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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

Epuisé. Soudainement si épuisé qu’il suffoque, intérieurement. La marque au bout du bras qui palpite, le cœur, qui lentement perd le rythme sous les excuses qu’il répète, esprit noyé sous ces regrets qu’il ne sait pas exprimer. On ne répare pas les déchirures avec des mots. Les œuvres fêlées le restent et il ne sait pas quoi faire, Âqen. Ses lèvres s’emportent sous les questions, les choses qu’il demande tout en redoutant la réponse. Tu veux vraiment crever, Hazel ? Deux termes qu’il aurait pu penser diamétralement opposées, elle avec sa rage de vivre un peu trop farouche, le défi dans les iris, à refuser l’échec, la suprématie des autres. A refuser de ployer l’échine. « Il s’agit pas de ce que je veux. » Ces mots qui résonnent un peu trop fort sur ses tympans, inappropriés entre les lèvres qui les prononcent. Il a toujours été question d’elle, uniquement elle, ses choix et son avenir, le monde qu’elle devait choisir, ses preuves. Il a la poitrine qui tambourine sous le poids des mots trop sérieux, cette gravité dans les termes qui l’effraie un peu, il connaît trop bien Hazel pour ignorer sa conviction. Il ne sait juste plus jusqu’où elle est capable d’aller, jusqu’à quel point sa soif de vaincre s’est tarie. Les poings qui se serrent, le son qui se perd. « Si tu me demandes si je suis prête à crever pour toute cette connerie, c’est oui. Évidemment. C’est pas comme si j’avais quelque chose d’autre à foutre, là tout de suite. Tout le monde n’a pas le temps d’aller se voir un film, Âqen. » Aux souvenirs qui l’assaillent, au rire acide qui monte des poumons de l’autre, Âqen oppose une indifférence aussi obstinée que composée. Il s’invente une froideur qui n’existe pas, n’a jamais existé. Il renverrait bien puérilement qu’il n’a pas le temps non plus, qu’il n’y a pas plus ridicule que les moldus essayant d’animer des images. Que si, elle pouvait faire quelque chose. Se barrer. Tourner les talons à la guerre, retourner auprès des siens le temps que les choses se tassent, que les deux univers s’oublient. Il rêve, Âqen. La soif de pouvoir du Lord est intarissable. Autant que celle de vengeance qui anime Hazel. « Je donnerai ma foutue vie à qui en veut, si ça peut les arrêter – » « Les » qu’il note dans un coin de l’esprit, un peu blessé, un peu meurtri, perdu, bêtement plus que si elle l’avait inclus dans le lot des porteurs de la Marque. Comme si son avis à elle était biaisé, un peu comme si elle essayait de se persuader qu’il n’est pas vraiment du camp adverse. Il l’est, quoique pas de gaîté de cœur. Mais lui aussi, il a besoin d’être arrêté. Tout le monde en a besoin, que l’univers explose et mette fin à la folie, que le monde recommence. Il ne dit rien, n’a pas de réponse valable à tout ça. Il n’en veut pas, de sa putain de vie. « ma vie pour la fin de la guerre. Ça me semble juste, comme putain d’échange. » Il sourit presque, sourire amer sur le bord de ses lèvres. «Tu te donnes beaucoup trop d’importance, Fitzalan-Howard » vieil écho grinçant, remonte et gratte sous la peau, impose sa nostalgie dans toute sa gloire. « Ca n’est pas aussi simple. » Evidence qu’il énonce du bout des lèvres et silence douloureux qu’il garde pour lui, la tête qu’il ne peut s’empêcher de secouer. Les mots, les coups, les hurlements qui partent toujours trop vite, les pièces qu’ils doivent ramasser. Il n’y a que pour lui que la vie de la née-moldue importe réellement. Il n’y a rien de juste à l’échange dans le régime actuel. Si elle était héritière du trône, plus haute que la ligne de flottaison ridicule, peut-être aurait-elle plus de poids, peut-être que le Magister considérerait son existence plus importante que celle d’un cloporte. Mais non. Elle n’est pas grand-chose, de la boue sous les ongles, du sang souillé. Et ça le déchire de l’admettre. Raison de plus pour laquelle elle ne peut pas rester. Qu’elle disparaisse de sa vue et qu’il cesse d’étouffer sous les coups et les bleus.

