligne, sans aucune retenue. Mais il craint de voir la mort d’Hazel, la vraie, le vol d’une identité et l’espoir annihilé. Tant qu’il n’a pas de nouvelle… bonne nouvelle. Il craint de ravager l’esprit sans pouvoir s’arrêter. Il craint l’embuscade, aussi.
Peut-être même que le Lord teste sa fidélité et que c’est un mangemort qui endosse le rôle de la Princesse décadente pour se jouer de son passé. A force, il ne sait plus vraiment qui est chasseur ou chassé. Si convaincante, la souveraine en colère que toutes ses certitudes se brisent une à une.
« Âqen Shafiq, nettoyeur personnel de Monsieur le Lord. Pas mal, comme promotion, passé de larbin familial à larbin du foutu maître du monde. » Qu’elle gronde, son nom roule comme une insulte, le Lord tonne comme une injure, la famille est dénuée de noblesse entre les lippes rageuses. Il n’a pas le temps de répondre qu’elle pointe sa baguette sur lui, l’Avada lui effleure les lèvres mais il retient la formule et l’éclat mortel. Son poing gauche part avant tout le reste, cueillant la mâchoire fragile avec un craquement sinistre. Sous ses phalanges blanchies, la baguette se pointe à nouveau sur la silhouette trop familière pour être réelle.
« Encore une tentative et je jure sur la tête de ma sœur que je vous fais brûler vive. » Il vouvoie encore alors que ses pas le rapprochent d’elle et qu’il se saisit de son col. La distance virtuelle est tout ce qu’il lui reste pour ne pas devenir fou. Peut-être l’est-il déjà. « Tu cherches quoi, putain ? Vous avez encore des reliques à voler, de la magie à saccager ? » La question s’abat comme un coup. Il ne pardonne pas les évènements du musée au Insurgés. S’il comprend la démarche, le combat qui se joue dans les deux camps, il ne conçoit pas que les reliques aient pu être saccagées. Il n’est même pas au courant qu’il s’agit de l’œuvre de son propre camp. How ironic..
La haine s’échappe alors qu’il la coince contre le mur, baguette contre sa jugulaire. Les traits ciselés s’imposent à la mémoire déformée, la courbe de son nez, le pincement haineux de ses lèvres. Il ne sait plus.. « Putain putain PUTAIN. Par Merlin, » qu’il jure en martelant chaque mot. « C’est très convaincant, comme déguisement. » Il est persuadé que c’est un mensonge, refusant de faire face, sans doute. Il ne lui reste plus qu’à attendre que la potion s’efface ou que le métamorphomage perde le contrôle, right ?

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Son air idiot. C’est tout ce qu’elle distingue, dans le brouillard épais de sa haine, ce sourire tordu qui n’a de sincère que la confusion qu’il entraîne. Elle aimerait le saisir pour le secouer ; elle l’aurait fait, dans une autre vie. Tu m’écoutes, putain ? Échos lointains, toutes ces discussions à sens unique, vers la fin. Il fuit la réalité avec une facilité déconcertante, barrières qu’il érige seul, convaincu des mensonges qu’il se conte avant de dormir, gamin terrifié par les vérités qu’il ne peut maîtriser. Connard. Ça lui fait plus mal qu’elle ne l’admettra, de le voir là, si proche et si lointain à la fois. Elle entrevoit dans son regard le futur qui lui a été arraché, la réussite et la gloire à laquelle elle s’était dédiée. Toute entière. Elle se donne toujours sans entrave, Hazel, fonçant droit au but sans crainte des représailles. Échecs qui reviennent la hanter, en même temps que cette expression méfiante, la baguette dressée devant elle, idiot enfermé dans ses illusions qu’il croit sans doute salvatrices.
Elle cherche une once de culpabilité, quelque part, soulager sa rage à elle, le voir contrit, rien qu’une fraction de secondes. Mais ses yeux ne reflètent qu’une désespérante confusion alors qu’il insiste pour qu’elle ne s’approche pas. Trop tard, déjà, elle franchit les derniers mètres qui les séparent, sa bouche pincée en une moue provocante. Son ordre a des intonations formelles et lointaines, le vouvoiement qui renforce la distance de sécurité, et elle laisse échapper un nouveau rire, presque léger dans sa nonchalance toute calculée. Il se renferme et elle attaque, danse inévitable qui a des airs de redondance amère. Carapace qu’elle a appris à briser, au fil du temps, à la force brute des poings, à l’acidité corrosive des mots. Juste une autre colère, de celles qui lui font perdre la tête, et le décor s’efface, fraction de secondes où la situation devient tristement commune, mélodie entêtante qu’ils ont composée à deux, il y a si longtemps déjà. Puis le présent qui reprend ses droits, le bras qui se lève, la mort entre ses doigts. Et les phalanges de l’autre qui s’écrasent contre sa mâchoire, craquement qui résonne à ses oreilles avant même qu’elle se saisisse pleinement de la douleur. Elle titube, Insurgée désarçonnée, les manières moldues de celui qui l’a probablement trop fréquentée. Elle titube mais ne tombe pas, l’habitude de la morsure revêche, des coups par surprise, les deux pieds vissés sur le sol, elle lui retourne un regard noir et ses lèvres se tordent dans une expression dédaigneuse. Pas certaine que ce soit digne d’un petit con de sang-pur, il vole sans vergogne ce qui lui appartient à elle, et crache sur ce qui ne l’intéresse pas, coutumes gerbantes de l’Elite surpuissante. Elle n’a pas remarqué l’ombre dans le regard, l’Avada qui l’a presque terrassée, sentence réduite, foutu poing dans sa gueule.
« Encore une tentative et je jure sur la tête de ma sœur que je vous fais brûler vive. » Cette distance qu’il continue d’imposer, ça la consume de l’intérieur, bien plus que le coup porté, blessure irradiante qui lui donne envie d’hurler. Mains plaquées sur ses oreilles pour ne plus rien entendre, yeux fermés et la bouche qui s’ouvre sur un cri qui n’en finit pas, à deux doigts de craquer ; mais c’est dans sa tête, tout ça, la rage qui crache et le crâne vibrant des pulsions de colère qui la saisissent par vagues. La menace proférée prend tout son sens après un temps de latence, trop focalisée qu’elle était par la forme injurieuse. La sœur sainte, encore et toujours, qui rend les mots plus cruels encore ; brûlée vive sur l’autel de sa foutue loyauté mal placée. Neith et l’aura mystique, Neith et les prophéties révélatrices. Neith et son frère, forces distinctes mais indissociables, cette fille pour qui il a tout sacrifié quand il n’a même pas été capable de l’écouter. Elle a la verve au bord des lèvres, mais il ne lui laisse pas le temps de rétorquer, aussitôt sur elle, la saisissant par le col. La baguette qu’elle a réussi à conserver, malgré l’attaque, toujours serrée entre ses doigts fins, et la réaction brusque qu’elle devrait avoir mais qui n’arrive pas. C’est une soudaine lassitude qui s’abat sur elle, fatigue qui prend des airs de mélancolie dont elle essaie lamentablement de se débarrasser. Proximité qui rend tout plus compliqué, l’usure de la bataille qui s’abat sur ses épaules et l’idée que le visage qui lui fait face est à présent celui d’un inconnu ; ça lui ravage l’âme, tristes lambeaux de la personne qu’elle était avant. Et cette distance dans l’attitude qu’il s’acharne à conserver. Morsure après morsure, lutte interne entre l’animosité latente et l’ombre de la fugitive terrifiée qu’elle avait été en claquant la porte, des années plus tôt. Son regard se plante dans celui du traître, étincelle fugace à la recherche d’un lien qui n’existe plus.
« Tu cherches quoi, putain ? Vous avez encore des reliques à voler, de la magie à saccager ? » C’est sa colère à lui qui la cloue sur place, cette fois-ci. Un léger frémissement dans ses lèvres, l’ébauche d’un sourire amer qui se profile au souvenir de l’importance qu’il donne à ces choses qui lui passent complètement par-dessus la tête. Les priorités qu’il a du mal à hiérarchiser, voyageur incorrigible et sa fougue à défendre ce qu’il pense être terriblement primordial. Elle n’en faisait pas vraiment partie, tant pis. Le fiel fait place à quelque chose de plus sournois, petite victoire qu’elle brandit comme un foutu trophée. « Tu en es toujours à croire que c’est nous qui avons fait ça ? » Mensonges éhontés, propagande ridicule du Magister visant à les décrédibiliser – ça semble fonctionner. Insurgés, voleurs et saccageurs, vils rebelles essayant de tout retourner. Comme s’ils en avaient quelque chose à foutre, de ces putains de reliques détruites ou substituées (qu’est-ce qu’elle en sait ?). Mais il fait partie de ce système-là, la machination et la manipulation dans le sang qu’il prône pur, en réalité souillé par l’effroi qu’il suscite. Il en est le produit fini, pire rejeton de son espèce, suivant le mouvement par simple commodité, les convictions, c’est trop compliqué ; il ne la croira pas, peine perdue, réessaie une autre putain de fois. Il la pousse et l’accule contre le mur, deuxième élan de férocité qui ne lui ressemble pas vraiment. Elle déglutit en sentant la baguette appuyer sur sa jugulaire, mais ne flanche pas, continuant à le darder de son regard sombre. Si proche à présent, elle a tout le loisir de l’observer à son tour, haine contre haine, ressentiments contre confusion. « Putain putain PUTAIN. Par Merlin, c’est très convaincant, comme déguisement. » Il martèle et abat ses doutes, et elle reste coite, un instant. Puis éclate d’un rire dénué de toute joie, comprenant enfin qu’il refuse de croire qu’elle est vraiment là, la pièce tombe et elle se repasse la scène, ça apparaît sous un autre jour. Shafiq, le maître illusionniste, sans doute persuadé qu’elle est une usurpatrice sous polynectar. Logique sans faille d’un esprit à son sens complètement et foutrement détraqué, préférant la croire morte que courant toujours, épine en moins dans son pied, lui permettant de ne pas devoir l’attraper. Une autre promesse qu’il ne parviendra pas à respecter. Elle lui adresse un sourire mordant, oubliant momentanément sa position inconfortable, l’ascendant qu’il a sur elle, sa vie entre ses mains (ça ne durera pas, si elle devait la lui laisser, il en ferait n’importe quoi). « Et un putain de choix de déguisement, ouais ! » L’ironie qui suinte des mots trop enjoués pour être sincères, la révolte qui prend une autre forme, insidieuse et ouvertement moqueuse de ces croyances qu’il s’entête à préserver. De sa naïveté si ridiculement cultivée, de ce regard qui la sonde à la recherche d’incohérences pour appuyer sa théorie capillotractée. « Parce qu’utiliser l’apparence d’une fugitive, c’est vachement intelligent. » Ça grince, maintenant, les sonorités plus heurtées, elle se fait immobile mais souveraine toujours, pointant du doigt les contradictions avec délectation, attendant de voir le masque tomber, de l’autre côté de la barrière dressée. « J’aurais pu prendre l’apparence d’un connard de Mangemort, ou même d’un simple sorcier, si des gens qui refusent platement de se battre peuvent encore être considérés comme tels – » Et sa bouche se tord dans une moue de mépris, la fureur par tous les pores, sur tous les sujets, cette obsession de la rébellion qu’elle a sous la peau. Elle déglutit avant de poursuivre. « Mais non, bien sûr, j’ai choisi de me déguiser en foutue née-moldue, pour garantir ma sécurité. Je savais pas que tu pouvais devenir encore plus con, Shafiq. » Le patronyme qui crache, cette famille qu’elle déteste peut-être même encore plus que lui, peut-être plus que cette saloperie de scientifique... Non, pas à ce point-là.
