Cette fois-ci, Alan resta ferme face aux larmes de Bonnie. Combien de fois lui-même n'avait pas pu les retenir, brisé par les traitements de ses anciens maîtres ? On avait beau prétendre pouvoir rester fort face à la douleur, prétendre qu'on ne céderait pas face à la violence, qu'on ne leur ferait pas le plaisir de crier, mais à la fin tout ça part en fumé et il n'y a plus que de la folie, des suppliques, des larmes et la douleur. Sa vie avait bien plus d'importance que sa fierté à ses yeux. À quoi bon être fier quand on était mort ?

Il la laissa reprendre son calme, la scrutant attentivement pour ne pas se laisser surprendre, bien qu'il sentait qu'elle ne lui ferait pas de mal. Puis le plan vint et Alan leva les yeux au ciel. Un mariage arrangé, rien que ça. Avec un type qui voulait remplacer son ancienne épouse par une jeune femme. Il s'efforça de ne pas penser trop fort, détournant le regard pour balayer les alentours du regard, cependant ça ne fonctionna visiblement puisque Bonnie devina aisément ce à quoi il pensait. Il avait désormais envie de lui dire qu'elle faisait bien ce qu'elle voulait de son corps, que ça ne le concernait pas tant qu'elle pouvait servir pour l’Insurrection, mais il lui avait dit vouloir lui prouver qu'il valait mieux que les Mangemort. Il ne l'insulterait pas plus qu'il ne l'avait déjà fait, ni ne relèverait son affirmation. Elle connaissait déjà son point de vu sur ces choses.

En revanche, la question qu'elle lui posa le surprit. Il resta un moment à la fixer sans rien dire, n'ayant jamais envisagé cette possibilité. Si elle était venu le séduire sans faire valoir sa supériorité ? Comment aurait-il pu réagir ? Il l'avait apprécié pendant un moment. Quelques semaines pendant lesquelles elle ne faisait que l'aider. Il aurait pu devenir son ami, il ne l'avait jamais regardé autrement à cause de la différence d'âge manifeste entre eux. Elle était jeune et visiblement épargnée par les épreuves alors que lui-même faisait facilement plus que son âge suite à ses années passées à Azkaban.

Il ne savait pas s'il avait vraiment envie de répondre, ni même s'il lui devait cette réponse. Sa façon de la voir aurait irrémédiablement changé, c'était certain. Il l'aurait regardé d'une toute autre manière et peut-être même aurait-il pu s'attacher encore plus fort à elle. Elle avait été celle qui l'avait aidé, avait rendu sa première captivité plus douce. Si en plus de ça elle lui avait témoigner une certaine attirance, une certaine tendresse, sans doute serait-il revenu la chercher après sa libération. Il lui aurait demandé de venir avec lui loin de cette maison de fou. En tout cas, il aurait été assez désespéré pour ça.

Comme quoi, tout ne tenait qu'à un fil.

-Ça n'aurait rien changé, lâcha-t-il finalement. Tu es trop jeune. Tu n'as rien vécu. Je t'appréciais avant tout ça. Inutile de manifester de l'attirance pour t'attirer mes bonnes grâces à l'époque.

Elle avait tout gâché. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même désormais. Elle n'était rien pour elle, depuis bien longtemps à présent. Jeunesse décadente. Stupide Mangemort. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. Il fallait qu'elle essaye d'avoir tout ce qu'elle voyait, y compris lui. À présent c'était son approbation qu'elle cherchait ? Son pardon ? Non, il ne le lui donnerait pas. Il avait déjà donné suffisamment de lui-même pour le lui accorder. Pour le moment elle pouvait s'avérer utile, il ne pouvait donc pas se venger d'elle comme il le voulait. Il se contenterait de sa culpabilité. Il changea de sujet.

-Ton plan. Admettons que je te fasse confiance et que tu le fasses. Comment feras-tu pour faire remonter les infos jusqu'à nous ? Tu ne sais pas où nous sommes, je ne sais pas comment te contacter, ni l'inverse. Je ne peux pas te tomber dessus à chaque fois que tu passes dire bonjour à tes parents.

Il ne lui faisait pas assez confiance pour lui donner des informations sur les autres et préférait éviter qu'elle ne connaisse les autres, juste au cas où. Une autre question lui vint alors, qui avait rapport avec leur précédente discussions.

-Pourquoi m'avoir demandé ça ?