Les excuses qu’il reformule, encore, onguent qu’il applique sur des entailles béantes, trop ouvertes pour se refermer aussi facilement. Plus il s’acharne à les prononcer, ces mots qu’il a ruminé tant de fois, plus il se rend compte qu’ils en perdent de leur force, qu’ils ne valent plus grand-chose et que c’est peut-être trop tard. Tu peux pas rester, devenu devise. Un peu pour elle, un peu pour lui. Elle obtempère et se redresse. Reste. Les ordres contraires. « Moi aussi. » qu’elle lâche en écho pour toutes les excuses qui résonnent encore. « Je pensais avoir le temps. » Il hoche la tête, désabusé, un peu coupable. « Moi aussi. » Echo. Lui aussi, il pensait avoir le temps. Il a toujours cru qu’il l’aurait, en fait. A toujours repousser les choses, à courir après le passé pour ne pas regarder l’avenir qui faisait un peu peur. Il a cru, vraiment, que le temps l’attendrait et que quand ils seraient plus vieux, la peau un peu marquée, le cœur un peu grippé, ils pourraient enfin se poser. Sauf que non. Ils sont plus vieux, peau meurtrie plus que marquée, palpitant à l’arrêt et le temps n’attend personne. « Mais ça ne mène à rien. » Au sol, il tressaille lorsqu’il la voit se lever, craint qu’elle ne se jette de nouveaux pour abattre les coups, animal blessé n’ayant plus rien à perdre. Elle n’en fait rien mais ce sont les mots qui frappent. Il aurait presque préféré qu’elle le fasse avec ses poings. « C’est une question de choix. T’as choisi ta famille. » La famille qui revient toujours, Neith en déesse honnie, cette relation qu’Hazel n’admettra jamais et le lui-même a de plus en plus de mal à dessiner sans abîmer les contours. « Je me suis choisie moi. »« Comme d’habitude, non ? » Il souffle, espère qu’elle n’a pas entendu. Hazel fait les choix pour elle, irraisonnés, impulsifs, sans penser aux conséquences. Sur elle ou sur les autres. Ca n’avait rien de dérangeant quand ils n’étaient qu’un duo idiot trop occupés à voler des bouteilles dans les réserves des sang-purs, trop occupés à se jouer des aristocrates moldus pour se soucier des contraintes.  « Je peux pas rester là. » Comme si elle avait entendu la tempête dans son cerveau, comme si le legilimens, c’était elle. « Je peux pas entendre tes excuses, tes remords, tes putains de conneries. » Son impuissance à lui, sa rage à elle, tout semble d’une démesure théâtrale et il hausse les épaules comme il sait si bien faire. En temps normal, il se lèverait, enroulerait les doigts sur les poignets agités, trouverait les mots pour apaiser. Mais c’est leurs différences qui lui explosent à la face. Ce qui lui paraissait accessoire devient d’une importance capitale. Jamais à la bonne vitesse, Shafiq. Il n’a même plus le droit d’être désolé, à ce stade.
« Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Âqen ? » Honnêtement, il ne sait pas. De cet instant qu’il a rêvé, imaginé, redouté, il ne reste qu’elle en constante. Plus rien ne ressemble à ce qu’il avait pu prédire. Maladroitement, Âqen se redresse, cherche à son tour sa baguette, prêt à l’affronter de nouveau dans ce qui serait sans doute le duel le plus pitoyable de toute la galaxie. Lui tourner le dos n’a rien de l’idée de génie mais il n’en a pas d’autre. Sans compter qu’il n’a jamais été un génie. « Que j’en crève, de devoir vivre comme ça ? Que tout est de ta faute ? » Chaque mot qui frappe, qui défonce. Il fait volte-face, un peu trop vite pour ne pas s’arracher une grimace de douleur. Il a le sifflement mauvais au bord des lèvres, les reproches qu’il n’accepte pas, occultant presque l’aveu précédent. Ses yeux dans les siens, instantanément, le palpitant qui abandonne le rythme de croisière. « Toujours pareil, hein ? Tu ramènes à toi. Et la faute sur les autres, jamais la tienne. C’est Neith, c’est moi, c’est Jessie. » Il a lâché ses prunelles pour ne pas les voir s’enflammer, attrape sa baguette tout juste retrouvée, protection contre les mots qui claquent. « Jamais toi. » Il veut lui dire que tout ira bien, qu’il finira pas trouver une solution à tout ce chaos. Qu’ils s’en sortiront. Que oui, tout est de sa faute. Mais lui aussi, il fuit un peu l’idée d’être fautif, la culpabilité déjà trop ancrée sous sa peau pour qu’il sache encore y faire face. Loin, l’époque où ça ne le dérangeait pas vraiment d’être le seul coupable pour des broutilles, il préfère largement se dire qu’il a essayé, de toutes ses forces. Peut-être pas assez. « Tu peux pas nous blâmer pour les choix que tu fais, Hazel. » Il baisse les yeux, pas vraiment à l’aise avec l’accusation qu’il fait et le chemin glissant sur lequel il s’engage. « Tu peux pas entendre mes excuses, pas accepter ma culpabilité alors qu’est-ce que tu veux que moi je te dise, hein ? » En miroir, il lance la même formule, sa colère à lui qui monte, la marque sur son bras qui dérange l’esprit. « Tu préfères entendre que je veux ta mort ? Que oui, c’est ma faute et que je vais tout faire pour te ramener, qu’on te torture qu’on te brise ? Puisque tu veux tant donner ta vie si ça arrête la guerre, vas-y, je t’en prie ! Je t’enverrai des messages dans l’au-delà si jamais ça fonctionne ! » Ces mots qu’il crache, incapable d’arrêter le flot désabusé. L’absurdité de son combat dont il essaie de se persuader. Il sait pourtant que l’ordre actuel n’a rien de juste mais ne peut se résoudre à admettre qu’elle en fasse partie. Deux égoïstes à la colère enfantine, lunatiques égocentriques. « On n’a pas tous le loisir de se choisir soi-même. » qu’il lâche, à bout de souffle et de mot, l’impasse atteinte et les veines qui frémissent.



Dernière édition par Âqen Shafiq le Sam 2 Avr 2016 - 1:44, édité 1 fois
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Le regard, acéré, qu’il lui lance, qui écorche la carapace et lui donne envie de détourner la tête.
Elle n’avait jamais imaginé qu’il puisse lui en vouloir, à elle aussi, mais il ne cesse de lui prouver ; et elle a beau réfléchir, ou peut-être qu’elle ne veut pas vraiment y songer, elle ne comprend pas sa rage à lui. Elle ne veut pas la voir. Elle tient bon toutefois, les yeux dans les yeux, le menton redressé dans une attitude revêche et les pieds bien ancrés dans le sol. Victime innocente et bourreau malfaisant, c’est aussi simple que ça, et elle se refuge une nouvelle fois derrière ses principes bien établis, ses idées arrêtées et les discours qu’elle a si souvent rabâchés. Ennemi ou allié, Shafiq ? Ni l’un ni l’autre.
