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sujet; (MAI 99) ROMES • I was born by the river |
| Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come Je ne sais pas si Rohan a déjà été aussi terrifiant qu'en cet instant. Pour remettre le contexte, Rohan est un loup-garou qui grogne plus qu'il ne parle, un amas de muscles et de thestostérone avec les yeux bleus les plus pénétrants que j'ai rencontré de ma vie. Je l'ai vu durant la pleine lune, je l'ai vu en chasse, je l'ai vu énervé, je l'ai vu en train de se battre pour sa vie. De tous ces moments, je n'ai jamais vraiment craint pour ma sécurité, je n'ai jamais vraiment été terrifié par sa simple présence. Pourtant, là, j'ai juste envie de reculer pendant qu'il s'approche, alors que je suis déjà dos au mur. Je voudrais le fuir, fuir mon actes et ses conséquences. Je reste figé et immobile. Je ne sais pas ce que Rohan veut. Il s'approche de moi, et je ne sais pas si j'ai plus peur qu'il m'embrasse ou qu'il me tue. Je ne sais pas s'il me hait ou s'il m'aime. Je ne sais pas s'il me veut, si je le dégoûte, si je l'indiffère. Je suis censé les comprendre, les signaux, je suis censé savoir quand je plais à quelqu'un, et jamais me glisser en terre inconnue. J'ai pas l'air, comme ça, mais je suis prudent dans mes relations. Je ne suis pas assez passionnel pour me lancer dans des amours à sens unique. Je n'ai même pas assez de couilles pour arriver à articulier « amours » sans sourire, toujours dubitatif de la profondeur de mes sentiments. C'est toujours l'autre qui est à fond, toujours l'autre qui a envie, et c'est toujours moi qui m'adapte, avant de finir par me lasser. Alors pourquoi je me fais avoir comme un débutant par un puceau ? J'essaye de m'indigner, j'essaye de m'accrocher, vainement, au ridicule de la situation. Je voudrais détendre l'atmosphère d'une remarque moqueuse mais je reste pendu à ses lèvres, attendant doucement le jugement de sa décision. Je me force à ne pas penser à mes genoux qui menacent de se dissoudre sous mon poids, sous son regard d'acier. Il ne dit rien, Rohan, et pourtant je suis perdu sur ses lèvres, ses délicieuses lèvres qui, je n'ai pas rêvé, je n'ai pas rêvé, ont répondu à mon contact, se sont ouvertes sous mon baiser. Je n'ai pas rêvé, il y a quelque chose. Je ne suis pas un idiot. Alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'avoir complètement foiré ? Je reste muet, c'est l'intensité de sa mâchoire qui me force au silence, j'ai peur qu'un mot de ma part suffise pour qu'il m'implose au visage, qu'il me prenne ou qu'il me tue. Qu'est-ce qui me prend d'aimer un monstre pareil ?
Il s'approche encore plus de moi, je ne bouge toujours pas, hésitant entre me réfugier dans le coin et lui sauter au cou. j'amorce finalement un simple mouvement de bras vers lui, hésitant, crevant comme un con d'espoir. Je le frole alors qu'il se penche, attrape son sac, et quitte le châlet en courant.
Une seconde, au moins, je reste tétanisé, la main encore levée, blanc comme neige. Puis l'instinct, terrible, me rattrape et je me précipite à sa poursuite, je hurle : « ROHAN ! » en arrivant à la porte, dans une tentative pitoyable de le faire se retourner. Je veux le poursuivre, lui courir après, transplaner s'il le faut et lui sauter dessus, le frapper d'oser m'abandonner, puis l'embrasser, encore, parce qu'il sait que lui aussi il- mais non, mes griffes sont enfoncées dans l'armature de la porte, je suis tendu comme un arc à l'entrée, je fixe son dos finir de s'éloigner. Je ne quitte pas la cabane. Je suis incapable de laisser la petite. Rohan peut tout oublier, tout lâcher, et juste fuir et m'abandonner, mais moi je suis juste attaché ici, comme un con. Je suis incapable de la laisser.
Je trouve refuge sur une chaise solitaire, face au lit, à fixer le visage de la gamine. Au début, je me dis que Rohan a juste besoin de dealer avec mon baiser ailleurs. Voilà. Il est tellement amoureux de moi qu'il doit respirer un peu avant de revenir, me supplier de lui pardonner, me persuader qu'il est fou amoureux de moi, qu'il ne recommencera jamais. Et puis après il me dira qu'il a trouvé le remède contre la lycanthropie, aussi ? Quel bouffon je suis. Il est parti avec son sac, il a bien pris le sien, et je suis sûr qu'il a bien mis ses affaires personnelles dans celui-là. On essaye de faire gaffe, au cas où l'on doive se séparer. Avec ce sac, il peut tenir des jours, des semaines, il peut juste aller refaire sa vie ailleurs, loin de mes baisers et des gamines mourantes. Ou alors il est parti chasser, il s'en fout, complètement, mais alors royalement, de mes sentiments. Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Il est juste parti chasser, prendre l'air, ou alors peut-être qu'il se souvient d'une plante spécifique qui aiderait la petite. Il a du partir pour elle. Et si tout cela avait été prémédité ? Si, dès que le départ, dès le moment où j'ai proposé d'aller à cette cabine, il avait déjà décidé de me laisser ? Quel débile ce James, à vouloir sauver des moldues, en plus il est gay et je suis un loup viril et hétéro, je ne fricotte pas avec ces gens là. Mais putain, qu'est-ce que j'en sais de ce qu'il pense...
Les heures s'écoulent, doucement, sûrement. Je reste dans ma cage, je m'occupe de la petite, je lui chante des trucs au hasard, je lui raconte d'autres trucs au hasard, j'essaye de réchauffer de la soupe, et avec ma baguette de la faire couler entre ses lèvres. Le temps passe, mes pensées tournent en rond, j'essaye d'ignorer l'image de Rohan mais elle revient dès que je fixe n'importe quel élément de cette putain de cabine. J'ai faim mais je n'arrive pas à aller jusqu'à me résoudre à manger, écoeuré du loup qui demande de la viande fraiche, encore, encore.
« Ta gueule le loup, je suis occupé là. » « Je vois ça oui, occupé à faire la gonzesse dans ton histoire à l'eau de rose. » « Je ne te permets pas de parler de Rohan comme ça ! » « Ah bah oui tiens, protège celui qui nous a abandonné, vas-y, fais-toi plaisir ! Il te manquait juste ça pour clôturer le ridicule. Remarque c'est vrai que Rohan, lui, est un loup, un vrai. Pas comme toi qui l'imite juste comme un bon petit suiveur. » « Comme si tu étais mieux. Tu crois que j'ai pas senti comment tu l'as suivi, toute la nuit, fidèle et obéissant, craignant de le décevoir toutes les deux secondes ? » « Au moins je ne le fais pas fuir en essayant de lui faire des louveteaux ! » « Il n'est pas contre ! » « Ah oui, c'est pour ça qu'il t'a abandonné ? Pour te montrer à quel point il t'aime ? » « Tu ne sais pas pourquoi il est parti, si ça se trouve... » « Arrête avec tes conneries. Y a que nous qui nous préoccupons de la gamine, y a que nous pour vouloir vraiment fonder une Meute. Tu le sens, que c'est un loup solitaire. » « ... » « On essaye d'entrer dans sa vie, on essaye de créer quelque chose, et pendant ce temps-là il ne te considère jamais comme un loup, pas un vrai. Il peut sentir ta faiblesse, tes désirs futiles, et c'est ça qui le dégoûte. Il est bien mieux tout seul. On va sauver la petite, et on va rejoindre Leo et Joshua, et on va enfin pouvoir - » « NE TE PERMETS PAS DE PARLER D'EUX. »
Je me dresse brusquement, la chaise tombe, je retiens la gifle que je veux m'envoyer à moi-même, je déteste me retrouver seul et recommencer à parler avec mon loup. Il ne se cache que lorsqu'il y a quelqu'un, parce qu'il sait que, seul, je ne fais pas le poids. Je le sens, que je n'arrive pas à lui résister, et que je tombe beaucoup trop facilement d'accord avec lui. Et je déteste sentir que, lui, aurait le courage de faire partie de la vie de Joshua... parce que, lui, n'a pas peur de les transformer en monstres. Parfois je voudrais juste lui laisser les rennes de tout cela, tant je jalouse sa façon si claire de voir les choses.
On en est en fin d'après-midi et Rohan n'est toujours pas revenu. Je crois que je vais devoir me faire à l'idée qu'il ne reviendra pas, que mes conneries m'ont fait perdre ce qui se rapprochait le plus d'un ami, et qu'il me reste juste un loup blasé et une moldue mourante. J'essaye de me dire que je vais m'en remettre, que c'était déjà bien, un an, c'est pas si mal. Et puis j'ai pu goûter les lèvres de Rohan, je peux me souvenir du contact de sa peau, de la façon dont il a failli, failli m'appartenir. J'essaye de m'accrocher à cette chance, mais je pleure de nouveau sur les draps de la gamine.