« Maintenant, tu me lâches, ou Neith n’aura plus de tête sur laquelle tu pourras jurer. » Les mots à peine prononcés, elle s’anime sans attendre de voir s’il prend le débat en considération. Refus des liens qui l’entravent, cette promesse qu’elle s’est faite à elle-même, ne plus jamais courber l’échine, même pas pour sa propre survie. Mourir dans la bataille plutôt que soumise aux fantômes de son passé. Son genou se soulève et heurte violemment son bourreau ; il s’écarte juste assez pour qu’elle se libère de son emprise, s’éloigne de la baguette meurtrière qui la tenait sous son joug. L’hésitation, dans l’adrénaline qui accélère les battements de son cœur, cette idée aussi raisonnable que risquée de filer sans demander son reste, misant sur le fait qu’il ne l’abattrait pas sans être certain que ce n’est pas vraiment elle. Doute balayé par sa simple présence, et ça lui donne envie de gerber, de rester là, la baguette à nouveau dressée alors qu’elle rêve de lui bondir dessus, les rôles inversés ; de rester là pour qu’il finisse par accepter la vérité, pour qu’il réponde aux questions qu’elle n’a jamais posées. Pour qu’elle puisse enfin voir l’étincelle de la culpabilité dans les prunelles fuyantes. « T’es même pas foutu de me reconnaître, putain. » L’aveu meurtri alors qu’elle se dresse en l’observant, la plaie rouverte par son refus de l’affronter. Rencontre opportune dont elle a rêvé, des mois durant. Elle se faisait impératrice vengeresse, déchaînant sa hargne face à un connard repentant. Mais même ça, il lui a arraché. Hazel Fitzalan, morte et enterrée.
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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

La colère qui gronde et qui ronge, compagne insidieuse de ses instants de folie, se fraye un passage entre les dents serrées et la respiration retenue. Il a les phalanges qui craquent et fourmillent d’une rage nouvelle et aveugle. Comment osent-ils se jouer des apparences, trouver la faille aux milles entailles. Le poing est encore palpitant du coup abattu et de tous ceux qu’il a voulu retenir, heurt et fracas endigués de justesse avant que ne déborde le courroux. Il aurait voulu laisser couler le sang, marquer sa chair d’hématomes pour être certain que son corps s’en souvienne. On ne se moque plus d’Âqen Shafiq. On ne joue plus avec le peu d’âme qu’il lui reste.
Aux souvenirs qui affluent par vagues frénétiques, il oppose l’allue impassible qu’il a appris à se composer, appris à emprunter aux autres. Il n’a jamais porté de masque sous ses yeux à elle, troublé mais sincère, perdu mais franc, par ce pouvoir aussi idiot qu’irrationnel qu’elle exerçait sur lui. A ouvrir entièrement ses colères, à toujours déverser ses mots comme ils venaient, sur l’Elite et sur le monde, Âqen avait suivi le mouvement, comme il sait si bien faire. Et par Merlin qu’il est dur de rester indifférent aux prunelles assassines, qu’il est dur d’ignorer le sourire dédaigneux qui tord un instant les lèvres sous le coup qu’il assène. Il se tend, un instant, de peur qu’une provocation ne s’en échappe et qu’il se sente obligé d’y répondre. L’habitude, peut-être, de la réplique instantanée aux élans d’impatience. Toujours répondre à la moindre étincelle, éteindre le feu avant qu’il ne dévore, l’attiser, au contraire pour que jamais elle n’explose. Quand avait-il cessé de trouver les bonnes réponses ? Souffler sur les braises éteintes, éviter les conflits de peur de trop s’engager… Jusqu’à ce qu’on lui impose le choix, comme il aime s’en persuader. Choisir un camp n’a jamais été son activité de prédilection. Âqen est un navigateur, un explorateur invétéré de nouvelles terres qui ne prend parti pour personne sinon pour les siens. Too bad qu’ils soient si divisés.
Son regard incendie l’amazone et ses courbes. Elle incarne les erreurs, les actes manqués et il n’est pas prêt à y faire face. Il n’a aucune réponse à lui donner, aucune excuse valable. Alors il jure que l’illusion brûlera, il jure sur Neith pour se donner la conviction qui lui fait défaut. Sur épaules de la voleuse d’apparence, il charge toute la misère du monde, toutes ses fautes à lui et toutes celles du Lord, brûlure cathartique qu’il s’apprête à abattre, dès qu’elle aura perdu les traits trop familiers, les couleurs enflammées des iris qui transpercent l’âme. S’il pouvait, il l’accuserait de la famine, des plaies d’Egypte et de la disparition des dodos. Il est idiot, lent à comprendre, ignorant. Perdu.
« Tu en es toujours à croire que c’est nous qui avons fait ça ? » Même là, les certitudes vacillent sous le poids du regard assassin. Il vise la veine palpitante, appose la baguette comme on y pose la lame aiguisée d’un couteau et la menace gronde encore. Vous n’êtes que des barbares ignorants. L’insulte s’effiloche et meurt à peine à ses lèvres. Pas digne de lui comme d’elle. Trop enfantine, sans fondement. Des érudits dans leurs rangs comme dans les siens, des imbéciles dans les deux camps, lui en première ligne. La fureur explose à nouveau, mécanisme de défense instinctif développé avec les années au service du Lord, se voiler la face pour mieux accepter. Ca la fait rire, sourire détestable qui lui fend le visage pour mieux se moquer de son ignorance. « Et un putain de choix de déguisement, ouais ! » De la fente ironique qui lui sert de sourire s’écoule triste dérision et sarcasme mordant, si bien qu’il accentue, vexé, la pression de sa baguette. Âqen ne voit qu’approbation au fond de la provocation. Sa colère affronte l’assurance désespérée, elle semble savoir où aller et pas lui. S’il n’était pas en train de la menacer, il jurerait être celui en position d’infériorité. Des pupilles cherchent le moindre changement, la plus infime altération dans les traits trop souvent parcourus. « Parce qu’utiliser l’apparence d’une fugitive, c’est vachement intelligent.» Il hausse une épaule malgré lui, le sourire imbécile vient voguer sous la ligne de flottaison en même temps que la réplique idiote qu’il lui réserve. Il n’est pas là pour juger de l’intelligence des Insurgés. S’ils étaient vraiment des lumières, ils n’attaqueraient pas en troupeaux désordonnés. Ils ne s’en prendraient pas aux musées, aux innocents. S’ils étaient si intelligent, Godric’s Hollow ne serait pas réduit à l’état de ruines fumantes. L’Amazone ne cesse pas là, elle poursuit l’implacable laïus et le sourire idiot laisse place à un froncement de sourcils empli de rancœur, écho au mépris qu’elle exulte. « J’aurais pu prendre l’apparence d’un connard de Mangemort, ou même d’un simple sorcier, si des gens qui refusent platement de se battre peuvent encore être considérés comme tels –» Prononcées d’une toute autre bouche, les accusations auraient rencontré une indifférence obstinée, composée, inventée. De ses lèvres à elle, de son apparence à elle, ça lui arrache la peau, brûle les veines, la culpabilité pour napalm insidieusement glissé entre ses artères. Il serre les dents comme le poing. Il n’a pas rejoint la bataille assez tôt, pas forcément le bon camp. Ne croit plus en grand-chose, Âqen Shafiq, tout juste la force désespérée de sauver les meubles de la tempête. « Mais non, bien sûr, j’ai choisi de me déguiser en foutue née-moldue, pour garantir ma sécurité. Je savais pas que tu pouvais devenir encore plus con, Shafiq.» L’insulte est cinglante, le nom de sa famille se salit encore un peu entre les lippes rageuses ourlées d’aversion, il vacille, un peu et la tête s’incline sous l’incompréhension. Il ne cherche pas à comprendre, pas à justifier pourquoi n’importe qui prendrait l’apparence d’Hazel Fitzalan-Howard, plus recherchée par les moldus qu’elle ne l’était dans le monde sorcier. N’importe qui au profil plus élevé sauterait sur l’occasion, probablement. Ils étaient tous des fugitifs alors un peu plus ou un peu moins, la différence n’est plus si grande. « Maintenant, tu me lâches, ou Neith n’aura plus de tête sur laquelle tu pourras jurer. » Il grogne à l’insulte, grogne au coup qui le cueille au creux des reins. Plié en deux, quelques pas involontaires et il relâche la pression, par l’habitude perdue des combats au corps à corps. Il ne fait pas bon trop jouer les mangemorts, on en devient incapable de se battre correctement.