Elle tient bon. « Toujours pareil, hein ? Tu ramènes à toi. Et la faute sur les autres, jamais la tienne. C’est Neith, c’est moi, c’est Jessie. » Sans doute qu’elle tressaille un peu. Neith. Un coup. Jessie. Deux coups. Ça tambourine dans son crâne, et sur le bout de la langue, le goût âpre de la rancœur. Jessie qui lui tourne le dos, Neith et sa prophétie terrifiante, ça lui court encore sous la peau, comme au premier jour. Il n’ose plus la regarder en face, lui et ses sous-entendus ridicules. Sa bouche se tord en une moue dédaigneuse, l’œil glacé, prête à encaisser le dernier coup qu’il s’apprête à asséner. « Jamais toi. » Plus douloureux que prévu, mélange nauséeux d’injustice et de culpabilité qu’elle ne parvient pas à contrôler, ça la prend à la gorge et lui donne envie de hurler. Ce n’était pas sa faute à elle, si le monde était devenu fou. Pas sa faute, si tous ses amis lui avaient tourné le dos, un à un, au moment où elle avait le plus besoin d’eux. Courir, elle n’avait pas choisi. Pas vraiment. Elle ne croit pas. Elle ne sait pas. Elle suffoque un peu, étouffée par sa propre rage, par les regrets qu’elle ne veut pas admettre, par les accusations qu’il assume à peine, incapable de l’affronter pour de bon. Ce n’est pas aussi simple, c’est ce qu’il a dit, quelques minutes auparavant, alors qu’ils étaient encore vautrés dans la crasse. Ce n’est pas aussi simple, c’est ce qu’elle aurait voulu rétorquer, la gorge nouée. Mais elle s’étrangle dans ses propres mots, dans ceux qu’elle n’a pas et n’a jamais eu. Ses doigts se resserrent sur la baguette qui n’est pas la sienne, et de faibles étincelles en jaillissent, témoins gênants de son trouble. Jamais elle.
Non, ce n’était pas sa faute. Les lèvres mordues, presque à sang, son bras droit entourant toujours sa taille, s’y agrippant presque, à présent. « Tu peux pas nous blâmer pour les choix que tu fais, Hazel. » Ses lèvres se retroussent légèrement, entre sourire mordant et grimace. Bien sûr que si, souffle dans son crâne, la mauvaise foi qui l’a toujours accompagnée, ce sentiment de supériorité qu’elle retrouve aux pires moments ; on ne peut rien lui reprocher, jamais vraiment. Alors, bien qu’elle soit consciente de la faille dans sa colère, du trou béant dans sa poitrine, elle s’y accroche avec hargne. Elle a couru pour la survie, et s’ils l’avaient suivie… S’ils l’avaient emmenée ailleurs, loin de ce merdier. Si on l’avait sauvée, putain, rien de tout ça ne serait arrivé. Forcée à devenir guerrière quand elle ne voulait que se hisser aux sommets, poussée à n’être qu’une fugitive quand elle se rêvait maître du monde. Si c’est sa faute, si elle s’est trompée, ça veut dire qu’elle a échoué, quelque part, à un moment qui lui a échappé. Plutôt crever que d’accepter la défaite, plutôt s’enfoncer dans les reproches éculés que d’admettre. Et le silence qui l’enchaîne, elle qui a toujours réponse à tout, répartie cinglante et paroles violentes, le silence, ses yeux baissés à lui, son corps qui tremble légèrement, la douleur qui s’immisce encore dans chacun de ses membres, l’angoisse qui menace de ressurgir, vieux démon qu’elle combat jour après jour. Sa faute à elle. Tourne en boucle, ses pensées en bordel et son âme en lambeaux.
Mais c’est lui qui l’a abandonnée.
« Tu peux pas entendre mes excuses, pas accepter ma culpabilité alors qu’est-ce que tu veux que moi je te dise, hein ? » Elle ne sait pas. Pas ça. L’enfant terrible se fait gamine apeurée, sous le joug des contradictions, des remords qu’elle tente tant bien que mal de garder à l’écart, de sa colère à lui qu’elle n’était pas prête à assumer. Elle ne se l’était représenté que repentant ou endoctriné. Le regard dur et les reproches perdus au milieu des excuses qui n’avaient plus aucune saveur, elle n’en voulait pas. Elle n’en veut pas. Nuances de gris qu’elle ne parvient pas à digérer, Âqen en personne, loin de l’idée qu’elle s’en était fait au fil des années. « Tu préfères entendre que je veux ta mort ? Que oui, c’est ma faute et que je vais tout faire pour te ramener, qu’on te torture qu’on te brise ? Puisque tu veux tant donner ta vie si ça arrête la guerre, vas-y, je t’en prie ! Je t’enverrai des messages dans l’au-delà si jamais ça fonctionne ! » Silence buté, les yeux qui brillent, larmes qui débarquent sans déborder. Elle voudrait lui dire qu’elle ne donnerait sa vie qu’en combat, que jamais elle ne se laisserait attraper une nouvelle fois, mais après tout, elle lui a dit, déjà, et elle est quand même face à lui, prête à être capturée. Peut-être qu’il a raison, au fond, peut-être que ce serait plus simple. Plus besoin de réfléchir, de se lever chaque matin, de lever les armes, de voir le sang et les pleurs, de vivre dans la crasse. Avant qu’elle puisse rétorquer, lui dire qu’il vienne donc la chercher, si c’est ce qu’il veut, il abat sa dernière phrase, l’air épuisé. « On n’a pas tous le loisir de se choisir soi-même. »« Le loisir ? » Son silence vole en éclat, un mot de travers et elle s’enflamme, oublie la peine, quelques instants en