15 septembre. Les jours défilent et cessent progressivement de se ressembler.
Le marasme de douleur et de confusion se dissipe peu à peu,
trop lentement toutefois. Ginny n'a rien tant voulu, d'abord, que s'en
extirper et
comprendre, mais à présent que le flou macabre se précise, une part d'elle regrette d'être livrée à l'infâme
lucidité et à ses vérités.
Elle dort beaucoup, souvent, d'un sommeil soit agité soit heureusement privé de rêve par les Potions ; mais
les sons l'agressent dès qu'elle émerge. Distants, distordus, omniprésents néanmoins. Objets qui se percutent trop bruyamment, discussions résonnant d'une curieuse façon à travers la porte close — mots perçus indistinctement, claquement des rideaux devant la fenêtre, vie végétale et animale foisonnant au-delà des murs. Ce n'est pas le pire. Le pire, c'est la
voix à l'intérieur. Quand Edouard s'éloigne elle s'
insurge. Quand Ginny se traîne elle gronde de l'intérieur, roulements menaçants vibrant au creux de sa cage thoracique. (
LEVE-TOI HUMAINE. LEVE-TOI, JE DOIS VIVRE). L'automne a toujours été sa saison mais sa perception a changé. Il y en elle une louve fébrile qui s'éveille au monde et qui voudrait hurler sa satisfaction
d'exister. Elle sent les
proies qui s'affairent et l'odeur des feuilles mortes et de la terre humide et elle voudrait bouleverser le paysage d'or et de feu de ses longues foulées exaltées. La chambre semble de plus en plus
étroite, elle jurerait que les murs se rapprochent d'heure en heure, mais le pire, c'est ce corps. Les muscles engourdis et amorphes de la rouquine jurent avec l'énergie qui rugit dans ses veines, dans son sang, écoulant des vagues d'adrénaline jusqu'à ses terminaisons nerveuses qui picotent désagréablement. (
TU AS ASSEZ DORMI, SORTONS, SORTONS). Ginny ferme plus fort les paupières et enfonce son visage dans l'oreiller te pense
tais-toi, tais-toi, retourne d'où tu viens je ne veux pas de toi en moi !, sa main tâtonne aveuglément le chevet en quête d'une fiole laissée là et sur son passage elle renverse maladroitement deux, trois bricoles sans s'en soucier. (
MAIS JE SUIS TOI). Soulagement lorsque ses phalanges heurtent les courbes du cristal. (
TU NE PEUX PAS ME FAIRE TAIRE, TU NE PEUX PAS M'ECHAPP-) Trois grandes gorgées précipitées atténuent le tumulte et elle s'étouffe presque en engloutissant la quatrième, s'essuie le menton d'un index tremblant pour cueillir jusqu'à la dernière goutte de décoction. Retombe pesamment sur le matelas.
Elle n'a jamais supporté d'être alitée, Ginny, jusqu'à aujourd'hui. Elle veut être seule dans sa tête et seule dans son corps. Mais il lui semble que chaque mouvement effectué éveille un peu plus ce qui l'habite, là où elle ne rêve que de le faire
disparaitre. Quand on lui a confirmé ce qu'elle savait déjà mais refusait d'assimiler — sa
transformation — elle n'a pas tout à fait su comment réagir. Égarée, perplexe, incapable de mesurer l'intensité de l'impact que son existence subirait. Mais elle commence à voir combien cette
chose est envahissante.
Tout dépend du sorcier, lui a-t-on dit,
le premier mois peut être plus ou moins inconfortable selon le caractère du loup, et la sienne, de louve, cogne déjà avec virulence contre ses barrières. Battements effrénés d'un cœur bouleversé, nouvelle dose : potion de Sommeil Sans Rêve cette fois. Elle veut que ça
cesse.
A son réveil suivant, elle est encore groggy par la PSSR et le décor sur lequel s'ouvrent ses paupières met un instant avant de se préciser. Elle se tend en percevant une présence avant même de l'entendre ou de la voir. Débat intérieur.
La louve est méfiante, froissée de n'avoir été alertée dès l'
approche d'une intruse, de s'être laissée prendre de court. Mais c'est
Susan. Ginny ne raffole plus du Conseil depuis des semaines, mais c'est tout de même
Susan. La rousse reste dans l'expectative, oscillant entre reconnaissance et défiance, et puis-
Bonjour, ma belle. C'est la voix familière, c'est la femme qui l'a aidée après l'exécution à laquelle elle a échappé, c'est une alliée et même plus,
bien sûr. Comme s'il lui fallait ce signal pour s'apaiser, Ginny se détend.
Désolée d’avoir débarqué un peu à l’improviste. J’aurais dû te prévenir. Son approche, cependant, titille de nouveau les nerfs à vif de la louve, qui
gronde en la Weasley. (
CHASSE-LA), exige-t-elle brusquement, ayant tranché pour la négative, parce qu'elle ne veut que la meute, elle ne veut que l'odeur des loups, elle n'apprécie guère ces humains qu'elle ne peut ni considérer comme siens ni croquer.
C'est une amie, réplique muettement Ginny, sans parvenir à apaiser la tempête.
Dis-moi si tu veux continuer à dormir, je peux revenir plus tard. (
CHASSE-LA). La blessée se racle légèrement la gorge, pour en extirper sa voix rauque, s'humecte les lèvres. Il vaut mieux qu'elle accepte — elle ne sait comment pourrait réagir l'animal impulsif qu'elle couve, mais... mais elle ne veut pas
céder, elle refuse que cette chose régisse sa vie, elle- (
CHASSE-LA !) Les lèvres de l'ancienne gryffondor se serrent, plissées d'amertume.
Je- (
CHASSE)
Je veux- (
LA)
Faim, j'ai faim, biaise-t-elle et enfin, la contrariété de sa part indomptée s'apaise... C'est comme si elle pouvait
percevoir la créature, tapie au plus près du sol, oreilles basses, hésitant entre bondir de colère ou se laisser tenter, et lorsqu'il est question du menu- (
VIANDE).
De la viande, plaident les deux phases de son être, en accord pour la toute première fois depuis qu'elles ont été appairées par la pleine lune.
J'ai faim de viande- (
SANG). (elle déglutit péniblement)
saignante. Sa voix est étranglée sur la dernière syllabe. Elle l'a toujours préféré
bien cuite, sa viande, alors pourquoi salive-t-elle à la seule pensée du liquide rougeâtre suintant d'une pièce presque
crue, pourquoi cette image qui l’écœurait lui semble-t-elle soudain...
savoureuse ? Elle se redresse seule, calant difficilement un oreiller puis son épaule contre la tête de lit, évitant de peser directement sur son dos.
Qu'est-ce qui t'amène ? Question brève qui en recèle bien d'autres.
Es-tu là à titre personnel, professionnel ou au nom du Conseil ? Kingsley a convoqué Ginevra et si elle n'a pas encore été confrontée à lui, elle ne s'attend pas à ce que lui ou le reste du Conseil veuille la féliciter concernant le retour d'Hagrid- oh !
Et Hagrid ? Elle n'a eu aucune nouvelle de lui depuis son arrivée à Storm's End ; à vrai dire elle a été coupée d'un peu tout.
Elle est contente de voir Susan, à vrai dire, mais l'incertitude quant à ce qui l'attend la pousse à rester sur ses gardes.