L'insurgé sembla surpris par sa question, mais ne s'attendrit pas pour autant. Son regard était toujours aussi dur, toujours aussi méfiant, toujours aussi sévère. Il n'avait aucune compassion pour elle, mais c'était sans doute légitime. Jamais Bonnie n'avait autant regretté ses erreurs passées. Plus que jamais, elle savait où elle avait échoué dans sa vie. Mais rien n'était pour autant perdu, elle avait encore énormément de choses à prouver et elle comptait bien relever le défi. Si toutefois Alan lui laissait la vie sauve. Il sembla surpris par sa question, mais c'était somme toute logique. S'il l'avait vue comme une prédatrice abusant de son pouvoir, il n'avait certainement pas imaginé une seconde qu'elle ait pu avoir une réelle affection pour lui. C'était difficile à admettre, mais c'était ainsi. Elle avait été trop maladroite. Elle sentait sur elle le regard interrogateur de l’homme, qui semblait réfléchir à cette hypothèse qui ne s’était pas présentée et à laquelle il n’avait jamais pensé. Elle craignait la réponse. Elle se doutait que même si elle était positive dans la tête de l’insurgé, il se garderait bien de le lui dire. L’heure n’était pas à l’attendrissement, et d’ailleurs, l’attendrissait-elle ne fût-ce qu’un minimum ? Il y avait peu de chance vu son comportement avec elle. Elle ne fut donc pas surprise qu’il réponde par la négative. Mais elle le fut quand il ajouta que sans cette bévue de sa part, elle aurait été dans ses petits papiers. Une raison supplémentaire de culpabiliser, s’il en fallait. Elle ne répondit donc rien, profondément honteuse et rongée par le remord.

Il changea alors de conversation, estimant sans doute que la précédente était trop futile, pour revenir à l’idée qu’elle avait évoqué un peu plus tôt, et la réponse était cette fois évidente pour elle. « Je te l’ai dit, je suis en contact avec Alec Donovan », insista-t-elle. « Oui, je sais, tu ne le connais pas, il vient de vous rejoindre. Mais nous avons trouvé un moyen de communiquer sans être repérés. » Cette correspondance avait été soigneusement mise au point, en passant par des livres magiques qu’elle avait subtilisé parmi les objets confisqués au département de la justice. Sa place de secrétaire du directeur lui conférait parfois quelques avantages, bien qu’elle espérât grimper beaucoup plus haut aux côtés de Lazarus. Elle avait confiance en Alec, c’était son ami depuis Poudlard et elle savait qu’il la croirait et ne la laisserait pas tomber. Elle se garda cependant bien de faire cette précision à l’insurgé, craignant qu’il ne considère Alec comme une potentielle taupe. « Alec s’est battu aux côtés des insurgés lors de l’attaque de Godric’s Hollow, il a donc commencé à faire ses preuves », précisa-t-elle en revanche pour lui donner du crédit.

La question soudaine d’Alan la désarçonna. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il revienne brusquement sur le sujet, pensant qu’il préférait tirer une croix une croix dessus puisqu’il n’y avait de toute façon rien à en redire. Elle haussa les sourcils, stupéfaite, puis soupira. La Bonnie froide et sûre d’elle était définitivement absente à ce moment-là. Il faut dire qu’être menacée de mort fait forcément perdre en assurance. « Parce que j’aurais pu, j’aurais dû agir de cette façon », répondit-elle avec regret. « Je me suis comportée comme la peste que j’étais à cette époque, mais ce n’était pas dans le but d’abuser de mon pouvoir sur un rebut sans défense. Je te l’ai dit, tu me plaisais, j’aurais dû être dans la séduction comme je l’aurais fait avec n’importe quel autre homme, et pas dans le chantage. Mais c’est inutile de revenir là-dessus à présent, le mal est fait, point. De toute façon, tu l’as dit toi-même, ça n’aurait rien changé. J’aurais tout simplement dû… ne rien faire. » C’était en effet l’alternative qui eût été le meilleur choix, mais elle n’était certainement pas assez lucide et raisonnable à l’époque pour y avoir pensé. Elle n’était qu’une gamine capricieuse. « Est-ce que… tu comptes me laisser partir à présent, ou bien est-ce que tu veux toujours me tuer ? » s’enquit-elle, le regard grave. « Ou peut-être veux-tu m’amener à ton chef, je ne sais pas encore comment vous fonctionnez. » Si elle n’avait pas été en danger de mort, elle aurait sans doute laissé percer une pointe d’ironie dans sa voix, mais vieux valait ne pas plaisanter avec un belliqueux.

Alan l'écouta parler de son moyen de communiquer miraculeux mais ne fit pas de réflexion. Il avait décidé de lui laisser une chance, bien qu'il ne sache pas pourquoi. Si ce type c'était réellement battu aux côtés des Insurgés à Godric's Hollow, certaines personnes de sa connaissance devraient s'en souvenir. Ça ne coûtait rien de vérifier.

