26 AOÛT † Amelia est venue déposer la potion Tue-Loup pour cette pleine lune. Dans une semaine, la lune sera ronde, blanche et pleine parmi les nuages: le traitement est dégueulasse, compliqué à préparer mais il vaut le coup. Il suffit juste de la faire réchauffer, sans l'ouvrir, dans de l'eau bouillante et elle est prête: une portion chaque soir pendant sept jours et ils auront la Conscience de leur côté pour survivre à la nuit. Édouard sait que ce n'est pas une solution à long-terme. Buckley a partagé avec lui ses doutes et ses peurs quant à leurs réserves de Tue-Loup, qui diminuent à vue d'oeil... ils devront bientôt devoir trouver et utiliser d'autres solutions. Édouard se fait pas trop de soucis. Généralement, ils patrouillent dans la Forêt Interdite lors des nuits de pleine lune, pour protéger le château, au cas où... sinon, ils restent dans les environs déserts de Storm's End. Il n'y a pas âme qui vive à des kilomètres, et suffisamment de gibier pour que les loups ne s'ennuient pas. Édouard est content qu'ils aient au moins un endroit sécurisé pour pouvoir se transformer en paix. Et puis il aime bien les lendemains de pleine lune quand, malgré la fatigue, ils se laissent tomber les uns sur les autres pour comater en silence. Rohan appelle ça des puppy piles, c'est lui qui a initié Édouard et quelques autres loups à la chose. Ça fait marrer Édouard et il fait comme si il faisait ça juste pour faire plaisir à Rohan alors qu'en fait, il adore.
Il n'arrête pas de penser au fait qu'il ait parlé de meute, avec Rohan, quand il lui a dit qu'il lui faisait confiance. Meute. Meute. C'est stupide mais... ça semble convenir, n'est-ce pas? Ils ne sont pas une famille, pas vraiment. Ils sont juste une meute, aussi bestial cela puisse-t-il paraître. Une meute avec avec ses problèmes et ses conflits et ses amitiés et ses longues soirées à dire n'importe quoi après la pleine lune. Une meute, un ensemble, un groupe, pas une famille, mais mieux.

Ils ont passé l'après-midi avec Amelia, à chercher avec Rohan et un autre loup des plantes qui ne poussent que dans ce côté-là des Highlands, pour aller les donner à Poudlard pour fournir l'ancienne armoire du Maître des Potions. Ils ont joué à un jeu de société stupide et Amelia a dit qu'elle devait retourner à Poudlard pour préparer une mission donc Édouard l'a laissée partir. Depuis qu'ils se sont retrouvés, il a du mal à la lâcher du retard, à la laisser partir. C'est bizarre, vraiment, et il ne l'a pas formulé: il fait juste en sorte de toujours l'inviter à rester, à dormir, à manger avec eux... il ne supporte pas l'idée qu'elle s'éloigne, qu'elle s'en aille à nouveau. Pourtant, ils ont tous les deux leurs responsabilités, leurs missions, leurs vies et leurs obligations. Mais ça lui fend le coeur de se dire qu'un jour, peut-être qu'elle ne reviendra pas de mission et qu'il l'aura abandonnée.
Bref, elle est partie et ils sont en train de faire bouillir l'eau pour y mettre les premières fioles de Tue-Loup quand Rohan s'approche de lui. Il perçoit aussitôt son état d'esprit: il se prépare à une confrontation, une dispute peut-être, pour quelque chose dont Édouard ignore tout. Il lâche son livre avec curiosité, le referme et enlève ses lunettes par réflexe, portant sur lui un regard interrogateur. Ils sont seuls dans le salon, si ce n'est pour les deux loups qui surveillent le chaudron rempli d'eau qui lévite autour d'un feu sorcier inoffensif. “ Awright, big man? ” demande-t-il, avec un petit sourire encourageant, se demandant ce qui creuse des ridules d'inquiétude dans le front de Rohan.