Le mouvement est fluide lorsqu’il se redresse, trahissant l’entrainement douloureux imposé pour son adhésion mais elle a déjà sa baguette pointée sur lui et il ne peut qu’interrompre son geste. « T’es même pas foutu de me reconnaître, putain. » L’accusation tombe, couperet déchirant le silence. Une phrase pour lui meurtrir la conscience et exploser de nouveau les certitudes auxquelles il se pend désespérément. Un déguisement. C’est un putain de déguisement. Le mantra se répète en boucle obstinée dans l’esprit en proie à la tempête, aux promesses faites pour en remplacer d’autres. « La ferme. » Il lève le regard assassin comme il lève la baguette d’ébène en direction du fantôme beaucoup trop proche et dès qu’il croise ses prunelles rageuses, les siennes se noient dans un océan de culpabilité. Il a la promesse de la ramener au Lord qui lui martèle le cerveau, l’envie que ce ne soit pas elle, que la vraie Hazel ne soit pas là, partie, quelque part, à l’étranger. Peut-être qu’elle aurait suivi les conseils de Jessie si ce n’était les siens. Peut-être qu’il a rêvé son visage dans la fureur d’un 5 Juillet enflammé. « La ferme, putain. » Qu’il répète en plantant les ambres tourmentées au fond des iris tout aussi torturés. Il devient fou, à trop fréquenter Avery, Lestrange, à trop jeter les mots avant de pouvoir y réfléchir. « Bien sûr que j’ai reconnu. Le moindre grain de beauté, la tache de naissance sur ton épaule, ta putain de façon de plisser le nez quand quelque chose te déplaît... » Il crache chaque détail qu’il a gardé pour lui, gravés dans la mémoire un peu défaillante comme des insultes dont il veut se débarrasser. « J’ai reconnu tous les petits détails de merde… » Si la colère ardente s’efface au profit d’un impuissance criante, la baguette d’ébène pointe toujours éhontément sa silhouette qu’il voudrait voir disparaître. Qu’elle se casse, putain. Qu’elle s’en aille. « Contente ? Et on fait quoi maintenant, hein ? » C’est la honte qui gratte à la porte, brûle le sourire crâne qu’il avait cru pouvoir afficher comme s’ils étaient encore deux gosses entre les murs de Poudlard. Aussi fort veut-il la reconnaître, s’excuser, tout reprendre, s’enfuir, oublier, il ne peut pas. Pas plus qu’elle, il suppose. Si Bellatrix Lestrange s’insinue dans son esprit, si le moindre legilimens apprend qu’il abaisse sa garde à la première vision passée qu’il aperçoit, les Shafiq risqueraient d’en pâtir (et Âqen aussi. Et il aimerait vivre, dans l’idéal). « Mais ça ne prouve rien. » Qu’il abat enfin, prêt à lancer un nouveau sort cinglant. « Tu pourrais aussi bien être sous polynectar. Vous avez plus rien à perdre, on tirera moins à vue sur Hazel que sur un insurgé comme June Winchester. » Les justifications sont floues, empressées, il n’y croit même pas mais admettre le contraire le place dans plus d’embarras qu’il ne le voudrait. Les phrases trébuchent et se perdent dans un marmonnement léger. Quand les mots manquent, la rage revient, souveraine. « Donne-moi une bonne raison de croire que c’est vraiment toi, Fitzalan-Howard. » A son tour, le patronyme entier est craché, arraché à la dignité, par mimétisme habituel. « Une seule pour ne pas te buter. » L’ultime menace qu’il regrette sur l’instant, il n’en pense pas un seul mot. Tout ce qu’il veut c’est être certain, ne plus perdre de vue la certitude qu’elle est en vie. Aviser le reste.

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Le chagrin dans la voix qui lâche, se frayant tant bien que mal un passage entre la haine irradiante et la vengeance qui palpite sous la poitrine. Toute la tristesse qu’elle transforme, façonne au gré de la colère sourde ; digérée, modelée et recrachée, gamine mélancolique devenue furie tempétueuse, elle se fait meurtrière pour cacher les blessures. Enterrer la faiblesse, tout au fond, enterrer le visage et les heures qu’elle a pu passer à l’observer, enterrer chaque manifestation de relâchement, chaque foutue bribe de sentiment. Elle est devenue plutôt douée, avec le temps, à confronter un reflet qui ne lui ressemble plus totalement. De ces règles qu’elle s’impose, pour ne pas flancher, statue de pierre qui s’érige contre tout ce qui pourrait l’arrêter.
Et puis, face à lui, peut-être qu’elle n’est pas encore assez préparée. Au fond de sa pupille, le désespoir face à l’abandon renouvelé, et elle a la main qui tremble, Hazel, les doigts bien resserrés sur la baguette dont elle ne sait que faire. Peut-être la balancer au loin, lever les mains en signe de reddition et le laisser décider de son sort, ultime test auquel il échouerait probablement. Et c’est sans doute pour ça qu’elle se contente de le fixer, l’œil mauvais, tandis qu’il se redresse rapidement. « La ferme. » Un sourire désabusé face à la requête, le triomphe modeste qu’elle a déjà, à le voir perdre pied. Ca la réconforte, chaleur qui enrobe l’âme tourmentée, de le savoir bon pour perdre la tête ; elle a perdu la sienne il y a si longtemps, ce ne serait que justice. Leurs yeux se croisent, et ce qu’elle lit dans les siens la retourne, un instant, prête à lâcher les armes, à s’écrouler là et à pleurer pour ne plus jamais s’arrêter. Sa putain de culpabilité, cinq ans trop tard, elle l’attendait et maintenant qu’elle est là, elle n’en veut plus. Elle suffoque presque, à essayer de repousser la souffrance par tous les moyens, sa paume se fait moite et ses phalanges s’agrippent tant bien que mal au dernier rempart. « La ferme, putain. » Il martèle, les pupilles toujours plongées dans les siennes, et elle fait du mieux qu’elle peut pour ne pas plier. Toi, ferme-la, putain. Réplique facile, qui ne passe même pas la barrière de ses lèvres. Elle ne veut plus l’entendre, plus le voir. Oublier qu’elle l’a croisé. Ses pensées se bousculent et s’entrechoquent, courant électrique le long de sa colonne vertébrale et elle est trop faible pour réagir, pour continuer à le pousser à bout. Tout juste bonne à soutenir la lucarne qui la défie, la rage reprenant ses droits chez lui quand la sienne se meurt doucement, la laissant nue, les plaies à vif. « Bien sûr que j’ai reconnu. Le moindre grain de beauté, la tache de naissance sur ton épaule, ta putain de façon de plisser le nez quand quelque chose te déplaît... » Tourner les talons, et laisser le cauchemar dans son dos, pour ne plus le voir cracher tout ce qu’il avait un jour aimé chez elle. Son menton se relève légèrement, dans l’anticipation de la victoire dont elle se fout à présent totalement, Shafiq qui admet la vérité qu’il n’aurait sans doute jamais voulu confronter. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû s’entêter à fouiller ces putains de ruines où elle n’avait de toute façon rien trouvé, mission tuée dans l’œuf, elle rentrera les mains vides, si elle rentre un jour. Et en plein milieu du désastre, elle a le temps de penser à l’air désapprobateur d’Ancrath, et elle l’emmerde, de toute façon. « J’ai reconnu tous les petits détails de merde… » Qu’il la ferme. Tout son corps est tendu, attendant que quelque chose se passe, au premier qui lancera les vraies hostilités, au lieu de se tourner piteusement autour, à fouiller et écraser minutieusement, déchirant les derniers lambeaux de ce qui les liait encore. Mais rien n’arrive jamais, parce qu’elle en est foutrement incapable, et elle se maudit de ne pas pouvoir se détourner pour de bon de son passé, de son souvenir à lui. Elle est épuisée, à bout de souffle. Son visage se ferme, peu à peu, les lèvres qui se pincent et le regard qui finit par se détourner, juste un peu, juste pour ne plus devoir affronter ce que l’autre lui renvoie.
« Contente ? »« Ravie. » Souffle léger, teinté d’ironie et de mépris usé, qu’il n’entend probablement même pas. « Et on fait quoi maintenant, hein ? » Sa tête se tourne à nouveau sur lui, et elle lui adresse un deuxième sourire, tout aussi désabusé que le premier. Il aurait pu abaisser sa baguette et lui dire qu’il était prêt à la suivre, pour commencer. Il aurait pu proposer de s’en aller, une nouvelle fois, peut-être même qu’elle aurait accepté. Sûrement pas. Mais il ne le fait pas, quoiqu’il en soit, il la nargue de ses certitudes quand elle ne sait plus rien, plus rien du tout, putain, et il ne fait que lui poser une question qui n’attend pas de réponse. Alors rien. Ils ne font rien. Silencieuse, elle se contente de le regarder, ses prunelles reflétant tout ce qu’elle aurait bien voulu continuer à lui cacher (mais à quoi bon, maintenant ?). Il ne la laissera pas partir tranquillement, elle s’en rend compte brusquement, cet acharnement qu’il a de refuser que ce soit elle, et la promesse au Magister. L’idée s’insinue dans son crâne et lui donne envie d’hurler, il ne prendra pas le risque, et elle se dit que ce sera elle ou lui, foutus films moldus devant lesquels elle pouvait perdre des heures. « Mais ça ne prouve rien. Tu pourrais aussi bien être sous polynectar. Vous avez plus rien à perdre, on tirera moins à vue sur Hazel que sur un insurgé comme June Winchester. » Elle laisse échapper un léger rire incrédule, le dévisageant d’un air presque amusé, fascinée par la détermination qu’il peut déployer quand il veut vraiment faire chier. Qu’il pense donc ce qu’il veut, après tout, qu’est-ce que ça peut lui foutre ? Elle se le répète, litanie qui tourne en boucle, ultime moyen qu’elle a de se protéger de la morsure de son indifférence quand elle est à deux doigts de se briser. « Donne-moi une bonne raison de croire que c’est vraiment toi, Fitzalan-Howard. » Le nom en entier, qu’il crache comme elle l’a fait un peu plus tôt, coup dans le ventre qui lui rend l’énergie nécessaire pour lui décocher une œillade assassine. Ce patronyme, elle l’avait abandonné pour se consacrer entièrement à ce qu’elle était devenue, sorcière ambitieuse prête à tout pour s’intégrer, mouton si pitoyablement asservi. L’image la rend presque nauséeuse, quand le même nom est celui qui a fini par tout lui arracher, de ses succès futurs à sa dignité, de ses rêves éperdus à sa propre humanité. Noble et souveraine dans un monde qu’elle a refusé, vermine dans celui qu’elle avait choisi, sûrement un peu pour lui. « Une seule pour ne pas te buter. » Le rire revient à la charge, moqueur cette fois, et elle retrouve avec satisfaction la colère qui l’a quittée. Jusqu’au bout, à douter, à tout mélanger, la menace qu’elle n’est pas sûre de devoir prendre au sérieux ; mais qu’importe après tout, elle aussi voudrait pouvoir le tuer. Ca la reprend, l’envie de lui faire du mal, et ça la soulage, montée d’adrénaline qui balaie tout le reste sur son passage.
