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sujet; (6 février 2003) like smoke darknin' the sky - bastus |
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Tu regrettes aussitôt d'avoir porté de telles accusations. Ou du moins, tu regrettes de les avoir portés en présence de Rookwood. Parce que Ladah et toi vous croyiez plus malins que lui à vous crêper chignon et barbe seulement quand il avait le dos tourné. Enfin ça, c’est ce que vous pensiez. Puisqu’il aurait été trop facile que vous vous épargniez quelques méchancetés même quand il était là, à sourire de vos chamailleries, comme Scar se rirait de ses hyènes. Si vous vous faisiez du souci, c’était certainement parce que vous pensiez qu’il aurait tôt fait de s’ennuyer de telles puérilités. Mais il n’en était rien. Rookwood n’était pas du genre à garder lui-même constamment son sérieux. Et, si son humour n’était pas encore reconnu, c’était bien parce que tu en faisais principalement les frais. Par ailleurs, lorsqu’il avait une remarque sagace vis-à-vis d’un collègue, de sa voix feutrée, t’étais le premier à en ricaner à pleins crocs.
Le supplice est tel qu’il joue le jeu –et oh, qu’il le joue si bien. Il en faut pas plus, il en faudrait même beaucoup moins, pour que tu tombes dans le panneau, encore et toujours. De ça aussi, il aurait pu se lasser. Mais ‘faut croire que Rookwood, plus encore qu’une escapade dans ta tête de piaf, appréciait les balades au zoo. Et qu’à côté de lui, Harry Potter et ses vitres qui se font la malle comme par magie n’avaient qu’à bien se tenir. Mais ‘faut croire que de ton côté, être en cage, ça ne te dérange pas. D’un autre côté, à force d’avoir toujours vécu en captivité, on en oubliait de penser à la liberté. Surtout quand on pouvait se donner quotidiennement en spectacle à son gardien et seul visiteur. « Vous excusez pas, patron » que tu marmonnes, la bouche pâteuse à cause des gorgées répétitives de scotch et de l’heure avancée de la nuit « c’est juste qu’elle rate pas une occasion d’cracher sur mon dos » et toi sur le sien, on dirait deux gamins qui rapportent chacun leur version des faits à leur parent. C’est que tu nous ferais un beau complexe d’Electre, mon grand. « Alors j’voudrais pas qu’vous vous fassiez d’fausses idées sur mon compte » A ce propos, tu n’avais pas vraiment d’inquiétude à avoir, puisque Rookwood pouvait naviguer dans ta cervelle à loisir. Ça aurait été à n’y plus rien comprendre, puisqu’il était également le premier à se régaler de tes réactions si maladroites et emportées.
Tu manques d’ailleurs de péter ton verre (et tu auras bien l’occasion d’en fissurer d’autres, crois-moi), lorsqu’il se sent obligé d’établir un contact physique. Habituellement, c’était une main sur l’épaule ; tu t’ébrouais, mais ne te sentais pas aussi démuni qu’à présent. Puisque logiquement, sur ton épaule, la plupart du temps, y’avait ton manteau. Et que là, sur ta main, il n’y avait que la moiteur qui séparait ta peau de la sienne. Et tu veux pas qu’il sente que t’as les mains encore plus tièdes en-dessous dans ta paume que t’es collé au cuir élégant du fauteuil. Parce qu’il n’aurait même pas fallu être legilimens pour piger ce que ça voulait dire. Et tu voulais pas que ça veuille dire quelque chose. Parce que pour lui, cette main ne voulait rien dire. Il avait dû déjà poser sa main sur celle de Ladah. Patron, pourquoi vous l’appelez par son prénom et pas moi ? Pourquoi elle, elle a pas les mains moites quand vous posez une main sur son épaule. Pourquoi ça fait pas un peu moite dans sa bouche quand elle sait pas quoi dire parce que je voudrais dire tant de choses, mais je sais pas les mots ? Pourquoi vous parlez d’elle, patron ? Y’a que vous et moi, elle est pas là, on devrait pas parler d’elle. Tu lui roulerais un patin, à la Ladah, si ça pouvait faire en sorte que Rookwood ne soit plus profondément navré de voir tout espoir de bonne entente échouer. C’est pas avec elle que j’ai envie d’espérer une bonne entente, patron. C’est que t’es adorablement con quand t’es jaloux, Bacchus.
« Bah, le truc c’est qu’elle a pas l’air d’comprendre qu’moi, j’suis pas secrétaire… » Une gorgée, un peu absente, à voir comme ta tête dodeline, une fois les émois causés par sa main sur la tienne passés. « Ou alors elle trouve que j’m’habille pas assez bien pour vous… » C’est bien le moment de penser à ça ; c’est que tu deviendrais loquace –à défaut de perspicace- quand ton esprit était dans un état avancé de décomposition. C’est que, malgré tes étranges horaires de boulot, tu jouissais encore quotidiennement de quelques heures de sommeil, installé n’importe comment dans ton canapé défoncé (le chat n’était pas encore tien à ce moment-là, mais ça ne saurait tarder), ou, dans le pire des cas, casé comme une pièce de puzzle au fond de la salle de repos des Rafleurs. « elle doit me trouver trop… nature ? » Oui, non, en effet, tu n’avais pas l’air en grande forme.
