‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
I saw you again, it felt like we had never met. It's like the sun set in your eyes and never wanted to rise.
automne 1997
Son bain avait refroidi. Il avait appuyé sa tête contre le rebord de la baignoire, les yeux rivés sur un plafond blanc, lézardé de très légères fissures par endroit. L’eau, chaude ou fraîche, ne l’avait pas encore dégrisé de ses excès de la veille. Une vaine tentative pour oublier ce qui l’attendait ce soir. Et son échec cuisant se lisait sur son visage tiré par la fatigue, alors qu’il se concentrait sur les gouttes d’eau qui perlaient du robinet et s’écrasaient entre ses pieds. Le calme avant la tempête ; à moins que celle-ci n’ait déjà eu lieu, quand sa mère l’avait forcé à se réveiller aux alentours de quinze heures, pestant contre son comportement et fronçant le nez face aux relents alcoolisés qu’il dégageait. Il se laissa glisser jusqu’à ce son nez frôle la surface de l’eau et se demanda si tout ceci avait du sens, ou un véritable but. Si ce qu’il soutenait, ses valeurs, ses idéaux, n’était bien que pour les autres ; s’il était au-dessus des traditions. Depuis quelques temps déjà, Simon était fiancé. Rien d’officiel (du moins, jusqu’à ce soir), mais la rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre, et chacun attendait désormais la confirmation de cette union qui promettait un somptueux mariage. Il jouait la carte de l’indifférence pour ne pas déroger à ses habitudes et haussait les épaules si quelqu’un avait le malheur d’évoquer la nouvelle devant lui. L’aînée des Greengrass lui avait été promise. La jolie Daphné. La trop jeune Daphné.
« C’est une enfant, » avait-il sifflé entre ses dents serrées, contenant maladroitement la frustration qui menaçait d’exploser à tout instant dans deux poings fermés, enfoncés dans ses poches. L’annonce de ses fiançailles éminentes lui avait laissé un goût saumâtre sur la langue, alors qu’en y songeant, ce n’était qu’une cérémonie, une alliance ; sa vie n’en serait pas si drastiquement changée, si ce n’est qu’en rentrant chez lui, souvent aux premières lueurs de l’aube, il ne trouverait plus le réconfort du silence mais la docile présence de l’étrangère portant pourtant son nom. Partageant ses draps et ses nuits, ses jours et ses repas. Et il poserait sur elle des regards frôlant l’indifférence – il n’avait pas besoin du Troisième Œil pour prévenir l’échec de ce mariage, parce que l’évocation seule de ce prénom, Daphné, le vague souvenir de son visage poupin, de sa crinière enflammée, le laissaient de marbre. Son existence, aussi dépourvue de sens qu’elle semblait l’être, n’était pas censée tourner autour d’un foyer ; il n’était pas destiné à ce schéma-là, à cette reproduction sociale l’amputant de cette liberté chérie. « Elle est majeure, » s’était contenté de rétorquer son paternel en le toisant sévèrement, comme si cette réponse suffirait à calmer l’ire latente de l’insolent cadet. Ce dernier, armé de tout son orgueil, s’était retiré sans mot dire, claquant la porte sur sa rage muette. Il fulminait, alors qu’un autre se serait réjoui d’une telle union, trop heureux d’exhiber une beauté angélique à son bras – mais lui, loin d’être capricieux, craignait l’anneau doré qui lui scierait bientôt l’annulaire, l’attachement forcé à… celle qui porterait ses héritiers. Son frère à peine engagé, le voilà qui s’apprêtait à rejoindre les rangs dont il s’était tant moqué. Il soupçonnait son père d’avoir orchestré cette union afin se rapprocher des Greengrass, pour qui il ne tarissait pas d’hypocrites éloges, car, à dire vrai, son célibat ne l’avait jamais affecté outre-mesure. Il comptait sur son frère pour assurer la pérennité de leur branche mais… mais les règles avaient manifestement changé, s’intima Simon, comme une brutale et inévitable évidence. Son père l’avait informé d’une rencontre « officielle » entre les deux futures belle-familles, et les préparatifs n’avalent pas traîné, suivis de près par l’enthousiasme débordant de sa mère. Il avait l’impression d’être un enfant balloté de droite à gauche, babillant ses protestations à qui voulait les entendre. Réfugié dans la quiétude de la bibliothèque, il était parvenu à arracher le contrat pré-nuptial des mains parentales pour jeter un œil sur les clauses. Et ça le rendait fou. La moindre de ses lignes rompait une connexion synaptique.
Il ouvrit les yeux, à moitié noyé. Et combien de jours s’étaient écoulés depuis ? Simon posa un pied dégoulinant d’eau sur le tapis et attrapa sa baguette, négligemment abandonnée sur une tablette, afin de se sécher rapidement. Il ne comptait pas sortir le grand jeu. Un ersatz de costume suffirait à feindre l’élégance, et c’est à peine s’il boutonna sa chemise noire. Soudain, il n’aurait pas craché sur les railleries de son frère, dont l’absence commençait à peser dans ce climat saturé d’excitation. Il se souvint qu’on lui avait livré un tableau, dans la matinée, une œuvre d’art qu’il avait marchandée au prix fort tant il la désirait, et les elfes l’avaient entreposée dans la bibliothèque en attendant qu’il décide de l’accrocher quelque part. Une excuse de plus pour éviter de se joindre gauchement aux festivités… Présentable, il osa sortir de sa chambre. Sa main glissait lentement sur la rampe des escaliers, tandis qu’il surveillait du coin de l’œil l’ombre de sa mère, qui bientôt disparut, lui libérant la voie. Et personne ne le vit se faufiler dans la fameuse bibliothèque, à son plus grand soulagement. Leurs elfes de maison s’activaient, dans les cuisines ou dans le vestibule, guettant l’arrivée de leurs invités, ses parents trépignaient d’impatience, et lui s’était perdu dans la contemplation de ce tableau. Affalé dans un fauteuil en cuir craquelé par endroit, Simon couvait d’un regard hypnotisé les détails de maître, les subtiles touches de peinture magique, se nourrissant de la beauté dans la plus pure de ses formes pour apaiser la tension qui nouait ses muscles. Face à lui, enfermée dans sa prison de couleurs, la naïade, drappée d’une robe de mousseline blanche, s’était cachée derrière le tronc d’un chêne vieillissant, palpant son écorce de ses mains graciles et glissant parfois des regards timides en sa direction. Il aimait cette toile. Un craquement familier le sortit de sa transe dans un léger sursaut, effrayant au passage la créature aquarellique qui se jeta dans la rivière. « Vos invités sont arrivés monsieur, et monsieur votre père m’envoie vous chercher, » s’exclama l’elfe de maison de sa petite voix chantante, grossièrement accoutrée d’une robe à poids pour l’occasion. Il décolla à peine son menton de sa paume, émergent difficilement de ses fantasmes oniriques. « Tu aimes ce tableau ? » Peony se retourna et pencha sa lourde tête sur le coté, avant de hausser ses épaules décharnées. « C’est une très belle peinture, monsieur. » Elle aurait dit la même chose d’une croûte, et sa réponse ne lui importait pas tant que cela, il cherchait simplement un moyen de retarder le face-à-face tant redouté avec sa jolie fiancée. Pouvait-il la nommer ainsi, désormais ? Fiancée ? Dans d’autres circonstances, l’ombre d’un sourire aurait balayé son visage, mais à cet instant, il se mordilla la lèvre, triturant du pouce la chevalière qui ornait son auriculaire. Ok. Ok, qu’il souffle dans un murmure à peine audible. Il n’avait que trop tergiverser. Devant la double-porte de la salle de séjour, contre laquelle se heurtait la rumeur lointaine d’une conversation, il ajusta le poignet de sa chemise, s’octroyant quelques secondes encore, et poussa les battants à la volée, le visage barré d’un faible sourire suffisant. « Pardonnez mon retard, » lança l’insolent à la petite assemblée, réunie autour d’amuse-gueules. Son père ne le priva pas d’une œillade assassine. Il balança les politesses d’usage, mais contrairement à l’auteur de ses jours, il ne sombrait dans un panégyrique indigeste. Et gardant le meilleur pour la fin, il saisit la main de Daphné, ignorée jusqu’alors, pour la gratifier d’un sincère sourire, peut-être même désolé, et la lâcha aussitôt. « Ce n’est très poli de faire attendre une jeune femme, veuillez m’excuser. » Ce n’était plus une petite fille. Mais il aurait eu beau en faire sa mantra, le passé tenait tête au présent, et ses souvenirs avec. Les parents causaient affaires entre eux, et il se serait volontiers joint à la conversation s’il n’avait pas l’impression d’être une vulgaire marionnette. Du coin de l’œil, il observait Daphné, et ses joues opalines, et cet air poupon, puis reporta son attention sur les apparents maîtres de leur destinée. Déprimant. Absolument déprimant. Lui, qui d’ordinaire se mêlait de tout concernant les discussions familiales, se retrouvait relégué au rang le plus méprisable qui soit : l’enfant. Son âge, sa maturité, sa profession, plus rien n’importait. Quant à elle… quant à elle. Il avait besoin de bouger. Vite. Loin. Il présenta son bras à Daphné. « Nous allons faire un tour, si cela ne vous dérange pas. Vous parlerez plus librement. » Le sarcasme passa mieux qu’un hibou à travers une fenêtre. La propriété des Rosier était suffisamment vaste pour les tenir éloignés aussi longtemps que possible de ce salon. Simon ferma la double-porte derrière eux, et s’y adossa un moment. « C’est… embarrassant. J’espère que cette annonce ne vous a bouleversée, je suis même prêt à revoir l’accord s’il le faut. » Mais pas au nom du libre-arbitre. La gentillesse ne lui seyait pas tellement. « Vous avez sans doute d’autres priorités qu’un mariage, en ce moment, » ajouta-t-il en esquissant un sourire. Il aurait pu lui faire comprendre que leur union était vouée à l’échec, mais la curiosité semblait plus forte qu’un mépris inexistant. Après tout, elle ne méritait pas son courroux. Pas pour l’instant. Se souvenait-il seulement de sa promesse d’adolescent, se souvenait-il lui avoir glissé dans l’oreille qu’un jour, si elle voulait, elle deviendrait sa femme ? Quand tu seras plus grande, c’était ça la chanson. Quand tu seras plus grande. Et elle l’était, plus grande, et lui, il ne voulait plus d’elle.