Je crois que je me suis endormi après avoir fini de pleurer. Je me sens faible et épuisé, mais un mouvement m'a tiré de mes songes et je me dresse aussitôt, vérifie la pièce... pas de Rohan. Je sens mon ventre se dissoudre de nouveau, jusqu'à sentir les yeux posés sur moi. La petite est réveillée. Elle n'a pas l'air bien, mais elle me fixe avec une intensité qu'elle n'avait pas avant. « Coucou toi. » murmuré-je, presque persuadé d'être encore dans un rêve. Elle ne répond pas, mais elle a un clignement des yeux qui est une réponse, j'en suis sûr. « Je suis James. » Elle a une ombre de sourire, moqueur, sur les lèvres. « Ahahaha oui, je te l'ai déjà dit en fait, plusieurs fois, même. » Elle sourit toujours, je l'aime déjà, c'est ridicule. « Comment tu te sens ? » Une grimace me répond, et je hoche la tête d'un air entendu. « Moins pire quand même ? » D'un mouvement des cils, elle acquiesce. Je crois que je sens de la reconnaissance dans ses yeux, mais c'est peut-être moi qui me fait des films. Ce ne serait pas la première fois. « Et tu... comment tu t'appelles ? » Ses yeux s'ouvrent, puis se froncent, comme si je la forçais à se reconnecter à quelque chose qu'elle avait oublié, qu'elle voulait oublier. Je vais pour remballer ma question, comme si elle n'était jamais arrivée, puis finalement une voix rauque et sèche murmure : « Sa... rah. » Sarah, elle s'appelle Sarah. Comme... J'empêche, une énième fois, les sourires de l'Autriche venir noircir l'instant présent. Je souris, tendrement, ravi comme un imbécile d'avoir ne serait que ce bout d'information. Ce n'est plus juste une gamine, c'est Sarah. Je lève les yeux, le cœur battant, mais ma gorge se serre lorsque je me souviens que non, Rohan n'est pas là et ne sera pas là pour fêter cette victoire. Parce qu'il est parti. J'inspire et expire profondément, parce que ce n'est pas le moment de ressasser cela, maintenant il faut prendre soin de Sarah (Sarah Sarah Sarah). « Enchanté Sarah, et bien sauf si tu te sens d'attaque pour manger... » elle a juste à ouvrir des yeux horrifiés pour comprendre qu'elle a déjà utilisé trop de forces à parler. « Je vais te faire boire un peu, et te laisser te rendormir. » Elle acquiesce, uniquement avec les yeux, et je ramène doucement un verre à ses lèvres. On en met un peu partout, mais j'en rigole au lieu de la prendre en pitié, et je l'essuie avec la tendresse que j'aurais aimé avoir utilisé avec Joshua. « Allez, je serai là à ton réveil, ne t'inquiète pas. » Il n'y a pas besoin de plus pour qu'elle retourne au pays des songes.
Si Rohan avait été là, on aurait pu faire des tours de garde. Mais Rohan est parti alors je reste immobile, sur ma chaise, à siroter un thé que j'ai fini par trouver quelque part, unique chose que j'arrive à avaler sans avoir la nausée, malgré les remarques acerbes du loup. Je déteste manger les lendemains de pleine lune, et ni lui ni Rohan ne savent respecter cela.
Si Rohan ne m'avait pas abandonné, j'aurais pu lui dormir dessus, en plus, parce qu'actuellement je voudrais juste une chaleur humaine, et je ne me sens pas encore prêt à me coller à Sarah pour m'endormir.
Si Rohan n'avait pas été le plus gros des bouffons, j'arriverai à penser à autre chose qu'à lui, et je serais peut-être en train d'avoir une idée merveilleuse pour aider la petite, au lieu de me morfondre.
C'est après une demi-heure que j'ai du passer à m'expliquer à moi-même à quel point je me moquais à présent complètement de l'autre blond que la porte de la baraque s'ouvrit sur.... l'autre blond lui-même. Il avait l'air fatigué, épuisé, mais plus serein. Et il avait des lapins morts dans les mains, ce qui me rendit aussitôt la nausée.
Nous nous observons, un instant, sans rien dire. Je crois que je le fusille du regard, mais je crois que je pue trop le soulagement pour être crédible.
Je finis par détacher mes yeux de son visage de gros lâche pour les reporter sur la petite. Je lâche, aussi froidement que je le peux : « Elle s'appelle Sarah. » |
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HERO • we saved the world Rohan Helvar | Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come Il ne voit plus rien et il n’arrive même plus à lever les pieds suffisamment haut alors c’est un peu inévitable. Il finit par se prendre les pieds dans une racine et s’étaler si lourdement que c’en est pathétique. Un grognement sourd lui échappe et aussitôt, l’odeur du sang lui agresse les narines. Il ne prend pas la peine de regarder ses paumes et ses genoux écorchés, il ne se relève même pas, non. Les poumons en feu, il tente de reprendre son souffle, mais ça ressemble à des hoquets misérables alors il finit par se rouler en boule, à même le sol. Quelque chose cloche chez lui. Ils avaient raison, finalement. De le mépriser, de le mettre à l’écart, ils avaient raison. Il n’est pas normal. Pourquoi Claevis s’est-il emmerdé à le protéger, toutes ces années ? Il l’a forcément senti lui aussi, il ne pouvait pas ignorer ce que tous les autres avaient vu. Rohan n’a jamais aimé tuer. Ça ne dérange pas le loup, il l’a fait pour la meute, sans se poser de questions, il l’a fait par plaisir aussi. Mais Rohan n’a jamais réussi à aimer ça, contrairement aux autres. Claevis aurait abandonné la moldue, il n’aurait pas essayé de la soigner, encore moins pour les yeux larmoyants d’un faux loup qui n’y connaît rien. Mais Rohan n’est pas un vrai loup non plus. Sinon pourquoi toutes ces faiblesses, pourquoi épargne-t-il ce qui devrait mourir, pourquoi est-il incapable de regarder un cadavre sans avoir envie de vomir ? Une tare s’accompagne souvent de bien d’autres, pas vrai ? Ou alors, c’est James. Tout allait bien, avant lui. Ce n’était pas parfait, mais il avait encore le contrôle, il pouvait ne pas y penser. Mais depuis qu’il a rencontré James, le loup que Claevis a mis des années à forger semble passer au second plan pour laisser apparaître l’humain faible et pathétique que Rohan a été forcé d’abandonner pour survivre. Il ne veut pas redevenir cet humain. Il le méprise.
Il aurait dû le comprendre avant. Ça a commencé par les rêves. Enfin, les cauchemars, plutôt. Ceux qui le réveillent en plein milieu de la nuit, en sueur et tremblant, persuadé qu’un monstre aux crocs immenses va déchiqueter ses chairs. Ceux où il se voit, traîné par la bête sur le sol, dans le sang et les entrailles des autres, de ceux qui souriaient tout le temps. Il n’avait plus fait ces cauchemars depuis des années, mais les discussions au coin du feu avec James les ont rappelés. C’est là qu’il aurait dû partir. Avant que ça n’aille plus loin. Avant qu’il ne commence à voir ces images d’une autre vie, d’un autre Rohan. Avant de se rendre compte que parfois, il détestait Claevis. Il ne peut pas détester Clae. C’est son créateur. C’était. Sa mort a laissé un vide qu’il sent encore chaque jour, il était son protecteur et sa famille, il ne peut pas haïr celui qui lui a tout appris, celui qui lui a permis de devenir plus fort, de survivre. A cause de James, il a commencé à détester le seul qui s’est occupé de lui.
Et maintenant, à cause de James, il donne raison à tous les autres. A Morgana. Quelque chose cloche chez lui.
Ceux qui ne s’adaptent pas meurent, ou sont jetés de la meute. C’est ce qui est arrivé, après tout. Oh il n’a pas donné la vraie raison à James, il lui a dit qu’il refusait de tuer et que ça ne leur a pas plus. Ce n’est pas totalement un mensonge, mais ce n’est pas l’entière vérité non plus. Comment aurait-il pu lui dire que ceux qu’il dresse comme un modèle, que ceux qu’il présente comme ses sauveurs, n’ont en réalité jamais eu le moindre intérêt pour lui ? Qu’ils n’ont jamais rien éprouvé d’autre que du mépris à son égard ? Il ne lui a pas dit, non. Mais James n’aurait pas compris, pas vrai ? Parce que lui non plus, n’est pas un vrai loup. Parce qu’un truc cloche chez lui aussi et il ne s’en rend même pas compte et il contamine Rohan avec.
Il aurait dû s’en aller il y a des mois. Laisser ce pseudo loup même pas fichu de réaliser qu’il se trouvait sur le territoire d’une meute hostile dans sa merde et continuer son chemin. Il aurait dû rester tout seul, puisque de toute évidence, rien ne lui correspond et il ne correspond à rien.
Claevis s’est forcément trompé en le choisissant lui.