A cette remarque, t’as cet acte un peu désespéré de te redresser dans le fond du siège, sous prétexte de reposer ton verre, entortillant un pan de ton manteau sous ton coude, et allant même jusqu’à avoir l’élégance, dans un cambrement grotesque, de ranger ton tee-shirt dans ton futal, faisant clinquer ta ceinture à boucles. On passera sous un silence sidéré la lourdeur avec laquelle tu t’extirpes de ton fauteuil, comme un gros félin. Tu te frottes les paupières, papillonnant des yeux un peu rougis sur sa silhouette à lui, impeccable, exempte de toutes traces de fatigue. « Alors c’est vrai c’qu’on dit ? Vous dormez jamais ? » tu ne mesures pas l’indiscrétion de ta question ; peut-être parce que ça faisait cinq ans que tu traînais dans son ombre et que jusque là, t’avais pas été le plus curieux officiellement sur son train de vie. Disons que tu glanais les informations quand elles daignaient se montrer claires dans ta cervelle de moineau. Pour rien au monde, tu ne l’aurais forcé à te parler. P’t’être qu’au fond, t’espérais encore qu’un jour il ferait ce pas-là vers toi, intimidant. Néanmoins, le cocktail mélangeant alcool et fatigue ne te rend pas plus délicat que d’habitude, puisque tu bougonnes « ça aussi j’croyais que c’était des bêtises v’nant d’vos détraqu… détracteurs »
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| Une énième fois, Augustus sourit de l'imbécilité de Bacchus. C'était absurde à quel point la simplicité, l'idiotie et la brutalité de l'homme pouvait, parfois, le détendre. Bacchus était incapable de le trahir. Bacchus était incapable de lui cacher quelque chose. Bacchus pouvait essayer de lui mentir, sans succès, et cela le rendait toujours plus vulnérable à chaque fois qu'Augustus le voyait faire. Le mangemort était, initialement, un homme assez détendu. S'il avait quelque coups de stress, quelques moments de colère, il était majoritairement un homme calme et serein, en osmose avec lui-même, assez sain, dans une vision très étriquée du terme. Pourtant, la détente apportée par Bacchus était bienvenue. Au début, l'homme l'énervait, l'horripilait et il était comme tendu à sa vue, prenant comme mission personnelle de dresser la bête, de canaliser sa folie, de raisonner sa bêtise. Il avait réussi, il le tenait entre ses doigts, l'immonde bête ronronnait sous sa paume et voir ses efforts désespérés d'avoir des mouvements autonomes l'attendrissait comme attendrissaient les animaux qui se cognaient au verre sans comprendre pourquoi ils ne pouvaient le traverser. Ainsi donc il l'écoutait dire des imbécilités sur Ladah avec un sourire un brin amusé, allant jusqu'à assumer sa moquerie. Là où ils en étaient, le jeu du respect absolu n'était même plus nécessaire. Il sentait Bacchus vibrer toujours plus à chacun de ses gestes de cruauté et si sa gentillesse le troublait souvent, si les compliments le faisaient souvent rougir, il ne vibrait vraiment que lorsque ses yeux s’agrandissaient de peur et d'émerveillement mêlés. Et l'égo pourtant déjà bien enflé d'Augustus se gorgeait de ce genre de vision avec une perfide satisfaction.
Il le regardait se contorsionner avec cette même indulgence, presque tendre. Il semblait impossible à Bacchus d'être gracieux. Il était saccadé, absurde, profondément en décalage par rapport au tempo de la vie. Quand Augustus avait le timing chronométré à la milli-seconde, allant du sourire au temps qu'il mettait pour expirer la fumée de sa cigarette, Bacchus ne contrôlait pas son propre corps et il semblait en guerre avec ses propres vêtements, sans même commencer à parler de son entourage. Quand est-ce que le Rookwood avait arrêté d'être profondément exaspéré de sa capacité à être agréable à l’œil ? Il n'avait pas vraiment prêté attention à ce genre de changement, et nous ne faisons que le souligner afin d'aider le lecteur, puisque Augustus est loin de se laisser aller à ruminer ses sentiments passés, présents et futurs pour des personnes comme Bacchus, qui sont là, qui restent là, et qui ne le font que pour son divertissement et son service.
« Alors c’est vrai c’qu’on dit ? Vous dormez jamais ? »
Et puis voilà, il tomba dans le trou, là, celui dans lequel on ne devait pas tomber, encore. Il s'enfonça comme un boulet dans cette abysse de sujets qu'il ne fallait pas aborder avec Augustus Rookwood. Le sourire se figea avec tout son être, un instant statue, un instant regard à la fois froid et incendiaire. Sans bouger d'un seul mouvement, dans une simple crispation de la mâchoire, il fait comprendre qu'il a dépassé les bornes. Et rien, pas même le bégaiement, pas même l'imbécile confusion, pas même sa servile fascination n'empêcha la voix d'Augustus de résonner de cette aridité terrible. « M. Murdock, je ne crois pas qu'il soit nécessaire que vous écoutiez ce genre de racontars, et encore moins que vous les reteniez. » La bête était incapable de se souvenir de simples procédures et prenait la peine de se souvenir de ça ? « Sachez cependant qu'il m'arrive de dormir, s'il vous vient encore la sombre idée de chercher à connaître ma vie personnelle. » Et il punissait l'homme de sa prétention, de sa si humble tentative de connaître un peu qui il était, ce qu'il faisait, hors des ordres du patron. Ce n'était pas son rôle. Il n'avait pas à trainer par là. Les secrets, l'intimité d'Augustus était réservée à une élite. Une élite qui pouvait réciter ses tables de multiplication sans froncer les sourcils pour réfléchir. « J'aime cependant passer certaines heures de la nuit à travailler, converser avec mes proches ou profiter de mes hobbies. Rien d'aussi terrible que ce que semblent penser vos amis. » Il était terrible de le voir parler si correctement, presque gentiment à Bacchus alors que la température de la pièce avait sévèrement chuté et qu'il parlait du bout des lèvres, bloqué dans un sourire froid, cruel, et que ses yeux perçaient l'imbécile comme on perce un insecte sur le mur. |
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du liebst mich denn ich lieb’ dich nicht Tu t’étires, l’air de rien, avec l’élégance d’un gros sphinx. Et c’est seulement quand tu baisses les bras et que tu te retournes vers lui que tu piges que t’as encore fait la bêtise du siècle. Tu te figes, pris sur le fait comme un gamin la main dans le sac. Un gamin qui maltraite un oiseau tombé de son nid en pensant qu’il ne faisait rien de mal que le ramasser. T’as la brutalité d’un enfant qui contrôle pas sa force, ni le poids de ses paroles. Parce que malgré l’image d’un homme sérieux et détendu qu’il veut se donner, il était connu comme le loup-garou blanc que ton patron était pas l’homme le plus stable du Ministère. A croire que vous faisiez la paire. Collons les monstres ensemble, dans une même cage, et regardons lequel des deux survit. Sauf qu’ils avaient pas prévu que l’un dompte l’autre et que l’autre s’allonge sans montrer plus de résistance que ça. Parce que ça fait pas tout d’être un monstre. Toi par exemple, t’étais un monstre d’obéissance aveugle.