I saw you again, it felt like we had never met. It's like the sun set in your eyes and never wanted to rise And what have you done with the one I love ? When I look into your eyes, I see no surprise. I always thought it was sad The way we act like strangers After all that we had, We act like we had never met. We make believe, I've never seen your face, you neither mine And catch my eye, don't register a smile. You were more than just a friend, oh but the feeling It never came to an end, I can't bear to see you. ~ sunset.
Les étoffes qu'elle portait dégringolaient en cascade le long de ses jambes. Sa mère avait fait tellement d'efforts pour lui offrir une tenue digne de ce nom, l'éloignant des remarques acides de son époux et des jérémiades de sa fille cadette. Son regard vert était accroché au reflet que lui rejetait le miroir devant lequel elle était dressée ; ses doigts tremblants parcouraient ce tissu qui l'enveloppait, ses phalanges se crispant douloureusement autour de toute cette dentelle, toute cette mousseline. Saucissonnée à l'extrême au sein de cet accoutrement, Daphné crispa davantage ses phalanges autour de sa taille. Elle aurait voulu se débarrasser de ce textile frais et confortable, afin de retrouver des vêtements plus appropriés à son malaise. Contrairement à Draco, à qui elle avait été brièvement fiancée et dont la vie était dorénavant confiée entre les mains d'Astoria, Simon Rosier lui inspirait une certaine sympathie. Certes, la différence d'âge était importante – presque désolante à ses yeux – mais les sentiments qui faisaient palpiter son cœur différaient de tout ce qu'elle avait pu connaître. Oh, ce n'était pas de l'amour, mais plus de l'affection relatif à ses souvenirs enfantins. De douces réminiscences sur lesquelles elle s'attardait. Après tout, n'était-elle pas supposée l'épouser ? N'importe quel stratagème ne suffirait certainement pas à y échapper. Porter les héritiers de la famille Rosier ne l'intéressait guère – cette idée la faisait même frissonner. En guise de réconfort, sa sœur s'était rapprochée d'elle et avait passé un bras autour de ses épaules. Il est beau, avait-elle finalement soufflé, sûrement consciente qu'un tel commentaire mettrait son aînée dans une colère noire. Daphné avait seulement haussé les épaules, trop atterrée par la nouvelle pour rétorquer. Astoria avait resserré son étreinte avant de disparaître, entraînée par l'euphorie de sa mère – tout doit être parfait !, n'avait-elle de cesse de s'exclamer. Les mâchoires serrées, Daphné se redressa et se rapprocha du miroir, rectifiant le rouge qui lui badigeonnait les lèvres de son index recourbé. Encore une fois, elle devrait forcer ses sourires afin d'échapper aux réprimandes de son paternel – il savait ce qu'elle pensait de ces foutus mariages arrangés mais il n'en avait visiblement cure, se complaisant dans le fait de refourguer ses filles aux premiers célibataires venus. Si Daphné se plaisait à tenir tête à son père à l'abri des regards, elle craignait de se permettre ce délice face à des yeux inconnus, avides.
Un grondement sourd la fit se raidir. S'examinant une dernière fois, elle dévala les escaliers et se rendit auprès de ses parents. La demeure des Rosier lui rappelait la sienne – tout était bien trop grand. Ses doigts frôlèrent ceux d'Astoria. Cette dernière lui octroya une étreinte discrète, presque secrète. Leurs phalanges se délièrent enfin lorsque les salutations furent entamées – on s'extasia sur cette union à venir et, fort heureusement, Daphné n'eut pas à ouvrir la bouche. Ses fossettes étaient creusées, la commissure de ses lèvres étirée en un sourire – ses zygomatiques commençaient à la faire souffrir tant elle essayait de le forcer. C'était bien là tout ce qu'on attendait d'elle. Seule alliée dans cette situation exécrable, sa cadette n'hésitait pas à lui jeter des œillades rassurantes – mais cette demeure, austère et fraîche, ne parvenait qu'à attiser sa frayeur. Le cœur battant, Daphné attendait (peut-être même impatiemment ?) l'arrivée du principal intéressé – celui à qui son père ne tarderait pas à l'offrir. De nouveau. La gorge nouée, elle était incapable d'avaler la moindre bouchée de ce qu'on pouvait lui présenter, refusant tout d'un simple mouvement de tête. Les battants de la porte grincèrent alors, laissant passer celui dont la présence s'était faite attendre. Il est beau. Les paroles candides de sa cadette lui revinrent en tête et, effectivement, Daphné pouvait aisément lui donner raison. Mais rien, absolument rien de plus, ne traversa son esprit. Il était beau mais, à ses yeux, cela ne se résumait sûrement qu'à cela – elle avait envie d'abandonner ces tendres moments où, lorsqu'elle était enfant, il lui avait promis monts et merveilles. Un mariage. Une union indéfectible dont Daphné rêvait – elle se souvenait s'être jetée sur son lit, heureuse d'avoir un prétendant qui, malgré son âge avancé, voulait bien d'elle et de ses piaillements enfantins. Il avait eu le privilège d'occuper ses pensées plusieurs jours durant avant de disparaître face à ce monde que Daphné mourrait d'envie de découvrir ; ce béguin avait disparu, s'évaporant dans les airs, ne laissant aucune braise sous la cendre entre chaude. Enfant, elle avait rêvé de lui mais à présent, alors qu'il paraissait magnifiquement plus attrayant que dans ses songes, jamais il n'avait paru aussi repoussant. Sous la table, elle cherchait désespérément les doigts d'Astoria mais, peine perdue, elle lia ses mains l'une à l'autre, forçant comme jamais cette étreinte personnelle. Cela ne tarderait pas à se concrétiser – ces fiançailles n'étaient pas le fruit de son imagination et, cette fois-ci, rien ne lui permettrait d'y échapper.
Simon lui saisit finalement la main, exerçant un bref contact sur sa paume, lui demandant de l'excuser pour son retard. Obnubilée par le regard que son père lui adressait, où elle pouvait lire facilement tout ce qu'il lui préparait si jamais elle le décevait, Daphné ne souffla mot, se contentant de hocher la tête. Briser une nouvelle fois ses fiançailles la faisait tendre vers un idéal plutôt agréable à envisager – mais rien ne serait susceptible de calmer son paternel si son union avec Rosier venait à s'annuler. Daphné avait peur. Non, elle était terrifiée. Elle ressentait son cœur battre férocement contre sa poitrine tandis qu'elle jouait allégrement de ses charmes encore menus pour plaire à son entourage. Un effort de style qui plairait certainement à son géniteur.
Mais lorsque Rosier lui offrit son bras, l'invitant implicitement à fuir cette atmosphère oppressante, Daphné ne tarda pas à accepter une telle proposition. Accrochée à lui, elle lui emboîta le pas mais lâcha sa prise dès qu'ils furent sortis du salon. En un sens, si elle était ravie d'avoir échappé aux sempiternelles discussions qui régnaient dans la pièce qu'ils venaient de quitter, Daphné n'ignorait pas qu'elle devait maintenant empoigner cette conversation qui n'avait que trop attendu. Il s'adossa contre la double-porte, lui fit part de son embarras face à une telle situation. La jeune fille, encore impressionnée par cette intimité soudaine – et par les nombreuses menaces que son père ne tarderait pas à lui siffler, s'inclina un peu. Plus par habitude que par réelle envie de se soumettre. « Je suis loin d'être bouleversée. » lui avoua-t-elle finalement de sa voix la plus aimable. Il lui en fallait infiniment plus pour la mettre à terre – et, inlassablement, les paroles d'Astoria lui revenaient en tête. Il est beau. Forte de cette idée, Daphné se redressa, croisant machinalement ses bras sur sa poitrine. « Mes priorités s'arrêtent à Poudlard pour le moment. » ajouta-t-elle avant de déglutir « Je suppose que cette, enfin, notre union ne sera célébrée qu'après la fin de mes études. » Ces mots écorchaient sa bouche. Elle ne pouvait décemment pas imaginer un mariage – par pour le moment – même avec cet homme qu'elle n'avait pas oublié. Il était charmant mais Daphné n'était pas dupe ; elle savait que la gentillesse et la tendresse étaient feintes lorsque les fiançailles étaient proclamées. On remarquait souvent le véritable comportement des gens une fois que les alliances étaient enfilées et brandies comme des armes mortelles. « J'espère que ce mariage vous enchante autant que moi, » un sourire hypocrite étira ses lèvres carmin « je serais tellement déçue de ne pas correspondre à vos attentes. » Son sourire se fit plus large, priant presque pour que cela soit le cas. Peu importait ce qu'il pouvait lui dire – qu'elle n'était pas assez mince, qu'elle n'était pas blonde ou qu'elle se fichait visiblement des convenances comme d'une guigne. Tout, n'importe quoi.
‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
Elle était jeune, et il avait vécu – et il vivrait, pendant qu’elle se fanerait à ses cotés, ou plutôt derrière lui, indifférent à son sort et à la détresse qui la guettait. À la contempler ainsi, attifée d’une robe qui n’avantageait ni ses formes ni sa beauté singulière, il se demanda si ce grotesque arrangement n’était pas plutôt une mascarade ou si son regard bleu clair, douloureusement apathique, transperçait bel et bien son avenir, emprisonné dans une trop innocente enveloppe charnelle. Voilà comment il la regardait à cet instant, comme tous ces tableaux qu’il achetait, comme toutes ces babioles qu’il considérait belles, même dans leur laideur, comme un ultime trophée à ajouter à sa collection. Comme une marchandise, à défaut de se considérer comme tel. Il avait le beau rôle après tout, en dépit d’un accord qui avait été décidé dans son dos ; le fiancé n’avait jamais à se plaindre de ce qu’on lui offrait, il avait même la liberté de rejeter l’heureuse élue si elle ne satisfaisait pas ses attentes. Encore aurait-il fallu en avoir, s’intima-t-il en détournant enfin ses prunelles de la jeune fille. S’il ne s’était pas tant reposé sur son célibat, il aurait peut-être eu le temps de réfléchir à son éventuelle épouse… pas à une enfant. Elle est majeure. Cette parole tournoyait dans sa tête comme une marotte dont il avait du mal à accepter l’évidence. L’usure du temps vitriolerait son visage avant même qu’elle ne remarque ses premières ridules. Il la détruirait. Inconsciemment, imperceptiblement. Parce qu’elle n’était qu’une poupée de chiffon entre ses mains, une malheureuse victime que pourtant, il couvrait d’un regard se voulant bienveillant. Peut-être pour acheter sa crédulité, lui signifier qu’elle pouvait croire en sa bonne foi, tu aurais pu tomber plus bas, qu’il se dit, tellement plus bas. Et le palpitant n’était même pas capable de battre un tant soit peu plus fort, car sa curiosité faiblarde avait cédé le pas à la plus infâme des frustrations. Devant lui, son nouveau jouet lui paraissait finalement bien fade. Son corps s’était raidi, contre cette double-porte, et ses mains, dissimulées derrière son dos, s’étaient crispées sur les poignées qu’il n’avait pas encore lâchées. Sa langue, faute de former quelques mots intéressants, caressait nerveusement ses molaires, tandis qu’il l’écoutait débiter ce qu’on attendait qu’elle lui dise dans une intimité factice. Docile petite fille. Évidemment, elle étudiait encore, alors qu’il avait amassé suffisamment d’argent pour la génération à venir, et évidemment, elle était inquiète à l’idée de le décevoir – elles se sous-estimaient toutes, c’était leur carte à jouer, en attendant qu’une étincelle de gentillesse mette en valeur les qualités qu’on leur défendait d’embrasser ouvertement. « Enchanter… ses lèvres se tordirent en une espèce de grimace gênée, enchanter n’est pas le mot que j’emploierais. » Affligé. Il était affligé. Qu’on lui refile cette gamine. Qu’on estime qu’il accepterait sans broncher, comme le chien obéissant qu’il était. Mais malgré toute sa réticence, il ne pouvait s’empêcher de réfléchir aux intérêts que le mariage apporterait avec lui, à ce qu’une alliance pareille lui octroierait. Intimement persuadé qu’il valait mieux qu’une tradition chancelante, Simon se surprenait à courber adroitement l’échine par commodité. En cela, il partageait les valeurs corrompues de son paternel. « La nouvelle m’a pris de court, » embraya-t-il en décollant enfin son dos de l’inconfortable surface de bois. Ses doigts remuèrent doucement, endoloris par la pression qu’ils avaient exercé sur les malheureuses poignées, et se glissèrent aussitôt dans ses poches. Vieille habitude. La gêne passée, redevenu maître de son corps, il se réappropria son insolente désinvolture, cette dégaine arrogante, ce pas traînant, comme si l’ennui était accroché à ses semelles. « Honnêtement, qui pourrait être enchanté par une union dont il n’est pas l’instigateur ? Cependant, il ne croyait pas en la sincérité des sentiments non plus ; à dire vrai, il ne croyait pas en grand-chose. Et loin de s’ériger en misérable défenseur du libre-arbitre, ses paroles n’étaient que l’écho d’un vide qui, quelque part, trouveraient un auditoire. Nous savons comment ça fonctionne. Et nous connaissons nos rôles. » Il s’était rapproché d’elle, brandissant sa confiance dans une volubilité inhabituelle. En même temps, il n’avait pas fui le climat oppressant du salon pour se murer dans le silence, bien que la tentation de vaquer à ses occupations le démangeait furieusement. Aucun voyage de dernière minute ne l’avait retenu, aucun rendez-vous urgent ne l’attendait ; rien pour le distraire de cet entretien qui avait l’effet d’un étau autour de son estomac. Il n’était pas habitué à cet exercice. Il ne courtisait pas, pas plus qu’il ne séduisait. Ses attentes, auxquelles elle craignait ne pas correspondre (vraiment ? s’empêcha-t-il de répliquer), n’étaient que de vagues standards sans limite définie. Il les aimait vulgaires et stupides, raffinées et drôles, pures et impures, là n’était pas la question. Il était trop obnubilé par ses activités professionnelles pour gaspiller son énergie dans une relation monogame encouragée par ses parents, pour retenir ne serait-ce qu’un prénom, un visage, une lippe mordillée dans un bruissement de draps. « Je n’aimerais pas que vous soyez déçue pour moi, » souffla-t-il, alors qu’un demi-sourire insignifiant s’esquissait péniblement sur ses lèvres. Il y avait quelque part un désir indicible de considérer une certaine égalité entre eux, ou de la façonner autrement, de piétiner son image pour en reconstruire une autre qui lui plairait davantage. En son for intérieur, il ne répudiait pas complètement cette envie presque perfide de l’avoir à sa merci. Simon semblait avoir renoué avec le passé sans abolir la barrière de futiles politesses, se rappelant enfin, ou pensant se rappeler, le visage poupin de cette fillette qui n’osait soutenir son regard, si jamais ses iris pâles se posaient sur elle. Et la proximité, aussi éphémère fut-elle, lui parut interminable, insupportable. Rosier s’écarta alors et, d’un geste nonchalant, désigna l’un des corridors adjacent. « Nous serons plus tranquilles dans la bibliothèque. » Le ton perdit en suavité. Ils ne s’éterniseraient pas dans l’entrée – qu’il avait toujours considérée lugubre, à l’instar de la propriété, trop baroque à son goût. Trop vaste aussi, tandis qu’il dépassait les tableaux, les tapisseries, des morceaux flétris d’histoire, ne se préoccupant déjà plus de Daphné. « C’est probablement l’une des seules pièces qui vaille le détour, » et sur ces mots, il poussa une lourde porte en bois massif pour révéler les rayonnages qu’il affectionnait tant. « Whisky ? » Simon avait contourné un canapé en cuir usé pour atteindre le service d’alcools qu’il avait lui-même imposé, et prépara deux verres. Il buvait trop, disait-on. Pas assez, répliquait-il avec dédain. Oh, jolie Daphné. À quel sombre individu t’a-t-on enchaînée. « Votre père, et le mien, me semblaient pressés de célébrer l’union aussi vite que possible, mais je préfère aussi que vous terminiez Poudlard. » Il remua légèrement son verre old-fashioned, ses billes bleu rivées sur le liquide ambré qui n’attendait qu’à réchauffer sa gorge devenue sèche. « D’ailleurs, il s’installa sur l’un des sofas, le bras reposant négligemment sur le dossier, comment ça se passe au château ? » Que j’ai quitté il y a une décennie de cela. Elle est majeure. Il frôlait la trentaine. Cette vérité le happa violemment. La gamine de son adolescence. Elle est majeure. Rosier vida son verre d’un trait, sans savourer l’ancienneté de l’alcool, afin d’engourdir l’un de ses hémisphères. Il avait entendu dire que la discipline régnait enfin depuis la mort de ce vieil idéaliste de Dumbledore, mais la question n’avait pas été posée par curiosité – il meublait. Il meublait, avec sa conversation franchement ennuyeuse et son regard lointain, vagabondant d’une étagère à une autre, avant de se reporter, de temps à autre, sur Daphné.
I saw you again, it felt like we had never met. It's like the sun set in your eyes and never wanted to rise And what have you done with the one I love ? When I look into your eyes, I see no surprise. I always thought it was sad The way we act like strangers After all that we had, We act like we had never met. We make believe, I've never seen your face, you neither mine And catch my eye, don't register a smile. You were more than just a friend, oh but the feeling It never came to an end, I can't bear to see you. ~ sunset.