« ‘Faudrait déjà que tu y parviennes, connard. » L’insulte est facile, et elle s’en veut un peu d’avoir cédé aux mots âcres qui lui emplissent la bouche – ça aurait été plus rapide de lui cracher à la gueule, et peut-être que ça aurait suffi à le convaincre, qui sait. « Mais bien sûr, tu es un foutu sang-pur, et un sang-pur ne peut pas décemment perdre face à une sang-de-bourbe. » L’attaque derrière laquelle elle se réfugie, embrasant avec plaisir la haine qui renfloue par vagues, qui lui ramène le carburant qu’elle avait perdu. Les pieds à nouveau bien droits par terre, la main qui se resserre davantage à la baguette qu’elle ne tenait plus que par habitude. Elle tente de se convaincre qu’elle en est capable. Qu’elle pourrait le tuer, là, tout de suite. Plus rapide et plus de volonté. Flots de sentiments contradictoires, elle s’y perd, et elle a déjà oublié le chagrin lancinant qui la clouait à peine quelques secondes plus tôt au sol, remplacé par le moteur régénérant. « Qu’est-ce que tu veux que je te donne comme raison, exactement ? » Leur passé craché à la gueule, elle pourrait le faire. Elle s'y refuse, butée et décidée à ne plus participer à ce jeu ridicule qu'ils ont démarré ensemble, dont personne ne ressortira gagnant.
« Ça sert à rien, putain. » Elle crache, et elle parle sans doute d’autre chose que ce qu’il lui demande, de toute cette situation qui ne mène nulle part, si ce n’est droit dans le mur. Elle voudrait arrêter, revenir en arrière, appuyer sur le bouton stop, mais elle ne sait pas comment, et elle est plutôt sûre que lui non plus. S’il savait, il le ferait. Probablement. Elle n’en est pas certaine non plus. « Tu crois vraiment qu’on va partir d’ici l’air de rien, même si je te donne cette connerie de raison ? » Elle lui décoche une œillade moqueuse, de celles qu’elle lui adressait quand il racontait de la merde. Souvent. Ses histoires à dormir debout, sa logique qu’elle n’avait jamais su maîtriser, et toutes ces choses dont elle se foutait ouvertement. « T’es si naïf que ça, Âqen ? » Son prénom, qu’elle lâche presque sans réfléchir, pour la première fois depuis qu’ils sont là, tous les deux, comme des cons. Elle s’en rend compte à retardement, et ça lui fait mal, bizarrement, cette importance qu’ils donnent à la dénomination de l’autre, la barrière qui tombe, ça s’infiltre encore une fois sous sa peau, les souvenirs inutiles. Elle déglutit difficilement et recule d’un pas, comme pour regagner la distance qu’elle vient de perdre, au moins physiquement. « Tu crois peut-être que j’ai pas rêvé de te retrouver et de te faire payer ? » Les mots se détachent les uns des autres, flottent dans l’air un instant, frisson qui parcoure son corps endolori à force de rester sur le qui-vive, et la question qui revient, passer du théorique à la pratique, ses phalanges contre sa mâchoire. Terrifiant, la façon dont elle parvient à se persuader qu’elle en est tout à fait capable. « Parce que là, c’est l’occasion rêvée. » Rugissements du cœur qu’elle malmène, de l’âme qui hurle vengeance, mélange explosif qui lui retourne les tripes. Coincés. Plus de retour en arrière, ça s’agite dans sa tête, elle ne sera pas la victime, elle ne sera plus jamais la foutue victime, même si elle doit lui marcher dessus pour ça. « Continue donc à douter, c’est pas mon foutu problème. » Un rictus, fugace, et sa décision à elle qui est déjà prise, quelques fractions de seconde pour que tout bascule. « Confringo ! » Et tout au fond, cette autre certitude, plus douloureuse que la première, qu’elle essaie de faire taire.
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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

Elle est là, l’implacable erreur dans la matrice, fantôme venu dérégler les rouages. Il avait presque réussi à passer outre pendant des mois, se persuader qu’il était mieux ainsi. Presque. Mais elle est là, et sous son impulsion, elle déverse son torrent colère du fond de ses iris, juste retour pour les mots qu’il prononce. Au fond, il regrette chaque phrase qu’il formule, chaque syllabe qu’il détache dans cette colère artificielle. Des sourires amers aux rires brefs empreints d’ironie qu’elle lui jette au visage en guise de représailles, tout est distillé pour le ramener en arrière et l’attacher au passé qu’il n’a de cesse de fuir. Il a les doigts qui se serrent autour de la baguette qu’il pointe comme arme ultime, la haine qu’il s’invente à son égard comme ultime rempart. Outrecuidance infinie de penser qu’il n’est pas seul responsable, que ses erreurs se conjuguent au pluriel, encore à se persuader qu’il n’a pas eu le choix. « ‘Faudrait déjà que tu y parviennes, connard. » qu’elle feule à la menace qu’il aurait aimé retirer, l’amusement au fond d’un rire trop entendu. Idiot, le sourire lui fend vaguement le visage tant l’insulte est facile. Purement moldue. En d’autres lieux, en d’autres époques, il s’en serait amusé, adolescent insouciant coincé dans le corps d’un adulte, mais il est là, le sort mortel au bout des lèvres. Le constat efface le rictus railleur, déchire la conscience voilée par les mythes qu’il se raconte. La raison, l’élément certain qu’il souhaitait tout en redoutant d’obtenir. Il ne sait que faire de l’information, de la certitude qu’elle fait naître, dessinant lentement le tableau apocalyptique à l’issue fatale, laisse Hazel poursuivre, la nausée au bord des lèvres. Elle a raison, il n’y parviendrait certainement jamais. Pas une question de compétence, de capacité à être le bras armé, pas peur d’abattre à vue, Âqen, le temps des réticences à l’engagement semble loin. Mais elle, qu’est-ce qu’il ferait de la culpabilité ? Qu’est-ce qu’il dirait à Jessie, aux autres une fois la guerre terminée ? L’idée même creuse un sillon de plus entre ses reins, sur son palpitant dévoré par la culpabilité acide. Il perd un peu de l’assurance qu’il avait en se mentant avec obstination. Il perd chaque illusion mise en place pour ne plus voir les cicatrices et les plaies béantes. « Mais bien sûr, tu es un foutu sang-pur, et un sang-pur ne peut pas décemment perdre face à une sang-de-bourbe.» Piqué au vif, il s’éveille de nouveau et ses prunelles s’illuminent de rancœur à la puérilité de l’attaque. Comme un vieux concerto dissonant, il a les répliques qui fusent, la mémoire qui vrille au son des mots qu’elle abat. L’affrontement est longtemps resté une blague, une critique pour mieux mettre à jour les défauts dans le système. Les acides « Tu n’y arriveras pas Hazel, seules les sorcières de sang-pur savent parfaitement récurer des casseroles à la baguette » s’alliant aux inébranlables « Pas trop vexé, Shafiq, d’être moins rapide qu’une sang-de-bourbe », aux insultes, ils avaient retiré le mépris et la haine pour s’en faire des qualificatifs personnels. Entre ses lèvres, les mots reprennent leur forme d’origine, déformés sous la colère et les épaules d’Âqen s’affaissent un peu sous le poids qu’elle leur rend. La rage en elle éclate à nouveau et lui glisse sous la peau entre deux regards fiévreux. Elle a toujours trop facilement gagné à ce jeu-là, aux armes qu’il rend sans opposer trop de résistance. Elle embrase une partie de son être avec sa colère contagieuse, corrosive et il se laisse emporter, la baguette vibrante entre les phalanges.
« Qu’est-ce que tu veux que je te donne comme raison, exactement ? » Il ouvre la bouche, la referme, poisson hors de l’eau en manque d’oxygène. Cerveau éteint. Il ne sait pas, pour tout avouer. Il l’a déjà, sa raison, et elle a emporté ce qu’il lui restait de lucidité. Il rêve d’entendre qu’elle va laisser tomber le combat, qu’elle est prête à partir hors du pays et qu’elle le suivra jusqu’à l’autre bout du globe. Mais il rêve. Tout est là. « Ça sert à rien, putain. » Un hochement de tête accueille la déclaration désœuvrée, il ne pourrait être plus d’accord. Plus grand-chose ne sert, les raisons pour lesquelles il a osé marquer son bras du symbole maudit lui échappent toujours plus, la colère de Neith, la sienne, les esprits qu’il déchire, les regrets grandissant remplacent la fidélité exacerbée tant décriée par Hazel et les bonnes intentions. Il n’essaie même plus, Âqen, l’érudit curieux toujours prêt à prendre le chemin le plus tortueux pour les plus grandes expériences. Le contemplatif s’est fait plus passif encore, plus inutile, paradoxalement plus actif entre les mains du Lord, les grandes idées qu’Hazel avait pu éveiller lentement consumée par les feux croisés.
« Tu crois vraiment qu’on va partir d’ici l’air de rien, même si je te donne cette connerie de raison ? T’es si naïf que ça, Âqen ? » L’œillade pour rappel aux souvenirs enfouis, le prénom qui roule sur la langue, remplaçant le Shafiq sifflant. Etrangement, il lui semble préférer quand elle crache le patronyme comme un cobra. Son prénom extrait de ses lèvres n’est plus monté à ses oreilles depuis longtemps que ça lui creuse un trou béant dans la poitrine. Un vortex immense qui le dévore de l’intérieur. Parce que non, non, bien sûr qu’ils ne vont pas se séparer en se claquant la bise. Bien sûr qu’il est naïf, il est Âqen Shafiq, c’est presque un synonyme, elle devrait le savoir.
C’est un pauvre sourire qu’il lui sert comme toute défense, une fente idiote et dénuée d’animosité qui lui déchire le visage comme lorsqu’il était pris en faute à une époque plus paisible, comme lorsqu’elle démontait implacablement ses histoires à dormir debout sur les pyramides.
Il la voit reculer et ça lui fait autant de bien que ça lui explose au cœur. Son avant-bras s’agite de tremblements brefs à trop la menacer, à trop vouloir se voiler la face.
« Tu crois peut-être que j’ai pas rêvé de te retrouver et de te faire payer ? » Il se fige et son cœur manque un battement, désagréable impression de se noyer chevillée au corps. Le flottement est douloureux et la réponse se meurt au fond de la gorge, dans un coin de l’esprit meurtri. Il en a rêvé aussi, un peu, pour d’autres raisons, d’autres buts, avant de redouter l’instant, de se prendre à espérer qu’il n’arrive jamais. Incapable d’entrevoir les issues, il avait fini par ne plus y penser, s’enfoncer dans un déni salvateur. « Parce que là, c’est l’occasion rêvée. » La menace évidente gronde et l’amazone traquée s’agite. « Continue donc à douter, c’est pas mon foutu problème.» Il décèle le rictus, mauvais et fugitif, frisson glacé le long de son échine. Le visage disparaît derrière les détails, les traits crispés par la colère et le Confringo qui résonne à ses oreilles, les réflexes qui reprennent leurs droits. Plus rapide que lui, mieux préparée, la rage qu’elle couve depuis trop longtemps et qui explose au bout de sa baguette. Il esquive avec peine le rayon qui l’aurait frappé de plein fouet mais ne peut l’empêcher de brûler son côté.