Rohan ne sait pas combien de temps il reste là, recroquevillé sur lui-même au sol. Assez pour prendre une décision. Quand il se redresse enfin, grimaçant à cause de ses muscles qui protestent du traitement qu’il leur a infligés après une nuit de pleine lune, il est bien décidé à mettre le plus de distance entre lui et James. Il récupère son sac, le jette sur son épaule et s’enfonce plus encore dans la forêt. Il ne perçoit plus l’odeur de l’autre loup et de la moldue, c’est bon signe, déjà. Il n’a pas besoin de lui. Il sait survivre, Claevis lui a appris comment faire. C’est James, pathétique James, qui avait besoin de lui, qui serait probablement déjà mort, sans lui. C’est pour ça qu’il restait, oui. Parce qu’il avait pitié de lui. Mais il a sa moldue maintenant. Enfin, elle ne survivra probablement pas et il va encore pleurer et Rohan n’a vraiment pas envie d’assister à ça. C’est mieux s’il s’en va, s’il ne revient jamais, s’il ne repose plus jamais son regard sur James.
Penser à lui l’énerve, le dégoûte. Oui, voilà. C’est bien, comme ça.
Rohan passe une bonne partie de la journée à marcher. C’est quelque chose qu’il ne peut pas vraiment faire, avec James. Du moins pas tranquillement, comme ça. Il finit toujours par se sentir obligé de parler, de faire des blagues stupides que Rohan ne comprend pas, ou de se plaindre qu’il marche trop vite alors qu’ils ont toute la vie devant eux. Là, il n’y a rien que lui et la forêt. Il peut percevoir chaque son sans être emmerdé par des monologues auxquels il ne comprend rien, ou par James qui respire trop fort. Il peut capter tout un tas d’odeur, sans être gêné par celle de l’autre loup. Il se fige, en réalisant qu’il n’a fait que tourner en rond et qu’il est devant un lapin pris dans un des pièges qu’il a posés à plusieurs kilomètres de leur ancien camp. Il doit être coincé là depuis plusieurs heures, parce qu’il ne se remet à bouger qu’en l’entendant approcher, alors que Rohan sent clairement qu’il est épuisé. Il se dit qu’il va le laisser là, pour James, avant de se rappeler qu’il ne pensera probablement pas à venir vérifier les pièges, puisque ce n’est jamais lui qui le fait, parce qu’à chaque fois, il veut libérer les pauvres bêtes et parce que ce crétin pleure à chaque fois que Rohan les tue.
Le blond serre les dents.
Pourquoi il reste planté là ? Il a pris sa décision. Il doit s’éloigner de James, rien ne le retient ici. La gamine ? Il s’en occupera. Rohan lui a dit quoi faire, faire baisser sa température et la maintenir hydratée, ce n’est pas compliqué.
Mais est-ce qu’il sait créer des bandages stériles ? Il l’a vu faire. Mais est-ce qu’il a retenu ? Est-ce qu’il sait quelles plantes Rohan a utilisées ? Il ne saura pas refaire le cataplasme.
Et si la plaie s’infecte ?
Et s’il fait un truc stupide, comme se mettre en danger en allant chercher de quoi sauver la gamine parce que Rohan n’est plus là pour l’aider et lui dire quoi faire ?
Et s’il part chercher de la nourriture et se fait attraper, parce qu’il n’est pas fichu de savoir chasser et ne peut pas passer le restant de ses jours à manger des baies et des noix ?
Et s’il ne sent pas une menace approcher, parce qu’il lui arrive encore de ne pas faire attention à ces choses-là ?
Et si… et si James meurt vraiment, parce qu’il est parti ?
Rohan a la tête qui tourne, alors il laisse son sac glisser de son épaule et s’accroupit, le souffle court. Devant lui, le lapin a arrêté de se débattre avec le piège et lui lance un regard terrifié. Il est désolé, d’accord ? Il est désolé, vraiment, mais il ne peut pas y retourner. Il sait que James a besoin de lui, cet idiot ne peut pas se débrouiller tout seul, mais et lui alors ? Hein ? S’il y retourne, s’il le voit, s’il perçoit ne serait-ce que son odeur, son cœur va s’affoler et il va avoir envie de—de—Il ne peut pas avoir ces envies. Alors il est désolé, oui, mais il ne peut pas y retourner, parce que ce serait du suicide, tout simplement. Il ne peut pas être faible. Il ne peut pas être humain, d’accord ? C’est trop compliqué, il a oublié comment faire. Il a oublié comment c’était et à chaque fois qu’il a l’impression de s’en rappeler, il fait des trucs qui n’ont pas de sens et ça fait mal et Rohan déteste ça. Alors il est désolé oui, profondément désolé, parce qu’il voudrait vraiment pouvoir y retourner parce que… parce que…
Parce que ça fait maintenant un an qu’il est avec James, chaque jour, chaque nuit. Parce qu’il ne sait rien de lui et pourtant, il le connaît par cœur. Parce qu’il sait quand il s’apprête à dire quelque chose de stupide et quand il est triste mais qu’il ne veut pas le montrer. Parce qu’il n’est qu’un loup pas vraiment loup un peu bête et pourtant, il lui donne plus l’impression d’avoir trouvé sa place, d’avoir trouvé sa meute que ceux avec qui il a grandi. Il est tout seul, il n’est qu’une seule personne, comment peut-il faire ça ? Parce qu’il est le premier à ne pas donner l’impression à Rohan d’être trop différent, de ne pas être assez, d’être trop. Parce qu’il est le premier à le regarder comme il le fait quand il croit que Rohan ne le voit pas et à chaque fois, ça lui donne envie de refermer ses bras autour de lui et de nicher son nez dans ses cheveux et de s’enivrer de son odeur. Parce que quand il se réveille, à moitié écrasé sous James, il s’échappe toujours mais en réalité, il a envie de rester là et de se rendormir.
Parce que ce n’est pas James qui a besoin de lui. C’est Rohan qui a besoin de James.
Took ye long enough.
Un hoquet misérable lui échappe et c’est là qu’il prend conscience qu’il est en train de pleurer, de vraiment pleurer. Pas juste quelques larmes qui coulent, comme celles qu’il s’autorisait parfois, de colère et de frustration, à l’écart de la meute, juste quelques secondes. Non là, ses épaules tremblent et il serre les dents de toutes ses forces parce que sinon, il sent qu’il va émettre des sons qu’il ne veut pas entendre, parce que c’est déjà suffisamment humiliant comme ça. Son poing se referme et s’appuie sur le sol, alors qu’il se laisse aller à pleurer pour la première fois depuis trop longtemps.
Il est stupide. Il est tellement, tellement stupide.
Il est incapable de partir. S’il l’avait fait des mois, un an auparavant, peut-être. Mais c’est trop tard, à présent. James est devenu tout ce qu’il a, tout ce qu’il veut, même. Il a tourné en rond dans le même périmètre pendant des heures parce qu’il est foutrement con et même pas fichu de s’en rendre compte. Il ne peut pas partir. Il ne peut pas quitter James, pas parce qu’il a peur pour sa survie s’il s’en allait, oh non.
Parce que c’est lui qui mourrait, sans James.
Les larmes finissent par se tarir. Rohan inspire profondément et se passe une main sur le visage. Ok. Il attrape le lapin, défait le piège. « Désolé, » croasse-t-il faiblement avant de lui briser la nuque. Il va rentrer. Il va y retourner et il va affronter ça et il va arranger les choses. Il n’est pas bon pour parler, c’est le truc de James, mais là, il va le faire. Ok.
Rohan passe le reste de la journée à faire le tour des pièges, à les réinstaller, à en faire d’autres. Une fois qu’il estime en avoir suffisamment pendus à la sangle de son sac, il s’attaque aux plantes. Celles qu’ils peuvent manger, celles qui pourront aider la gamine. Il ramasse tout ce qu’il trouve, de quoi préparer une réserve suffisante. Si sa fièvre ne baisse pas, si sa blessure s’infecte, il envisage toutes les possibilités et arrache de la terre ce qui devrait être efficace. Ça lui permet de se concentrer sur quelque chose de concret et de ne surtout pas penser au moment où il se retrouvera de nouveau face à James. Quand le soleil commence à se coucher, Rohan reprend la direction du lac et de la cabane de chasseur. Sa marche est lente, pleine d’angoisse et trop silencieuse. Il redoute le moment où il sera enfin rentré. Et en même temps, il n’attend que ça, parce qu’il est épuisé et il meurt de faim. Il n’a rien avalé de la journée. Quand il arrive enfin sur la berge du lac, Rohan prend un moment pour s’asperger le visage d’eau et se remettre les idées en place.
Ok.