Mais patron, les racontars, ‘faut bien que je les retienne, pour savoir qui les dit, et à qui je dois casser la figure. Et puis ses racontars, patron, ils ont sûrement un fond de vérité, même si c’est très profond, y’a que là que je peux plonger, pour en tirer quelque chose. C’est comme les poissons très moches un peu comme des monstres tout au fond de l’eau, on en veut pas, ils font peur, mais y’a que ça qui me rappelle où je suis. Parce que ça fait cinq ans que je suis votre ombre, vous savez, comme le philosophe qui projetait des ombres dans les cavernes et les gens ils aimaient tellement ça qu’ils ne savaient même pas que le soleil, c’était mieux. Ça fait cinq ans que je suis dans votre ombre, patron, et je sais rien de vous au soleil. Pour continuer dans les mythes terribles, t’avais l’impression d’être comme ce sale gamin impertinent qui avait fait des ailes avec de la cire et il avait volé trop près du soleil, du coup, ça avait fondu et il s’était écrasé. Sauf que t’avais fait des efforts pour être moins impertinent, si bien que t’avais même pas pensé être impertinent en lui demandant ça. Et, si ton calcul était bon, le fait qu’il te fasse fondre les ailes ainsi, douche glacée, signifiait que cette singularité n’était pas quelque chose dont il se vantait, et qu’il en taisait très certainement les origines à tous. Même à toi, son chien fidèle. Ça fait cinq ans, patron, et vous avez toujours pas confiance ? T’es trop con pour ça, mon grand.
Et trop fatigué, surtout, pour pouvoir t’en désoler. T’inquiète pas pour ça, Bacchus, tu aurais d’autres occasions de revoir ton statut et sans doute aussi de te morfondre sur son ingratitude. Et trop conquis, à voir comment toute ta silhouette se tend, et que ton regard, c’est comme s’il se tendait aussi, arc tendu, courbé, prêt à céder, à tirer une flèche. Ça lui fera pas mal, il a l’habitude que ton regard l’attaque comme ça, comme une lame émoussée. Ça fait pas mal, ça flatte même, un tel regard, quand on a compris que tu toucherais pas. Parce que t’es trop obéissant, trop muselé pour ça.
if i had a hatchet it would be yours to have 'cause your decapitating habits feel a little bit orgasmic De fait, t’as un pas de recul, butes dans l’accoudoir du fauteuil contre lequel tu t’appuies, les mains tâtonnant sur les coutures du cuir. T’es figé par la fatigue et la stupéfaction. Parce qu’il l’a soulevé, ce détail, Rookwood, ou du moins, c’est tout comme ; que ça te grise quand il s’adresse à toi comme si t’étais un mur de granit, toutes mésinterprétations mises à part. Quand il est poli, alors que se tapit dans l’ombre de ses douces paroles, un reproche sanglant. Tu sais pas s’il a envie de te tuer dans ces moments-là, genre le premier monstre qui regrette d’avoir laissé le second en vie dans la cage ; mais le fait est qu’il ne le fait pas. Alors, comme Rookwood se réjouirait d’avoir dompter la bête que tu étais, tu te satisfaisais au fond, de toutes ces terribles colères pendant lesquelles et bah, tu mourais pas. Parce que ça voulait dire qu’il se contrôlait, rien de nouveau, mais que là, il le faisait rien que pour toi. C’est qu’t’avais la pensée égoïste quand tu le voulais. Mais rien que pour ce genre de réflexions, tu te serais mis un poing dans la figure ou un sort d’Oubliettes dans la tronche.
On aurait pu te prêter de drôles de déviances avec ce genre de comportement, à voir ta silhouette lourde, à la fois lascive et tétanisée, immobile alors qu’on pourrait croire que tu vas glisser le long du fauteuil. En suspens, comme un amant se serait suspendu à ses lèvres singulières. Toi c’est à son regard qui veut te clouer au mur mais pas pour t’embrasser ou alors genre baiser du Détraqueur que tu t’accroches, que tu te laisses tomber, tête la première et respiration retenue. Parce qu’il a la pupille comme une fosse marine et que ça t’a toujours attiré. Toujours depuis cinq ans. Parce que peut-être que ça te rappelle la première fois que vos chemins se sont croisés et empiétés l’un sur l’autre, alors que tu voulais lui tenir tête. T’as un vague mouvement à ton oreille cicatrisée depuis longtemps. Cinq ans. Parce que peut-être que dans cette froideur, s’incarnait toute la puissance de l’homme, qui réalisait alors qu’il n’avait même plus besoin de te faire du charme pour te savoir à ses pieds. Et il n’y avait rien de plus réconfortant, pour un monstre d’obéissance comme toi, que de savoir ton maître tout à fait assuré que, quel que soit l’ordre qu’il te donnerait, tu l’exécuterais sans sourciller, peu importe sa voix, peu importe s’il te voit encore ou pas.
« C’est pas mes amis » Tu retiens ta respiration. Tu comptes, lentement, parce qu’on dit que t’es un peu con et pas fort en calcul mental. Il faut pas qu’il te renvoie, donc ‘faut pas que t’attendes trop longtemps. De fait, tu contrôles pas trop ce que tu vas dire, parce que ta langue aussi est fatiguée. Et gonflée alors tu la mords, comme si elle avait envie. « J’me d’mandais juste si » tu te grattes l’arrière du crâne, là où tous les petits cheveux sont dressés, comme ton regard, tendu et fatigué, comme tes muscles, tendus pour te maintenir debout, pour pas que t’atterrisses à genoux. « si vous vous sentiez pas trop seul, du coup, quand dans la nuit, tout l’monde dort ? » Le second monstre qu’on a laissé en vie recule encore un peu plus dans le fond de sa cage, comme si les barreaux allaient le protéger de celui qui les a façonnés autour de lui.