tout cas. « Le loisir. Qui d’autre aurais-je pu choisir, exactement ? Il n’y avait personne. Toi, tu aurais pu me choisir moi. » Elle aimerait dire qu’elle l’aurait fait, si la situation s’y était prêtée, mais elle n’y arrive pas. Elle l’a fait, pourtant, d’une certaine façon, le monde des sorciers un peu pour eux deux, surtout pour sa gloire à elle, les ambitions qui la dévoraient, s’éloigner de l’ombre maternelle. L’histoire se réécrit constamment, elle se perd dans les choix pris sans réfléchir et ceux qui l’ont hantée pendant des mois, et aucun d’eux n’étaient bons, jamais. « J’aurais dû partir. » Les mots qu’elle lâche, sans contrôle aucun, la fatigue, chape de plomb sur ses épaules frêles. S’y raccrochait encore, quelques instants plus tôt, désespérément, aux non-dits et aux sous-entendus pour ne pas abandonner l’aveu. Moue désabusée, elle ne le regarde plus non plus. « Pas avec toi. » Elle crache presque, ricanement ironique qui se fait entendre, racle contre la gorge asséchée, remplie de poussière et de sang. Pas avec lui, car il l’aurait quand même laissée tomber, revenu en Angleterre la queue entre les jambes, au service de cette famille qu’elle méprise. Elle n’a jamais fait le poids, et c’est sûrement ce qui la détruit le plus, le combat qu’elle n’a jamais réussi à remporter. « Mais j’aurais dû partir. Chez les parents de Jessie, probablement, la Californie c'est plutôt agréable. Le soleil, la plage. Et puis, pas d'esclavage, c'est un bon point, right ? » Elle redresse la tête, souriant à demi, cherchant ses yeux, épuisée à force d’hurler. « T’es content, maintenant, Âqen ? Je blâme personne d'autre que moi, là. » Les lèvres se referment, pincées, fine ligne colérique qu'elle aborde en le fusillant du regard, montagnes russes des émotions contradictoires. Elle pensait avoir le temps, c’est ce qu’elle lui a dit, un peu plus tôt, et peut-être était-ce le cas, ou peut-être ne l’a-t-elle jamais voulu. Trop tard pour savoir, de toute manière, elle est là, et elle n’a pas bougé. Surplace éreintant, à se battre contre le courant, à s’arracher le cœur pour survivre un peu plus longtemps. « C’est ma faute aussi. » Voix sèche, quelques mots qui claquent, comme pour lui fermer le clapet, simili d’excuses pour éviter d’avoir à dire je suis désolée, parce qu’elle ne l’est pas, plus maintenant en tout cas.
« C’est ma faute parce que j’y ai cru, parce que j’ai cru pouvoir m’intégrer à cette putain de société malade, c’est ma faute parce que je t’ai cru, aveuglément, alors que je savais… » Shafiq. Le sang par-dessus tout, l’honneur dans la défense de ces traditions risibles, elle lui riait au nez ; elle leur riait tous à la gueule, ses privilèges à elle et la certitude de parvenir à se hisser aussi haut qu’ils l’étaient, tous. Elle s’interrompt, serrant le poing, relâchant finalement la taille qu’elle enserrait toujours. Blessures sur blessures, rien ne cicatrise jamais vraiment, et elle pensait pourtant s’en sortir. Elle n’y croit plus, plus comme avant. Que son camp gagne ou non, quelque chose est déjà brisé, à l’intérieur, fêlure irrémédiable qui s’aggrave de jour en jour. « C’est ma faute parce que j’ai voulu me battre, parce que j’ai cru pouvoir arrêter toute cette foutue connerie, c’est ma faute parce que j’ai refusé de baisser les bras et d’abandonner. Et peut-être que si je l’avais fait, je serais ailleurs, dans un putain de meilleur état, mais c’est trop tard maintenant, non ? » Trop tard, toujours trop tard ; refrain entêtant qui semblent bercer leurs échanges depuis le début. Et peut-être que ça résume leur histoire, finalement, chapitre après chapitre, les propositions faites à la hâte et les erreurs remarquées en retard, un pas en avant pour dix en arrière. Pour l’heure, elle stagne, même position, même expression, immobile et glaciale, plus figée par l’effroi que réellement maître du flot qu’elle dégueule ; ne pas bouger pour ne pas voler en éclat. « Tes excuses arrivent trop tard, et tes reproches encore plus. J’ai eu le temps de regretter d’être restée dix fois, cent fois, pendant que tu geignais comme un gosse sur ton pauvre statut de privilégié. » Ça les faisait rire, les maladresses et les disputes, ce qui les séparait comme ce qui les liait, ils en faisaient une force, avant. C’était il y a longtemps, et tout ce qu’elle parvient à voir maintenant, c’est celui qui lui a fait défaut. Entre son rang et elle, il n’avait même pas fait semblant d’hésiter. Sans doute qu’elle ne voit pas sa douleur, aveuglée par la sienne, probable qu’elle n’y porte même aucune attention, sûrement qu’il a raison ; jamais toi. « Alors, t’es content, putain ? » Elle répète, la hargne dans la voix, l’œil à nouveau brillant. De larmes ou de haine, sans trop savoir, entre deux états aussi irréconciliables qu’indissociables. Elle aurait voulu lui dire de tout arrêter, lui demander une trêve, quelques instants, arrêter de se battre, juste un foutu moment. N'y arrive pas, toutefois, coincée dans ses obsessions et la rancœur qu'elle entretient depuis si longtemps.
