―――• me, my head high and my tears dry •―――elle marche la tête haute, mais elle vacille sous le poids des souvenirs. pourtant elle se sait résistante, avec des épaules capables de soutenir beaucoup de choses et un mental d'acier. mais les rappels du passé sont là et blessent plus sûrement que des lames. avant. c'était beau, avant. à son goût, tout du moins. même si elle n'en garde que des bribes, des morceaux un peu cassés, abîmés par le temps, incertains et surement manipulés par les années qui ont passé. sa mère. c'est toujours ce qui lui revient en premier. sa mère bien-aimée. la douceur incarnée. et puis la fureur faite femme. c'est de cela que nastya est elle-même composée, savant mélange d'émotions contradictoires, de buts inatteignables, de douleur insoutenable, de vents contraires. sa mère... l'une des créatures les plus splendides qui soient au monde, sans aucun doute. il fallait la voir pour y croire. il fallait la voir, le jour où anastasiya lui a été arrachée. pas de son plus horrible que ces pleurs-là. avez-déjà entendu une mère hurler ? parce que chaque fois qu'elle ferme les yeux, c'est ce que nastya retrouve. dans sa tête, du sombre à n'en plus finir, des hurlements incessants. dans sa tête, la communauté vélane... elle n'en parle pas et n'en parlera jamais. à qui que ce soit. personne n'aura un tel privilège. elle est seule à savoir. savoir ce que c'est que d'être proche de la nature à ce point - et c'est d'ailleurs le don qu'elle a développé, sur les trois qu'elle avait la possibilité de croiser dans son propre corps : le contrôle de l'eau. maintenant, dans cette nouvelle vie, alors que les vélanes ne sont plus qu'un souvenir lointain, elle a tout d'un oiseau en cage. elle n'est pas à son aise. étrangère à la ville, étrangères aux autres, étrangère à elle-même. des envies de liberté à n'en plus finir, mais aucun moyen de concrétiser ses projets. elle aurait donné n'importe quoi pour être une vélane à part entière. une vraie. comme sa mère, et sa grand-mère encore avant. qu'on lui laisse le temps de passer le rituel, de s'épanouir, de devenir la créature qui, au fond d'elle, hurle à la mort tous les jours pour avoir été brimée de cette manière. mais le sort en a décidé autrement. parce qu'une femme comme nastya, même gamine, même enfant, même pure, délicate, innocente, une femme de cette trempe-là, ça ne se laisse pas en paix. jamais. les hommes ressentent toujours le besoin irrésistible de tout briser... ils l'ont fait. une beauté aussi exceptionnelle, ça ne se dévore pas seulement des yeux. ça s'utilise, on en tire profit, on la martyrise parce qu'on ne supporte pas une telle perfection - ça s'enlaidit et s'extermine. ça se marchande.

―――――――• I tread a troubled track, my odds are stacked •――――-――― vendue, elle l'a été très tôt, en tant que créature tout d'abord. parce qu'elle n'était pas humaine, non, pas à leurs yeux. aucune considération pour un quelconque sentiment... humaine, pourtant, elle l'est probablement largement plus que tous ceux qui l'ont passée de mains en mains, minuscule enfant effrayée. plus que ceux qui lui ont confié cette maudite drogue et ont fait d'elle un pion sur l'échiquier du monde, celui chargé de passer l'orviétan. de la maladie en poudre, ce truc, et puis en cachets, en sphères, du désespoir vendu... encore une chose précieuse qu'elle sait mais qu'elle gardera pour elle : les dégâts. les dommages. en russie, c'est une catastrophe. un désastre. c'est l'une des toutes premières choses qu'elle a voulu dire à maksim. mais il devait en avoir conscience. sûrement... maksim. un nom qui a changé sa vie. lorsqu'elle l'a vu pour la première fois, elle a pensé que cet homme devait tout connaître, tout savoir. et cette envie de se raccrocher à lui, lui pardessus tout, comme une bouffée d'air lorsqu'on est en train de se noyer... elle avait des conditions de vie minables et la tentation de se laisser mourir. et il était là pour la sauver... toutefois aujourd'hui, si c'était à refaire, elle y réfléchirait à deux fois. au lieu d'accepter sa proposition dans l'immédiat - reste ici, reste en Grande-Bretagne, avec moi - elle chercherait cette sensation de dégoût profond qu'elle ressent maintenant lorsqu'elle le voit. il lui a offert des choses inestimables et pendant un temps, tout brillait. elle avait des étoiles dans les yeux rien qu'à le voir parce qu'il était son espoir. le seul. puis il lui a offert l'enfer. mais nastya est une femme reconnaissante et pleine de respect pour ceux qui lui ont un jour tendu la main - même une main entièrement pourrie. pourrie par l'Orviétan, bien sur... une envie, dans l'immédiat ? lui cracher dessus. cet homme n'organise rien, si ce n'est la mort. et celle de nastya, au passage. sa beauté va se faner, son argument ultime dans les négociations périlleuses va dépérir. il ne fallait pas la prostituer, non, il ne fallait pas la forcer à passer dans tous ses lits, à se laisser toucher par toutes ces mains qu'elle n'a pas acceptées sur elle. maksim pense tout contrôler, même la vie de sa précieuse petite vélane, qu'il a rachetée en Russie et qu'il pense posséder de droit, mais il s'est merveilleusement trompé : l'orviétan, la première fois qu'elle en a abusé, c'était de son propre chef, parce qu'à défaut d'être consentante elle avait au moins le privilège d'être droguée. relation ambiguë au possible : elle se souvient de ces images terribles d'âmes ravagées par ce produit, mais elle se souvient également que sans lui, elle se serait foutue en l'air depuis longtemps. chaque fois que nastya se sent dégradée au possible, elle sait alors vers qui se tourner, et non pas vers quoi : l'orviétan est l'amie la plus précieuse qui soit. d'abord l'excess, petite poudre qu'elle était parvenue à subtiliser à son mentor, sniffée sur le coin d'une table basse ; puis vient la seringue, les veines avides, ce à quoi elle tourne toujours aujourd'hui. navitas. comme ça sonne beau, comme ça sonne doux. nastya est certainement l'une des plus belles femmes du monde, mais bientôt, grâce à ce petit produit miracle, elle ne sera plus que l'ombre d'elle-même, une épave qui fait peine à voir. et alors elle pourra tendre vers la fin de son existence, enfin, cette existence qui n'a plus eu aucun sens depuis que le territoire de son peuple a été dévasté, depuis qu'elle a été enlevée.