D'elle, Simon n'en avait cure. La perspective de s'unir avec un homme qui ne prendrait jamais la peine de la considérer – alors que, inconsciemment, elle aurait sûrement préféré le contraire – ne l'avait jamais effleurée. Tout s'était arrêté le jour où les fiançailles qui la liaient à Malfoy avaient pris fin. Ses doutes, ses craintes, cette frayeur naissante dans ses entrailles. Envolés comme si ces sentiments houleux n'avaient jamais existé, comme s'ils n'avaient été que le fruit de son imagination fertile. Et si, dès le départ, Daphné avait pressenti qu'elle n'épouserait jamais Draco, elle ne pouvait pas en dire autant à propos de Rosier. Tout semblait bien trop réel, et sa peur en était décuplée. Des questions, pour la plupart déconcertantes, l'assaillirent alors. Elle n'avait pas la moindre envie de se faire engrosser dès qu'elle poserait un pied en dehors de l'enceinte du château – et seule l'idée que cela écœurerait peut-être autant Simon la rassurait, dans le sens où l'acte serait subi des deux côtés. Et si, et si, et si, - et s'il battait leurs enfants, serait-elle capable de l'en empêcher ? Et s'il lui ordonnait de ne plus sortir, lui obéirait-elle ? Et s'il lui empoignait les cheveux, et s'il heurtait l'une de ses joues de son poing, et s'il décidait de faire usage d'elle comme bon lui semblait – ce n'était finalement qu'un échange de bons procédés. Une interrogation perpétuelle dans laquelle Daphné se perdait. Plus les secondes s'égrenaient, plus l'adolescente perdait pied, se noyant dans ces flots continus de frayeurs nocturnes qu'elle peinait à refouler. Les bras croisés contre sa poitrine n'étaient qu'une barrière physique face à cet homme qui lui faisait face ; Simon ne l'avait jamais effleurée mais il faisait bouillonner en elle des pensées incongrues, des questions sottes, des inquiétudes dont elle n'avait jamais voulu se soucier. Et alors qu'il lui faisait clairement comprendre que son enchantement était certainement inexistant, Daphné arqua imperceptiblement un sourcil, sa langue claquant avec véhémence sur son palais. Il avait visiblement oublié de faire preuve d'amabilité. En un sens, elle pouvait le comprendre : aurait-elle choisi un sorcier de dix ans son aîné si on lui avait donné le choix ? L'expérience, n'avait-on de cesse de lui répéter, l'expérience. Comme s'il s'agissait d'une gloire dont tous les hommes adultes pouvaient se targuer.
Courber l'échine face aux exigences familiales n'était pas dans ses habitudes – mais ne pas obéir lui coûterait sûrement plus qu'une simple réprimande. Elle y réfléchissait depuis quelques heures mais aucune échappatoire ne s'était encore présentée. Adroitement, elle aurait voulu se tirer de l'embarras mais sa gorge serrée ne laissait échapper que les banalités d'usage. Elle aurait pu hurler, pleurer, s'arracher les cheveux, maudire cet homme qui lui faisait face. Droite, sage, blessée dans son amour-propre. Soumise, presque. Daphné peinait à le croire mais Simon Rosier l'avait visiblement oubliée. Son visage de poupon était bouclé dans un placard froid et humide dans lequel subsistaient quelques tendres réminiscences. En revanche, son honnêteté la laissait perplexe. Lui plaisait. Il lui démontrait que cette pièce de théâtre dans laquelle ils jouaient n'était rien de plus qu'un conditionnement qu'on les forçait à adopter. Il était réaliste et sans doute trop vieux pour se préoccuper de l'affection que sa fiancée pouvait lui porter. Simon se rapprocha d'elle et, s'il ne ressentit rien à cet instant, une frisson glacé vrilla la colonne vertébrale de Daphné. Elle n'était pas habituée à une telle proximité. Rosier avait toujours l'air distant et ce, même en s'octroyant un rapprochement discret – cela aurait pu la faire sourire, si seulement elle n'avait pas été tétanisée. « Je ne suis pas déçue. » parvint-elle alors à articuler avant de vriller son regard vert dans celui, infiniment clair, de son vis-à-vis. Cela aurait pu être pire, avait-elle été tentée de rajouter mais plus aucun son ne passa le barrage de ses lèvres closes. Semblable à une poupée de chiffon, elle lui emboîta mollement le pas lorsqu'il la guida jusqu'à la bibliothèque. Les rayonnages étaient immenses et semblaient la toiser, la renvoyant à son pâle statut d'enfant. Vaguement impressionnée, Daphné se rapprocha timidement d'une étagère, caressant doucement la couverture reliée d'un ouvrage ancien. Cette impression de solitude allait en s'empirant. Ses paupières se fermèrent le temps d'une seconde ou deux, sa lèvre supérieure frémit.
Se détournant de l'objet de son attention, Daphné repéra un verre de whisky qui lui était destiné. Déglutissant difficilement, car consciente qu'elle n'appréciait guère ce breuvage, l'adolescente se rapprocha. Elle saisit le récipient transparent de ses doigts tremblants, enroulant ses phalanges blanchies autour de sa prise. Elle toisa un instant le liquide ambré qu'elle répugnait à avaler avant de hocher la tête en direction de Simon, le remerciant d'un geste pour cette offre charitable. Les lèvres pincées, alors que son interlocuteur prenait ses aises, Daphné lui tourna le dos, feignant de s'intéresser aux livres qui lui étaient présentés. Si ses yeux observaient avec attention les reliures dorées et le bois épais, elle n'en restait pas moins attentive aux dires de Rosier. Il possédait suffisamment de jugeote pour ne pas l'effrayer, lui assurant qu'il préférait voir leur union célébrée à sa sortie de Poudlard. Son cœur rata un battement. Ses yeux se voilèrent des larmes trop longtemps refoulées. Ses mâchoires se crispèrent. Elle porta son verre à ses lèvres, contre lequel ses dents claquèrent, et but une gorgée de cette boisson infecte. Trop réel. Cette fois-ci, son père avait abattu les bonnes cartes. La peur n'était en rien enivrante et cette fine pellicule d'excitation qui pouvait parfois se lire dans ses prunelles n'était que l'effet dévastateur de sa propre bêtise. Assurer une descendance – n'était-ce pas tout ce qu'on leur demandait ? La joie, l'affection – tout cela était bien futile face à cette simple exigence qui les faisait passer pour des animaux. Ils se marieraient, oui. Ils s'aimeraient la première nuit de leur union, sans doute. Mais qu'en était-il de la suite ? Une vague d’écœurement – qui n'était pas seulement due à l'alcool – la traversa. Elle essayait de fuir la vérité mais elle la rattrapait constamment, glissant ses doigts osseux autour de ses chevilles, retenant sa course de la manière la plus radicale possible. Serait-il capable de l'aimer ? Et elle, allait-elle être assez obéissante pour courber l'échine ? Daphné se mordit la lèvre à partir du moment où elle sentit que son souffle s'était considérablement accéléré, rendant complexe l'action de s'exprimer.
Le regard rivé vers les ouvrages, le dos ostensiblement tourné à l'objet de sa supposée convoitise, la commissure de ses lèvres s'étira en un fin sourire. Une dualité assez extraordinaire résidait dans les larmes qui perlaient au coin de ses yeux et cet étirement tremblant que subissait sa bouche. « Qu'est-ce que vous voulez savoir ? » demanda-t-elle alors. Longeant les étagères, ses talons claquaient sur le sol, la pulpe de ses doigts frôlant les couverture qui s'offraient à elle. « Je ne suis pas certaine que mes périlleuses aventures à Poudlard puissent vous intéresser mais soit, » elle ne se tourna pas, restant étrangement immobile, toutes ses phalanges entourant dorénavant son verre « rassurez-vous, tout se passe bien. » Etait-il possible de fournir une réponse aussi peu précise ? Ainsi, elle se débarrassait de ce sujet sur lequel elle n'avait pas envie de s'étendre. Pourtant, ce semblant de curiosité qu'il avait pris la peine d'émettre lui donnait enfin l'impression d'être appréciée – et, par simple esprit de contradiction, elle piétinait son envie sûrement fugace d'en savoir davantage. Elle se tourna finalement vers lui, larmes ravalées et le sourire plus tendre qu'à l'accoutumée. « Navrée d'être aussi peu loquace. L'excitation du moment, je suppose. » elle pencha légèrement sa tête sur le côté, toisant son vis-à-vis de ses paupières plissées « Pourquoi n'êtes-vous pas encore marié ? » la question était brutale, intervenant dans cette pièce comme un cheveu dans la soupe « Sans vouloir vous offenser. » rajouta-t-elle de son ton le plus mielleux, le plus sucré. Sans doute le plus candide – une expression qui allait à merveille avec ses boucles rousses, son sourire faussement angélique et ses joues rebondies. Ondulant les hanches, Daphné quitta son repaire et s'installa sur le bord du canapé, à une distance raisonnable de cet homme qu'elle ne quittait pas des yeux. Il la fascinait – l'adolescent qui lui avait promis une danse, un mariage, avait bien grandi. Et le passé était confronté au présent en une danse éreintante.
‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
( présent, 2001 )
Le regard était vitreux. Entre ses mains s’était échouée la boîte pourpre qu’il gardait précieusement sous enchantement, défiant quiconque de lui dérober la babiole. La babiole. Un soupir las manqua de s’échapper de ses lèvres, tandis que du pouce, il ouvrait et refermait l’écrin. Une bague se révéla, et le saphir dont elle était sertie était d’une taille presque indécente ; mais après tout, ce n’était qu’un témoignage parmi tant d’autres de l’étendue de son héritage. Le cadeau d’une grand-mère pour sa future épouse, ou une manière comme une autre d’entretenir quelque vieille tradition. C’était stupide, de s’accrocher au goût âpre de la trahison. Stupide, surtout pour lui. Réflexion faite, elle l’avait sauvé de la plus misérable mise en scène qui soit ; elle leur avait fait un cadeau en disparaissant, et la honte qu’elle avait jeté sur les siens avait à peine ricoché sur lui. La boîte se referma de nouveau, pour la sixième ou septième fois, marquant paresseusement les minutes qui s’égrenaient depuis que son esprit vagabondait ici et là. Le frémissement d’un rictus agita nerveusement la commissure de ses lèvres.