Sous la violence, l’épaule craque, se disloque et les injures dans toutes les langues fusent alors qu’il se glisse derrière le premier mur venu pour se mettre à couvert, vagues étincelles d’un Incendio informulé, pour la beauté du geste. Il endosse de nouveau le rôle qu’il abhorre et la rage enflamme ses veines autant que les remords. Elle est excellente, Hazel. Pas uniquement parce qu’elle était déjà douée avant, ni parce qu’elle a été la première à agir. Il aurait été certain d’avoir l’avantage, quelques années plus tôt, entre les deux duellistes imprévisibles mais la certitude confortable s’envole avec la douleur qui lui déchire l’épaule. La promesse au Magister s’impose suivie par le visage meurtri de Neith et les prunelles enflammées d’Hazel. Ses phalanges s’agrippent à la baguette qu’il ne s’est toujours pas décidé à abattre, les paumes moites, le cœur emballé, lacéré.
« J’te rassure, je n’ai plus aucun doute sur ton identité. Un putain de sort comme celui-là, jeté en pleine gueule, ça ne peut être que ton œuvre, Hazel. » Qu’il lâche, menton relevé pour mieux porter sa voix. La phrase lui arrache les lèvres qu’il s’empresse de mordre pour arrêter de déblatérer son lot de conneries habituel. Dans l’impasse, Âqen Shafiq, incapable de trouver la sortie du labyrinthe dans lequel il se trouve. Il envisage un instant de détaler comme un lapin, parce que c’est ce qu’il fait de mieux. Mais elle ne lui pardonnerait pas de lui tourner le dos une seconde fois. Il ne se le pardonnerait assurément pas non plus. Tant de choses à dire, des promesses qu’il n’aurait jamais dû faire, tant de regrets, d’actes manqués à rattraper. Au bout de sa baguette, les étincelles rageuses crépitent, trop habituées à se déclencher à la moindre agression.
« On peut… on peut trouver un terrain d’entente, tu sais ? » Bien sûr qu’elle « sait », il gagne du temps, simplement. Ce qu’elle sait aussi c’est que le terrain d’entente n’est qu’à sens unique, il en a parfaitement conscience. Il ramènerait la née-moldue au Magister. Puis quoi ? Gagnerait-il le droit d’en disposer comme bon lui semblerait ? Certainement pas. Certainement plus. Le Lord n’accorde plus de faveur, il laissé les détraqueurs s’emparer de l’âme de Hvedrung, incendié Godric’s Hollow, il ne s’embarrasserait pas d’une insurgée aux poings rageurs et Âqen n’est pas assez influent pour pouvoir influer son jugement. Il n’est même pas certain que quelqu’un puisse l’être. « Putain, par l’anus de Merlin. » Les jurons débordent, habituels sujets de moqueries, les expressions prêtant à rire et à glousser entre deux échanges culturels. Il n’y pense même plus, essaie d’oublier la nostalgie qui s’insinue en mauvais poison à chaque battement de cils, chaque respiration qu’il imagine. Et son rire, putain. Cinglant, cristallin, déchirant. « T’es pas la seule à avoir pensé à cet instant... » Comme s’il avait pu réellement passer outre. Ca gronde et ça tambourine dans le fond de sa poitrine. « J’voulais pas que tu sois là, j’voulais que tu sois partie. J’sais pas où, dans ta famille à la noix, n’importe où. Pourquoi faut-il que tu sois si persistante dans la bataille, hein ? » Il n’attend pas vraiment de réponse, se redresse, sous un Protego lancé à la hâte, l’épaule en sang et le regard sombre. Il ne peut pas prendre le risque de lui faciliter la sortie, elle a lancé les hostilités et il se doit d’y répondre. Les Legilimens du Lord sont bien trop redoutables pour se hasarder à la moindre faiblesse, bien placé pour le savoir. « Incarcerem ! » Pas la force de prononcer les maléfices propres aux Mangemorts, peur de vraiment la meurtrir alors qu’elle n’a pas hésité. L’essence persiste, lui l’indécis chronique incapable de prendre une décision, plus incapable encore de prendre la bonne. Elle trop ardente, trop impétueuse pour savoir s’arrêter.

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Le cœur qui se brise en mille morceaux, sitôt le sortilège lancé, ses yeux qui s’écarquillent ; elle ne distingue plus rien, rien que son explosion à elle. Une fraction de seconde, et ça ressemble à l’éternité, elle le voit se propulser derrière un mur, échappant à la majeure partie des dégâts. Le soulagement nauséeux lui retourne l’estomac, à deux doigts de se pencher en avant pour vomir, elle a vu le sang, entendu les jurons et vécu la douleur comme si c’était la sienne, cette manie qu’elle a de tout rapporter à elle. Il lui appartient encore, ce corps qu’elle rêve de meurtrir, ce sourire qu’elle a sous la peau, cette colère qu’ils sont à présent deux à porter, quand il ne lui renvoyait auparavant qu’une vague nonchalance désintéressée. Plus proches que jamais, étrangement, alors même qu’ils piétinent allégrement ce qui les rendait surpuissants. Elle a le souvenir de leurs duels, à Hogwarts, des sorts qui rebondissaient l’un contre l’autre dans une cadence effrénée, et de leurs rires autant que de ses hurlements à elle, quand il gagnait un peu trop facilement jusqu’à ce qu’elle lance brusquement sa baguette par terre pour se jeter sur lui, gamine à l’ego surdéveloppé. Les premières fois, il n’avait pas su parer, et elle se relevait, triomphante, ignorant délibérément le professeur exaspéré. Ce n’est pas comme ça qu’on se bat ici, mademoiselle Fitzalan-Howard. Mais l’important, c’est de gagner, elle l’a su dès le premier jour, bien avant que cette foutue guerre vienne tout bousiller. Alors elle enterre tout au fond la terreur qu’elle a, de le voir souffrir, l’envie de tout arrêter, et elle se mord les lèvres presque à sang pour obliger ses jambes à ne pas plier.
La baguette fume encore, le Confringo voué à réduire tout ce qu’il touche à néant, et Âqen a survécu, évidemment, ce serait bien trop facile s’il en avait été autrement. Elle a toujours le bras levé, Hazel, à l’affût d’une revanche immédiate, les nerfs prêts à lâcher et le tremblement jusqu’au bout des doigts. « J’te rassure, je n’ai plus aucun doute sur ton identité. Un putain de sort comme celui-là, jeté en pleine gueule, ça ne peut être que ton œuvre, Hazel. » Ça lui arrache un sourire, lèvres bien étirées sur les dents, prête à mordre plus qu’à rire. Son éraillé qui provient néanmoins tout droit de sa gorge serrée, elle pointe l’arme vers le mur, sans bouger, persuadée qu’il va surgir sans s’être préalablement annoncé. « Ferme ta putain de gueule, Shafiq. » Il la perçoit enfin, dans la violence qu’elle a toujours revendiquée, mais elle n’en retire aucune fierté : à l’intérieur, rien que le néant, trou béant en plein milieu de sa poitrine, comme l’impression d’avoir renoncé à la dernière partie de son âme en s’attaquant de plein fouet aux résidus de la personne qu’elle avait été, dans son regard à lui. La trêve définitivement enterrée, et avec elle, les espoirs ridicules qu’elle n’a jamais formulé à haute voix, laisser la rage derrière soi et s’enfuir n’importe où, tant que ce n’était pas ici. Elle lui en veut davantage, de ne pas su avoir demander au bon moment, trop tôt ou trop tard, jamais à la seconde exacte où elle aurait pu, prise de folie, lui dire oui. Maintenant, c’est terminé, plus de retour en arrière, de toute façon, elle n’en voudrait plus, et elle ne ressent plus rien, c’est sa faute à lui, rien qu’à lui. Elle s’en persuade, pour ne pas avoir à regretter son geste précipité, pour ne pas se maudire de ne pas avoir accepté la foutue proposition prononcée trop tôt, plus de cinq ans en arrière. S’il est doué pour se voiler la face, elle a toujours été amplement capable de se raconter de jolies histoires, jusqu’à en emplir son crâne, si convaincante qu’elle finit par y croire, elle aussi. « On peut… on peut trouver un terrain d’entente, tu sais ? » L’hésitation dans la voix, tentative pitoyable de gagner le temps qu’ils n’ont plus ; et elle ferme les yeux, un minuscule instant, le temps de savourer l’irréalisable. Elle préfèrerait crever que de le laisser l’emmener au Magister, et il le sait. Devrait le savoir. Peut-être pas, après tout, il n’était pas là, il n’avait pas vu, les cicatrices qui parcourent son corps et la façon dont elle lève la tête vers la lune, nuit après nuit. Ça lui coupe le souffle, de se rendre compte qu’il ne la connaît plus vraiment. La porte qui s’ouvre, dans ses souvenirs étouffés, sa tête qui passe par l’embrasure, et déjà, elle raconte sa journée, grinçant des dents, fatigante de colère et de mépris envers le monde auquel elle voulait si désespérément s’intégrer. Chaque pensée, chaque parole, chaque geste de sa journée décortiqués, avec force d’interprétation, le spectacle qu’elle faisait à chaque fois, et il riait, amusé, rarement épuisé. Rien ne pouvait lui échapper. Aujourd’hui, il ne maîtrise plus le sujet, la crasse dans laquelle elle se couche et l’étincelle de la peur qui passe parfois fugitivement dans ses pupilles usées. Elle est prise d’une envie de lui cracher à la gueule, toutes ces choses qu’il ne sait pas, plus, mais elle rouvre les paupières, et le mur lui fait toujours face. Il n’y a plus que ça. « Sure. La mort pour moi, et toi… » Elle ne finit pas sa phrase, et ça n’en valait d’ailleurs pas la peine, il n’est finalement pas assez naïf pour croire à ses propres conneries.  