La pleine lune approche, Rohan peut déjà le sentir. Il sait que ce n’est pas le cas des autres, qui ont tellement l’habitude de repousser leur Loup qu’ils ne font pas attention à ce qui peut leur dire. Mais même si la lune ne sera complètement pleine que dans une semaine, le blond lui peut déjà sentir l’excitation de l’animal qui attend le moment où il pourra reprendre le dessus. Il n’en est pas encore au stade où il est irritable, plus depuis qu’il a quitté les Thurisaz, à vrai dire. Avec eux, il n’était pas rare que des querelles terribles et dangereuses éclatent une semaine avant la pleine lune à cause de la tension qui régnait. Heureusement, il n’est plus avec eux et il n’y a personne pour contaminer son humeur, ici. Il n’est pas agacé par un rien et n’a envie de bouffer personne, c’est juste qu’il a du mal de tenir en place. Alors il va courir tous les jours avec Edouard, plus longtemps que d’habitude, pour bruler cette énergie supplémentaire. Aujourd’hui, il a accompagné l’autre loup et Amelia à la recherche de plantes dont Snape a besoin, c’était bien. Il est resté plus silencieux que d’habitude, s’est peut-être un peu plus éloigné d’eux, mais Rohan est comme ça quand la pleine lune approche. Il a besoin de solitude. C’est après qu’il cherche la compagnie des autres. Quand il redevient le loup meurtri, perdu dans un corps d’humain.
Et puis cette fois-ci, Rohan est préoccupé. Parce que ça fait un moment qu’il les entend parler de leur potion et il sait qu’ils attendent de lui qu’il en prenne aussi. Sauf qu’il aime pas l’idée d’avoir recourt à une drogue pour ne plus être vraiment lui-même. Amelia a déposé la potion ce matin et immédiatement, le blond a quitté la pièce en se couvrant le nez. Même bouchée, elle dégage une odeur infâme qui lui donne envie de grogner. June et Edouard sont convaincus que c’est plus sûr comme ça, que sans la potion ils seraient dangereux et peut-être même que ça fait plus mal, sans.

Tue-Loup. Rien que le nom lui hérisse le poil. Ils n’ont peut-être pas accepté ce qu’ils sont, mais Rohan n’a aucune envie de tuer le Loup. Sans le Loup, il serait mort. De froid, de faim, tué par un ennemi qu’il n’aurait pas entendu ou senti. Sans le Loup, il serait moins rapide, moins fort et ça aurait fini par le tuer. Sans le Loup, il serait faible. Comment font-ils pour ne pas voir les avantages ? Ils se battent pourtant, ils ont rejoint une armée, sont des soldats, surtout Edouard. Pourquoi ne comprend-il pas qu’en acceptant le Loup, il sera plus fort ?
Rohan veut qu’Eddie comprenne. Il veut lui ouvrir les yeux. Il veut qu’il arrête de penser qu’il est un monstre et que le Loup est son ennemi. Il a dit qu’ils étaient une meute, l’autre jour. Il l’a dit, Helvar l’a parfaitement entendu. Et c’est ce qu’il veut, Merlin c’est tellement ce qu’il veut. Mais ils ne peuvent pas être une meute, si Rohan est le seul Loup et qu’ils sont tous des Hommes.

C’est pour ça qu’il entre dans le salon, même si d’ici, il perçoit l’odeur du Tue-Loup. Les fioles sont pourtant bouchées, posées pas très loin du chaudron en attendant que l’eau chauffe. Il repère Edouard et s’avance vers lui, ce dernier délaissant son livre et retirant ses lunettes pour lever les yeux vers lui. « Awright, big man ? » demande-t-il et il sait maintenant que c’est comme ça qu’il salue les gens, même s’il ne comprend toujours pas ce que ça veut dire. Alors il hoche la tête et hésite. Finalement, il s’assoit à côté d’Eddie et regarde devant lui un moment, les sourcils froncés. Puis il soupire, se tourne vers l’autre loup et prend enfin la parole. « Elijah says ye’re short on that stuff, » fait-il en désignant les fioles. « I don’t need to take it, so it’s fine. » Ce qu’il ne dit pas c’est qu’il n’a pas envie d’en prendre, surtout. Il hésite à nouveau, il ne sait pas trop comment Edouard va réagir. Il a peur qu’il se mette en colère et ne veuille rien entendre. Mais il n’a pas l’intention de laisser tomber, il a trop besoin de ce que Eddie lui a promis sans vraiment s’en rendre compte. Une Meute. « Maybe ye could go without it. I mean, there are people who need it more here and… I could make sure ye’re okay ? Ye know I’m used to do it without any potion so… really, it’d be easy, » dit-il avec un sourire qui se veut rassurant.