Il se lève et approche de la cabane. Déjà, il perçoit l’odeur de James et de la moldue, qui vit toujours apparemment. Le soulagement s’empare de lui et ça l’aide à avoir le courage d’ouvrir la porte de la cabane. Il est là, assis sur une chaise, une tasse de thé coincée entre ses mains et son regard noir fige Rohan sur place. Le blond déglutit, hésite un moment puis referme la porte qui grince terriblement. « Elle s’appelle Sarah, » lâche alors James et le ton qu’il emploie lui fait un peu l’effet d’une gifle, mais il le mérite probablement. Lentement, Rohan retire son sac et le pose par terre, avant de s’approcher de la petite table en bois branlante qui se trouve dans un coin, pour y déposer les lapins. Il tourne le dos à James et en profite pour inspirer profondément. Une fois. Deux fois. Enfin, il se retourne et ouvre la bouche, pour dire qu’il est désolé. D’être parti sans rien dire, de l’avoir laissé penser qu’il l’avait abandonné. Pour dire qu’il n’y connait rien et qu’il sait pas comment font les humains et si c’est normal pour James mais que lui, il ne peut pas et qu’ils ne devraient pas et qu’il est terrifié par tout ça parce qu’il a toutes les raisons de détester ce que James a fait mais il a juste. Tellement. Aimé. Ça.
Il peine à formuler les mots dans sa tête, ils butent sur ses lèvres, alors il franchit la distance qui les sépare, s’accroupit devant James et parle le seul langage qu’il connaît et maîtrise vraiment. Il évite le regard du brun et penche la tête sur le côté, lui expose sa jugulaire.
Je suis désolé.
Il est terrifié, son cœur bat la chamade et ses mains tremblent.
Je mets ma vie entre tes mains. |
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| Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come J'ai appris, depuis que je suis loup, à suivre les odeurs des gens. Je ne sais pas me déplacer en forêt, chasser ou devenir hétérosexuel, mais tout le social me vient presque naturellement et, avec lui, la compréhension des odeurs des gens. J'ai fini par apprendre que les autres sentent toujours moins que Rohan. Je me souviens encore de la force de Leo, de l'odeur de sa colère et de sa détermination. C'était fort, c'était puissant, et pourtant je la sentais tellement moins que chaque détail de ce qu'émane cet incapable de Rohan. Je le réalise maintenant qu'il est de retour, mais il créé des putains de vides et de trop plein dans chaque pièce. Je ne sais pas comment un mec avec autant de présence arrive à être aussi discret lorsqu'il chasse. Il se fait tout petit, le loup, je sens sa peur, ses remords, sa faiblesse alors qu'il laisse les lapins sur la table, bien trop sous mes yeux à mon goût. Il se ratatine sur lui-même, honteux, et pourtant chacun de ses mouvements est comme une immense vague sur ma tronche. Je n'en détache pas les yeux alors qu'il se retourne, et qu'il me fixe, et qu'il ouvre la bouche... et qu'il ne dit rien. Je le regarde en silence, pour une fois. Je suis fatigué, épuisé, j'ai faim, le loup grogne. Mon corps est douloureux, tellement douloureux de la pleine lune, de la course et des larmes. Je suis fatigué et je ne veux pas pardonner à Rohan.
Il est incapable de dire quoi que ce soit, bien sûr. Rohan ne sait pas parler. Je me dis que c'est dans l'ordre des choses. Les yeux de Rohan sont si intenses de toutes les choses qu'il n'arrive pas à articuler, il a les mouvements si lourds de celui qui ne sait pas exprimer ce qu'il ressent. Je sais avant lui qu'il ne dira rien, qu'il restera silencieux, qu'il ne saura pas dire simplement, Je suis désolé, je n'aurais pas du. Je le regarde sans réagir se rapprocher de moi, je suis fatigué de ses histoires, de ses caprices, de son égoïsme et de son incapacité à dire des choses pourtant simple. Rohan est trop faible pour être humain, il est trop idiot pour transformer en mots ce que son loup lui dit. Je le regarde, en silence, se mettre à mes pieds et m'offrir son cou. Avec un autre que lui, j'aurais cru qu'il invitait un baiser, une tendresse, un pardon, quel qu'il soit. J'aurais pu croire qu'il regrette, qu'il veut revenir en arrière et rattraper le temps perdu. Mais non. Rohan retire toute responsabilité, il nie toute participation, il fait l'enfant et demande, simplement, d'être puni. Punis-moi, venge-toi, pour que je me sente mieux, me crie ce cou offert. Rohan pue la peur, il pue la crainte, il tremble comme un enfant, s'il avait su comment faire il serait sûrement en train de pleurer. Il se sent mal, tellement mal, et pourtant il n'arrive pas à faire autre chose que s'abandonner entre mes doigts, comme si j'étais son Alpha, et que je devais le punir. Il veut que je lui fasse mal. Ok.
Je brise le silence, finalement, d'une voix sourde, fatiguée, lassée. « Tu m'as laissé seul. » Seul avec mes doutes, mes larmes, ma fatigue, ma faim et un cadavre. J'ai envie de pleurer, de nouveau, alors j'enchaîne. « Tu nous as laissé seuls. » La petite Sarah qui a besoin de toi, vraiment besoin de toi. Je ne peux pas m'en occuper seul, et Rohan le sait, mais Rohan est un imbécile. « Tu n'abandonnes pas ta Meute, jamais. » C'est lui qui me l'a appris, en plus, c'est lui qui me l'a répété, lui qui m'a engueulé quand je l'ai menacé de juste me casser et le laisser avec ses conneries. The lone wolf dies. « Je n'ai pas pu dormir, avec tes conneries. » Je soupire. « Je ne peux pas la laisser seule, pas maintenant. » Je tourne tout cela au nous, au groupe, je tourne tout cela autour de Sarah parce que je le détesterai trop sinon. Je ne pense pas au rejet, je ne pense pas au fait qu'il ne veuille pas de moi. Il est revenu, pour l'instant c'est tout ce que je me sens de réfléchir. « Alors j'espère que tu as fait un choix aujourd'hui, Rohan. » Je sais qu'il a hésité, vraiment hésité à partir. Je le sens dans la terrible culpabilité qui émane de lui. Il s'en fout de mon cœur brisé, de mes pitoyables tentatives, ce qui le pousse à suplier ma colère c'est qu'il a failli m'abandonner. « Tu restes ou tu te casses, mais je ne veux pas d'un demi-loup égoïste. » Il sait que le traiter d'égoïste touche Rohan, ça le touche au plus profond de sa fierté de loup. Mais il s'est mis à ma merci, il a demandé à se faire punir, je ne compte pas le laisser partir comme ça. Je sens la rage qui commence doucement à monter, je sens la douce colère venir calmer ma fatigue. « Faut que tu saches ce que tu veux, et que tu arrêtes de te mettre dans des états pareils pour trois fois rien. » Je laisse échapper un ricanement, assez cruel pour me faire mal. « Tu vas pas me dire que c'était ton premier baiser ? » Je sais que c'est le cas, je le sens à sa réaction, ça me fait rire, encore. Rohan ne sait pas mentir, tant mieux, je saurai pour deux. « Pauvre louveteau va. Heureusement tu t'es retrouvé avec mon expertise, dis-toi que tu es chanceux. » C'est ça James, t'en as embrassé bien d'autres avant lui, t'en embrasseras encore mille autres après lui, c'est pas ce petit blondinet qui va changer ta vie. « J'espère que tu ne te fais pas de films par contre, je me suis laissé entraîner par l'ambiance et la frustration, ne t'inquiète pas, la prochaine fois que je vais voler quelque chose, je vais m'occuper de ça. » Je suis hilare, joyeux, ça fait du bien de lui faire du mal, et je lui tapote doucement la tête, désinvolte. « Bon allez, relève-toi. » Avant que je ne te croque pour de bon, avant que je t'arrache le cœur à pleine dents, avant que je ne t'attache à cette chaise pour que ne puisse plus jamais oser me faire aussi peur. « Et occupe-toi de tes lapins, ils schlinguent la mort. »
Je m'arrête là, reportant de nouveau mon attention sur Sarah, changeant une énième fois le tissu humide sur son front, lui chuchotant quelques mots d'encouragement. Tout va bien se passer. |
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HERO • we saved the world Rohan Helvar | Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come Rohan ne sait pas comment lui dire autrement qu’il est désolé. Avec des mots ? Il a souvent l’impression que les mots ne veulent pas dire grand-chose. Peut-être parce qu’il les manipule mal, peut-être parce qu’il a l’habitude des actes, plus que des grands discours. Mais il a l’impression qu’aucun mot ne saurait exprimer correctement à quel point il est désolé. Il a l’impression qu’il ne pourrait pas dire mieux tout ce qu’il veut vraiment dire à James, qu’avec ce geste. « Tu m'as laissé seul. » Il ferme les yeux et ne dit rien, il accepte l’accusation, il ne peut pas la réfuter. Il l’a laissé seul et il a même songé à le faire pour de bon. « Tu nous as laissé seuls. » Oui, même elle il a voulu l’abandonner. Et maintenant que James met des mots sur sa ridicule tentative, Rohan a envie de vomir. « Tu n'abandonnes pas ta Meute, jamais. » Ça lui coupe le souffle. Un peu comme un coup de poing dans l’estomac. Il écarquille les yeux, la gorge nouée. Il lui en veut, il lui en veut tellement de ressortir ça maintenant, de n’appliquer ce qu’il essaye de lui apprendre que quand ça l’arrange. Mais il lui en veut surtout de dire la vérité, l’affreuse vérité. « Je n'ai pas pu dormir, avec tes conneries. Je ne peux pas la laisser seule, pas maintenant. Alors j'espère que tu as fait un choix aujourd'hui, Rohan. » Il est revenu, alors il a choisi, pas vrai ? « Tu restes ou tu te casses, mais je ne veux pas d'un demi-loup égoïste. » Il ne sait pas par quoi il se sent le plus insulté. Demi-loup, c’est comme ça que certains l’appelaient. Parce qu’à leurs yeux, il n’agissait pas suffisamment comme un loup pour en mériter l’appellation. Parce qu’il était trop faible. Ou égoïste, parce que James se trompe. Il est parti par lâcheté, mais c’est par égoïsme qu’il est revenu. Cependant, il ne bronche pas, parce qu’il n’en a pas le droit. « Faut que tu saches ce que tu veux, et que tu arrêtes de te mettre dans des états pareils pour trois fois rien. » Trois fois rien ? James l’a—il l’a embrassé et c’est trois fois rien ? Pour lui peut-être. Pas pour Rohan. C’est tout un monde, un univers entier complètement inconnu et terrifiant, pour le blond. James n’a pas le droit de dire que c’est trois fois rien. Pas quand il s’énerve parce qu’il pleut, parce qu’il a faim, parce qu’il a mal au pied, parce qu’un vrai lit lui manque. Ça c’est trois fois rien. « Tu vas pas me dire que c'était ton premier baiser ? » Rohan serre les dents et il sent même ses joues s’échauffer parce que si, bien sûr que c’était son premier baiser.
