Il y avait une tapisserie qui ne voulait pas s'enlever. Parkinson avait dû la coller au mur avec un maléfice de Glue Perpétuelle. Des mois qu'elle avait fui et elle faisait toujours autant chier Astoria! C'était vraiment... vraiment injuste, que Pansy lui mette encore des bâtons dans les roues alors que, autant qu'Astoria était informée, elle se trouvait à des miles et des miles de Londres... Astoria s'était résolue à brûler le mur. Elle ferait une commande de papier peint pour couvrir les brûlures le lendemain, afin de transformer l'ancienne chambre des deux filles Parkinson en atelier pour Tracey. Pauvre Tracey... son appartement avait complètement brûlé, avait entendu Astoria, quelques jours seulement après que son amie lui ait proposé d'emménager avec elle. Son père avait été clair: soit elle trouvait quelqu'un de respectable avec qui vivre, soit elle restait à Greengrass Manor... et il était hors de question qu'elle vive une seconde de plus dans le même manoir que Daphne. Sa soeur était... cruellement différente. Évidemment, Tracey aussi était cruellement différente, obsédée par le Lord et ses agissements mais au moins elle avait la Marque, le dernier caprice en date d'Astoria...

L'ancien appartement de Parkinson était encore en chantier: certains murs à moitié repeints, d'autres au papier peint à moitié arraché, des tours de cartons soigneusement étiquetés s'élevant au détour de chaque pièce et plusieurs meubles en pièces détachées dans le salon. Astoria aurait dû s'occuper de tout ça, avec un petit coup de baguette et beaucoup de patience, pour profiter au maximum de son dernier jour de congé avant longtemps... mais la chambre des deux petites la hantaient. Tracey et elle étaient censées emménager ce soir et rien n'était prêt mais Astoria n'arrivait pas à sortir de la chambre des jumelles: elle voulait qu'elle soit transformée en atelier pour Tracey, elle voulait effacer de l'existence la progéniture Parkinson même si ça devait lui prendre toute la journée et elle voulait oublier que si elle avait pu, elle aurait installé Scorpius dans cette chambre créée à sa taille...
Une fois satisfaite des murs entièrement brûlés, voyant que déjà le soleil commençait à se faire la malle à l'horizon, Astoria décida de revenir dans le salon pour finir de monter la table basse et le buffet antique que son père lui avait donné (et qu'elle avait dû séparer en plusieurs parties pour le faire passer par la cheminée). Elle était justement en train de rafistoler l'une des portes du meuble quand la porte d'entrée grinça sur ses gonds (elle devrait s'occuper de ça aussi dès que possible) et quand Tracey pénétra dans leur nouvel appartement. “ Aaaah, Tracey, ferme les yeux! s'écrie Astoria avec angoisse. Bouge pas! ” Elle achève le buffet, pieds nus, à travers l'appartement avant de se planter devant son amie qui a bel et bien fermé les yeux et s'est gentiment immobilisée, l'air un peu... pas méfiante, mais dubitative.

“ Tu peux ouvrir. ” Elle lui adresse un grand sourire et plisse des yeux avant de lui montrer le sac qu'elle vient de récupérer dans sa chambre: le sigle animé de T&T brille sur le côté, doré sur un fond marron sombre, deux baguettes croisées laissant échapper de fin fil d'or qui s'enroulent pour former le nom de la marque. “ Surprise! Je sais que t'as perdu pas mal d'affaires dans l'incendie donc je t'ai pris quelques vêtements qui n'ont pas été retenus pour la prochaine collection au travail, fait-elle d'un air un peu timide. Tu seras ravie de savoir que ma mère m'a offert  en toute innocence une bouteille de vin français pour notre pendaison de crémaillère en pensant que ça allait suffire, donc je me suis aussi permise de refaire les stocks d'alcool. En toute innocence, ” souligne-t-elle à nouveau, lui mettant le sac de nouveaux vêtements dans les mains d'autorité avec un clin d'oeil.

FIN JUILLET 2003. Plus rien, elle n'a plus rien. Elle a quasiment tout perdu. Ses précieux vêtements, ses peintures inachevées et celles qu'elle a patiemment rassemblées de ses peintres préférés. Les cadeaux de son père, les lettres de Calixe, les photographies de Camille, les croquis de la famille, de ses amis. Les souvenirs de sa mère et ceux de Quinn. Tout est parti en fumée, il n'en reste qu'un tas de cendres fumantes et ce qu'elle a envoyé en avance dans le nouvel appartement. Elle voulait du temps pour trier correctement les choses à emmener avec elle et à cacher laisser ici. Ce qui lui reste encore, ça ne représente rien à côté de ce qu'elle a perdu. Des années de vie, tout ce qui porte encore la magie de Maman. Et elle a perdu Quinn, il ne reviendra plus jamais, n'est-ce pas ? I swear, mo cuishle , If you stopped loving, I'd burn everything down and disappear. Les mots résonnent encore dans son esprit, et c'est injuste. Ce connard est injuste. C'est lui qui a joué, qui a tout piétiné avec ses révoltes puériles. Elle, elle l'aime encore. “ La prochaine fois que je te vois, je bute. Tu entends ? TU ENTENDS ? ” hurle Tracey dans la solitude de sa chambre d'hôtel - elle a les mains qui tremblent, les épaules crispées et elle n'arrive toujours pas à pleurer.  : “ Tu ne m'échapperas pas si facilement, je t'attraperai et je te buterai. ” Elle refuse de le laisser s'en tirer comme ça - et s'il s'enfuit, elle s'en fout : elle le traquera, encore et encore, jusqu'à le capturer. Elle refuse de le voir sortir de sa vie.