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| Bacchus avait cette merveilleuse qualité et cet incroyable défaut d'être aussi con qu'il était dévoué. Cela donnait souvent ces situations étranges où, des années plus tard, il ne savait toujours pas quand il fallait abandonner, lâcher l'affaire, laisser de la place à Augustus. Il s'entêtait dans son impertinence, dans ses questions absurdes, ses remarques déplacées, tout en se liquéfiant sur place dès qu'il sentait la déception ou le mécontentement de son patron. Bacchus était docile, faible, fidèle et obéissant, et pourtant toujours, il dépassait les bornes, parce qu'il ne les voyait même pas, et fonçait juste dans ce qu'il pensait être la bonne chose à faire. C'était à se demander s'il ne cherchait pas volontairement à souffrir sous les doigts sévères de son maître.
« C’est pas mes amis »
Mais qu'est-ce que cela peut faire ? C'était juste une image, un sarcasme, une manière de lui faire comprendre qu'il le trahissait en aidant ces racontars... Mais bien sûr qu'il s'était accroché à ça, il s'était accroché à cette accusation directe et s'en était défendu, de façon aussi puérile et pathétique qu'un enfant qui dément une bêtise en accusant l'autre d'avoir commencé.
« J’me d’mandais juste si, si vous vous sentiez pas trop seul, du coup, quand dans la nuit, tout l’monde dort ? »
Augustus retint un soupir à cette phrase. L'impertinence continuait, cette étrange fascination se perpétuait. Il n'arrivait plus à souvenir à partir de quand Bacchus avait véritablement commencé à ne plus le voir comme un maître, un supérieur, quelqu'un qui lui était nécessaire par ses ordres, par son autorité, par les barrières qu'il lui opposait. A partir de quand avait-il commencé à vouloir plus, à fouiner, à taper à la porte de sa vie dans l'espoir pourtant risible de lui appartenir véritablement, complètement ? Impossible de retracer cela avec précision, tant cela faisait longtemps qu'il ne prêtait plus attention à l'animal, tant il était persuadé de toujours le trouver à ses pieds à le regarder avec de grands yeux fascinés. Impossible de savoir à partir de quand Bacchus avait commencé à être aussi malsain. Et au fond, Augustus se sentait lentement s'habituer à cela. A s'amuser de ses impertinences, à rigoler de ses espérances systématiquement écrasées, à jouer avec la tension qui de plus en plus parcourait le corps de la bête et la faisait vibrer, comme continuellement ouverte et continuellement fermée à son influence. Se faisant, nous nous approchions de ce qui se rapprochait le plus à de l'affection de la part d'Augustus. Parce qu'il commençait véritablement à prendre du plaisir à manipuler les multiples émotions du raffleur.
Le sourire cruel s'agrandit, dévoilant de la malice, du mépris et comme une espèce de joie. « Et si c'était le cas, M. Murdock, que feriez-vous à ce propos ? » Il n'en pouvait plus de cette égale réaction à ses nuits d'insomnie. Oh vous devez être seul, oh mais vous devez vous ennuyer, laissez-moi rester avec vous, laissez-moi veiller sur votre sommeil, laissez-moi être la personne à vous sauver. Les rares personnes qui découvraient ce problème finissaient toujours plus ou moins dans cette volonté de le sauver. Il jouait souvent avec cela, abusait souvent de la gentillesse, les piégeait dans l'illusion de lui être véritablement utile... Mais au fond, non, Augustus ne se sentait pas véritablement seul le soir venu. Il quittait enfin la fourmilière des sollicitations sociales et pouvait tranquillement s'affairer à ses travaux personnels, à ses lectures, à ses hobbies. Il n'avait jamais eu besoin de qui que ce soit pour exister, et surtout pas de ce qu'il considérait comme le plus servile de ses fidèles.
Il se pencha cependant, les coudes sur les genoux, les mains nouées, toujours aussi cruellement souriant et aride dans sa voix. « Vous viendrez me tenir compagnie, m'occuper, me parler de tout et de rien ? » Et cela sonnait comme une chose si ridicule au rebord de ses lèvres que cela en devenait presque attirant. « Je ne voudrais pas vous garder loin de votre propre lit et de vos propres heures de sommeil. » Maudites soient-elles. |
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Y’a que les gens clairvoyants pour pouvoir regretter à un moment donné ce qu’ils ont pu dire d’offensant. Et ta bêtise à toi n’était plus à prouver, pour ne pas dire qu’elle était devenue la maxime de ta réputation. Trop bon mais trop con. Rafleur efficace, sous-fifre diligent. Mais alors en ce qui concernait le reste… Il fallait bien que l’un compense tout le reste pour qu’on ne t’ait pas encore viré. Alors ‘faut croire que t’es pas clairvoyant. Pas clair, ni voyant, enfin pas comme ça, parce que t’es assez voyant, dans ton genre, avec ta dégaine nonchalante. Tu cherchais pas à voir, juste à sentir, tout ce qu’il suggérait, non sans charme, de derrière ses sourires et ses yeux qui font si mal. C’était si facile de te faire tomber dans le panneau que ça en devenait impitoyable de continuer de te jouer de tels tours. Alors y’avait que les bourreaux de haute précision dans son genre qui ne pouvaient pas se lasser de tes services à desservir, tellement on manquait de pantins, dans ce monde de rebelles.