« Putain, par l’anus de Merlin. » Énième claque du passé, et leurs différences, fatales, jetées en pleine gueule. Elle s’en défait rapidement, cependant, et se rapproche d’un pas, pour ne plus être exactement à la même place quand il sortira pour attaquer. Réflexe qui surgit sans y avoir songé, les années à se battre marquées au fer rouge sur sa peau, guerrière sans jamais l’avoir voulu, un pas, deux pas, tentant de faire le moins de bruit possible. Elle se fait prédatrice plutôt que proie, sans jamais parvenir à identifier l’autre comme un ennemi, pas vraiment, en tout cas. Shafiq plus que Mangemort, dans ses entrailles meurtries, traître plus que fervent défenseur du foutu Lord. Et le cœur en tant de morceaux qu’elle aimerait arracher le sien en contrepartie, simple affaire de justice si éloignée de la mission qu’elle s’est confiée. Leur sang à eux plutôt que le sien, jamais elle n’aurait cru qu’il en ferait partie. Traître, traître, traître, bat sur ses lèvres, terrain d’entente qu’elle rumine en plissant des yeux. « T’es pas la seule à avoir pensé à cet instant... » Elle se fige dans sa traversée du désert, coup vicieux qu’il assène et la laisse sonnée. Toute à sa revanche, elle n’a jamais pensé à lui, sinon en train de la supplier de l’épargner. Les mots qu’il a donné à la Gazette, ça lui a suffi ; de lâche il est devenu mortel, cible à abattre dès que l’occasion se présenterait. Jamais réfléchi à ce qui se passait dans sa tête, trop occupée à fantasmer le moment de grâce, et ça arrive encore à l’étonner, qu’il y ait pensé. Foutu traître. « J’voulais pas que tu sois là, j’voulais que tu sois partie. J’sais pas où, dans ta famille à la noix, n’importe où. Pourquoi faut-il que tu sois si persistante dans la bataille, hein ? » Un glissement, les paroles qui s’insinuent sous son crâne, et elle veut répondre que déjà il sort de sa tanière, la prenant au dépourvu, bien plus assuré qu’elle ne le pensait, bien moins pris par ses lamentations que ce qu’il voulait lui faire croire. Saloperie de sang-pur, et c’est tout ce qu’elle a le temps de penser avant de se jeter au sol, les réflexes moldus reprenant leurs droits au moment le plus critique, les remettant tous deux à leur place légitime ; le sorcier vif et fourbe, la sang-de-bourbe barbare, le sang qui décide de la marche à suivre. « Incarcerem ! » Elle sent le sort siffler au-dessus de sa tête sans en avoir compris la nature, peut-être qu’elle vient d’échapper à la mort, elle n’en est pas sûre. Et elle est à terre, les coudes dressés pour éviter l’impact frontal. Les débris du site en ruines déchirent la peau sensible, mais elle ne ressent plus vraiment la douleur, le temps qui se fige et son esprit qui part dans tous les sens. Attaque, le hurlement plus fort que les autres, réduite à l’animal traqué, l’important, c’est de gagner. Folie furieuse, quand elle s’érafle les genoux pour se redresser, et elle charge, soudain sur lui, le bitume qui les cueille, le poing en avant, la conscience restée en arrière. Cette fois-ci, ce sont ses phalanges qui viennent heurter sa mâchoire, craquement lugubre suivi par un second, la rapidité des coups qui pleuvent, le souvenir amer de l’entraînement de Vincianne, des siècles plus tôt, venant sournoisement l’effleurer. Tu veux de l’aide ?, et son sourire prétentieux, alors qu’elle acceptait en grommelant, admettant douloureusement que ses bagarres dans les bars ne pouvaient pas l’avoir aussi bien formée que l’entraînement dont avait bénéficié la française. Elle n’aurait pas pu deviner, Hazel, que ça allait vraiment lui servir, un jour. Surtout pas contre lui.
Elle a dû lâcher sa baguette, à un moment, parce qu’elle ne l’a plus en main alors qu’Âqen encaisse et renvoie avec autant d’ardeur la violence qui s’abat. Hors du temps, elle ne parvient plus à éviter certaines de ses répliques, sa propre lèvre qui explose, le goût du sang qui roule sur le palais, elle reprend le dessus pour mieux le perdre, combat acharné et infini, qu’elle a provoqué ; elle a tout démarré, du sort à la rage qui reprend le dessus, ou simplement le besoin de survie qu’elle pensait avoir annihilé pour de bon, ce cinq juillet funeste. Elle en oublie, un moment, l’identité son adversaire, dans le jeu de pouvoir qui se met en place, son dos qui craque contre une brique et le cri qu’elle laisse échapper, sa tête qui vient heurter violemment le nez de l’autre et le regard qu’elle croise, qu’elle imagine, peut-être, qui la pétrifie. La bataille jusqu’au bout, chez elle, d’habitude, la colère qu’elle n’en peut plus d’abattre, le trou béant dans la poitrine prêt à l’avaler toute entière, et la question restée sans réponse. « Parce que c’est tout ce qu’il me reste. » Rage de l’aveu qui arrive en retard, contraste douloureux de la scène ravagée, le sang sur ses doigts, son sang à lui, ça lui donne envie de vomir, bile qui remonte dans sa gorge et le corps malmené. Elle le fixe, son visage abîmé et défait, la défaite qu’elle admet quand elle est celle qui s’en sort le mieux, le surplombant et attendant presque de le voir attaquer en retour. Elle a ouvert les hostilités, mais elle est incapable de continuer, la conscience venant la cueillir au plus mauvais moment, elle ne peut pas le tuer. Sa baguette hors de portée, sans défense, et lui qui l’a dépouillée de tout, même de cet acharnement qu’elle avait fait sien depuis si longtemps. Elle relâche le col qu’elle tenait entre ses doigts serrés, et s’écroule à côté de lui, les traits et l’âme souillés de nouvelles cicatrices.
« Je préfère crever que d’être ramenée au Magister. » Elle a la voix basse, les mots sortant douloureusement d’entre les lèvres d’où s’écoulent le vermeil au goût de fer. Et si elle ne se rendra jamais sans lutter, elle est tout aussi incapable de l’achever pour s’enfuir. « Je préfère crever que de redevenir l’esclave de quelqu’un. » Flash qui la ramène à la salle isolée de son bourreau, ses dents qui se serrent et la douleur qu’elle ignore. Le souffle court, les cotes qui la font souffrir, et l’autre, à quelques centimètres à peine, loin d’être dans un état plus avantageux. Elle songe, un instant, à se laisser mourir sur place, et ce sera peut-être sa seule solution, s’il décide de la capturer. « Je te tuerai avant que ça arrive, Shafiq. » La promesse qu’elle lui fait, en écho à ses propres pensées. Sachant pertinemment, maintenant, que ce n’est qu’un autre mensonge, du même acabit que les siens. Ils se ressemblent plus qu’elle ne l’admettra jamais, embourbés dans leurs croyances vaines, et elle se monte la tête, ça tourne en boucle dans son crâne, elle le tuera, elle le tuera. Sans doute pas, l’image des chaînes qui s’imposent devant ses yeux fatigués, l’effroi de la cage, cette fraction de seconde où elle l’a croisé. Éternel recommencement, rebelle en cavale mais prisonnière de ses propres sentiments.

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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

« Ferme ta putain de gueule, Shafiq. » il croit capter à l’aveu qu’il lâche, la reconnaissance à regret. Il aimerait bien fermer sa gueule, lui aussi, que le silence se fasse sans qu’il n’ait à le forcer. Mais il continue pour lui courir après, pour rattraper le temps qui file trop vite et espérer qu’elle ne parte pas. Il sait qu’elle ne tournerait pas le dos à l’ennemi, elle n’est pas comme lui. Pas lâche, pas stupide. Elle l’a suffisamment souligné. Sauf que l’ennemi, c’est lui et qu’il en a des frissons, des haut-le-cœur violents, la bile au bord des lèvres.
Sa conscience bat le rappel face à une culpabilité trop grande, entre pilotage automatique et honte qui lui lacère la cage thoracique par derrière. Les réflexes implacables du mangemort se disputent à l’once d’humanité qu’il lui reste. Les entrailles se nouent au maléfice qui s’échappe de sa baguette, prières silencieuses qu’il adresse à Merlin et toutes les divinités qu’il connaît. Qu’elle évite le sort, par pitié. Il se sait d’avance incapable de prendre une décision s’il arrive à prendre l’avantage.
Les cordes déchirent l’air, explosent les ruines déjà bien entamées et il constate, presque rassuré, qu’elle a su anticiper, se déplacer sans qu’il ne la repère. Il aurait été si fier, en d’autres circonstances, de cette nouvelle aptitude à lire les mouvements, si inutile si la guerre n’avait pas fait rage. Si forte, s’ils étaient dans le même camp. Que sont-ils devenus ?, la question qui tourne et ne trouve aucune réponse. Aucune satisfaisante dans les modèles qu’elle fait jaillir. Ils sont ennemis, monstres, soldats. Ils sont victimes, bourreaux, assassins. Animaux. Prédateurs. Rien que ne les raccroche à ce qu’ils avaient espéré être avant. Princesse sauvage, explorateur rêveur. L’idéal est loin, parti avec la guerre et le bout d’âme volé par le Lord.
Elle émerge des décombres écroulés, blessures jalonnant sa peau dont elle n’a pas l’air de se soucier et il titube à la vision qu’elle lui renvoie, à la charge qu’elle lance et à son cœur qui explose, battement manqué.
Il n’a pas le temps de réagir, d’hurler, lancer une bordée d’étincelle que, déjà, elle s’est jetée sur lui. Ses phalanges qui lui démontent la mâchoire avec une violence qu’il ne lui aurait jamais prêtée auparavant, les vertèbres qui craquent en heurtant le sol, le Protego n’ayant jamais arrêté les attaques physiques. Venant d’Hazel, ça n’est presque pas étonnant. Pas étonnant du tout. Il aurait cru qu’en défendant les sorciers, elle se fasse plus sorcière à son tour, moins prompte à poser les ecchymoses sur la peau. Mais non. Si ça ne lui défonçait pas autant la conscience, il en serait presque rassuré.