« Elijah says ye’re short on that stuff. Édouard hoche la tête. Il n'a pas besoin d'en parler pour savoir que Rohan déteste déjà l'idée d'en prendre. — Yeah, it's hard to come by, ” explique-t-il simplement, ne voulant pas déjà lancer l'affaire de si tu veux faire partie de la meute et de la RDP, tu prends la potion et puis c'est tout. La pleine lune approche. Moins d'une semaine et ils sont déjà tous un peu à cran, à cause des effets de la lune sur leurs humeurs et leurs vies. Moins d'une semaine et les tensions montent peu à peu, les conflits aussi... ils savent tous que la Potion Tue-Loup va un peu les calmer pour les six prochains jours, mais ils savent aussi que ce n'est pas pareil que d'être un humain tout court...
« I don’t need to take it, so it’s fine. » Aussitôt, le corps d'Édouard se tend et il prend son visage de grand frère, celui qui dit on a déjà eu cette conversation et je suis très déçu que tu ramènes cette affaire là sur le tapis à nouveau. Il sait qu'il est condescendant avec Rohan, mais tous les grands frères le sont, non? Il pince des lèvres mais Rohan reprend avant qu'il n'ait le temps de répliquer quelque chose de certainement assassin. Il adore Rohan, vraiment. Mais Rohan lui rappelle toute l'horreur des loups-garous, toute la bestialité normalisée de cette espèce qui est désormais la sienne; si bien que Rohan est sans doute l'une des personnes le plus à même de l'énerver sans le vouloir et sans rien faire de particulier sur cette planète. « Maybe ye could go without it. I mean, there are people who need it more here and… I could make sure ye’re okay ? Ye know I’m used to do it without any potion so… really, it’d be easy. » Il essaie de sourire mais Édouard reste de marbre, renifle même un petit peu, pas méprisant mais... un peu méprisant. “ Ye're taking the potion or ye leave, Rohan. ” Ce n'est pas vraiment un ultimatum. C'est juste un fait. Brusquement, Édouard se lève, attrape l'épaule de Rohan et le met debout, le conduit dehors parce qu'il voit déjà des regards tant curieux que réprobateurs se tourner vers eux. Il ne sait pas trop si ils désapprouvent la tentative audacieuse de Rohan d'échapper à la potion, ou si ils désapprouvent la dureté dans la voix d'Édouard; celui-ci s'en fiche toutefois, peu désireux de laver son linge sale devant les autres, pousse Rohan jusqu'à le sortir du cottage.
Il croise les bras, mécontent, quand la porte est refermée derrière lui. “ Ye can go tae fucking Hogwarts turn with the other werewolves if ye like, not everyone in the rebellion takes the potion. But I'm no havin' yer wolf roaming around ma house and ma land. Ye either take the potion or ye leave. ”  Et sa décision est sans appel. Il reste silencieux, observe le visage de Rohan. Le sien est fermé, hermétiquement fermé, ses bras croisés presque douloureux à force d'être serrés. Il déteste quand Rohan veut qu'il s'énerve parce qu'il déteste la petite voix — celle de la Bête, à n'en pas douter — qui lui murmure qu'il devrait, devrait, relâcher le contrôle, devrait, devrait cesser de courir et de fuir et devrait, devrait écouter les pulsions qui lui disent de hurler de rage ou de sortir toutes ces idioties, tout ce fiel qu'il garde pour lui depuis des années. Il devrait se transformer, aussi. Sa dernière transformation remonte à... plusieurs lunes. Trop, sans doute. Beaucoup trop. La Bête n'est qu'une voix à son oreille, un filet de pensée dans son esprit.
Il la réprime. Il n'a pas le choix. “ So? ” crache-t-il, agacé plus par lui-même que par Rohan.