Ton regard de plomb en surplomb s’attarde et trébuche sur la ligne acérée de sa mâchoire qui s’étire dans un sourire sans pitié. On le paye pas pour en avoir, de la pitié. Et ça lui servirait à rien d’en avoir pour toi. Il en a jamais eu, au fond. Dès le premier jour, il a pas montré une once de scrupule à te faire mordre la poussière, alors que t’étais qu’un jeune impertinent. Comme s’il avait flairé le danger que tu représentais, quand t’avais les mains libres et les nerfs à vif. Et on l’avait sans doute remercié au fond pour ça. Toi, tu l’avais maudit, les premiers mois, pour les premiers émois, puisque tu savais pas comment tu t’en étais rendu là. T’étais même allé jusqu’à soupçonner un Imperium ou une autre connerie de sortilège dans ce genre. Mais c’était là où résidait toute la puissance du Mangemort, à tel point qu’aujourd’hui, et depuis plus longtemps encore, tu n’imaginais plus que pour toi d’autres voies eurent été envisageables. Il a jamais eu de pitié pour toi, Bacchus. Alors pourquoi te comportais-tu comme si tu lui devais la vie ? Alors qu’il te laissait rien savoir de la sienne ? Comment pouvais-tu imaginer à cette époque que tu l’aimais, alors que tu savais rien de lui que l’image lisse et impitoyable dans sa séduction qu’il voulait bien te montrer, comme ça, tac, comme un éclair, comme une image flash dans les émissions pas recommandables ? ‘Fallait pas qu’on s’étonne que tu saches rien de l’affection, puisque tu t’étais mis en tête de chérir l’inchérissable.
Alors, que ferais-tu à ce propos ? RIEN De plus que tu n’avais déjà fait pendant cinq ans. Quand tu traînais des pieds pour rentrer chez toi, alors qu’il n’avait pas l’air décidé à refermer son dossier. Quand il te congédiait avec son regard trop doux pour être sincère quoique tu ne remettes jamais en cause sa sincérité. Quand du coup tu faisais mine de travailler pas trop loin sauf que toi, quand tu tiens une plume à une heure tardive de la nuit, ça agit comme un coup de poing et tu finissais le nez dans l’encrier ou dans les parchemins. D’autres fois, c’était roulé en boule dans un recoin bizarre de son bureau, genre derrière l’échelle, ou dans une position qu’on n’aurait pas supposée possible pour un tas de viande comme toi. Et puis y’a même eu cette fois où tu t’étais réveillé d’un coup parce qu’en plus d’être dans la même pièce, il s’était incrusté dans ton rêve, mais on racontera pas le reste.
Parce qu’en fait, t’avais pas attendu qu’il t’envoie sur les roses, dans les ronces, pour venir lui tenir compagnie, comme il disait. Sauf qu’à l’image du trou noir plié dans un coin de la pièce, jusque là, t’avais pas jugé bon de lui dire qu’il y avait une raison à tes coups de barre assez soudains, rien que pour ses yeux pas si ébahis que ça. Le seul souci étant que là non plus, t’avais une raison certes, mais tu savais pas laquelle. Parce que loin de toi l’idée d’imaginer essayer de le sauver, ou de l'aider à trouver le sommeil. Loin de toi l’idée d’imaginer qu’il puisse avoir besoin d’aide. Non, c’était pas son rôle, à lui. Lui, il venait en aide à des p’tits monstres tombés du nid, tellement que des fois, ça te faisait chier, là, clairement, parce que tu voulais pas qu’il y en ait d’autres comme toi, et que même si y’en avait aucun comme toi, bah ça te faisait chier quand même, parce qu’ils étaient plus intelligents.
Me parler de tout et de riEN MAIS PATron, vous savez mieux que quiconque que j’aime pas parler. Il a tellement pas de pitié pour toi, mon grand, que ça aurait dû être la dernière personne devant laquelle t’incliner. La dernière personne dans la cage de laquelle tu aurais dû te lover, si bien que t’essayais même plus d’en sortir, de ta cage, ni de ce rôle de demeuré qu’on avait collé comme une étiquette sur les barreaux. Debilus mentalo Brutus, ou Bacchus commun. T’avais certes des problèmes à régler, et tes antécédents familiaux –un peu comme tout le monde ici- ne te facilitaient pas la tâche, mais parfois, tu faisais vraiment preuve de mauvaise foi en terme de ça se fait ou ça se fait pas. Comme si t’essayais plus de faire d’effort, parce que t’étais bien installé, que le fouet, ça te faisait plus rien parce qu’il s’ajustait parfaitement à la forme de sillons de tes plaies.
« Si c’est pas vous, c’est au boulot qu’on s’en chargera » que tu bafouilles, presque inaudible, les épaules affaissées, n’essayant même plus de garder une contenance. Y’avait plus rien à contenir, de toute façon, hein, ta caboche, elle est vide ? Rookwood avait tout vidé, comme les Egyptiens, avec méticulosité, par les narines et les yeux, hop, plus de cerveau, dans un p’tit vase canope qui aurait trôné sur sa cheminée. Pourquoi Bacchus, pourquoi lui ? Parce que ses yeux te font dire n’importe quoi, comme l’alcool. Il te ferait faire n’importe quoi, si bien que tu faisais n’importe quoi, juste parce que tu croyais qu’il te l’avait ordonné. Y’en a qui s’en souviendrait, puisque c’était gravé sur leur nuque à jamais. Et y’en a pour qui c’est dans le cœur que ça restera percé pendant longtemps. Dans le quoi ? Comment elle s’appelait, cette fille, déjà ?
Tu piques un fard de derrière ta barbe. ‘Faut qu’il arrête avec son sourire, parce que sinon, tu vas faire des trous avec tes doigts dans le fauteuil, tant tu t’y agrippes. Son sourire fait des trous dans ta tête, et un peu là dans ta poitrine qui se lève très fort comme les vagues. « Croyez pas qu’j’voudrais vous déranger… » ahAH que t’es drôle « j’mène pas les plus fines des discussions, mais au moins » tu te taperais le front sur le rebord de son bureau si t’osais seulement bouger, y’a que ta respiration et tes lèvres rouges parce que tu les malmènes qui trahissent la vie, démente, qui t’habite « y’aura genre… une autre forme de vie dans la pièce ? » sauf s’il t’anéantit, là, sur-le-champ, parce que tu peux atteindre des sommets en terme de stupidité, mon grand.