Sous l’effet de surprise, les doigts pourtant si fermement agrippés lâchent la baguette au loin. Désarmé, impuissant, comme s’il ne l’était pas déjà un peu. La furie se déchaine et il serait bien en mal de l’arrêter, les coups s’abattent, les répliques ne tardent pas à venir. Il ne rend plus les armes facilement, jamais, pas même face à elle. Un réflexe plus qu’une réelle volonté, il la laissera faire pleuvoir son ire jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, s’il en avait la possibilité. Avec des si… Les grondements haineux succèdent aux cris, son épaule meurtrie l’empêche de l’entraver, de parer chaque salve de violence comme il le voudrait. Les os qui éclatent, le sang qui jailli. Ses poings trouvent sa face à elle, entre le déchainement et la rage. Au rythme frénétique des heurts, de leurs souffles courts, s’oppose les tambours de guerre qui s’emparent de leurs palpitants. Il entend les percussions terribles, les chocs de leurs coups entre les côtes. Les mèches brunes lui effleurent le visage, les doigts se perdent, s’agitent à viser tout ce qui est à portée. Elle a ses phalanges enroulées sur son col, les siennes qui meurtrissent sa lèvre, à voir ses traits farouches s’abîmer, se couvrir d’ecchymoses et de sillons haineux, il se dit qu’il la perd, qu’elle s’éloigne et qu’il ne la rattrapera plus jamais. Elle disparaît, Hazel, au profit de l’Amazone inconnue aux poings faciles, aux hurlements bestiaux. Elle disparaît et il a beau essayer de s’accrocher aux détails, il les voit de moins en moins. Les traits si reconnaissables noyés sous le carmin, la tache de naissance qu’il lacère au passage, comme pour mieux la garder après le combat qui s’éternise. Voie résolument sans issue. Qu’il remporte ou non la bataille, il perd la guerre. S’il la laisse l’emporter, il laisse exploser la fureur. Ou il l’anéantit elle, toute en entière. Sa colère résonne, pourtant, entre sa poitrine qui vibre, la gorge qui s’emplit de rage. Il ne peut s’empêcher de répondre à chaque coup par un autre, conditionnement sagement appliqué par le Lord, première fois qu’il a du mal à entrevoir ses propres pensées dans le marasme des actions enchainées. Leurs sangs se mêlent un peu trop vite, il lui arrache un cri plus fort que les autres et il se fige instantanément, arrêté par la peur d’être allé trop loin. Ce coup de tête qu’elle lui décoche pour le ramener à la réalité. Il a le bras qu’il irradie de douleur, la poitrine trop vide et le regard intense, fixé dans ses prunelles incendiaires. Les gestes en suspens, le silence qu’elle lui avait intimé plus tôt. Il la ferme, sa putain de gueule. Perdu, un peu gagné. Pas trop de vainqueur. « Parce que c’est tout ce qu’il me reste. » Ca lui arrache le cœur, cet déclaration à retardement, après tout ce qu’elle a déployé pour illustrer le désespoir entre ses reins. Au milieu du brouillard de guerre rougeâtre qui lui masque la vue, il tente d’accrocher les pupilles avec les siennes, retrouver les traits qu’il a en mémoire. Les excuses se bousculent sans jamais se concrétiser. Elles sonnent creux rien qu’en y songeant, il n’ose même pas les prononcer. Il n’ose jamais rien Shafiq, de peur d’ouvrir de nouveau les hostilités.
Elle le laisse tomber au sol et s’écroule à son tour, le regard vide d’Âqen s’évertue à fixer le ciel, plafond explosé sous le souffle du Lord en colère. Il se redresserait si son épaule le lui permettait mais le moindre mouvement lui arrache une grimace douloureuse, un grondement rauque du fond de ses poumons. Elle a gagné. « Je préfère crever que d’être ramenée au Magister. » Un sourire féroce teinté de carmin étire les lèvres d’Âqen malgré lui. Bien sûr. Tout le monde préfèrerait crever plutôt que fréquenter le Magister. A part peut-être les plus fidèles. « Je préfère crever que de redevenir l’esclave de quelqu’un. » Ses yeux qui se ferment un instant, la respiration qu’il cale sur la sienne, courte et sifflante, la hantise qu’il entend dans les inflexions de sa voix. Les questions lui traversent l’esprit, tout un pan de sa vie qu’il ignore et qu’il n’a pas cherché à découvrir, par peur d’en apprendre trop et de perdre de vue les objectifs fixés. Incompatibilité certaine de celle qu’il a sous la peau et du sang qui lui parcourt les veines. Shafiq érigé en malédiction, en clan qu’il ne peut que suivre et s’évertuer à protéger. Ca l’agaçait déjà, Hazel, qu’il puisse toujours avoir Neith dans son sillage et à chaque virage. Elle lui donnait l’impulsion manquante pour s’offusquer et s’émanciper. Etincelle révolutionnaire morte avec le futur qu’ils tissaient. Avec les convictions qu’il a soigneusement enterrées de son propre chef. « Je te tuerai avant que ça arrive, Shafiq. » Il tourne ses prunelles sur elle, lève la main pour signifier qu’il la croit. Ou qu’il l’emmerde. Vaguement. Au choix. En vérité, si c’était aussi simple, il se laisserait tuer pour régler le conflit. Sa vie pour la sienne. Pas de réponse valable à lui donner, encore une fois, malgré la douleur, la nausée qui s’empare de ses côtes, Âqen à la prudence proverbiale se soucie des risques et des retombées. A trop surveiller ses arrières, il n’avance même plus. « Je suis désolé. » Il lâche, comme ça, sans préambule et sans suite, la gravité dans le ton, poids du monde dans les trois mots prononcés. Il est désolé, pour tant de choses qu’il ne vaut mieux pas qu’il commence à énumérer les fautes qui lui entachent l’âme. Il trouvera une solution, un jour, la conviction qui s’ancre bien profondément dans son esprit, s’encre sous sa peau. Promesse qu’il n’ose formuler, pourtant, de peur de tout trahir, tout bousiller comme il sait si bien faire. Ca ne la dérange pas, elle, de lui promettre la mort sans bouger d’un centimètre. « Tu veux vraiment crever, Hazel ? » Son regard remonte vers le ciel, incapable de soutenir ce regard qu’il cherche à accrocher. Au fond de sa voix, l’inquiétude gronde un peu, comme si c’était tout ce qu’il avait retenu des phrases lâchées au vent. Il se fiche qu’elle en veuille à sa vie, qu’elle le haïsse. Il veut juste qu’elle continue à vivre. Qu’elle aille chez les moldus, qu’elle aille voir Kinvara, elle avait mille opportunités d’échapper à la folie de cet univers et a refusé de les saisir. Par orgueil, par colère, par refus de perdre ce qu’elle avait construit. Âqen espère qu’elle ne soit pas de ceux capables de se battre jusqu’à la mort. Ironiquement, c’est ce qu’il aimait chez elle, cette capacité incroyable à ne jamais baisser le menton, les poings en avant. Et maintenant, il veut juste qu’elle s’arrête. Que tout cesse.
Malgré lui, ses doigts cherchent les siens et il suspend son geste avant d’y arriver, exhale un soupir un peu trop douloureux. La question de départ revient, invariable, immuable. Et maintenant, on fait quoi ?. Les options s’amenuisent, il ne peut se résoudre à la ramener au Magister, promesse qui n’a jamais existé que sur le papier, dans l’imaginaire collectif pour assurer sa fidélité. Un peu dans son cerveau à lui, au début, quand il pensait encore que la guerre ne durerait pas et que la folie du Lord ne prendrait pas de proportions aussi grandes. « Tu peux pas rester là. » Ca n’est ni une question, ni un ordre. Elle ne peut pas rester, c’est tout. Aussi fort a-t-il envie d’enrouler les phalanges autour du poignet trop fragile, de lui souffler qu’il est désolé. Ils ne peuvent pas. Débrouille-toi pour partir, ça sous-entend. Les questions qu’il s’empêche de poser, encore, toujours. Il voudrait savoir si quelqu’un viendrait la chercher, panser les plaies, comment ça se passe, là-bas. Il oublie un peu que leurs camps sont opposés. « Tu peux pas rester. » qu’il répète comme pour se persuader qu’il n’y a que cette issue et que c’est tout ce qui lui occupe l’esprit. Et pourtant, par Merlin, il voudrait qu’elle reste, que leurs côtes douloureuses rappellent autre chose qu’une mauvaise bataille et que leurs souffles soient courts pour d’autres raisons. Quelques minutes plus tôt, il aurait tout fait pour qu’elle s’en aille, ne pas avoir à affronter la culpabilité trop mordante, ne pas faire face aux promesses explosées sur l’autel de la guerre. Ca le démange, de lui demander de ne pas s’envoler aussi vite. Il s’est redressé légèrement, un peu trop rapidement pour ne pas vaciller, suffocant sous la douleur des hématomes naissants sous la peau, cherchant du regard les baguettes laissées à l’abandon.
Puis ça sort tout seul, les excuses, elles explosent d’avoir trop été retenues, personne pour les entendre vraiment. Des remords plein les lèvres, à en faire déborder la poitrine, toujours pas un regard pour elle, le bout de ses pieds qui lui paraît soudainement d’un intérêt capital. Screw le Magister, pour un temps, une seconde. Œillade à la dérobée qu’il lui jette, de peur qu’elle soit déjà partie. « Je suis désolé, Hazel. Pour tout. » Pour la guerre, pour l’avoir abandonnée, pour être un idiot. Pour être incapable de donner une issue régulière au chaos. Si seulement elle était empathe, elle lirait les remords et les déchirures un peu trop grandes. Elle verrait qu’il a même merdé sur ces promesses faites au clan, l’engagement qu’il ne fait que salir avec obstination, elle s’en moquerait, sûrement. Tu casses tout, Âqen Shafiq. C’est un peu sa spécialité, les trucs brisés. Il les répare ou les casse lui-même, l’amoureux des reliques un peu bancales, un peu étranges, de ces magies qu’il faut dompter. Des trésors d’ingéniosité qu’il a déployé pour la dompter, elle, trouver les bons chemins, les vieilles recettes ne marchent plus vraiment, pas plus avec lui qu’avec elle. Il reste là, ses doigts grattant le béton avec l’espoir de s’y enfoncer et d’y trouver une prise pour ne pas se perdre, idiot et coupable, à suffoquer tout seul avec sa culpabilité.
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Le sang sur le bout de la langue, goût de fer qui lui emplit la bouche, les yeux tournés vers le ciel, elle a renoncé. Armes abaissées, corps malmené, l’âme souillée par le combat qui l’a épuisée. Perdante, le mot s’insinue dans chacune de ses pensées, et elle a la mâchoire serrée, la bataille qu’elle était censée remporter vibrant encore un peu dans le cœur brisé. C’est dur à admettre, le rêve fragile réduit en cendres par la réalité cuisante, l’échec qui entaille un peu plus la vengeance qu’elle s’était juré d’abattre sur tous ceux qui l’ont blessée. Lui en premier. Mais il est là, et elle ne peut pas. Elle ne peut pas. Elle fixe avec obstination les quelques nuages qui parcourent l’azur, refusant de croiser le regard qu’il tourne vers elle, de peur d’y voir briller une flamme victorieuse. Apeurée, peut-être aussi, à l’idée qu’il puisse l’emmener, sa faiblesse à elle transformée en triomphe pour lui. Ils n’ont après tout jamais réussi à avancer du même pas, toujours un temps de retard pour l’un, tandis que l’autre tournait déjà la page. Elle avait longtemps pensé que le plus lent, c’était lui, mais cette fois-ci, c’est elle qui se retrouve sur le bord de la route, à ne pas savoir quoi faire. Alors elle promet, du bout des lèvres, du fin fond de sa rage, elle jure de l’achever. Et elle ment, le ventre retourné, les prunelles plongées dans les opportunités dont elle n’a pas su se saisir à temps.