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❝ There'll be no rest for the wicked ❞ Début Décembre 2002

Ils ont toujours cette tempête sous la peau, les mots acides de l’autre dans les veines. Ils fonctionnent comme ça, à hurler plus fort pour que sortent les éclats de colère agacés, à toujours élever la voix pour que jamais leurs pieds ne touchent terre. Ca va trop loin, cette fois-là. Ils n’hurlent plus sur le choix de la moquette, les crânes qui envahissent le salon ou les goûts de princesse d’Hazel Fitzalan-Howard. Les mots lourds de sens qu’ils se jettent traversent la faible distance qui les sépare, uppercut sur uppercut, coup d’estoc pour un autre, un ouragan comme ils n’en ont jamais traversé. La culpabilité revient par vagues toujours plus grandes, pour avoir abandonné celle marquée au fer rouge sur la poitrine, contre-attaque pour ne pas avouer que des deux, il est toujours le plus à blâmer. Reflux tranquille de la colère posée par des années au service du Lord. Il aurait pu, oui, trouver une alternative, chercher une issue offrant la sécurité pour ses proches. Mais non. Peut-être qu’au fond, il s’est toujours un peu préféré prisonnier d’un choix dicté par l’ascendance. C’était si facile de s’inventer une identité de rebelle quand la seule chose que les Shafiq risquaient était une maigre tape sur les doigts. Si aisé de s’affranchir des carcans sociaux en estimant que ni l’un ni l’autre n’y correspondait. Maintenant qu’il fallait prendre une réelle décision, il avait peut-être pris le chemin le plus visible, celui que l’on avait toujours un peu attendu de lui.
Son regard a glissé un peu loin d’elle, sur les lattes d’un plancher brûlé, parce que les derniers mots qu’il crache lui font mal et qu’il ne peut plus les arrêter. Il ment un peu, à lui, à elle et ses prunelles ont cessé de guetté la moindre réaction. Le mutisme qu’elle conserve l’angoisse, il a peur de la réponse qu’elle rumine, de l’orage qui se prépare, là, sous les traits fatigués et les cheveux en bataille. « Le loisir ? » qu’elle claque enfin pour toute réponse à sa tirade épuisé et Âqen relève les yeux sur elle. « Le loisir. Qui d’autre aurais-je pu choisir, exactement ? Il n’y avait personne. Toi, tu aurais pu me choisir moi. » Il serre les dents, la mâchoire qui se crispe et sa main qui vient frotter sa nuque comme à chaque fois qu’il est incapable de trouver une parade. Elle fait ressortir les vieux réflexes, les habitudes idiotes qu’il a oubliées en vendant son âme au Lord. Même les coups, ça le réchauffe, ça lui rappelle qu’ils sont toujours là, tous les deux et que tant que les choses restent ainsi, il y a toujours une issue. Qu’il suffit juste de la trouver. « Je sais. » Il souffle faiblement, plus à l’attention de ses chaussures que pour Hazel. Il sait qu’il aurait pu la choisir elle, il l’aurait sûrement fait si la perte de Neith n’avait pas été aussi imminente. Les actes manqués sont légion et il sait qu’il n’y a rien qu’il puisse faire pour retrouver le temps perdu, constante course à l’impossible, ombres qui se poursuivent.  « J’aurais dû partir. » L’aveu sincère qui le surprend, l’attrape au dépourvu et l’enjoint à vouloir accrocher les iris de l’insurgée pour y noyer sa confusion. Il fait quelques pas pour réduire la distance physiquement pénible, poser ses mains sur les épaules qui semblent si accablées, n’arrive pas jusqu’au bout. « Pas avec toi.» Il s’arrête avant d’être trop près, elle ricane, ironie caustique sur sa peau, la flèche qui le traverse de part en part. La tête basse qu’il secoue faiblement, les mots qu’il formule mais qui ne franchissent jamais ses lèvres. Je sais. La sachant en sécurité, il serait revenu chercher Neith, incapable de la laisser en arrière, de partir sans elle. Il l’a répété cent fois, mille fois. Si ça n’est pas avec lui, qu’au moins elle soit loin d’ici. «  Mais j’aurais dû partir. Chez les parents de Jessie, probablement, la Californie c'est plutôt agréable. Le soleil, la plage. Il hoche la tête, un autre que Jessie et il aurait probablement été jaloux à en crever. « Et puis, pas d'esclavage, c'est un bon point, right ? » Le sourire qu’elle lui décoche lui fait manquer un battement, triste fente ironique sur son visage fatigué. Il sait qu’elle a été réduite à pire qu’une esclave, rien que le nom lui arrache un frisson dégoûté. Mais il ne l’avait pas encore entendu prononcé de ses lèvres à elle. « Désolé » qu’il formule du bout des siennes mais le terme a perdu toute signification. Il n’y a pas de terme plus fort et il en aurait bien besoin.