*
Pour le moment, il se montrait sous son meilleur jour – usant de jolies paroles, d’une éloquence qui ne lui ressemblait guère, jouant d’un charme qu’habituellement, il ne réservait qu’à ses ennemis, enrobant le tout dans cette amère désinvolture dont il était incapable de se départir. Simon n’essayait cependant pas de l’enjôler, mais il n’avait pas d’intérêt à l’effrayer dès leur premier entretien. À un autre âge, lorsque le vingtaine le privait encore de quelques neurones, il aurait été tenté de lui susurrer que ce mariage la détruirait, qu’elle ne lui échapperait pas, qu’elle ne s’échapperait jamais. Aujourd’hui, la lassitude le gardait d’être un imbécile et avait endigué quelques relents sadiques. Daphné ne semblait pas idiote – à savoir si c’était de l’intelligence de faire preuve de retenue ou de la pure bêtise. Simon en avait rencontrées, des gamines à peine pubères, jetées en pâture à de voraces prédateurs tel que lui. Les rondeurs de l’enfance gonflaient encore leurs joues, et de l’amour, elles n’en connaissaient que le goût d’un baiser volé dans les combles de Poudlard. Mais avec Daphné, il n’était plus question de prétendre à une main, d’échanger quelques sourires pour satisfaire les ambitions de leurs parents ; elle était liée à lui, désormais. Bientôt, ils échangeraient des hiboux pour discutailler invités et plan de table, ou leurs mères s’en chargeraient pour eux. Merlin, la routine n’avait pas encore commencé qu’il ne la supportait déjà plus. La fillette maîtrisait son jeu, ses formules, sa voix, sa posture. Pour un peu, elle gagnerait une once de son admiration. Que voulait-il savoir. « Simple curiosité, » exhala l’esthète, la plante du pied accrochée au rebord de la table basse, sur laquelle ses billes bleu s’étaient rivées, aussi lointaines que désenchantées. Poudlard le préoccupait autant que la prochaine grève de Magicobus, et il ne donna pas suite à cet embryon de conversation qu’il avait lui-même initié. À son âge, il se souvenait avoir planché ses ASPICS comme un forcené tout en tergiversant à propos de la Marque, et il avait manqué d’être fiancé à quelque héritière française ou allemande. Le quotidien de Daphné ne devait pas être si différent ; ils se ressemblaient tous, dans ce monde. Les mêmes ambitions, les mêmes fantasmes, les mêmes desseins. Un avenir finement tracé, impeccable. Alors qu’aurait-elle à raconter qu’il ne savait pas déjà. Lorsqu’elle se retourna vers lui, Rosier se demanda si son expression était honnête, si le sourire qui illuminait sa figure pâle lui était réellement destiné. Elle verserait peut-être quelques larmes contre son oreiller, une fois rentrée chez elle, ou se gonflerait d’orgueil en annonçant à ses amies la grande nouvelle. Elle demeurait un mystère. Un mystère bien agaçant. Sa mâchoire se contracta. Simon pointa distraitement sa baguette sur la carafe de cristal afin qu’elle comble le vide laissé dans son verre, sans toutefois reporter son attention, à présent accaparée par son fond de whisky, sur Daphné et ses boucles rousses. Une image guère flatteuse, en y songeant. L’imprudente s’aventura à l’interroger sur son célibat, mais sa candeur – feinte ou sincère, peu importe – parvint à ne pas attiser les braises de son ire ; il abhorrait la curiosité mal placée, et plus encore lorsqu’elle le concernait. Ses orbes céruléens roulèrent dans leurs orbites avant de se braquer sur le visage de la môme, soudainement perçants, peut-être moqueurs – il avait cette fâcheuse tendance à considérer autrui avec une condescende rare, ou souhaitait-il la déstabiliser pour avoir osé mettre le doigt sur un point sensible. Manifestement, la donne avait changé ; il s’était fait avoir comme un idiot dans cette affaire, alors qu’il avait réussi à déjouer bien des alliances par le passé. « La question à dix mille gallions, » un fin sourire étira vaguement l’une de ses commissures, si lourde qu’elle retomba aussitôt. Comme le songe d’une plaisanterie qui, autrefois, avait pu lui arracher un ricanement amusé. Maintenant que la trentaine le narguait de loin, tous venaient à lui pour mêler leurs lourds sous-entendus à leurs hypocrites plaisanteries, arguant qu’il était temps d’orner son annulaire d’une belle alliance. L’âge de l’insouciance était révolu, mais il reconnaissait avoir espéré de finir ses jours en dandy énigmatique, reclus dans l’une de ces sublimes mais austères villas, éclairant de sa présence rare quelques dîners mondains avant de se retirer dans l’oubli le plus total. Oh, il en avait rêvé. La solitude était la seule maîtresse qu’il tolérait, car loin d’être cruelle, en le condamnant à un exil fantasmé, elle le tenait éloigné des mœurs étriquées de ses pairs. Il ne trouvait le réconfort qu’en sa propre compagnie, l’égocentrique. « Je ne sais pas, » répondit le menteur en haussant une épaule, tandis que le verre remuait dangereusement entre ses mains. Le hasard. Ou un habile concours de circonstances ; ses longues absences à l’autre bout du monde, ses scandaleuses liaisons, farouchement étouffées par un père au bord de l’apoplexie à chaque fois qu’un article mentionnait une nouvelle aventure, sa ruse, si jamais la rumeur d’une union menaçait sa liberté. Rosier avait eu une chance de beau salopard. « Certains y échappent, ça relève du miracle. Et ce n’est jamais définitif, manifestement. » Les derniers mots furent soufflés avec toute l’amertume qui grignotait ses cordes vocales. Daphné ou une autre, c’était la même chose. Mais si l’âge jouait déjà en leur défaveur, qu’en était-il du reste, alors qu’il observait l’ingénue. Qu’auraient-ils à se dire dans l’intimité ? Oseraient-ils rire, une fois libérés du carcan voyeur que leur infligeaient leurs familles ? L’idée de la toucher lui parut presque malsaine. Simon s’était à tort cru au-dessus des coutumes, au-dessus de la bienséance ; mais il était déconcerté par ce futur, assis à un malheureux mètre de lui, se surprenait à esquiver ses œillades, à loucher sur son verre. Ses considérations étaient superficielles. Non, ils ne s’entendraient pas. C’était décidé, écrit. Cette petite fille, à qui il avait promis la lune et ses étoiles, n’était pas celle qu’il attendait, ni celle qu’il voulait. Et la pauvre n’en était même pas responsable ; et s’il la blâmait, ce ne sera qu’armé de sa mauvaise foi. Le pied de Simon glissa de la table pour frapper le tapis, tandis qu’il se penchait en avant pour déposer son verre sur la table basse. Sa main se plongea dans sa poche pour en extirper un écrin de velours qu’il y avait fourré à la va-vite (à dire vrai, il avait manqué de l’oublier). La boîte vint rejoindre son whisky à peine entamé, fermée, emprisonnant jalousement l’anneau qui scellerait l’annonce. « Je ne voudrais pas paraître impoli en m’adressant à toi de façon plus cavalière, compte-tenu des circonstances… Simon marqua une pause songeuse. L’un de ses coudes reposait sur son genou, si bien que Daphné discernait un peu plus que son profil blasé – il avait arrêté de boire, lui présentait ce qui était clairement une bague de fiançailles, la dévisageait enfin, l’effort méritait d’être apprécié, sinon applaudi. Et je sais que c’est encore moins facile pour toi. Il n’avait pas besoin de maîtriser la légilimancie pour deviner les appréhensions que suscitait un mariage arrangé dans l’esprit d’une gamine de dix-sept piges – à supposer qu’il la considère comme une adolescente. Le ton s’adoucit sans s’emmieller, ses gestes parurent moins brusques, moins pressés, gagnèrent en légèreté sans qu’il ose s’approcher ne serait-ce que d’un centimètre. Je ne veux pas être ton bourreau, Daphné. » L’écart entre ses mots et ses pensées était béant. Des promesses, de vagues promesses. Trêves de bavardages inutiles et dis-moi que tu as peur. Ne manquaient plus que sa main sur la sienne, un regard compatissant, et quelques violons pour parfaire le fantasme. Plutôt crever. « Peut-être que tu feras finalement de moi un honnête homme, qui sait. » Et d’un coup de menton mal rasé, il désigna l’écrin sommeillant devant eux. « Tu n’es pas obligée de la porter, » ses ongles vinrent gratter sa mandibule, « ni de prétendre être heureuse. » Si la tension était palpable, ses réflexions à haute voix ne tarderaient pas à la rendre insoutenable. Quoique dans un sens, il préférait parler à Daphné seul à seule que sentir les prunelles de leurs parents lui percer le crâne à chaque fois qu’il lui demanderait le sel. Les mièvreries la bousculeraient-elles davantage que sa froideur, sa morne indifférence. Ou serait-ce le son de la vérité tintant dans son dépit.
I saw you again, it felt like we had never met. It's like the sun set in your eyes and never wanted to rise And what have you done with the one I love ? When I look into your eyes, I see no surprise. I always thought it was sad The way we act like strangers After all that we had, We act like we had never met. We make believe, I've never seen your face, you neither mine And catch my eye, don't register a smile. You were more than just a friend, oh but the feeling It never came to an end, I can't bear to see you. ~ sunset.