Qui aurait bien pu avoir l’idée de l’embrasser, à part James ? « Pauvre louveteau va. Heureusement tu t'es retrouvé avec mon expertise, dis-toi que tu es chanceux. » L’embarras laisse place à la colère, peu à peu. A quoi il joue ? C’est comme ça qu’il se venge, en essayant de l’humilier ? « J'espère que tu ne te fais pas de films par contre, je me suis laissé entraîner par l'ambiance et la frustration, ne t'inquiète pas, la prochaine fois que je vais voler quelque chose, je vais m'occuper de ça. » Attends, quoi ? Comment ça, il va s’occuper de ça ? Il ne veut quand même pas dire que— Il était en colère mais là, il a mal. C’est inattendu, ça le prend d’un coup, cette douleur dans la poitrine qui lui coupe le souffle. Alors quoi, il a fait ça sur un coup de tête ? Parce que ça fait longtemps qu’il n’a pas vu quelqu’un d’autre que Rohan ? Il devrait être soulagé par l’idée que James ne recommencera pas. Alors pourquoi il ne l’est pas ? Pourquoi ça lui fait mal comme ça ? « Bon allez, relève-toi. » Il voudrait bien, mais il en est incapable. Il est cloué au sol. « Et occupe-toi de tes lapins, ils schlinguent la mort. » Il l’entend à peine. Il a dit tout ça pour le blesser seulement, pas vrai ? Il ne le pense pas vraiment, il ne peut pas. Il ne peut pas s’être imposé dans sa vie, pris autant de place, être devenu aussi important, pour lui lancer au visage que ça ne veut rien dire. Il n’a pas le droit de faire ça.
Pourquoi est-ce qu’il n’est pas juste soulagé ? C’est ce qu’il voulait, non ? Que tout ceci ne soit qu’une erreur, que ça n’arrive plus jamais, que James lui confirme qu’il n’y a rien du tout. Mais il n’est pas soulagé. Il est encore plus perdu. Rohan arrive enfin à reprendre son souffle, et c’est là que ça le frappe. Pourquoi ne s’en est-il pas rendu compte plus tôt ? Parce qu’il s’est laissé distraire par les mots, au lieu de faire attention au langage qu’il maîtrise.
Ça lui donne la force de se relever, d’approcher de James et de l’attraper par un poignet, pour le forcer à lui faire face. Il ne le lâche pas, avance encore, le forçant à reculer un peu, encore. Le brun s’emmêle un peu les pattes, mais Rohan le tient toujours fermement et ne s’arrête que lorsque le dos de James rencontre le mur le plus proche. Son regard accroche celui de l’autre loup et lorsqu’il se rappelle de ce qu’il a dit plus tôt, lorsqu’il imagine pendant une seule seconde, que James puisse faire ça à un autre, un grondement sourd lui échappe. « C’est pas normal, » murmure-t-il d’une voix rauque. Sa main libère le poignet de James, remonte jusqu’à son visage dont il recouvre la joue d’une paume. « C’est pas—c’est pas normal, » répète-t-il à défaut de pouvoir le dire vraiment. Son front va s’appuyer contre le sien et il ferme les yeux. Il lève son autre main et elle va se poser dans la nuque de James, ses doigts se glissent dans ses cheveux. « Je sais pas-- » comment l’expliquer, mais ça, il le sait déjà, pas vrai ? Il le sait et Rohan ne peut plus compter sur cette stupide excuse, ce n’est pas suffisant. « J’ai envie de t’étrangler, pour ce que t’as fait, » dit-il finalement et ses doigts s’accrochent aux mèches noires, son autre main enserre son visage. « Parce que tu peux pas juste—tu peux pas juste détruire ce que j’ai passé ma vie à— à construire. Tu peux pas faire ça sur un coup de tête alors que moi je—tu peux pas dire que c’est trois fois rien, James, » qu’il souffle et sa voix tremble et se brise un peu. « C’est pas trois fois rien, c’est—c’est toi. Toi et ton stupide sourire et tes chansons nulles et tes blagues qui ne font rire que toi et—et toi qui parle, tout le temps, même quand tu dors, même quand tu dors tu t’arrêtes pas et ça me rend dingue et… » Son visage est si proche de celui de James et il peut sentir son souffle balayer ses lèvres et s’il s’avance encore, s’il s’avance encore un tout petit peu… « Et toi tu plaisantes et tu te marres et c’est trois fois rien mais moi, moi-- » Il déglutit avec difficultés, il fait taire le loup qui gronde et qui le met au défi d’oser dire un truc pareil. « Moi j’ai tout le temps envie de t’embrasser, » avoue-t-il dans un murmure si bas qu’il est à peine audible. « Et ça me rend dingue et ça m’fait peur parce que c’est pas-- » normal.