Leurs regards s’épinglent enfin et il cille quelques secondes, grande silhouette misérable sous la colère qu’elle lui renvoie de nouveau à la face. «  T’es content, maintenant, Âqen ? Je blâme personne d'autre que moi, là. » qu’elle lui demande avec cette rage de princesse capricieuse, à lui demander s’il est heureux de la voir avouer ses torts. Le regard enflammé qu’il soutient avec sa rage à lui, la peine qu’il lui dévore les entrailles pour ne pas être capable de calmer l’incendie. Bien sûr que non, il n’est pas content. Rien n’allège le poids des derniers mois, des dernières années. Ni rejeter, ni partager la faute. Les remords sont indivisibles. Il fronce le nez, ouvre la bouche pour rétorquer qu’il n’a aucune raison de se réjouir mais elle le devance. « C’est ma faute aussi. » Il suffoque, il tressaille. En d’autres circonstances, il serait mis à courir partout, aurait sorti le champagne et appelé tout le monde pour leur faire part de l’évènement historique. Il se serait sûrement roulé par terre, l’aurait enregistrée pour pouvoir le repasser à chaque nouvel affrontement. En d’autres circonstances…
Mais ça lui fait mal, là. Les quatre mots qui flottent, traversent les tympans pour mieux les marquer au fer. D’erreurs en regrets et de regrets en reproches, il ne veut pas vraiment entendre ce qui suit. Les poings qu’il enfonce dans ses poches pour s’empêcher de vouloir tendre les phalanges vers elle, enserrer sa taille à sa place, poser ses mains sur les siennes, s’excuser, encore, dans toutes les langues, jusqu’à ce que les mots ne sortent plus. «  C’est ma faute parce que j’y ai cru, parce que j’ai cru pouvoir m’intégrer à cette putain de société malade, c’est ma faute parce que je t’ai cru, aveuglément, alors que je savais… » Il déglutit, lentement, sous la force des reproches à demi-mots et les réponses qui s’étranglent dans le fond de sa gorge. Lui aussi, il y a cru, il a cru que tout irait bien. Que les différences s’estomperaient avec les années et qu’il pourrait concilier deux mondes, mixer deux éléments instables sans en perdre un. Mais l’alchimie n’a pas pris. La faute à la guerre. Peut-être. Peut-être qu’au fond, il aurait quand même rampé aux pieds de sa famille comme l’imbécile qu’il est. Il déteste tout ce qu’il est devenu sans pouvoir l’admettre pleinement, sans admettre qu’il enterre le choix derrière les obligations familiales. Parce que oui, sa soeur aurait probablement pu survivre seule, n’est-ce pas ? L’éternel invisible ne pouvait se muer en sauveur des nations, il aurait dû le savoir. Pas réussi à convaincre Hazel de fuir, pas réussi à vraiment protéger Neith. Son seul exploit est d’avoir su tout faire exploser en un temps record. Bel exploit. « C’est ma faute parce que j’ai voulu me battre, parce que j’ai cru pouvoir arrêter toute cette foutue connerie, c’est ma faute parce que j’ai refusé de baisser les bras et d’abandonner. Et peut-être que si je l’avais fait, je serais ailleurs, dans un putain de meilleur état, mais c’est trop tard maintenant, non ? » Son index qui balaie distraitement la marque des ténèbres sur son avant-bras pour mieux la cacher sous l’embarras, son combat à lui, son erreur, ses regrets. Elle avait voulu se battre, il avait voulu protéger Neith, prise dans les feux croisés. Trop tard, ça résonne dans l’air glacé, trop tard pour changer la distribution des cartes. Il veut l’arrêter, endiguer le flot de paroles qui glisse de ses lèvres entre haine et chaos. Il veut que tout s’arrête, comme ça. « Tes excuses arrivent trop tard, et tes reproches encore plus. J’ai eu le temps de regretter d’être restée dix fois, cent fois, pendant que tu geignais comme un gosse sur ton pauvre statut de privilégié. » Il s’arrête de respirer, quelques secondes, les poings qu’il serre jusqu’à ce que les phalanges apparaissent translucides, veines palpitantes de haine et de remords. Il n’admet qu’on attaque le statut qu’il embrasse malgré lui, ne s’estime pas plus privilégié qu’un autre. Juste plus chanceux.
Trop tard, le nouveau leitmotiv pour régir la mélodie chaotique qu’est leur relation. Peut-être a-t-il toujours eu ce tempo de retard, grand imbécile un peu empoté, plus intéressé par les momies que par la femme qui l’attendait. Jamais eu la notion du temps ou des gens, le Shafiq ; pour l’un comme pour l’autre, il a toujours estimé en avoir plein les poches, du temps. Puis cette guerre qui n’en finit pas, concerto dissonant mené par le Lord. Sa propre partition qu’il joue à contretemps de celle d’Hazel, un silence pour ses notes, de la fureur pour ses silences, des reproches sur ses regrets. Et des excuses, toujours plus d’excuses quand elle ne veut plus les entendre. Que la haine et la peine pour aller crescendo sur la même portée.
« Alors, t’es content, putain ? » Il inspire, lentement pour tenter de retrouver cet équilibre précaire qui leur fait défaut. Ses iris se plantent dans ceux d’Hazel, affrontent toute la colère qu’ils renferment d’un tressaillement léger. « Tu changes pas, incroyable… » C’est un constat plus qu’une accusation. Dans un sens, c’est presque rassurant de la savoir toujours aussi préoccupée par son nombril que par celui des autres. Ils ne sont que deux rejetons pourris gâtés par la nature, gamins terribles incapables de voir plus loin que leur propre personne. « Je suis content. C’est ça que tu veux entendre hein ? » Il lui faut toute sa volonté pour ne pas détourner le regard de ses prunelles enflammées, assumer ce qu’il va dire, la merde qu’il va déblatérer. « Je suis content de voir que t’es toujours une putain d’égoïste, à refuser les excuses, cracher tes reproches comme s’ils étaient absolus. Je suis heureux putain, si heureux de savoir que tu as bien écouté mes promesses seulement pour mieux me les renvoyer à la gueule. » Il hausse les épaules, emploie la même syntaxe qu’elle, mimétisme habituel, ironie tremblante dans la voix, déchirure dans le ton face aux solutions qui lui glissent entre les doigts. Il ne sait plus vraiment quoi lui dire, ne veut pas engager de nouvelle bataille, ne veut pas la capturer, pas la laisser partir non plus au risque de ne plus la revoir. « Je suis content qu’on soit dans deux camps opposés parce qu’évidemment, arracher les yeux des né moldus a toujours été mon rêve. Je suis certain d’avoir fait