Entre ses doigts maladroits filaient les bribes de sa propre existence. Daphné parvenait désormais à envisager toutes les possibilités qui s'offraient à elle et, courbant malgré elle l'échine sous son joug, enviait presque la position de sa sœur cadette. Le cœur au bord des lèvres, la respiration qui se voulait calme mais qui tendait à être haletante, l'adolescente se sentait bien jeune face à Rosier, comme si elle était finalement hors-sujet. Comprimée dans cette robe dont elle mourrait d'envie de s'extirper, menaçant également de rendre ses boucles rousses hirsutes, Greengrass ressentait ce malaise comme un indicateur à cette frayeur qu'elle ne parvenait qu'à peine à refouler. Et elle avait la sensation que le temps s'était arrêté, figé durant ce bref moment d'horreur, tandis qu'elle s'enchaînait à un destin duquel elle ne pourrait jamais fuir. Le cœur au bord des lèvres, elle attendait – presque sagement – les directives de son fiancé, se préparant par avance à se soumettre à cette volonté de fer derrière laquelle elle ne tarderait pas à se cacher. Que deviendrait-elle ? Cette question lui malmenait l'esprit, rendant plus difficile encore la simple action de respirer. Embrigadée dans cette idée d'idéal, elle voulait l'aimer mais, alors que les secondes s'égrenaient lentement, elle ne parvenait qu'à haïr l'homme qu'était Simon Rosier. Enfant, elle se souvenait de ces promesses de mariage, de danse. La réalité n'en était pas moins séduisante – qui cracherait sur de belles épousailles ? - mais le décor ne tarderait pas à changer. Sur le devant de la scène, ils souriraient, les yeux flanqués d'étoiles et le sourire béat. Mais ils laisseraient tomber le rôle qu'on leur avait octroyé lorsqu'ils se réfugieraient à l'abri des regards curieux. Ils n'étaient rien de plus que des pantins, obligés de suivre des décisions prises pour eux mais dont ils étaient étrangers. Simon, réduit à l'état d'enfant, était à l'image de cet époux qu'elle craignait finalement de rencontrer. Indifférent. Quasiment méprisant, si elle se fiait seulement à cette étincelle qui animait ses iris bleutés. S'il avait été question de Malfoy, Daphné n'aurait pas hésité à détruire cette union – avec l'aide de son promis. Mais force était de constater que Simon Rosier était charmant. Et ce mot la fit frémir, confuse et accablée par sa propre faiblesse, Daphné sentit un tic lui agiter la joue.
Les chaussures de Simon claquèrent sur le sol. Surprise, l'adolescente feignit d'ignorer son intérêt grandissant. Et chacun de ses mots lui fit l'effet d'être incomprise – à l'instar de cet homme qu'on avait embrigadé dans une aventure définitive. Irréversible. Elle aurait voulu des promesses ou être rassurée sur sa propre condition. Elle aurait aimé savoir, comprendre. Les questions s'accumulaient contre ses lèvres closes, le cœur en panique et les membres crispés. Son regard agrippa alors la petite boîte pourpre que son bourreau avait pris la peine de déposer sur la table basse. Elle aurait volontiers préféré être dispensée de la sombre réalité qui venait avec – et qui avait été énoncée par Simon – mais, touchée, la jeune fille esquissa l'ombre d'un sourire. Presque intimidée par ce cadeau, dont elle devinait la beauté, ses gestes devinrent plus lents. Presque mécaniques.
Daphné se tendit, frôla l'écrin de ses doigts assurés et le saisit. Placé au centre de sa paume, elle en admirait les détails, son regard vert dardé de miel et de maudites espérances. La pierre était d'une taille indécente – mais sa mère en avait déjà porté des plus grosses. La sensation désagréable qui était née dans son estomac, rendant âcre sa propre salive, se mua en un sentiment plus chaleureux. Cela lui plaisait. Cette constatation était teintée d'amertume, contrairement à cette joie naissante dans le creux de ses entrailles. Elle se savait naïve en la présence de Rosier – mais elle était incapable d'aller à l'encontre de cette tendance disgracieuse qui la mènerait un jour à sa perte. Cette certitude lui inculqua un ultime éclair de conscience qui ne tarda pas à faiblir. D'un geste du pouce, elle referma l'écrin. S'en tenant à un vouvoiement correct, la jeune fille s'adressa à Simon, les pupilles pourtant absorbées par la contemplation de son présent « Pardonnez-moi, mais je ne la veux pas pour l'instant » elle releva la tête, soutenant pour la première fois cet échange de regards auquel elle n'avait pourtant pas la moindre envie de se prêter. Elle n'était pas obligée de la porter, alors elle pouvait sûrement ne pas l'accepter. « J'aimerais la recevoir en d'autres circonstances, à un moment peut-être plus opportun. Cette bague est sublime, elle me comblerait durant les fêtes de fin d'année. » suggéra-t-elle de sa voix la plus aimable, sans savoir que, en novembre, elle aurait déjà fui Poudlard, scellant ainsi son destin et celui de ses fiançailles. Sans se débarrasser de l'écrin, auquel elle semblait farouchement attachée, Daphné retrouva les réminiscences qu'elle ne cherchait même plus à fuir.
Il avait frôlé sa hanche. Sans doute n'avait-ce pas été de sa propre initiative mais, instantanément, l'imagination fertile de Daphné se mit en ébullition. Elle était jeune, frêle, encore innocente et la cruauté de son père ne l'avait pas encore touchée. Elle rêvait. Et il lui avait promis les étoiles. Mais, pour le moment, elle voulait juste danser. Il lui avait pris la main, se prêtant à un jeu qu'elle n'oublierait jamais vraiment, encore fascinée par ce garçon qui paraissait lui accorder de l'attention. Ce n'était qu'un ébat gracieusement gracieusement orchestré pour ses grands yeux candides, Simon étant sûrement conscient que cela n'irait jamais au-delà, tandis que Daphné était focalisée sur ce mariage qui lui avait été promis. Elle voulait perdre son temps en sa compagnie – sa mère lui apprendrait à être une bonne épouse et à forcer ses sourires lorsque la situation devenait intenable. Elle apprendrait tout ce qu'il fallait – pour lui. Mais Daphné avait négligé les faits de son enfance au profit d'un élan révolutionnaire. Jusqu'au moment où son nom avait été prononcé.
« Je n'ai pas oublié, reconnut-elle maladroitement, vaguement consciente que sa remarque arrivait comme un cheveu dans du jus de citrouille. Vous, sûrement, mais pas moi. Je n'ai rien oublié. » Son timbre vibrait d'une férocité difficilement contenue. Accepter la situation, et ce dont elle avait rêvé, s'avérait salvateur. Ses rêves d'enfant irréalisables, des promesses que Simon ne tiendrait jamais. Parjure, pensa-t-elle. « J'aurais voulu ne jamais me souvenir. » confia-t-elle d'une voix vibrante d'indignation – non pas que cette situation aurait sa peau, mais son présent s'entrechoquait avec son passé et il lui était difficile de faire le lien entre ce Simon, plus jeune et moins blasé, et cet homme mûr qui la toisait, dans l'ombre de sa propre grandeur. Ses doigts jouaient nerveusement avec l'écrin qu'elle reposa finalement sur la table, à côté du verre de whisky. « A Noël – oui, à Noël, ce sera très bien. » souffla-t-elle en se redressant, plus pour elle-même qu'à l'attention de son interlocuteur. Elle se releva alors, dansant presque d'un pied sur l'autre, se sentant incapable de rester immobile. Ses prunelles étaient encore rivées vers l'écrin. Cela ne servirait à rien – cette union serait stérile, et ne lui apporterait rien d'autre qu'un profond désarrois. Pourtant, cela aurait pu être bien pire.
‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
Sa confiance ne serait pas aisée à gagner, mais avec elle viendrait sa soumission, en cas de triomphe ; quoique la perspective d’avoir à exhiber une potiche de plus à son bras l’enchantait de moins en moins. Le sale gamin se lassait déjà de sa nouvelle poupée de chiffon, et mourait d’envie de s’en débarrasser, ou plutôt, de la condamner à la poussière d’un coin obscur – à l’instar de ces trophées que l’on a gagnés trop facilement pour en tirer un tant soit peu d’orgueil. Il lui offrait un semblant de sincérité dans sa distance, au lieu de déclamer quelque insanité laudative et lui promettre, encore une fois, l’univers. Autant mariner dans sa déveine que feindre un bonheur blessé. L’avait-il au moins dévisagée, avait-il essayé de chasser la gêne de leurs mornes échanges ? Ses iris électriques se braquèrent sur sa figure soucieuse, prompte aux rougissements. Sans être une beauté conventionnelle, elle était ravissante – et les quelques rondeurs enfantines qui se mêlaient çà et là à ses formes de femme lui rappelaient les peintures de Botticelli. L’art lui rendait la vie supportable, et l’existence moins vide. À un autre âge, la haine qu’inspirait cette union aurait pu néanmoins précipiter l’explosion d’hormones grouillantes, et les joutes verbales se seraient muées en entente tacite, il l’aurait désirée par provocation, pour renverser la situation en sa – en leur – faveur. Peut-être était-ce de là que naissaient de solides histoires. Mais aujourd’hui. Aujourd’hui, las d’accointances sans lendemain, Simon n’avait plus la spontanéité ou les pulsions d’un jeune premier. La faute à une maturité précoce, ou au suicide de sa jeunesse. Il aurait dû s’excuser. De ne pas s’être élevé en leurs noms, de condamner l’union qui les précipiterait dans le gouffre béant d’un ennui dépressif. Il aurait dû. Son genou commença à gigoter. Elle bafouilla une excuse et refusa le présent, n’attirant sur son embarras qu’une paire de billes blasées. S’il haussait les épaules, quel beau salaud ferait-il. Autant balancer qu’est-ce que ça peut me foutre, puis trinquer à leur mariage, le rictus railleur et la mine maussade. S’abstenant ainsi de tout commentaire, Simon se détourna d’elle pour reporter son attention sur le verre vide. « À Noël, alors. » L’éloquence même. À Noël ou demain, quelle importance. Sous la branche de gui, un genou sur le tapis. Ses épaules se relâchèrent, et les omoplates roulèrent de dépit sous sa chemise. Il avait absolument besoin de prévoir la meilleure échappatoire possible pour s’extirper du carcan des obligations familiales, et avec un peu de chance, il éviterait le réveillon avec la future belle-famille. Ou finirait-il par défigurer son père, ou Wyatt Greengrass. Ou les deux. Ou se torcher jusqu’à vider ses tripes dans sa propre cheminée. Les idées ailleurs, un silence désagréable retomba lourdement sur son antre adoré. Mais un soubresaut, qu’il devina furieux, perça la retenue de la voix de Daphné et le tira de sa léthargie par la même occasion. Elle n’avait pas oublié. Pris au dépourvu, quoique ravi de percer la carapace de sa promise, Simon arqua un sourcil et pivota lentement vers elle, jusqu’à poser son bras sur le dossier du canapé, les doigts pianotant contre la gondole de bois. Enfin – elle se montrait telle qu’elle était, une enfant bouleversée. Une ridule déconcertée ne tarda pas à creuser sa glabelle. Tant de visages s’étaient amoncelés dans les méandres de sa mémoire, des noms qui se succédaient pour être aussitôt engloutis par le vide, des souvenirs sans saveur en dévorant d’autres. L’enfance, reléguée dans un coin poussiéreux de ses songes, l’adolescence refoulée, toutes les personnes qu’il avait été à un moment donné de sa vie ; enterrées. Ses neurones corrodés n’étaient certes pas d’une grande aide dans son entreprise de remémoration, et sa concentration branlante se laissait difficilement bousculer, après un peu de whisky et la migraine qu’il se traînait depuis son réveil. « J’ai toujours trouvé que c’était triste, d’oublier des épisodes de sa propre vie. Ses billes azures couraient d’un rayonnage à un autre, comme si l’un de ces grimoires poussiéreux renfermait ce qu’elle l’accusait d’avoir occulté de sa mémoire. C’est presque une aliénation de soi. » Sa pensine lui aurait utile, ce soir – il avait dû y plonger un énième filament argenté pour soulager une céphalée, sans se préoccuper le moins du monde de ce qu’il contenait. Et la remarque évasive n’était qu’un prétexte pour meubler. Sa langue caressa lentement son palais pour terminer sa course sur ses molaires, alors que ses yeux s’étaient baissés, reluquant désormais le bout de ses chaussures vernies. « Je me rappelle. » Vaguement. Une pause. « Le destin fait bien les choses, au bout du compte. » Qu’avait-il promis, une danse, un mariage, des enfants, un château ? Elle finirait par les avoir, avec dix ans de retard mais à contrecœur de sa part. Les étoiles qui illuminaient autrefois ses iris avaient disparu, et elle ne le regardait plus avec cette appréhension propre aux petites filles, lorsqu’un adulte, pas assez vieux pour être appelé papa, pas assez jeune pour en faire un camarade de jeu, se présentait à elles. Le conte de fées s’était effondré, mais dans un milieu tel que le leur, les déconvenues étaient monnaie courante. Elle se releva, encore une fois ; ils n’avaient pas eu le temps de correctement s’entretenir que déjà, le portrait de la jeune fille s’esquissait sous ses yeux. Il s’amusait, à l’observer se mouvoir dans cet espace à la fois vaste et étriqué, s’agitant comme un animal pris au piège. Son malaise était palpable, bientôt le prendrait-il sans doute aussi, tordrait-il doucement ses tripes, assécherait-il une bouche laconique. Vautré dans son apathie, la main ni crispée, ni moite, l’assurance du vainqueur l’étranglait plus que l’étreignait. Elle lâcha quelques mots à peine audibles, parmi lesquels se détacha « Noël ». La bague avait officialisé le cauchemar. Un bijou célébrant son futur trépas. Il aurait voulu lui dire, tu oublieras, on oublie toujours – puis hausser les épaules, altérer la finesse de ses traits en une espèce de grimace innommable, mais n’en fit rien. Il réfléchissait. « Ça te blesse, de n’avoir été qu’une petite fille parmi tant d’autres ? » La parole, qui se réclamait moqueuse, parut étrangement désincarnée. Un ton à coté de la plaque, une plaisanterie qui n’en était pas une. C’était creux, et désabusé. Quand bien même se serait-il excusé de l’affront commis, la platitude de sa voix n’aurait pas changé d’un iota. Et Rosier se leva enfin, contourna le canapé, la main galopant sur le dossier, et s’arrêta face à la belle promise ; ses lèvres s’étaient serrées, assez pour qu’elles en soient totalement dépigmentées. D’un geste lent, maîtrisé, il tendit légèrement le bras pour attraper une boucle rousse qui s’était échappée de la coiffure. « Tu aurais voulu être unique ? » La mèche rebelle glissa entre son pouce et son index. Il la replaça derrière son oreille – frôla le lobe. Dans leur société prêchant le conformisme, l’unicité était surfaite. « Tu sais, se reprit-il, ta vie ne s’arrêtera pas sur un autel. Nous n’avons rien à nous prouver. » Choisir minutieusement ses mots lui coûtait un effort qu’il espérait payant, car si la sincérité n’était pas dans ses cordes, il souhaitait tout de même en imprégner son joli discours. Non ; il voulait brouiller les contours d’une amère réalité et l’envenimer d’illusions suffisamment tangibles pour obtenir sa confiance. Ériger de mièvres promesses en vœux de mariage. Lui-même était confus, quant à ce qu’il désirait réellement ; et s’il devait composer avec une épouse, à quoi devrait-elle ressembler, sinon à lui. Le portrait déstructuré d'un pseudo-couple à l'agonie.
I saw you again, it felt like we had never met. It's like the sun set in your eyes and never wanted to rise And what have you done with the one I love ? When I look into your eyes, I see no surprise. I always thought it was sad The way we act like strangers After all that we had, We act like we had never met. We make believe, I've never seen your face, you neither mine And catch my eye, don't register a smile. You were more than just a friend, oh but the feeling It never came to an end, I can't bear to see you. ~ sunset.
Il était là, à l'heure exacte. Il ne manquait jamais une rencontre, tout comme Daphné dont les pensées se faisaient plus pressées, précipitées. Elle fourmillait d'attentions nouvelles. Et, égale à elle-même, elle esquissait toujours le même sourire. Elle avait de nouveau conscience de ce monde qui les séparait ; il était séduisant et certainement sûr de ses charmes. Elle était souvent couverte de terre et ses ongles étaient sales, ses cheveux graisseux relevés en un chignon approximatif. Personne ne savait qu'elle le voyait – sans doute se serait-elle faite lyncher pour cela. Mais il était le seul à pouvoir l'aider, alors qu'elle entrapercevait pour la seconde fois la bonne utilité de cette union présupposée qui les avait brièvement unis quelques années plus tôt. Elle avait grandi et ses priorités avaient également pris une tournure inédite. A l'instar de celles de Rosier. Elle n'oubliait pas, elle ne préférait pas échouer dans ses filets. Il n'avait pas fui quand il l'avait vue la mine décharnée et les cernes soulignant ses yeux clairs. Il n'avait pas fui, il cherchait même à la convaincre de rentrer. Il n'avait pas fui.
Rosier se souvenait aussi. Forcément. Inévitablement. Daphné regretta instantanément les mots qu'elle avait eu le malheur de lâcher, parce que la réponse qu'elle attendait n'était pas celle donnée. Encaissant bravement le coup, Daphné se tenait immobile. Have you had enough ? Non, pas assez, jamais assez. Les lèvres pincées, la jeune femme voulut se détourner, éviter ce regard qui la toisait. Le malaise était grand et déstabilisant – presque inévitable. Ses doigts jouaient avec le tissu léger et fluide de sa robe, seule façon d'expier cette gêne abrutissante. Elle n'était qu'une adolescente de dix-sept ans – et déjà, elle pouvait prévoir de quelle manière les années en compagnie de Rosier allaient se dérouler. Il possédait cette once de charisme, une caractéristique qui se voulait désabusée et plate mais qui renforçait sa désinvolture désarmante, qui la rendait affable. Prête à courber gentiment l'échine et à lui donner par la même occasion le bâton pour se faire battre. Daphné en avait conscience, vaguement, et cela l'effrayait plus que la perspective de s'unir avec un homme de plus de dix ans son aîné. Se levant à son tour et l'imitant nonchalamment, Simon se rapprocha plus que nécessaire. Le cœur gonflé, la gorge serrée, la jeune femme se sentit se tendre. Dressée comme s'il se préparait à l'attaquer – et ses gestes, targués d'une douceur inhabituelle, tranchaient considérablement avec l'ironie flagrante qui découlait de son discours. Il la dénigrait, et elle en eut honte.