Il se sent vide, complètement vide et vulnérable et si faible. « J’suis désolé d’être parti, mais je peux pas—c’est pas trois fois rien, » murmure Rohan sans oser ouvrir les yeux, ni s’écarter, ni même bouger. |
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| Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come Une petite partie de mon cerveau, la petite partie qui a la voix de Leopoldine, essaye de me dire que je suis peut-être allé trop loin. Je ne l'écoute pas, bien entendu, je n'écoute plus vraiment grand monde lorsque je suis énervé. Cela m'arrive peu, très peu, techniquement. Depuis la morsure pourtant, je suis terriblement sanguin et je me découvre, de plus en plus, des caprices nerveux qui me mettent dans des états impossibles. J'essaye, actuellement, à cause de la voix de Leopoldine, de me calmer, de m'occuper de Sarah. Sarah me calme. Pourquoi a-t-elle déjà autant de pouvoir sur moi, cette petite ? Je sens que cela va mal tourner, et je sens que j'aurais du écouter plus tôt la petite voix, lorsque je sens la poigne de Rohan sur mon bras. Je lui lance un regard offusqué lorsqu'il me lève de force, j'essaye de résister mais ne réussi qu'à m'emmêler les jambes et manquer de trébucher pendant que, une fois encore, je me retrouve plaqué contre le mur. J'affronte son regard, enragé, avec toute l'insolence dont je suis capable : « C'est pas normal. » J'accuse le coup, je sais ce qu'il veut dire, et j'ai envie de lui cracher à la figure. La paume sur ma joue me brûle, j'ai envie de le tuer, de le tuer pour oser me faire ça en m'insultant. « C'est pas- C'est pas normal. » Je commence une réplique acerbe, quelque chose pour le virer, juste pour qu'il se casse et qu'il me lâche. Puis je sens son front sur le mien, son autre main s'entremêler dans mes cheveux, j'ai l'impression que je vais étouffer. Nos souffles s'entrechoquent, j'alterne entre la colère et le désir, la révolte d'à quel point il est injuste, et égoïste, et qu'il ne- Je vais le tuer, dès que j'aurai fini de faire en sorte que chaque partie de son corps m'appartienne, je le tuerai. « Je ne sais pas- » Tu ne sais pas comment me faire encore plus me torturer ? Tu fais quoi, là, exactement ? Je suis censée faire quoi, te sauter dessus ? « J'ai envie de t'étrangler pour ce que t'as fait. » Et moi je veux t'éventrer pour ce que tu es en train de me faire. Il ne me lâche pas, il reste là, collé à moi, à parler comme si je pouvais réussir à me concentrer sur ma colère sans penser à la proximité de sa peau. Ses doigts bougent, et je reste là, tétanisé, incapable de bouger un seul muscle que ce soit dans sa direction ou loin de lui. « Parce que tu peux pas juste—tu peux pas juste détruire ce que j’ai passé ma vie à— à construire. Tu peux pas faire ça sur un coup de tête alors que moi je—tu peux pas dire que c’est trois fois rien, James, » Je dis ce que je veux, enculé, je fais ce que je veux quand toi tu prends plaisir à me faire des faux espoirs et à me balancer tes répliques homophobes de gros refoulé de merde. « Tu me sous-estimes je crois, Rohan. » répondé-je, acide, dans un souffle, craignant de parler trop fort et qu'il m'entende vraiment. Il me sous-estime, et il sous-estime tout ce que je suis capable de faire par simple caprice. Il en est un caprice, ce petit blond, mon caprice du moment, rien de plus. « C’est pas trois fois rien, c’est—c’est toi. Toi et ton stupide sourire et tes chansons nulles et tes blagues qui ne font rire que toi et—et toi qui parle, tout le temps, même quand tu dors, même quand tu dors tu t’arrêtes pas et ça me rend dingue et… » Et je déteste les larmes qu'il amène dans les yeux avec cette déclaration, avec cet avoeu qui semble lui venir des tripes. Rohan ne ment pas, je le sais depuis longtemps. Le menteur, ici, c'est moi. « Et toi tu plaisantes et tu te marres et c’est trois fois rien mais moi, moi-- » Toi tu ne sais pas ce que tu veux, toi tu me laisses seul, toi tu me dis tout ça mais je sais que tu ne seras jamais capable de terminer ton geste. « Moi j'ai toujours envie de t'embrasser, » murmure-t-il, le monstre, finissant de me couper le souffle. Je ferme les yeux, ne supportant plus ce qu'il me fait subir, ce qu'il m'oblige à traverser. Rohan ne ment pas, mais Rohan est cruel. « Et ça me rend dingue et ça m’fait peur parce que c’est pas- » voilà, on y revient, il n'a pas besoin de le dire, je sais ce qu'il entend. Ce n'est pas normal, ce n'est pas sain, il ne peut pas, et il ne le fera pas. Et tout son discours, sa merveilleuse tendresse, tout cela s'envole juste avec cela. Et je ne sais pas exactement si je veux l'embrasser ou le tuer, hurler ou pleurer. Rohan me fait tout mélanger. « J’suis désolé d’être parti, mais je peux pas—c’est pas trois fois rien. » J'ouvre les yeux, j'apréhende son visage, son immobilité, la peur que je sens émaner de son odeur si proche. Je le regarde ainsi pendant ce qu'il me semble être un temps infini. Mon petit Rohan, le loup qui ne ment pas, le loup qui fait tout honnêtement, qui voudrait avoir la force d'un Alpha et le courage d'une bête aveugle. Il voudrait ne pas m'avoir dans sa vie, ne pas douter, ne pas se poser de questions. Il voudrait, sûrement, ne jamais m'avoir désiré. Moi, en tout cas, je commence à vraiment le regretter. Et je crois que, pour nous deux, il est déjà trop tard. Et je me déteste de n'avoir rien vu venir, ou de n'y avoir rien fait. Je profite, encore un instant, du contact de ses doigts sur ma peau, de la détresse avec laquelle il s'accroche à moi, incapable de faire quoi que ce soit d'autre. Je rêve, furtivement, de l'embrasser de nouveau. Puis j'inspire, je retrouve la colère, l'injustice, la frustration, je fustionne avec cette rage animale et, d'un mouvement brusque et fluide, j'enfonce mon poing dans le plexus solaire de l'autre loup. Je n'aurais jamais pu le frapper, en temps normal, il ne m'aurait jamais laissé terminer mon geste, mais vu son état... je crois que je frappe assez fort pour lui couper le souffle.
J'ai envie de hurler, là, maintenant, mais j'entends aussi le souffle de Sarah et encore une fois, une énième fois, elle passe en premier. « Dehors. » laché-je d'une voix blanche, me dégageant du mur pour passer la porte de la cabine, me retrouvant bientôt à marcher nerveusement quelques mètres en retrait. Rohan me suit finalement et dès qu'il s'immobilise derrière moi je me retourne, enragé, le corps tendu d'une colère trop enfermée. « Mais pour qui tu te prends BORDEL DE MERDE ? » J'ai la respiration saccadée, je l'incendie du regard, ma main se lève dans un semblant de geste de violence qui n'aboutit pas, ma voix part dans des aigus que seule l'émotion peut me faire prendre. « C'est quoi TON PUTAIN DE PROBLEME ? Un coup tu te casses, l'autre tu me fais une PUTAIN de déclaration d'amour ? En me disant que je suis ANORMAL ? » Rohan s'énerve blanc, il s'énerve froid, il te regarde et te terrorise puis arrache la gorge de quelqu'un à mains nues. Je suis celui qui devient rouge, qui fait les cent pas, qui hurle à la lune, qui part dans les aigus et qui s'énerve avec les bras, manquant toujours d'éborgner ceux qui essayent de m'approcher. J'ai l'énervement aride, la colère sanguine et le mensonge, oh si facile lorsqu'il s'agit de faire mal à celui qui a abusé de moi. « J'ai eu tes problèmes, Rohan, je les ai eu à quatorze ans, puis j'ai grandi, je suis sorti de mon placard. Oui j'aime les hommes, j'aime les femmes, je m'en fiche, bite ou chatte je ne fais pas la différence, et depuis je me suis PROMIS de ne plus me laissser emmerder par des pauvres hétéros qui ne savent pas ce qu'ils veulent. » Et je ne me le laissera pas emmerder, je ne me ferai pas avoir, il pourra toujours supplier, je ne me laisserai pas aller à la puissance de son odeur. « Alors je ne sais pas pour qui tu te prends Rohan, mais arrête de ME prendre pour celui qui acceptera tous tes putains de caprices et qui attendra sagement que tu fasses un choix. » Je déteste les larmes qui menacent d'exploser à chacun de mes mots, je finis toujours par pleurer lorsque je m'énerve, cela retire toute la force à ma colère et à ma haine, et je déteste cela. « Je vais pas t'attendre Rohan, je ne vais pas te supplier, je ne vais pas te harceler, je ne vais pas supporter tes fuites et tes colères injustes et je ne vais certainement pas continuer à t'aimer si tout ce que tu trouves à faire c'est jouer avec moi. » Je crache, je lui postillone sûrement dessus, je n'écoute plus qu'à moitié ce que je lui dis. Je lui mens, je le sais, je le regrette, et pourtant je continue à lui mentir comme un damné. J'inspire, j'essaye vainement de calmer ma voix tremblante en continuant : « Alors on va faire un truc, Rohan. Tu vas te calmer, je vais me calmer, je laisse tomber toute cette sombre histoire et toi aussi. On s'occupe de Sarah, on retourne à notre vie, et tu arrête. de. me. TOUCHER AUTANT. » Je m'arrête, enfin, la gorge sèche, à essayer de reprendre mon souffle, à essayer de calmer les battements de mon cœur et, s'il te plait, James, putain je t'en prie, ne te remets pas à pleurer. |
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HERO • we saved the world Rohan Helvar | Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come Rohan se sent pathétique. Il l’est, pas vrai ? A dire toutes ces choses, alors qu’il devrait probablement juste se taire et faire comme si rien n’était arrivé pour ne pas envenimer la situation. Quand le poing de James le frappe brusquement, lui coupant le souffle au passage – il n’aurait jamais imaginé qu’il puisse faire un truc pareil, un jour, qu’il puisse le surprendre et vraiment l’atteindre, vraiment lui faire mal – il se recule de quelques pas, les yeux ronds. Définitivement pathétique, oui. « Dehors. » Quoi ? Rohan se frotte le plexus avec une grimace, fixe James sans comprendre. Mais en le voyant passer la porte de la cabane, il le suit dehors, plus loin. « Mais pour qui tu te prends BORDEL DE MERDE ? » Il ne hurle même pas – pour ne pas réveiller la moldue, non, Sarah - mais Rohan sursaute quand même. « C'est quoi TON PUTAIN DE PROBLEME ? Un coup tu te casses, l'autre tu me fais une PUTAIN de déclaration d'amour ? En me disant que je suis ANORMAL ? » Une déclaration de—quoi ? Non ! Le blond pâlit, le choix de mot de James le met mal à l’aise et le fait paniquer un peu. Et oui, c’est anormal, bien sûr que ça l’est. Comment peut-il ne pas s’en rendre compte ? Il n’y a rien de normal dans le fait d’être attiré par un autre homme, c’est pas comme ça que ça marche, Rohan ne sait peut-être pas grand-chose, mais ça, il le sait. « J'ai eu tes problèmes, Rohan, je les ai eu à quatorze ans. » Quoi, quels problèmes ? Il fronce les sourcils, ouvre la bouche, mais déjà, James continue. « Puis j'ai grandi, je suis sorti de mon placard. » Mais de quel placard il parle ? Ils n’a pas de placard, il n’est pas dans un placard, bordel mais pourquoi ça veut toujours RIEN dire quand James parle ? « Oui j'aime les hommes, j'aime les femmes, je m'en fiche, bite ou chatte-- » Il sursaute encore et cette fois, s’empourpre un peu. « --je ne fais pas la différence, et depuis je me suis PROMIS de ne plus me laisser emmerder par des pauvres hétéros qui ne savent pas ce qu'ils veulent. Alors je ne sais pas pour qui tu te prends Rohan— » Pour personne, il ne se prend pour personne, juste lui et c’est bien ça le problème puisqu’apparemment, quand il n’est que lui, ça ne convient jamais. « --mais arrête de ME prendre pour celui qui acceptera tous tes putains de caprices et qui attendra sagement que tu fasses un choix. » Quel choix ? Mais quel choix ? Il ne comprend pas, il ne comprend plus ce que James veut, ce qu’il attend de lui. Il ne voulait pas qu’il parle ? Il ne voulait pas qu’il lui explique ? Pourquoi s’offusque-t-il quand il ne dit rien, pour s’énerver quand il parle enfin ? Pourquoi ? « Je vais pas t'attendre Rohan, je ne vais pas te supplier, je ne vais pas te harceler, je ne vais pas supporter tes fuites et tes colères injustes et je ne vais certainement pas continuer à t'aimer si tout ce que tu trouves à faire c'est jouer avec moi. » C’est à peine s’il l’entend encore, parce que tout ce qu’il perçoit, c’est le rejet, encore et encore, le rejet de James, alors qu’il avait rassemblé le peu de forces qu’il lui restait pour oser dire ce qu’il n’aurait jamais pu dire à qui que ce soit d’autre. « Alors on va faire un truc, Rohan. Tu vas te calmer, je vais me calmer, je laisse tomber toute cette sombre histoire et toi aussi. On s'occupe de Sarah, on retourne à notre vie, et tu arrête. de. me. TOUCHER AUTANT. » Une inspiration, tremblante.