26 AOUT 2003. Cette clé qu'elle enfonce dans la serrure lui procure un apaisement qu'elle a du mal à décrire. Après des soirs à l'hôtel, il y a la sensation d'avoir de nouveau un chez elle, un point de chute - ça va aller mieux, elle n'aura plus à craindre les fantômes du passé si elle vit avec Astoria. L'idée trace un sourire soulagé sur ses lèvres juste avant qu'elle ne pousse la porte et n'entre, abandonnant sac et clés. “ Aaaah, Tracey, ferme les yeux! Bouge pas! ” La Davis se fige soudainement, surprise par l'exclamation de sa meilleure amie ; puis, docile, elle ferme les yeux. “ Qu'est-ce qu'il se passe ? ” demande-t-elle, sourcils à peine froncés, en sentant les flux de magie s'agiter dans le salon. Puis elle entend Astoria venir vers elle, le pas léger sur le sol et la magie toujours aussi agréable à sentir. “ Tu peux ouvrir. ” Les paupières se relèvent, se plissent un instant, laissant le temps aux yeux verts de s'habituer de nouveau à la lumière vive de l'entrée. Du sourire content d'Astoria, le regard tombe directement sur le sac T&T que celle-ci lui tend ; et il faut un instant de plus pour que Tracey comprenne que c'est un cadeau. Pour elle. “ Surprise! Je sais que t'as perdu pas mal d'affaires dans l'incendie ” Sans un mot, elle acquiesce, la gorge se nouant brièvement en pensant à tout ce qu'elle a perdu. “ Donc je t'ai pris quelques vêtements qui n'ont pas été retenus pour la prochaine collection au travail. ” Essayer de nouveaux vêtements est probablement le meilleur remède pour oublier tout ça. Plus encore s'ils viennent de T&T - une des marques favorites de Tracey depuis une vie entière, au moins - et s'ils sont exclusifs. “ Tu seras ravie de savoir que ma mère m'a offert en toute innocence une bouteille de vin français pour notre pendaison de crémaillère en pensant que ça allait suffire, donc je me suis aussi permise de refaire les stocks d'alcool. En toute innocence. ” Et ce sera encore mieux avec des cocktails, alors Tracey approuve, vivement : “ Oui, tu as eu raison ; et ta mère souhaite que nous fêtions dignement notre installation, elle ne voudrait pas que nous manquions de quoi que ce soit. ” Un large sourire lui fend le visage, réminiscence poussiéreuse d'une lointaine adolescence où leur trio d'amies s'amusait à déformer les propos parentaux pour satisfaire à leurs rebellions en carton. Doucement, ses doigts se referment autour du paquet. “ Je vais essayer ça d'abord ; puis après, si on a encore du Daisyroot Draught, je te prépare le cocktail que le barman de l'hôtel m'a appris mercredi. ” Le regard qu'elle jette à Astoria dévoile qu'il y a une histoire derrière la recette. Une de ces anecdotes de barman d'hôtel voulant impressionner une jolie fille triste. Et bien mal lui en a pris. Entêtée au possible par les cocktails, le carnage de verres brisés par ses réflexes émoussés n'a pas suffi à la faire renoncer.

Le manque de pudeur est un des défauts de Tracey, un de ceux qui ont toujours fait soupirer son père et râler sa mère ; et malgré toutes les situations embarrassantes qu'elle a vécues, l'habitude persiste, encouragée par la vie en dortoir, à Poudlard. Alors, après avoir déposé son manteau sur une chaise, c'est directement dans le salon, au milieu des cartons qu'elle se change et abandonne les fringues, bien pliées, sur l'un d'eux avant de plonger dans le sac pour en sortir un premier vêtement, robe au col sage et au jupon d'un doré crémeux à la coupe beaucoup plus wizrock. “ En fait, tu viens de me donner les rebuts de la prochaine collection T&T, c'est ça ? demande-t-elle en se glissant dans le tissu soyeux, et son regard brillant autant que son rire avouent que ce n'est qu'une plaisanterie : C'est méchant de me donner les modèles faits par tes collègues sous prétexte que tous les tiens ont été acceptés. ” Contre sa peau, le tissu enchanté s'ajuste parfaitement et elle prend la pose, tourne sur elle, attendant l'avis d'Astoria : “ Tout ça pour que j'achète tes modèles, en plus. Tu n'as pas honte de toi ? ”