« Non » à quoi bon espérer ? Souhaitant orchestrer un mouvement de recul, Daphné n'en fit toutefois rien. Droite, presque rigide, elle sentait les filaments de sa propre vie lui filer entre les doigts « Être unique ne m'intéresse pas. » faux. Elle aurait voulu l'être – à une autre époque, à un moment bien différent de celui-ci – et peut-être avec quelqu'un d'autre. Ce mensonge éhonté, ombre passagère sur les traits de son visage, la fit toutefois hocher la tête avec conviction. N'ayant cure de son cœur qui tambourinait contre sa poitrine, de cette envie cuisant qu'elle avait de tendre la main et de heurter la joue de son aîné – je ne suis plus une petite fille aurait-elle voulu s'écrier. Elle ne pouvait pas ignorer cet ascendant qu'il possédait encore sur elle et, en un sens, Daphné se savait fragile, victime de ses sentiments chimériques de gosse et de ses souvenirs qui se confondaient avec une réalité relativement difficile à surmonter. Pourtant, Simon semblait vouloir lui porter secours, lui tendant une main secourable, lui signifiant qu'ils n'avaient rien à se prouver. De doux mensonges ? Elle en doutait. Elle en doutait, oui, mais elle ne pouvait toutefois pas renier cette envie cuisante qu'elle avait de lui rétorquer d'aller se faire foutre. Il l'avait blessée. « Rien à nous prouver ? » répéta-t-elle, en levant la main, repoussant fermement les doigts de Simon qui avaient replacé une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Alors quoi ? Qu'est-ce que tu proposes ? Une vie de débauche pour monsieur, une existence passée à se morfondre pour madame ?, sa voix avait monté d'une octave et ses yeux s'étaient voilés de larmes de rage contenues, On doit se prouver des choses, on doit essayer » du revers de la manche, elle essuya la seule perle humide qui avait roulé sur sa joue « Ne me laisse pas être malheureuse, tu n'en as pas le droit. » Son regard vert avait capturé celui, plus clair de son vis-à-vis – cette demande était sincère, poussée au paroxysme de l'intensité par les larmes qui menaçaient de l'étrangler. Elle ne voulait pas d'une union arrangée, encore moins si elle risquait de ne pas aimer son époux. Dans ses yeux brillait un éclat tendrement idéaliste, une étincelle qui demandait à être alimentée par la vérité, par les mensonges. Peu importait.
Daphné n'était qu'une enfant. Une gosse. Et la précarité de sa situation lui sauta aux yeux ; elle ne pourrait jamais plus faire marche arrière. Ses mains glissèrent sur ses bras, resserrant la prise de ses doigts autour de ceux-ci, comme si elle souhaitait se préserver du froid. Baissant la tête, jamais elle n'avait ressenti – et jamais elle ne ressentirait sans doute plus – une telle envie de mourir. Rien à se prouver. Sa vie ne s'arrêterait pas devant l'autel. Rien à se prouver. Ils étaient confondus par la déception. Rien à se prouver. Ses paupières se fermèrent tandis que ses mâchoires se crispaient davantage ; non, ils n'avaient rien à se prouver. Cette union serait stérile, rien n'en découlerait de bon. Leurs enfants seraient hideux et idiots, leurs disputes seraient violentes ou leurs conversations inexistantes. Deux étrangers sous le même toit, partageant une couche froide et dénuée du moindre désir. L'ennui. L'infidélité et les rancœurs. Have you had enough ? Un long frisson parcourut la poitrine de Daphné, faisant poindre de la chair de poule le long de ses bras. Ses phalanges se raffermirent davantage autour de ses propres bras et, si son orgueil démesuré l'avait encore empêchée de tomber à genoux devant Simon – le suppliant jusqu'à en perdre haleine, cette fureur presque animale la faisait verser des larmes qu'elle n'était pas en mesure de contrôler. Le chagrin ? Elle n'en avait cure. La colère en revanche était un moteur suffisant à sa propre démesure.
‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
Ce n’était pas de l’espoir. Il ne croyait plus en la rédemption, ni aux secondes chances ; mais force était de constater qu’il prenait des risques pour elle. Qu’à chaque entretien volé, qu’à chaque parole échangée, la flamme vacillante d’une affection disparue se ravivait brièvement. Sans être tout à fait partie, elle ne serait jamais tout à fait à lui — et pourtant, il l’attendait. Elle, seulement elle. Pour parler. Sans même grappiller quelques renseignements ici et là ; ce que ces culs-terreux trafiquaient ne le concernait pas plus que la prochaine parution de Sorcière Hebdo. Il l’avait connue échevelée et les genoux tachés d’herbe, à une époque où elle ne lui arrivait pas encore à la taille ; et aujourd’hui, il ne prenait plus la peine de lui demander si elle avait dormi ou mangé. Les traits tirés de la jeune femme répondaient à sa place. Quelques années auparavant, il lui avait soufflé qu’elle pourrait compter sur lui.
À quelques mètres de là, il devinait la mine réjouie de son paternel, rougie par un probable abus de pur-feu pour savourer des fiançailles qui ne le concernaient qu’à moitié ; enfin ! devait-il songer, en trinquant avec Greengrass père. Enfin, ce cadet dont il ne savait quoi faire, remplirait ses devoirs — et servirait ses intérêts dans la foulée. Des victimes dont personne ne pleurerait le désenchantement. Ils étaient amers et déçus, confus et imbéciles, et dans leur abattement mutuel, incapables de négocier ensemble. Lui qui avait espéré un sourire ne récolta qu’une malheureuse larme amère, qu’il n’eut pas le cran d’essuyer du bout du pouce, dans un élan faussement affectueux — et même s’il commençait à s’attendrir pour cette môme, qui n’était finalement qu’un pion sur ce grand échiquier familial, il tourna les talons, faute de supporter la vision de ce voile humide brouillant le regard de Daphné. Il l’infantilisait à tort, mais les mots de son père tournoyaient encore dans son esprit ; elle est majeure. Elle est majeure. Un refrain résonnant comme une comptine. Désormais dos à elle, la laissant expectorer les prémisses d’une colère latente, Rosier passa une main lasse dans sa crinière sombre et se retourna tout d’une pièce. « Oh s’il te plaît, Daphné. » Incisif, il avait coupé court aux élucubrations de sa promise en privilégiant un effroyable manque d’empathie à quelques fadasses réconforts. Déjà mise à rude épreuve par ce pléthore de bouleversements, sa patience avait lâchement cédé à l’exaspération. L’envie de la saisir par les épaules et de la secouer lui traversa au moins trois fois l’esprit pendant qu’elle déblatérait ses jérémiades. « Assez. » Éreinté, Rosier n’ignorait pas qu’il n’était pas encore au bout de ses peines. Deux doigts vinrent pincer l’arête de son nez, et, sous un vif haussement de sourcils, ses paupières se refermèrent sur ses iris azurs. « J’ai l’impression que tu t’imposes cette vision toute seule, » rétorqua-t-il sèchement. « À ce rythme-là, tu n’auras même pas besoin de mon aide pour être malheureuse. » La bienveillance crucifiée, ne restait plus qu’une froide impassibilité. « Et monsieur travaille, donc tu comprendras qu’il n’a pas le temps d’aller aux putes tous les soirs. » Cette remarque (un rien ironique, compte-tenu de la biture qu’il s’était infligée la nuit dernière) tomba de ses lèvres avec aigreur, si bien que sa voix, d’ordinaire si monotone, flirtant au mieux avec l’irritabilité, venait de gagner un semblant de vivacité. Mais loin d’afficher ce froissement passager, il prit conscience que sa réflexion était odieuse ; quoique Daphné pourrait au moins se targuer que son mari n’était pas un bon à rien dilapidant ses rentes, sans talent ni autre ressource que la fortune familiale. Peut-être sa réussite professionnelle était-elle son unique atout. La mine penaude, il triturait le tissu des poches de son jean, faute d’y trouver son paquet de cigarettes, malencontreusement oublié à l’étage. Sa langue vint humecter hâtivement ses lèvres, tandis que face à lui, Daphné se liquéfiait sur place. Leur confrontation avait assez duré, et en perdant de sa superbe, la poupée de chiffon se révélait douloureusement réelle. De la porcelaine fissurée, à qui il ravirait la jeunesse et les rêves. Elle avait raison ; ils auraient des choses à se prouver, et des disputes à essuyer, et des confidences à se murmurer. Éventuellement. Rosier s’était tu. L’une de ses mains s’était arrimée à sa hanche, l’autre reposait sur la gondole du canapé. Il cogitait, cherchait d’autres paroles, d’autres formules pour établir ne serait-ce que l’esquisse d’une entente entre eux. « Écoute… Tu as toutes les raisons du monde de t’emporter, mais c’est ainsi que nous fonctionnons. À coup de mariages arrangés et d’espoirs brisés. Et si ce n’était pas lui, un autre le remplacerait au pied levé. J’ai essayé de fuir ces traditions, et regarde où ça m’a mené, articula-t-il amèrement. Je ne te promettrais rien cette fois, et je ne veux pas non plus gaspiller ma salive à essayer de me vendre comme étant le seul homme qui pourra te rendre heureuse, car nous savons tous les deux que je ne le suis pas. » Décidément, il avait explosé son quota de mots pour la décennie à venir. Elle crachotait sa hargne à ses pieds, sans oser hausser le ton — du moins, le supposait-il. Qu’elle l’anathématise pour de bon si elle le désirait ; il ne la blâmerait pas davantage. « Je ne sais pas quoi proposer. » L’admettre lui égratigna les cordes vocales, plus encore qu’une mauvaise clope. Sa mâchoire se disloqua sous l’effet de son désœuvrement, et ses billes céruléennes traînaient sur le sol, lorgnaient les détails du tapis sur lequel claquait sourdement son talon. Leur conversation officieuse n’avait pas avancé d’un iota. « Mais ce serait injuste de ma part de te faire payer quelque chose dont tu n’es pas responsable. » Un silence. « Même si tu m’en penses capable, » lâcha-t-il en grattant distraitement sa mandibule rugueuse. Et jamais ne fut-il si bon comédien. « Tu as besoin d’un allié, » ses billes bleues se braquèrent sur leurs jumelles. « Pourrais-tu seulement compter sur moi, à défaut de me faire confiance ? » Et si peu de gestes envers elle, si peu de tentatives de rapprochement. Juste le poids de ses mots hésitant entre la sympathie et le détachement, le son de sa voix éraillée. Cette lassitude qui alourdissait ses épaules. « Donne-moi une chance. » Charmant ; il en aurait versé une larme.
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