« D’accord. »
Il capitule. Défait, abattu, il capitule. D’accord. C’était stupide de penser que James serait celui qui l’accepterait enfin. C’était stupide d’essayer de changer ses habitudes et de faire des trucs d’humain alors qu’il en est incapable. Discuter, c’est ridicule, il n’est pas fait pour ça. Il n’accorde même pas un regard à James et retourne dans la cabane, attrape une lampe torche pendue à un crochet à un des murs. Il vérifie qu’elle s’allume, récupère son sac, puis les lapins sur la table, avant de sortir de la cabane. Là, il peut enfin reprendre une profonde inspiration. Puis deux. Il ne s’enfuit pas. Il prend juste l’air. Il s’éloigne. Ses pas le mènent jusqu’au lac, il active la lampe et la pose sur un rocher suffisamment plat pour qu’elle tienne en place. La lumière qu’elle diffuse n’est pas folle, mais Rohan s’en sortira quand même, il a l’habitude. Il sort le couteau de son sac, ainsi qu’un plat en métal que James a piqué quelque part il y a plusieurs mois maintenant. Il a tellement l’habitude qu’il s’occupe des lapins sans même faire attention à ce qu’il fait. Il dépèce soigneusement chaque animal, puis les vide. Il faut être précis, méthodique, c’est exactement ce dont Rohan a besoin.
S’il ne se concentre pas sur ça, il va pleurer.
Et c’est déjà arrivé une fois aujourd’hui, alors il est hors de question qu’il recommence. Il ne va pas se mettre à chialer pour James, oh non. Il va juste le détester. Le haïr de toutes ses forces pour l’avoir fait parler, pour l’avoir forcé à dire toutes ces choses qu’il regrette amèrement, à présent. Il ne dira plus rien. Et il ne le touchera plus non plus, oh ça non. A vrai dire, il ne l’approchera même plus. Il pense à la gamine qui aura besoin de manger, qui aura besoin de ses quelques compétences pour survivre et c’est tout.
James peut aller se faire foutre.
Une fois qu’il a terminé, Rohan prépare un feu, c’est plus simple d’un coup de baguette magique, mais lui, il n’en a pas et de toute manière, il ne saurait même pas comment faire. Mais il se démerde quand même, comme d’habitude. S’il n’y avait eu que James et lui, il aurait fait les lapins à la broche, tout simplement, mais la gamine n’est pas prête d’avaler quelque chose de solide, alors le lapin finit découpé en morceaux, dans un bon volume d’eau, avec ce qu’il a trouvé dans l’après-midi pour préparer un bouillon que Sarah pourra avaler. C’est long, comme préparation, mais si James a quelque chose à redire alors…
Il s’en fiche.
Rohan est bon à ça. Ranger des trucs dans des boites, fermer à clé, la jeter loin et balancer la boîte dans un trou sans fond. Il l’a fait avec sa famille. Il l’a fait avec sa haine pour Claevis. Et il vient de le faire avec James. Avec leur conversation. Avec ce qu’il éprouve-ait. C’est plus simple comme ça, plus de douleur. Oh oui, Rohan est très bon à ça.
Rohan éteint la lampe torche, alimente le feu, puis retire ses vêtements qu’il pose soigneusement près de son sac. Il fait frais, alors un frisson parcourt son échine, mais l’eau du lac dans lequel il s’enfonce l’est encore plus. C’est stupide ce qu’il fait, parce qu’il n’a rien mangé de la journée et s’est déjà trop dépensé sans même prendre le temps de se remettre de la pleine lune, mais il ne peut pas rester à rien faire. S’il ne s’occupe pas, il va penser à James et il n’a pas envie de penser à James. Il a jeté la boite. Il avance jusqu’à ne plus avoir pied et l’eau est encore beaucoup trop froide mais il n’y fait pas attention. Ça l’engourdit suffisamment, pour ne plus penser à rien et c’est parfait. Il se contente de nager, de prendre des inspirations brulantes, jusqu’à manquer de se noyer comme le dernier des abrutis et enfin se décider à retourner sur la berge. Il est frigorifié, alors il ne tarde pas à se sécher, à enfiler des vêtements propres et à retourner auprès du feu. Il en profite pour préparer une infusion d’herbes pour Sarah, ainsi qu’un autre cataplasme et des bandages avec un autre t-shirt qu’il sacrifie pour l’occasion. Ce n’est que lorsque le repas est prêt et qu’il n’a plus d’autre choix que de rentrer qu’il rassemble tout – c’est compliqué, il n’a pas quatre bras et ce serait plus simple de faire appel à James, mais c’est hors de question, alors il se débrouille – et retourne dans la cabane.
Le jour ne va pas tarder à se lever, il n’a pas fermé l’œil de la nuit et il meurt de faim. Une fois à l’intérieur, il pousse la porte du bout du pied et sans adresser un regard à James, dépose son fardeau sur la table. D’abord, il mange, sinon, il va finir par tuer quelqu’un. La portion qu’il se sert est généreuse, comme toujours, de toute manière, sans lui, il n’y aurait rien à manger. Rohan engloutit son repas en un temps record et refuse toujours de regarder James. Il veut juste se rouler en boule dans un coin et dormir, à présent. Mais il fait tout de même l’effort de se lever, de récupérer ce qu’il a préparé et s’approche de Sarah. Elle dort toujours, alors il pose doucement une main sur son front pour vérifier sa température. Elle est toujours chaude, mais ça ne semble pas dramatique, la fièvre est normale, dans sa situation. Elle est peut-être plus forte qu’il ne le pensait. Avec un petit sourire satisfait, il entreprend de défaire le bandage autour de son mollet et de soigneusement nettoyer l’ancien cataplasme, pour observer la plaie. Elle est toujours ignoble, mais elle ne semble pas avoir développé une infection, alors Rohan s’autorise un petit soupir de soulagement. Délicatement, il étale la nouvelle pâte qu’il a préparée, entoure son mollet d’un bandage et replace la couverture sur elle. C’est là qu’elle ouvre les yeux et elle semble avoir un peu de mal de se fixer sur quelque chose mais quand elle le fait enfin, c’est sur lui et Rohan la sent immédiatement paniquer.