« Ye're taking the potion or ye leave, Rohan. » C’est un peu comme se prendre un coup de poing qu’il aurait pas vu venir en plein visage. Le ton est sec, presque méprisant et Rohan cligne des yeux plusieurs fois, l’air un peu bête, parce qu’il n’est pas certain de comprendre ce qu’Edouard vient de dire. S’il refuse de prendre la potion, il le met dehors ? Il quitte Storm’s End, il quitte la RDP et il se retrouve à nouveau tout seul ? La gorge du blond se noue. On l’a chassé une fois d’une meute et ça recommence ? Il ne réalise pas vraiment que l’autre loup l’a attrapé par l’épaule pour le conduire hors du cottage, c’est quand il sent le vent lui caresser le visage qu’il se rend compte qu’ils sont dehors et il commence à paniquer. Déjà, comme ça ? Mais il… il ne veut pas. On l’a chassé des Thurisaz parce qu’il ne voulait pas être un monstre, parce qu’il ne voulait plus tuer, parce qu’il est—Rohan ferme les yeux. Et là, Edouard le chasse parce qu’il ne veut pas avoir recourt à la potion pour se transformer ? Il ne peut pas, il ne veut pas, il— Il veut voir June, June comprendrait, non ? Il ne veut pas se retrouver seul à nouveau, pas après avoir eu un aperçu de ce qu’il pourrait avoir ici, à Storm’s End.
Il n’est pas fait pour vivre seul, aucun d’entre eux ne l’est. The lone wolf dies, the lone wolf dies, the lone wolf dies, Claevis l’a tant répété, il le sait, il a retenu. Il se souvient encore de cette pleine lune qu’il a passé seul, une leçon que son créateur a tenu à lui apprendre : tout seul, tu tiendras pas trois mois. Il avait dix ans, encore plus humain que loup et il se rappelle de la douleur, de la colère, du désespoir. Il se rappelle s’être réveillé dans une flaque de son propre sang, parce que la solitude avait fait perdre la tête au loup qui s’était vengé sur l’humain stupide, stupide, STUPIDE qui ne comprenait pas qu’il avait besoin des autres.

Et il est encore en train de tout faire foirer et il va encore se retrouver tout seul et c’est de sa faute, parce qu’il n’est jamais fichu de suivre les règles que les meutes lui imposent et il ne veut pas, il ne veut pas se retrouver tout seul, mais cette potion c’est le mal en bouteille, il le sent d’ici, alors pourquoi Edouard insiste pour qu’il la prenne, pourquoi on le force encore à faire des trucs qui vont à l’encontre de sa nature, pourquoi– « Ye can go tae fucking Hogwarts turn with the other werewolves if ye like, not everyone in the rebellion takes the potion. But I'm no havin' yer wolf roaming around ma house and ma land. Ye either take the potion or ye leave. » Un souffle tremblant franchit la barrière des lèvres de Rohan qui lève enfin les yeux vers Edouard et il ne pleure pas parce que c’est ridicule et pathétique mais il en a très envie, là tout de suite. Ses épaules tremblent un peu en revanche, ça, il n’arrive pas à complètement le contrôler.
Il ne le chasse pas complètement, il peut aller à Poudlard, au moins. Oui, parce que Poudlard n’est pas à lui, pas comme Storm’s End, bien sûr. Mais Rohan n’a pas envie d’aller à Poudlard, il sait qu’il y a d’autres loups là-bas, mais il ne les connaît pas comme ceux d’ici, ils ne sentent pas la Meute, pas comme Eddie, pas comme June. C’est mieux que d’être tout seul bien sûr, mais ce n’est pas pareil, ce n’est pas aussi naturel que de passer la pleine lune avec ceux qu’il a identifiés comme étant sa famille.