“ Oui, tu as eu raison ; et ta mère souhaite que nous fêtions dignement notre installation, elle ne voudrait pas que nous manquions de quoi que ce soit. — Exactement! ” s'exclame Astoria avec emphase, et un énorme sourire complice sur les lèvres. Elle est contente que Tracey ne fasse pas son embarrassée et refuse tout de go le cadeau: elle a eu peur, pendant un instant, que jamais rien ne puisse remplacer ce qui a été réduit en cendres... Astoria essaie de ne pas trop y penser. Elle se demande juste, plutôt vaguement, ce qu'il arriverait d'elle si un jour, toute sa vie, toute sa maison s'effondrait. Quel sentiment lui tirerait la destruction de Greengrass Manor, théâtre de tant de misères — la première fois qu'elle est tombée à genoux sur du gravier, toute sa grossesse, les nuits enfermées dans sa chambre par Père, les disputes interminables avec ses parents — mais aussi de tant de petites joies — les jeux de cache-cache interminables avec Ethel et Daphne, les longues soirées à refaire le monde entre deux fous rires avec Tracey, Basil lui lisant ses livres préférés en prenant sa mauvaise voix de conteur.
Mais pourquoi pense-t-elle à ça? Jamais Greengrass Manor ne sera détruit. La maison familiale existe depuis des siècles, paraît-il. “ Je vais essayer ça d'abord ; puis après, si on a encore du Daisyroot Draught, je te prépare le cocktail que le barman de l'hôtel m'a appris mercredi. ” Et les mains d'Astoria qui se serrent sur sa poitrine, alors que d'un bonheur tout simple et joyeux, son visage passe à une expression machiavélique et complice. “ Oh you did not, ” murmure-t-elle, l'air ravi. Did what, personne ne le sait; mais la perspective de la petite anecdote semble rendre Astoria plus heureuse encore que si on lui avait annoncé que Tracey allait lui servir de mannequin pendant un week-end entier, et sans protester.

Elles vont vers le salon, Tracey est déjà moitié en train de se déshabiller — depuis son aventure avec Anthea, même si Astoria préfère ne pas trop y penser, elle se surprend à regarder de plus en plus les femmes et c'est autant déroutant que... satisfaisant? un peu — et Astoria s'assoit avec un petit rire de contentement sur un fauteuil en attirant à elle le vin pétillant de sa mère, ainsi que deux verres à vin vides. La magie est hésitante, les verres manquent de trembler, et le vin s'agite un peu trop; “ En fait, tu viens de me donner les rebuts de la prochaine collection T&T, c'est ça ? Astoria grimace légèrement. Oui. Bon. Sans doute. C'est méchant de me donner les modèles faits par tes collègues sous prétexte que tous les tiens ont été acceptés. ” Et puis elle éclate de rire, un rire léger, en observant Tracey enfiler la robe, son oeil critique qui trouvait jusque là le vêtement sans personnalité ni originalité, doit admettre qu'une fois magiquement ajusté, la robe lui va bien. Il faudra peut-être changer la couleur pour souligner le teint de Tracey mais-- “ Tout ça pour que j'achète tes modèles, en plus. Tu n'as pas honte de toi ? ” Et un nouveau rire. “ Que puis-je dire pour me défendre, Tracey? ” Elle hausse les épaules. Elle ne cache plus son ambition, et encore moins le fait que pour une fois, elle est bonne à ce qu'elle fait. “ Elle te va très bien, la rassure-t-elle alors que Tracey prend une autre pose. Même si le décolleté est un peu trop... conservateur. Et que ce n'est certainement pas ta couleur. Et que- enfin bref, oui, la coupe te va bien. J'avais jamais remarqué que tes jambes étaient aussi longues, ” fait-elle presque pensivement, la révélation autant soudaine qu'inutile, semble-t-il. Elle fronce les sourcils en revenant à son esprit. “ Suivante, suivante. C'est cette peste de Zenya qui a dessiné celle-là, je ne sais pas si je supporterai de te voir dedans une seconde de plus. Alastar dit que-- ” Elle s'interrompt, rosissant légèrement. “ Peu importe. ”
On s'en fiche d'Alastar. Mieux vaut ne pas penser à lui. Elle ne sait pas comment penser à lui. Ils sont, plus ou moins, ensemble... ou en tout cas, il est sous le charme, et elle aussi. Et puis, c'est juste une mascarade, tout ça. Bref. Pas important. Pincement des lèvres, elle se penche, ouvre le champagne, s'affaire à remplir deux verres. “ Suivant, ” fait-elle, sous couvert d'un faux ordre, reportant un regard amusé sur Tracey en glissant une gorgée de vin dans sa gorge. Autant commencer tout de suite.