Ah, oui, elle ne l’a encore jamais vu. « Shhh, » fait-il doucement avant de pointer du doigt James, qu’il sait un peu plus loin derrière lui. Elle suit son geste du regard et quand elle aperçoit enfin les traits un peu plus familiers de l’autre loup, elle semble se calmer un peu. « Sarah, hein ? Moi c’est Rohan. » Elle déglutit avec difficultés et croasse : « Où… ? » « En sécurité, » répond-il immédiatement, parce que c’est la seule chose qui compte, même si ce n’est pas entièrement vrai. Enfin, elle est toujours plus en sécurité que là-bas dehors. « Qu’est-ce que—il-- » commence-t-elle et Rohan fronce les sourcils, avant de voir les yeux de la gamine se remplir de larmes et sa respiration se faire trop rapide, trop pénible. Ah, oui. Aussitôt, une main glisse dans ses cheveux, l’autre sur sa joue. « Hé, hé, regarde-moi, » demande-t-il doucement et elle obéit probablement parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’autre. « Je sais, je sais. Crois-moi, je sais. Et je te promets qu’on va tout t’expliquer, d’accord ? Mais pour l’instant, tu dois prendre des forces et tu dois te battre, ok ? De toutes tes forces. » Il marque une pause, esquisse un sourire. « Regarde-toi, t’es super forte, voilà, doucement, respire. » Elle se calme, les larmes sont toujours là, mais elle respire mieux. « Tu veux manger quelque chose ? » Elle grimace, la perspective ne l’enchante pas, alors il caresse doucement ses cheveux. « Il faut que tu prennes des forces, tu te rappelles ? » insiste-t-il avec un sourire qu’il veut rassurant. Elle hoche la tête et c’est une toute petite victoire, mais Rohan la prend, il en a besoin, là tout de suite. |
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| Mai 1999 - Forêt I was born by the river in a little tent and just like the river I've been running ev'r since It's been a long time, a long time coming But I know a change gonna come « D'accord. »
D'accord, ok, ça marche. Rohan me répond avec une simplicité incroyable après mon discours pourtant assez complexe. Il ne demande rien, ne questionne rien, ne conteste rien. Je ne sais pas ce que j'espérais, mais je réalise qu'une partie de moi ne voulait pas d'un D'accord. J'en ai déjà eu, des réponses comme ça, de gens qui s'en foutaient. Mais Rohan ne s'en fout pas. Je crois que je lui ai fait mal. Je n'arrive pas à me calmer, cependant, et c'est noir de rage que je le regarde, lentement, s'éloigner, et retourner dans la cabine. Il ne me voit plus, il ne me regarde plus, et soudain l'immensité de ma connerie me frappe au visage. « RRAAWH » grogné-je aussitôt, me bouffant bientôt le poing pour éviter de me venger sur un tronc ou me mettre à vraiment hurler. Je ne veux pas que Rohan m'entendre hurler. Mais putain qu'est-ce que j'ai foutu ? Sérieusement, James ? Lui promettre de ne plus le poursuivre, de ne plus l'attendre, de ne plus.... Mais tu tiens pas TROIS JOURS mon pauvre bouffon ! Crétin de James, crétin, crétin, crétin, crétin. Et puis après quoi, tu vas aller voir ailleurs ? Mais qu'est-ce qui t'as pris de dire ça, de sous-entendre ça ? Qu'est-ce qu'il va croire ? Qu'est-ce qu'il est en train de croire ? L'objectif de ton baiser c'était quoi, James, hein ? De lui faire comprendre de faire ta déclaration, de pouvoir... pas de... Rah mais butez-moi, butez-moi.
Je finis accroupi dans un coin, la tête dans les mains, à marmonner des trucs insensés lorsque j'entends la porte s'ouvrir. Je lève aussitôt la tête, attentif, et je le vois sortir, avec les lapins, de quoi s'en occuper, et la lampe. Il ne me voit pas le fixer, et tant mieux, parce qu'il avait senti la supplication dans mon regard, je crois qu'il aurait définitivement perdu tout respect pour moi. Je le regarde s'éloigner, écoutant enfin le loup qui me sermonne que non, il ne m'abandonne pas, il va juste prendre l'air, sinon il aurait été plus chargé. Alors je respire, j'inspire, je pense à Sarah et me redresse pour la rejoindre. Je passe la porte de la cabine, elle dort toujours, il y a toujours l'odeur de mort et de Rohan, mais rien de trop important. Je me concentre sur son visage endormi et je souris, enfin, moi-même époustouflé de la tendresse que je sens dans mon propre regard. Je soupire, je rigole un peu, me passe une main dans des cheveux qui commencent de plus en plus à partir en vrille, et je finis par aller raviver le feu d'un coup de baguette. Il faudra un jour apprendre à Sarah que je suis sorcier quand même. Je me demande comment elle va réagir. J'entends déjà Helen hurler au scandale, à la tromperie, à la trahison, et cela me donne déjà envie de la faire toucher ma baguette... Baguette magique hein ! Putain non mais ! James ! Ta gueule ! Ta gueule ! Pense à Ro... non ne pense pas à Rohan.
Je finis la tête sous l'eau d'un Aguamenti au dessus du lavabo pour calmer mes pensées vibrantes. J'en profite pour laver succinctement ce qui dépasse de mes vêtements. Je me laverai plus complètement demain, lorsque Rohan sera revenu et que je pourrai enfin arrêter de trembler à l'idée de m'endormir en laissant Sarah seule. N'étant pas décidé à aller reparler à Rohan, je fouille dans mon sac et en sort des restes de gâteaux secs que j'arrive enfin à avaler, la faim me taraudant bien trop pour que je puisse espérer la tromper encore. Je reste ensuite encore un instant auprès de Sarah, lui embrassant le front, vérifiant qu'elle ne tremble pas trop, changeant le tissu sur son front, une énième fois. Je peux très bien me débrouiller sans lui, de toute manière. Je ne vais pas me laisser avoir par ses yeux bleus. Il est amoureux de moi, la bonne affaire, s'il n'assume pas je ne veux pas de lui. Et merde, il est amoureux de moi. et toi qui parle, tout le temps, même quand tu dors, même quand tu dors tu t’arrêtes pas et ça me rend dingue et… Putain James, arrête d'y penser. Ta gueule James.
Je me lève du lit de Sarah et me remets à faire les cent pas. Sauf que dans la cellule qu'est notre refuge, ce n'est pas vraiment les cent pas que je fais, plutôt les quinze. Je finis vite par étouffer et par regarder par la fenêtre. Le lac me calme, mais la vision de Rohan en train de s'occuper des lapins beaucoup moins. Je voudrais dire que ça me dégoûte, ce qu'il fait, et détourner les yeux, mais j'en suis incapable. Au moins il est resté. Au moins il s'occupe vraiment de la bouffe, je ne pensais pas qu'il le ferait après ce qu'il s'est passé et- oh putain pourquoi il se désape ? Il va pas rentrer comme ça, il va pas venir me voir comme ça, il va pas, y a Sarah, il va pas... Ok il va se baigner. C'est normal, il est sale, il va se laver, à sa place je l'aurais fait aussi, hein, normal. Ta gueule James.
« Ta gueule James. » Oh non pas lui. « Tu vas juste le fixer comme ça pendant qu'il nage ? » « Non, non, t'as raison, c'est débile, ça sert à rien. » J'inspire, je me retourne, dos au mur, et je glisse au sol, épuisé de toutes ces conneries. « Pourquoi tu t'excites autant pour ce loup en plus ? C'est un mâle tu ne lui feras pas de louveteaux tu sais. » « Oh ta gueule, me fais pas penser à ça s'il te plait. Et puis t'es autant un fan que moi. » « Je ne le laisse pas pour autant être l'Alpha de ma vie. » « Il n'est pas... Je ne le … Tu... Tu trouves ? » Le silence me répond, je le sens juste soupirer et se désintéresser de mon cas. Ta gueule James.
Malgré mes résistances je finis à m'endormir, quelque part rassuré de savoir Rohan si proche. J'entends, distraitement, des bruits et des voix qui me font grogner entre deux rêves. Je ne sais pas s'il a parlé à Sarah, s'ils ont parlé, s'il m'a parlé... Je pionce juste, et Merlin que ça fait du bien.
Je me réveille, bien entendu, avec la chaleur du corps de Rohan contre moi. Je ne sais pas comment je fais pour toujours le trouver et me coller à lui alors même que je dors, mais je le fais. Il n'a pas du se mettre si loin de moi, cependant. Je sens aussi qu'il y a une couverture sur moi, et je serres d'autant plus mon frère de meute contre moi. Imbécile de Rohan. Imbécile de moi. Demain je dirai que je dormais, que je ne me souviens de rien, que ce n'est pas ma faute si j'ai des habitudes de sommeil étranges. Je m'accroche à lui, inspire son odeur, comme le loup pitoyablement amoureux que je suis. Je me sens con, terriblement con, parce qu'à la fin de la journée, après qu'on se soit étranglé, adoré, engueulé, après l'avoir détesté, méprisé, après qu'il m'ait fait terriblement peur, je finis toujours par me détendre lorsqu'il est près de moi. Je ne pense plus à fuir depuis qu'il est là. Je ne pense plus être mort depuis qu'il est là. Il pousse même un grognement dans son sommeil lorsqu'il me sent trembler. Je rigole un peu, effaré par l'ironie de la situation. Je murmure, doucement : « Je t'aime, trouduc. » Mais je t'assure que demain, je te fais la gueule comme jamais. |
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| | | | | (MAI 99) ROMES • I was born by the river | |
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