Mais il peut le faire, pas vrai ? Il peut s’habituer à Poudlard comme il s’est habitué à Storm’s End. Non ? Non. Il ne veut pas vivre à Poudlard. C’est plein de fantômes et de trucs qu’il a jamais pu faire et ça lui rappelle tout ce qu’il a pas pu avoir et y a Ron et Ginny oui, mais c’est pas assez pour ressembler à une maison, il a besoin de plus, il a besoin—il a besoin d’Eddie. « So? » claque la voix du brun et Rohan sursaute un peu. Il déglutit avec difficultés et c’est à peine perceptible, mais il détourne le regard, penche un peu la tête sur le côté, expose sa jugulaire, dans un geste qui veut dire tu commandes, j’obéis. « Alright, » qu’il croasse, « I’ll leave. » Storm’s End est le territoire d’Edouard, s’il ne l’accepte pas, il n’a pas d’autre choix que de partir. « Say goodbye to June for me, » qu’il ajoute parce qu’il est pas sûr de pouvoir la regarder dans les yeux pour y voir la même déception, la même sévérité que dans le regard d’Eddie, parce qu’il ne veut pas changer.

« Alright, I’ll leave. »
Édouard pince des lèvres. Il ne veut pas que Rohan parte. C'est stupide, parce qu'il se comporte si violemment, si froidement avec lui mais... mais il ne veut pas qu'il parte, parce qu'ils sont frères, frères de larmes, frères de chair, frères de sang, fils du même Créateur, comme Buckley, comme June. Et Édouard ne sait pas ne pas bousculer les gens, même ceux qu'il adore comme Rohan. Et puis, c'est pas Rohan qui lui a dit qu'il pouvait s'énerver sur lui sans craindre de le briser, de lui faire mal? Ah! Tout est de sa faute, oui, c'est pas la faute d'Édouard si il fait son lâche, si il préfère partir plutôt que de se laisser faire, plutôt que de changer...
Édouard grince des dents parce qu'il sait que ce n'est pas le genre de pensées qu'il doit avoir. Ce sont des mauvaises pensées, des pensées infectes, non, il faut qu'il... comprenne, se calme, oublie, oui, d'accord. Qu'a-t-il dit? Il refuse de prendre la Tue-Loup et il veut qu'Édouard ne le fasse pas non plus. Mais c'est impossible... ils ont la chance, le privilège d'avoir accès à cette potion, ils doivent en profiter, la prendre pour... pour rester humains.

Sauf qu'ils ne sont plus humains. Ils ne le sont qu'en partie, même quand la lune n'est pas pleine dans le ciel. « Say goodbye to June for me. Édouard soupire. — Shut the fuck up, ” marmonne-t-il, mal à l'aise, décroisant enfin les bras pour serrer les poings le long du corps. Il se rend compte à quel point Rohan est perturbé, non, pétrifié à l'idée de devoir quitter Storm's End, la Meute... la meute la meute la meute. “ Here, Rohan, let's make a deal, ” fait-il en tendant la main dans sa direction, des éclairs dansant dans son oeil factice et son oeil acéré. Il a l'impression de faire des concessions comme avec ses anciennes petites amies qui voulaient absolument chercher la merde entre lui et Amelia. “ I'll go without potion only if ye accept to take it. I don't trust yer wolf to fight off mine if need be. But I trust ye. ”
Oui, il lui fait confiance, bien évidemment. Ils sont frères, malgré tout. Ils sont frères et ils font partie de la même meute. En cet instant précis, Édouard sait ce que ça veut dire. Il sent la Bête rugir entre ses côtes, hurler sa joie, son impatience maintenant d'attendre la Pleine Lune. Sa joie, aussi, de pouvoir se faire les dents sur Rohan- non, il ne peut pas penser à ça. Sa main tremble un peu. Il a envie d'aller courir mais il n'a pas envie que Rohan l'accompagne. Il n'a pas envie de se transformer en Bête mais si Rohan l'accompagne, tout ira bien. “ We'll patrol in the Forbidden Forest. ”
What could ever go wrong?

