Il y a de drôles de paradoxes chez les gens.
La vie personnelle de Kenna a toujours été un bazar total. Son appartement a toujours été un vrai capharnaüm, sa vie amoureuse une véritable telenovela, avec de nombreux acteurs et rebondissements. Elle a toujours été celle qui n’arrivait pas à savoir jusqu’où allait le concept de s’amuser, celle qui ne connaissait pas vraiment ses limites – qui se faisait même un plaisir de faire comme si elles n’existaient pas. Kenna a toujours été le petit lutin joyeux, mais maladroit et bordélique, qu’on aime et qui nous fatigue en même temps.
Dans sa vie professionnelle, en revanche, elle a toujours été l’une des personnes les plus organisées que la terre ait connu. Kenna, c’est la fille qui n’oublie jamais rien, qui semble avoir la liste des tâches à accomplir derrière les paupières, en gras et soulignée. Ceux qui la connaissent dans sa vie personnelle ont d’ailleurs toujours eu du mal à la visualiser en train de travailler, tant son occupation professionnelle semble être à mille lieues de ce qu’elle est quand elle ne l’exerce pas.
C’était quelque chose qui la rendait fière, ce paradoxe. Il n’y a rien que Kenna aime plus que surprendre, amuser. Elle se plaisait à être ce paradoxe. Ça lui donnait l’impression d’être un peu comme ces héroïnes dans les comics moldus qui vivent avec une double-identité. Ça faisait partie d’elle.
Parfois, elle se demande comment tout ça a pu changer. Elle sait qu’elle néglige beaucoup de choses, malgré elle. Elle sait qu’elle oublie un tiers de ses tâches, depuis quelques mois. Tous les matins, elle se réveille avec la peur que les Scamander lui demandent de partir parce qu’elle n’est plus celle qu’elle était avant. Tina la rassure souvent, pourtant. Mais Kenna sait bien, Kenna voit bien. L’ancienne auror est obligée de passer derrière elle, ou de se lever parce qu’elle a oublié quelque chose… Ce n’est pas ça qui fait une bonne gouvernante.
Oui, parfois, elle se demande comment les choses ont pu changer. Comment elle, qui s’était bâti une réputation, elle, qui était un espoir de génération, a pu devenir cette personne complètement à côté de la plaque, cette personne dont la vie professionnelle est aussi bordélique que sa vie personnelle.
« I’ll bring this to Newt, don’t worry darling, » La voix de Tina la fait presque sursauter. Elle ne l’a même pas entendue rentrer dans la pièce, trop concentrée sur le plateau qu’elle était en train de garnir. La vieille dame vient s’emparer du plateau et Kenna lui lance un petit air offusqué. Ce n’est qu’à ce moment-là que sa vision périphérique appréhende la présence de Murtagh. Tina file déjà dans les escaliers avant que la gouvernante puisse dire quoi que ce soit, et la laisse donc seul avec le maître des potions. Kenna n’est pas particulièrement ravie, mais il y a de l’eau chaude en trop, alors elle sert une tasse à Murtagh, parce que c’est aussi pour ça qu’elle est là, c’est pour ça qu’elle est payée. Déjà qu’elle n’est pas des plus performantes ces temps-cis, elle ne compte pas négliger les petites choses. « Hey Kenna ! » Elle lance un petit sourire concentré, pas particulièrement avenant, mais pas désagréable non plus. « Murtagh. » Il lui prend la théière des mains et elle hausse les sourcils, tentant de ne pas montrer son léger énervement. « Let me, » La jeune femme fait une petite moue, mais laisse l’homme faire.
« Come on, sit down, take a break for a bit, you look tired, » Kenna considère le fait de rester debout rien que pour lui montrer qu’il a tort, mais ce serait idiot, parce qu’elle n’a pas dormi de la nuit et qu’elle se sent si faible depuis un heure qu’elle a l’impression que son corps va la lâcher. Pourtant, alors même qu’elle prend place à la table de la cuisine, elle fait, un poil sur la défensive : « I’m not tired. » Elle attire la tasse un peu plus près d’elle et laisse les arômes du thé venir chatouiller ses narines. « Just those fuckin’ headaches. » fait-elle en soupirant légèrement, une main sur son front. « Sometimes I wonder if you’re really good at your job. » annonce-t-elle sans détours. « Because from my point of view, what you’ve been giving me has only made it worse. » Elle plisse les yeux, un brin de malice dans le regard, malgré la fatigue, malgré le fait qu’elle ne soit pas très fan de l’homme, ces derniers temps. « Maybe you’re trying to get rid of me to make sure Newt won’t give me a part of your heritage. » Petit sourire en coin. Kenna porte la tasse à ses lèvres.