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| Bacchus était vraiment un bel égoïste. Augustus le réalisait au fur et à mesure de leurs interactions. Il avait parfois l'impression que l'homme en face de lui gagnait plus dans cette relation que l'inverse. Et que tous ses efforts pour être près de lui, lui être utile, dévoué, proche, n'étaient au fond que des caprices d'adolescent cherchant à être à côté de la personne aimée. Cela rendait le mangemort assez nostalgique, lui rappelant quand il prenait encore la peine de faire ce genre de chose, lorsqu'il faisait de si gros efforts pour être bien considéré de la personne qui lui plaisait... Des temps si lointains, effacés par les détraqueurs, lavés par les années de solitude. Depuis combien de temps n'avait-il pas été véritablement égoïste, déjà ? Quand avait été la dernière fois qu'il avait fait quelque chose pour son unique plaisir, et pas pour le travail, pour la cause, pour la justice et ce qu'il considérait le bien moral ? Des années. Il cherchait quand, depuis son retour d'Azkaban, il s'était laissé à ce genre de basse pulsion, mais il n'en avait aucun souvenir net. Tout, dernièrement, avait le goût de l'utile et du nécessaire ou, à la limite, de l'amusement. Un amusement qu'il avait très certainement avec cet homme si rustre qui rougissait comme un enfant et rapetissait à vue d'oeil dans le fauteuil.
Augustus soupira. Il soupira profondément, avec un sourire navré, laissant son regard planer sur la bouteille de scotch. Cette histoire le lassait déjà. Le pauvre Murdock ne pouvait ni devenir plus rouge, ni plus stressé, et il tenait trop à son fauteuil pour risquer de le perdre aux ongles de la bête. Ce fut pour cela qu'il le lâcha du regard, que son sourire se radoucit, et qu'il changea juste simplement et complètement de sujet. Vous ne vous attendiez pas à une réponse honnête de sa part, tout de même ?
Il laissa quelques secondes de silence après la réplique, profondément embarrassante pour un homme de son âge, du Murdock. Lorsqu'il reporta son regard sur lui, il était de nouveau calme, serein, poli, il lui sourit doucement et se leva tranquillement. « Vous me semblez vraiment épuisé, monsieur, vous avez eu une nuit éprouvante après tout. Restez ici un instant, j'ai quelque chose à vous donner avant votre départ. » Cependant, avant de sortir, il se permit un dernier affront, une dernière insulte au calme fragile de son employé. Une main se posa sur son épaule, un regard se laissa glisser en contre-bas jusqu'à lui, un sourire narquois vint noircir son visage tout en lui faisant remarquer : « Vous allez percer mon fauteuil à force vous savez. Vous pouvez vous détendre, je ne vais pas vous manger. » Ce qui le fit sourire intérieurement bien plus que nécessaire.
Visiblement satisfait de son énième méfait, le mangemort sorti de la pièce sans un bruit, laissant l'homme seul dans la pièce pendant plusieurs plus ou moins longues minutes en fonction du point de vue. Pour Augustus elles furent bien courtes, puisque occupé à récupérer un énième mesquin petit présent, qu'il ramena bien vite dans un petit panier d'osier. C'était un chat, un petit chaton gris et rayé, qui ne bougeait pas, visiblement effrayé des mains qui tenaient son panier, mais dans ses yeux brillaient une étrange audace. Il le tendit à son employé, avec un sourire : « Voici pour vous monsieur. » Il avisa de la réaction en face de lui avant d'expliquer : « Voyez cela comme une chance de me faire un cadeau. Adelaïde a ramené des chatons dans la rue il y a peu, mais ils ne s'entendent vraiment pas avec son propre chat, et elle m'a chargé de trouver une maison adéquate pour deux d'entre eux. En voici un. J'apprécierais beaucoup que vous vous en chargiez, je me suis dit qu'il vous plairait. » Et avant qu'il puisse formuler toute contestation, il formula le principal argument qu'il savait allait vraiment faire flancher l'individu : « J'ai confié le deuxième à ma secrétaire. Je suis sûr qu'elle en prendra parfaitement soin. » Tout comme il était sûr que son chien ne résisterait pas à une compétition avec la russe.
Il jugea, bien sûr, inutile de lui préciser qu'ils étaient les uniques survivants d'une pulsion nerveuse d'Augustus. Une pulsion qui lui avait fait craquer les os des trois autres chatons trouvés dans la rue. Il fallait remercier la petite Ollivander pour la compassion qu'il avait eu pour ceux qu'il n'avait pas pensé à finir, ce soir-là. |
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Tu viens de dire un truc complètement navrant que tu voudrais disparaître, genre en fondant dans le fauteuil sous toi, le temps qu’il laisse s’écouler à ne rien dire, à juste te considérer barbotant dans ta bêtise comme on observerait une mouche se noyer. C’était le prix à payer pour vivre son caprice, comme le pensait si bien Rookwood. Va savoir comment t’étais parvenu à joindre l’utile à l’agréable, à vouloir te rendre utile, même si c’était très souvent désagréable, à mettre à mal ta patience et ton calme. On pensait que la notion de plaisir t’échappait quand en fait tu l’avais totalement assimilé comme on avalerait tout rond ; quitte à s’étouffer. Et depuis, t’étais en apnée. Dans un état que tu ne saurais juger s’il était agréable ou pas. Autour de toi, on n’a jamais vraiment compris pourquoi tu t’amusais à jouer ainsi avec la vie. A jouer avec comme si ça faisait partie de tes devoirs. Tu sais pas discerner l’utile de l’agréable. Une vie rêvée dans un certain sens, non ? Pas vraiment, parce que plus rien ne te faisait réellement plaisir, tout devenait tout de suite essentiel, si bien que rester auprès de Rookwood faisait partie à tes yeux de ton sens du devoir particulièrement aigu. T’avais pas demandé à ne vivre que par lui. Ça t’était tombé dessus comme tombe l’orage sur Londres en été. Coup de f-. Tu voulais rester auprès du patron, rien de plus. Quoi de plus normal de la part de son âme damnée ?