le bon choix, tu vois, il est évident que mon statut de privilégié et ma putain de famille vaut plus que la vie de centaines de personnes. Que ta vie à toi. » Il a le sourire faussement suffisant, le fiel entre les lèvres, amertume latente sur la langue à chaque mot qu’il prononce et n’assume pas. Un pas. Un autre. Il réduit la distance entre leurs deux silhouettes jusqu’à se retrouver face à elle, bien trop près, son souffle contre le sien. « C’est ça que tu veux entendre hein ? Te persuader que je suis un enfoiré passé du côté du Lord parce que j’ai envie de massacrer des enfants et faire brûler des maisons. » Son bras désigne les ruines de Godric’s Hollow, les évènements du Musée et du village encore frais dans sa mémoire. Il n’oublie ni le pillage des artefacts ni le massacre qu’ont connu les malheureux habitants. Ne cautionne ni l’un ni l’autre. « Ca rime à rien, Hazel. A rien du tout. » Ca tombe, comme un soupir, un peu résigné, un peu fatigué. Il ne peut plus continuer à la bombarder de reproches trop intenses, ne peut pas en encaisser plus. Chacun connaît très exactement le poids de ses regrets, au gramme près. Il y a déjà assez d’une guerre, assez d’un enfer. « Je sais que les excuses viennent toujours trop tard, que c’est impossible de recoller parfaitement les œuvres brisées. Je veux juste pas que tu crèves. Attends-moi. Je vais trouver… On va trouver… » une solution ? Une porte de sortie ? Il grimace brièvement avant de reprendre, de ce ton professionnel et machinal qu’il s’est inventé en passant au service du Magister. « Tu dois partir, je suis déjà resté trop longtemps sur le site, ils vont finir par devenir suspicieux. » Regard interrogateur, une pause. Une respiration sifflante pour ce qu'il s'apprête à dire. « C'est mieux... c'est mieux si j'm'en souviens pas tu vois. Ils pourraient venir poser des questions. J'ai Lestrange sur le dos, c'est pas une bonne idée d'avoir ce genre de souvenir stocké. » Il la fixe, agite sa baguette en espérant qu'elle suit son idée.


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« Tu changes pas, c’est incroyable. » Elle redresse le menton, étincelle de défi au fond de la pupille. Non, elle ne change pas, contrairement aux autres ; traîtres, tout autant qu’ils sont. Sa rage grandit, s’affirme, prend toute la place, celle qu’elle réservait autrefois à ses rêves et à ses espoirs. Balayés. Mais la colère a toujours été là, bien au fond, crépitant sous la surface, prête à tout détruire sur son passage. Elle ne change pas, et, dans le port altier qu’elle lui présente, elle le revendique fièrement. « Je suis content. C’est ça que tu veux entendre hein ? » La gifle qu’elle n’attendait pas, un mouvement de recul presque trop perceptible, elle n’y était pas préparée, à le voir répliquer si violemment. L’habitude qu’il finisse par rentrer les griffes avant elle, qu’il abandonne et passe à autre chose, le temps qu’elle ait fini de ravaler sa haine, le temps qu’elle revienne vers lui, un grand sourire aux lèvres, comme si rien ne s’était passé. Pas cette fois, et elle se maudit d’en être si surprise – il ne lui a rien laissé passer, cette fois-ci, à quoi s’attendait-elle ? Un autre mea culpa, sans doute, aussi inutile que le premier, ils n’en sont plus à ça. Apparemment si, les mots qu’il emploie et l’attaquent sans ménagement, l’égoïsme qui aurait pu la faire hurler, si elle n’était pas si sidérée.
« Connard. » C’est tout ce qu’elle parvient à rétorquer, après son laïus, après les promesses retournées contre elle, les nés-moldus torturés, son ironie cinglante. Connard, connard, connard. Connard. Elle le répète, un peu plus fort, pour s’assurer qu’il a bien entendu. Réplique misérable, peut-être, mais à laquelle elle tient, comment ose-t-il, comment ose-t-il, ça tourne en boucle, elle est à nouveau prête à se déchaîner, ça retombe comme un soufflé. « Ca rime à rien, Hazel. A rien du tout. » Elle hoche la tête, froidement ; au moins, ils sont d’accord, ça ne rime à rien, à rien du tout, et il a tort, complètement tort, sur toute la putain de ligne, il ne le reconnaîtra plus, tant pis, tant mieux. Il s’est suffisamment excusé, juste avant de tout bousiller, ou qu’elle bousille tout, ses excuses, leurs excuses, les blessures, son corps qui se manifeste, l’élance, elle veut s’asseoir et attendre qu’il s’en aille. Fermer les yeux et qu’il disparaisse. Fermer les yeux et les rouvrir dans son lit, à Carlton Tower, dix ans et la vie devant elle, enfouir les pouvoirs tout au fond, peut-être que l’homme trop petit ne s’en serait pas rendu compte. Stop. Ses paupières se soulèvent, et elle est toujours là, toujours debout, elle cherche son regard à lui pour s’y ancrer et rétablir l’équilibre. « Je sais que les excuses viennent toujours trop tard, que c’est impossible de recoller parfaitement les œuvres brisées. Je veux juste pas que tu crèves. Attends-moi. Je vais trouver… On va trouver… » Elle devrait lui dire qu’il n’y a plus de on, qu’elle ne l’attendra pas, que c’est trop tard, encore une fois. Elle devrait lui rire au nez et lui souhaiter de crever, lui cracher à la gueule qu’elle danserait sur sa putain de tombe, mais elle n’y arrive pas. Plus maintenant. Elle est aussi fatiguée que lui, se contente de le fixer d’un air éteint. « Tu dois partir, je suis déjà resté trop longtemps sur le site, ils vont finir par devenir suspicieux. » Ils. Parle-t-il de son camp à elle ou du sien ? Elle imagine sans peine Alan en train de trépigner, plus qu’énervé mais inoffensif au fond, puis des silhouettes sombres et encapuchonnées, sans nom et sans visage parce qu’elles ne sont que des entités néfastes, même plus humaines, prêtes à l’attraper, lui. Elle déglutit difficilement. « C'est mieux... c'est mieux si j'm'en souviens pas tu vois. Ils pourraient venir poser des questions. J'ai Lestrange sur le dos, c'est pas une bonne idée d'avoir ce genre de souvenir stocké. » Doucement, un souffle à peine assumé, déjà à moitié partie, elle se fige. Ils sauraient, bien sûr qu’ils sauraient, et elle ne veut pas deviner ce qu’ils lui feraient en sachant qu’il avait laissé filé une insurgée. « C’est pas mon problème. » Du tac au tac, le venin qu’elle lâche sans le penser, sans même y croire. Á son tour de détourner le regard, de se dandiner d’un pied à l’autre, ridicule.