« Je suis désolé. » Ca tombe, couperet venant déchirer le silence presque paisible, le calme après la tempête, et elle lui en veut un peu. Un sourire ironique vient étirer ses lèvres, elle balaie l’excuse d’un geste de la main qui lui arrache une grimace. Ils n’en sont plus là, aux excuses bien trop attendues, et elle n’en veut plus. Peut-être n’en a-t-elle jamais voulu, se complaisant dans les non-dits et dans l’image qu’elle se faisait de lui, apprenant à dissocier l’homme qu’elle avait connu pendant des années de ce qu’il était devenu. Deux personnages bien distincts, dans le théâtre de sa vie, la rage qu’elle a contre l’un, piétinée par les aveux fatigués. Redevenus un, complication qu’elle n’était pas censée affronter. L’achromatopsie en prend un coup, nuances de couleurs qui s’immiscent et viennent tout foutre en l’air. Elle ne sait plus, la silhouette allongée à ses côtés, ennemi ou confident, à en perdre la raison, démêler le noir et le blanc. Et la trahison la transperce comme au premier jour, elle sent sa gorge se serrer et voudrait hurler. « Tu veux vraiment crever, Hazel ? » Elle aimerait rire, secouer la tête énergiquement et parler jusqu’à étouffer la question, comme elle faisait, avant. Elle a toujours eu tendance à dramatiser, construisant sa vie comme un film dont elle serait l’actrice principale, multipliant les coups d’éclat et les menaces vides de sens. Mais ces mots-là résonnent étrangement en elle, ça a des allures sérieuses dont elle se serait bien passée. Elle déglutit difficilement, la douleur des membres en feu rendant la possibilité bien trop réelle, soudainement. « Il s’agit pas de ce que je veux. » Ses envies à elle sont enterrées depuis longtemps, elle ne fait qu’avancer à contre-courant, maintenant. Ce qu’elle veut importe peu, et elle ne veut pas vraiment le savoir, de toute façon. La fureur de vivre, l’instinct qui l’a toujours préservée commence peu à peu à se taire, dans son obsession de destruction. L’autre avant elle. Elle pour l’autre. Tant que l’ennemi tombe, ça n’a pas d’importance. Existence qui ne rime plus à grand-chose, et même si la guerre s’achève, il n’y aura plus rien. Elle ne le dit pas, ça, lèvres scellées sur le secret à peine intégré. « Si tu me demandes si je suis prête à crever pour toute cette connerie, c’est oui. Évidemment. C’est pas comme si j’avais quelque chose d’autre à foutre, là tout de suite. Tout le monde n’a pas le temps d’aller se voir un film, Âqen. » Un léger rire, qui la fait tousser, cotes tiraillées et plus meurtries qu’elle ne l’avait prévu en se jetant sur lui, un siècle plus tôt, déjà. Elle use du prénom tant redouté et des passions arrachées avec nonchalance, trop usée pour tiquer, les mots lâchés comme ils ont été pensés. La barrière érigée entre passé et présent disparaît, le masque de la haine retiré, elle est là, toute entière, à moitié brisée. « Je donnerai ma foutue vie à qui en veut, si ça peut les arrêter – » Le soin qu’elle met, à ne pas dire vous, différenciation dont elle a besoin pour empêcher la conscience de s’éveiller. Éliminer l’ennemi, et il en fait partie, il a choisi. « ma vie pour la fin de la guerre. Ça me semble juste, comme putain d’échange. » Elle lui jette un coup d’œil, comme pour jauger de sa réaction, l’approbation qu’elle recherchait à chacun de ses choix. Décider avant, demander après. Il n’était pas souvent d’accord, et ils s’engueulaient pour des conneries, ou alors c’était elle qui criait pendant qu’il observait ses pieds d’un air concentré, elle ne sait plus vraiment. Ses yeux se heurtent à son profil, à son tour de fixer le ciel, et elle a le regard qui fouille l’âme à la recherche d’un détail apaisant. Le vermeil sur ses traits, ecchymoses qui se dessinent sur la mâchoire décidée, elle s’abîme dans l’exercice, souvenir déjà trouble de son poing qui frappe à ne plus savoir s’arrêter. La main de l’autre se déplace, doucement, et elle est à deux doigts de s’en saisir, ne le fait pas pourtant. Les limites qu’elle s’impose à elle-même, la mélancolie du lendemain qu’elle ne veut pas devoir affronter.
« Tu peux pas rester là. » Elle détourne la tête, ses paupières se referment, retour à la réalité qu’elle aurait voulu repousser, rien qu’un instant de plus. Elle devrait partir, avant qu’il se réveille et se rende compte qu’il n’a pas le choix, avant qu’il récupère et se jette sur elle pour l’enfermer. Elle n’est plus certaine qu’il le ferait, pourtant, et encore moins sûre de pouvoir résister.
« Tu peux pas rester. » Il insiste, peut-être pour l’en convaincre, peut-être parce qu’il n’y croit plus trop, lui non plus. Elle pourrait rester là indéfiniment, moment suspendu, le temps qui s’arrête pour lui permettre de respirer. Cela fait des mois, des années, qu’elle n’a plus pris la peine de se poser, et tout ressurgit en même temps ; les pensées qui envahissent son esprit, les doutes qu’elle se plait d’habitude à ignorer, le combat voué à l’échec et son existence qu’elle aurait sans doute pu sauver. Bruissements à sa droite, son cœur rate un battement, l’alerte dans son crâne, elle est trop lente à réagir. Ses yeux s’ouvrent à peine qu’il s’est piteusement redressé, coups d’œil qu’ils échangent et elle n’arrive pas à soutenir le regard assez longtemps, un nouvel échec sur sa liste déjà démesurée. « Je suis désolé, Hazel. Pour tout. » C’est la deuxième fois qu’il s’excuse, la deuxième fois qu’il vient rouvrir les plaies béantes qu’elle s’acharne à soigner. Le même effet, coup de poing dans l’estomac. Elle reste silencieuse un moment, la main qu’elle lève vers son bras, geste qu’elle suspend comme il l’a fait auparavant. Elle s'en sert pour se redresser légèrement à son tour, grimaçante et plus amochée que prévu, il ne s'était pas vraiment retenu - elle non plus.
« Moi aussi. » Et ça lui écorche les lèvres, de les admettre, ses fautes à elle. « Je pensais avoir le temps. » Le temps de se battre, le temps de rentrer chez elle tranquillement, de mettre la guerre derrière elle et d’apprendre à vivre autrement. Retour aux sources qu’elle a toujours remis à plus tard, s’accrochant désespérément à l’espoir que tout rentre dans l’ordre, ou peut-être que ce n’était pas ça, pas vraiment. Peut-être que ça lui plaisait, au fond, la violence et la bataille dans lesquelles elle s’est jetée à corps perdue, une autre foutue mission. Ça a été si facile, transformer ses ambitions en désillusions, la rage de vivre en pure destruction. Elle était un peu faite pour ça, Hazel, quoiqu’elle en dise. Prise à son propre piège, les décisions trop tardives, capturée et vendue comme un vulgaire animal, la raison qu’elle a enfin trouvée, maintenant, continuer pour la vengeance. Elle n’avait besoin que de ça, du fuel venant alimenter le carnage qu’elle a toujours cultivé. « Mais ça ne mène à rien. » Debout, déjà, les jambes ployant légèrement sous son poids. Elle repousse une mèche de cheveux venue se coller au carmin sur son visage, et jette un regard autour d’elle, à la recherche de sa baguette. Pour ne pas devoir le regarder, sans doute, aussi. « C’est une question de choix. T’as choisi ta famille. » Le calme, tristement résigné. « Je me suis choisie moi. » Et la rancœur, pourtant, qui s’acharne à frapper à la porte, amante obstinée. Elle ne peut pas lutter contre ses instincts, la fatigue ne venant que temporiser la colère, éclatera plus tard, le retour au camp où elle se heurtera à Ancrath et aux reproches qu’elle ne veut pas entendre. Incapable de rester inactive, ne voulant plus retourner le problème dans tous les sens, migraine qui s’éveille et elle avance dans les décombres, lui tournant le dos sans même y réfléchir, sa vie entre ses mains. L'objet de sa quête est rapidement repéré, et elle s’en saisit plus difficilement qu’elle ne l’aurait voulu : le corps qui rugit ses blessures, le bras qui vient entourer son ventre comme pour protéger les cotes déjà maltraitées. « Je peux pas faire ça. » La baguette crépite à son contact, lançant quelques vagues étincelles témoignant de leur cohabitation quelque peu contrariée. Elle l’a récupérée chez les Insurgés, la sienne ayant été confisquée lors de sa capture, et ce n'est pas vraiment le grand amour, entre elles deux. Elle s'en contente, tant bien que mal, plus mal que bien, sûrement. « Je peux pas rester là. » Écho à ses propres paroles, l’arme qu’elle fait tourner entre ses doigts, ils sont d’accord, pour une fois. Mais elle ne bouge pas, le regard flamboyant qu’elle lui adresse.
« Je peux pas entendre tes excuses, tes remords, tes putains de conneries. » Elle a la voix qui tremble un peu, Hazel, l’ampleur du problème qui lui explose à la gueule. Carlton Towers qu’elle a soigneusement évité, de peur d’y perdre un peu de sa rage, d’y laisser son âme et de ne plus jamais la retrouver, et c’est la même chose pour lui, soudainement. Les convictions qui tremblent, la noblesse du combat réduite à néant, par ses excuses et sa simple foutue présence, elle se sent démunie et elle n’en a pas le droit. Trop tard pour lâcher, guerrière aux sentiments soigneusement enfermés, il vient tout bousiller, encore une fois, et elle n’a même plus la force de lui hurler sa détresse. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Âqen ? » Elle s’agace, sans raison, ses excuses qu’elle ne digère pas, sa manie de continuer à creuser quand elle lui reproche exactement la même putain de chose, décortiquer pour mieux analyser, quand elle ferait mieux de tourner les talons sans jamais se retourner. « Que j’en crève, de devoir vivre comme ça ? Que tout est de ta faute ? » Elle s’agite à nouveau, ces humeurs instables qui la caractérisent, l’impression d’être au pied du mur qui la rend dingue. Elle en perd la tête, à tourner sur elle-même, toutes les issues qu’ils auraient pu emprunter, et l’aveu qu’elle ne veut surtout pas abandonner. Peut-être qu’au fond, elle est tout aussi fautive que lui.
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