Tu sembles épuisé, monsieur. C’est que t’en étais arrivé à un tel niveau d’obéissance que t’allais même jusqu’à réguler tes états quand il te le demandait. C’est pas une vie, ça, Bacchus… De la même manière, t’essayes même pas de lui assurer que c’est pas la peine, qu’il t’a déjà fait un cadeau, alors qu’il aurait jamais dû. Mais ça aurait été bien trop prévisible. Ils sont naïfs ceux qui pensent que tu réfléchis pas avant de parler. Au contraire, tu faisais tellement que ça que des fois, t’en oubliais de parler. Après, rien ne disait que les réflexions volaient très haut, hein, chacun son rythme, et toi, tout le monde sait que c’était dans l’eau et pas dans les airs que tu te sentais le mieux. Tu te masses lourdement les sourcils, alors qu’il passe à ta hauteur. Et agrippes dans une ultime poigne le bras du fauteuil lorsqu’il pose la main sur ton épaule.
S’il savait. Tu aurais pu être bien plus égoïste que ce qu’il pensait. ‘Je vais pas vous manger’, à la bonne heure, et si c’est moi qui me retiens actuellement de vous avaler toUT CRU ? si je me déTENDS Pas c’est qu’il y a une raison, je sais pas me détendre, c’est juste que si je crispe pas les doigts là, comme ça, bah ils vont bouger tout seul, et griffer et faire du mal, et vous voulez pas ça, parce que vous aimez pas quand je fais mal quand vous l’avez pas ordonné. Je sais pas faire le bien, je sais pas me mettre bien, alors non, je me détendrai pas, parce que je sais pas comment vous faire du bien. Donc non désolé patron, je peux pas me détendre. Pour pas dire que c’était tendu entre vous, tout mauvais jeu de mots mis à part.
Du coup, est-ce que t’étais vraiment égoïste ? Te taxer de rester de manière intéressée n’était-il pas le reflet du propre intérêt que pouvait trouver Rookwood en te gardant à portée de main ? T’étais à première vue pas assez brillant pour penser à ça, pour penser à en tirer quelque profit, surtout du fait que tu perdais complètement tes moyens en sa présence comme si tu devenais un simple appareil d’obéissance. Etais-tu plus que jamais toi quand tu étais avec lui ? Ou au contraire, une simple copie de ce qui pouvait l’intéresser chez toi ? Mais toi, tu voyais quoi de lui ? Pas grand-chose, ce qu’il te laissait voir. Mais t’es sûr de regarder comme il faut ? P’t’être qu’en fait, t’es autant une ordure que lui, qu’on a pas à te plaindre, parce que tu veux voir que c’que tu veux voir. Et si y’a un truc qu’on est sûr que tu vois pas, c’est bien l’am-. Ah, il revient enfin.
T’as les yeux qui doublent de volume quand tu le vois revenir avec un panier en osier. Et qui prennent la taille d’un Souaffle lorsque tu vois le chaton s’agiter dans ledit panier. Aussitôt, tu crois qu’il a peur de toi tellement tu fais chien et que tu le regardes en chien de faïence. Tu préfères clairement les chiens, moins mystérieux, ça se voit, ça se respire, ou mieux, tu ne veux pas d’animal car tu ne sais même pas t’occuper de toi-même, et si tu devais en avoir un ce serait surtout pas un chat c’est quoi ce cadeau à la con ? Il fallait que ce cadeau soit au moins tant à la con que ça pour que Rookwood fasse allusion à Zaïtseva. Prévisible, pour beaucoup. Mais on ne peut plus efficace. Entre le pouce et l’index, tu attrapes le chaton par la peau du cou –parce que te balader dehors avec un panier en osier, ça aurait été trop te demander. Tu le gardes en l’air un moment, à capter son regard déjà bien plus vif que le tien, comme si ce chaton venait de se rendre compte qu’en plus d’échapper à une mort certaine comme ses frères, il venait de décrocher le gros lot en termes de maître faible. Et que du coup, pour lui, s’annonçait la belle vie. Et pour ça, il suffisait juste que tu le mettes dans ta poche ; alors, pour être sûr que cela se produise, il affiche un air adorablement stupide, pour te bercer dans l’illusion qu’il serait sage et resterait petit pour le reste de sa vie… D’un autre côté, c’était pas comme si t’avais pas le choix, hein ? Tu hausses une épaule, le maximum que tu puisses faire pour montrer ton engouement à l’idée de passer les dix prochaines années de ta vie à t’occuper de cette boule de poils à peine poilue. « Bah écoutez, j’pourrai pas faire pire qu’elle » bon, ça, c’était fait. Mais après tout, les seules autres fois où tu avais pu entendre Rookwood prononcer ce genre de discours, c’était quand il vous invitait cordialement à le débarrasser de tel ou tel importun, bel et bien humain et généralement de manière définitive. Et il s’avérait que la plupart du temps, tu étais le plus efficace à l’œuvre.
Tu glisses le chaton dans le col de ta parka, histoire qu’il se love entre ta barbe et la fourrure synthétique de ton affreux manteau. Là, à sa place, fais-toi oublier, sac à griffes, c’est bien parce que tu viens de mon maître que j’accepte de devenir le tien ; y’a une hiérarchie à respecter, ici. « Merci m’sieur, y’m’tiendra compagnie » allez savoir si t’avais fait exprès de réutiliser sa formulation. Et allez savoir ce que tu en pensais, puisque tu ne passais qu’un temps éclair chez toi, et que cette bestiole allait devoir vite apprendre à ouvrir la porte du frigo toute seule si elle voulait pas mourir de faim. « ‘Faudra lui trouver un nom » t’as plusieurs idées saugrenues qui te traversent l’esprit, quand bien même ce chaton serait condamné à se voir changer d’identité tous les mois, par la suite. C’était peut-être pour ça qu’il allait devenir fou. En attendant, il ronfle doucement contre ta gorge, et c’est même pas trop désagréable, ça fait un peu comme un massage.