Ils fouilleront dans sa tête. Ils fouilleront dans sa tête et ils sauront. Elle ne veut pas qu’il finisse comme ça, Âqen. S’il doit crever, ce sera de sa main à elle. Elle dresse légèrement sa baguette, la contemple et déglutit une nouvelle fois. Elle ne veut pas qu’il meurt, mais ne veut pas qu’il oublie non plus. Inspiration difficile, les doigts se resserrent, les phalanges blanchissent. « Tu me demandes de t’attendre, tu me dis que tu vas trouver. » Expiration, elle se détourne, s’éloigne un peu, revient vers lui. Ne sait pas. « Mais tu vas oublier. » Un rire s’échappe de ses lèvres, dénué de toute joie, quand elle se rend compte qu’elle y a presque cru. Les mots qu’il lui lance, les promesses qui volent dans l’air, et elle qui s’y raccroche, encore, pitoyablement. Lestrange et ses yeux fous, l’entité prend vie et la menace grandit. « Merde ! » Elle lève sa baguette, prise d’une impulsion, le regarde et la laisse retomber. « C’est pas mon problème. Démerde-toi. » Elle répète, tentant d’y insuffler plus de conviction, désespérément. Pas son foutu problème. Il n’a qu’à pas y retourner, tout court. Il n’a qu’à la suivre, c’est quand même pas si compliqué, putain. Elle ouvre la bouche pour lui dire ça, ça et le reste, mais aucun son ne s’échappe, poisson hors de l’eau, elle cherche pour de l’air et manque de s’étouffer. Au pied du mur. « Tu fais chier Shafiq, tu fais chier. » Elle tourne en rond, un pas en avant puis un pas en arrière, elle ne sait pas, elle ne sait pas. C’est une mauvaise idée. C’est la seule idée valable. Elle reste silencieuse un moment, une éternité sans doute, à le fixer, attendant qu’il dise quelque chose. Mais rien du tout. Rien. « Merde ! » Elle s’exclame encore, ferme une nouvelle fois les yeux, attend que sa respiration s'apaise.
« D’accord. » Presque un murmure, un soupir, la fatigue qui tombe comme un énorme poids sur ses épaules, elle se demande comment elle parvient à rester debout, elle acquiesce et veut déjà retourner en arrière, le supplier de l’accompagner, ce serait plus simple, ils pourraient – « Je pense pas être super rodée ceci dit, si t’oublies ton prénom c’est pas ma faute. » Sa bouche se tord dans un sourire contrit, forcé, ça ressemble plus à une grimace qu’ à un vrai éclat de joie, en même temps si ça lui plait pas qu’il le fasse lui-même. Connard. Elle ne sait pas si elle l’a dit ou pas, elle s’approche déjà de lui d’un pas conquérant, aussi déterminée que terrifiée. Elle ne veut pas faire ça. Se retrouver à porter seule le fardeau de cette rencontre pendant qu’il se vautre encore dans l’ignorance, le libérer de ce poids-là, ça la débecte et l’enrage, la mâchoire tout aussi serrée que son poing, elle ne calcule pas vraiment quand elle le lui assène en plein visage. Il a l’air surpris, tout autant qu’elle, outré aussi (ça, c'est pas son cas). Large sourire sur son faciès fatigué, plus sincère que le dernier. « C’est pour que ce soit crédible. Tu peux pas t’en être sorti indemne, non plus. » Elle raille, un peu moqueuse, un peu triomphante, ravie d’avoir un autre prétexte pour le malmener davantage, son état général étant déjà assez lamentable. Elle ne doit pas être plus jolie à voir, mais au moins, c'est elle qui a porté le dernier coup, ça doit compter pour quelque chose, right ? L’expression joueuse s’assombrit néanmoins rapidement, la baguette qu’elle lève, pour de bon, cette fois, le regard qu’elle lui lance, tremblements qu’elle maîtrise mal. Merde. Elle ne dit plus rien et ne veut rien dire, sa colère, elle la garde pour plus tard, pour elle seule.
Un, deux, trois. Elle le contourne, se place derrière lui, rêve un peu de lui asséner un autre coup dans la nuque, histoire de l’assommer pour de bon. Un, deux, trois. Tourne en boucle, à trois elle y va. Un, deux, trois. Elle ne dira pas au revoir, pour qu’il ne s’en souvienne pas, pas la peine. Espère un peu qu’il finisse amnésique pour de bon. Ne devrait pas penser comme ça, s’inquiète que l’intention cachée joue sur le sort et qu’elle l’envoie à Ste Mangouste. Non pas qu’il ne le mérite pas. « Tu… » Une autre insulte, retenue à temps, ou qui n’a pas voulu sortir. Elle ne sait plus quoi dire. Tu fais chier, Shafiq, et les autres choses qu'elle ne dit pas, l'abandon renouvelé, son envie de se rouler en boule pour pleurer. Inspire, expire. « Oubliettes ! »
Et elle transplane, pour ne pas hésiter, pour ne pas qu'il se retourne et la voie, pour ne pas tout recommencer.
Peut-être aussi pour ne pas voir les dégâts.
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