-Je vais me renseigner sur ton petit copain, lâcha-t-il avec un sourire torve.

Alan éprouvait beaucoup de réserves à faire confiance à Bonnie et à son possible contact ami des insurgés. Il savait ce que quelqu'un pouvait faire pour sauver sa vie et Bonnie était évidemment dans ce cas là. Même si l'hypothétique Alec Donovan existait bel et bien et avait effectivement aidé les insurgés auparavant, il était possible que Bonnie ne soit même pas en contact avec lui et se contente de jouer sur l'air qu'il voulait entendre pour ne pas se faire tuer. L'insurgé avant toujours sa propre baguette dans sa main et tapotait sa cuisse avec.

Évidemment s'il pouvait lui faire confiance, une alliance avec elle serait totalement profitable aux insurgés, mais s'il ne pouvait pas et que Bonnie se contentait de le balancer une fois qu'il sera parti, il courait droit sur les problèmes. Il était possible également que Donovan soit un espion des Mangemorts et qu'Alan ne précipite toute sa faction dans la gueule du loup en leur faisant confiance également. Dans tous les cas, il allait devoir faire un choix qui se résumait en sa capacité à pardonner ou pas à Bonnie et à dépasser ce qu'il savait d'elle et ce qu'il pensait savoir.

Le grand insurgé s'éloigna et se remit à faire les cent pas, sa main libre remontant pour tripoter son oreille comme il le faisait dès qu'il réfléchissait ou était trop nerveux. Ici c'était un peu des deux, il n'aimait pas être aussi près d'un troupeau de Mangemorts pendant aussi longtemps, surtout pour discuter avec l'une d'entre eux. Chaque bruit le faisait sursauter et il se figeait souvent pour regarder aux alentours, tel un animal blessé qui se savait poursuivi.

Il voulait retourner à l'abri, dans son asile. Retrouver la sécurité, même imaginaire, du repère des aliénés, là où les gens étaient certes désagréables, mais au moins ils n'étaient pas des ennemis. Alan serait prêt à écouter les ordres de n'importe qui, y compris Sansa, tant que c'était justifié et intelligent. Tant que ça avait une chance de faire avancer l'insurrection. Il poussa un grognement et s'arrêta une fois de plus de déambuler.

-Non. Tu ne rencontreras pas mon chef. Je ne suis pas assez stupide pour te donner le nom de celui qui nous guide.

Alan laissait entendre qu'il y avait effectivement quelqu'un qui les guidait et qu'il n'était pas juste plusieurs bandes de rebelles désorganisés. Ça faisait meilleur genre. Hors de question également de lui avouer que son groupe à lui était privé de tête pensante depuis la mort de l'ancienne. Le repère des aliénés était à deux doigts de sombrer dans l'anarchie alors que lui-même essayait de jouer des coudes pour récupérer la couronne tombée.

-Je ne te fais pas confiance. Je me renseignerais sur ce Donovan, répéta-t-il. Si jamais je juge qu'il est fiable, je le contacterais moi-même et il se débrouillera pour te parler.

Il se rapprocha d'elle en de grandes enjambées et récupéra la baguette de la jeune mangemort qui se trouvait toujours dans sa poche arrière. Il la lui tendit, mais ne la lâcha pas lorsqu'elle en attrapa le manche, son regard planté dans le sien.

-Je devrais briser cette baguette. Si je ne le fait pas et que je ne te tue tout simplement pas aujourd'hui c'est parce que tu peux nous être utile et uniquement à cause de ça. Je ne considère pas être en dette avec toi, il me semble que j'ai gagné toute l'aide que tu as pu m'apporter quand j'étais le rebut de ton père. L'ardoise est remise à zéro, mais sache que je n'oublie pas et qu'au moindre faux pas je pourrais revenir sur cette décision et tout simplement te liquider.

Il lâcha la baguette de Bonnie et s'éloigna, la sienne fermement serrée dans sa main, prêt à tout. L'heure était venue pour lui de s'éclipser, tant pis pour ses plans de revanche contre les Rowle et les Avery.

-Sache aussi que je compte un jour tuer ton père. Lui n'avait aucune excuse ni circonstance atténuante. Je pars à présent.

Puis, sans plus de cérémonie, Alan se concentra et transplana ailleurs, loin d'ici, pour ressasser ce qu'il venait de se passer. Rien ne disait que Bonnie allait effectivement tenir parole et les aider, mais si ça n'était pas le cas, elle retournerait tout simplement sur sa liste des personnes dont il devait se débarrasser par revanche personnelle.