Tu te rappelles qu’il te l’a donné avant que tu n’aies à décamper. Tu te décroches de l’accoudoir du fauteuil contre lequel t’étais appuyé et prends la direction de la sortie, que t’as bizarrement plus vite imprimé que le chemin inverse. Sur le pas de la porte, l’air froid ferait de la buée sur tes yeux tellement en fait, t’as le visage brûlant. Tu te retournes une dernière fois vers lui, avec cet air déconcertant d’âme damnée, à ceci près que tu as un bébé chat roulé en boule contre ta joue, ce qui te rend passablement charmant. « Merci encore d’m’avoir accueilli et du coup » tu désignes une horloge derrière vous deux « bon anniversaire en r’tard » Y’a pas à dire, il a un truc là, comme ça, entre la lumière de dedans chez lui, et la pénombre un peu irréelle du dehors, quand la nuit tire sur sa fin, comme si elle voulait gagner des heures de sommeil. Y’a rien à redire à ça, il a quelque chose, dans sa mise en pli impeccable, et dans ce sourire, évanescent et pourtant inlassablement accroché à son visage taillé à la serpe. Insupportable insolence quand monsieur voulait être aimable. Du latin amabilis, « digne d’être aimé ». Y’a pas à dire quoiqu’il t’en coûte, malgré toutes les gênes, les rêves bizarres, le mépris et la sidération, si t’avais à le refaire, t’hésiterais pas un seul instant à lui vendre –que dis-je, à lui céder- ton âme une seconde fois.
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| La réticence du Murdock était palpable. Et elle amusait Augustus. Imaginer cette grande brute face à la subtilité d'un chat majestueux était une activité fort réjouissante, fort assimilable au spectacle des deux hommes l'un en face de l'autre. Le mangemort s'amusait parfois à être une troisième personne regardant leur discussion, et cela le faisait rire intérieurement. Il n'y avait là rien de gracieux, d'harmonieux. La brutalité du Murdock rendait sa politesse masque, son sourire mesquinerie, sa douceur perfidie et ses attentions manipulation. Lorsque, en face de lui, il y avait une personne un minimum normale, on pouvait croire au manège social du Rookwood. Mais face au Murdock, il n'y avait que le serpent indolent qui jouait avec sa victime maladroite, inconsciente et pourtant volontaire lorsqu'elle s'empêtrait toujours plus entre ses anneaux. L'un de ces anneaux était ce chat, imposé, absurde, décalé. Il trouva cependant vite sa place dans le cou de la bête, encore un peu sage car encore un peu effrayé du regard distant et amusé posé sur lui. Un regard qui imaginait déjà la bête se rebeller et s'enfuir à la première occasion, à savoir dès qu'il ne sera plus là pour le voir. Quelle tragédie.
« Je vous fais confiance pour le baptiser. » Et il était certain que ce nom serait quelque chose de particulièrement remarquable, soit dans son absence, soit dans son ridicule, qui alimentera certainement un nouvel amusement dans les yeux fins du maître. Sur ces mots, il l'accompagna jusqu'à la porte, le laissa remettre son manteau, sourit à ses remarques. « Joyeux anniversaire à vous aussi M. Murdock, prenez soin de vous et faites attention sur le chemin du retour. » Même s'il était sûrement bien plus dangereux pour qui que ce soit de croiser la bête que l'inverse, surtout vu son niveau d'alcool, et sans oublier l'animal sauvage et dangereux qui se nichait contre sa peau. Il imaginait ce qu'ils pourraient bien faire tous les deux, et se demanda s'ils ne pourraient pas entraîner le chat à devenir une créature de mort... Ce fut sur ces pensées qu'il laissa l'espèce de chose informe qui était en réalité un être humain descendre le porche et s'enfoncer peu à peu vers la sortie et dans l'obscurité.
Définir ce qui entraîna le geste suivant d'Augustus est extrêmement complexe, puisqu'il refusera toujours de l'expliquer, petit sourire narquois aux lèvres, visiblement très amusé de la question. Il pourrait s'agir d'un besoin pratique, immédiat, simple, quelque chose qu'il a véritablement oublié et qui le pousse à traverser les quelques mètres qui les sépare. Cela n'explique pourtant pas pourquoi il a, pour l'arrêter, prononcé son prénom, dans un « Bacchus. » très calme, mais portant bien assez fort pour stopper net l'individu. Cela n'explique pas non plus pourquoi il trouva bon de tant s'approcher qu'il se trouvait à peine quelques centimètres de lui, doux sourire aux lèvres. Il pourrait s'agir d'un énième caprice, une petite envie de le taquiner, ou un moyen de s'assurer de son pouvoir, ou une part véritable d'un plan tentaculaire. Impossible de savoir à quel point il a pu préméditer ces actes, ce comportement. Nous nous chargerons donc simplement de décrire comment il s'approcha de son employé, le surplombant légèrement de son sourire et de son regard sévère. « Vous avez oublié quelque chose. » jugea-t-il bon de murmurer, se penchant juste un peu, afin de pouvoir glisser ses doigts délicats sur le cou tendre et offert de la bête. Tandis que Bacchus rougissait à vue d’œil et se liquéfiait tout en se raidissant simultanément (un exploit qu'il est important de souligner), Augustus attacha donc avec une grande application un petit collier rouge au chat. Il y avait même un petit grelot. « Pour que vous ne le perdiez pas. » Et son sourire taquin se posa enfin sur son employé, qui s'était transformé en statue. Il sembla donc vouloir en profiter, puisqu'il se chargea de remettre en place un col dérangé par l'animal (le plus petit des deux, puisqu'il faut préciser à présent). Il rajouta dans un autre murmure : « Prévenez-moi, la prochaine fois que vous jugerez bon de me venir me rendre visite. » Et il s'écarta enfin, sortant majestueusement son paquet de cigarettes de sa veste, et le gratifia d'un : « Passez une bonne nuit. » ignorant visiblement superbement que le soleil n'était pas si loin.
Enfin, l'ombre se redirigea vers le manoir, lente et calme, laissant parfois échapper une fumée sombre, et il était complexe de les différencier l'un de l'autre, ombre et fumée. |
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| | | | | (6 février 2003) like smoke darknin' the sky - bastus | |
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