01 SEPTEMBRE † Plus que deux jours plus que deux jours plus que deux jours plus que deux jours.
Ça lui fait presque mal. Ça lui fait mal. Enfin. Non. Ce n'est pas exactement une douleur. C'est plus... compliqué. Ça n'a pas de nom. D'un côté, il a l'impression que la Bête est en train de pousser sur son corps, de pousser sur ses os, ses organes, ses veines, sa tête, son sang. La Bête est là, elle danse, elle chante, elle rugit, il l'entend, les maux de têtes sont terribles et il sent déjà son humeur se mettre à changer, sa tolérance diminuer: à la moindre occasion il grogne ou lance quelque chose d'assassin à quiconque lui adresse la parole. Il n'aime pas ça. La Tue-Loup les plonge dans une apathie agréable, la Bête n'est qu'une bête, un monstre sous le lit qu'il suffit d'ignorer pour qu'il cesse d'exister.
Sauf qu'il ne prend pas la potion Tue-Loup. Peut-être que Rohan a raison. Peut-être que c'est quelque chose qui doit être fait. Édouard a l'impression d'être sevré. Peut-être que c'est une drogue, cette potion. Non pas à cause de son composant, mais de ses conséquences. Une drogue, de rester humain, Conscient...
Ses sens, aussi, sont moins émoussés bizarrement. C'est l'absence d'aconit dans son organisme, très certainement. Il sent Rohan arriver sans même se retourner, alors même qu'il entre seulement dans la petite forêt de pins, bien loin de la clairière dans laquelle Édouard se trouve. Il y a un petit bois près de Storm's End où ils vont pour couper les petites branches et les brindilles, afin d'entretenir le feu des chaudrons et surtout pour faire des réserves de bois pour l'hiver. Même un feu sorcier a du mal à s'entretenir sans bois.

Il reprend la hachette qu'il utilise d'une main et qu'il a délaissé ces dernières dizaines de minutes pour être en train de travailler quand Rohan arrive dans son champ de vision. Il se passe une main sur le front pour en effacer une sueur fictive en se tournant vers lui.
Rohan a l'air... mal à l'aise. Malade, aussi, un peu. Il n'aime pas la potion mais c'est le deal, n'est-ce pas? Rohan avec la potion, Édouard sans. “ What d'ye want? ” aboie-t-il à son adresse, regrettant déjà son ton agressif alors que son corps tout entier est agité d'un long et douloureux frisson d'adrénaline à la simple idée de faire face à un autre loup, inférieur à lui, si faible, si faible. “ Here, come and help me. Cut too much wood, ” gronde-t-il ensuite sans attendre, jetant les quelques branches qu'il vient de massacre sur le tas qu'il a commencé à faire au milieu de la clairière, bien trop imposant pour deux personnes et encore plus pour une seule.

« Shut the fuck up. » C’est bon, il a compris, il se tait et il s’en va, c’est juste… c’est juste que c’est dur, d’accord ? Ses traits se ferment, parce qu’il va pas montrer à quel point il se sent vulnérable, ah ça non, et il s’apprête à bouger mais Eddie reprend la parole. « Here, Rohan, let’s make a deal. » Et il tend la main. Il tend la main vers lui et le cœur du blond manque un battement dans sa poitrine et il relève la tête, un peu comme un chien qui redresserait les oreilles en entendant son nom. « I'll go without potion only if ye accept to take it. I don't trust yer wolf to fight off mine if need be. But I trust ye. » C’est stupide, c’est stupide de lui dire de prendre la potion, il ne veut pas la prendre, mais Eddie a dit qu’il le ferait sans, Eddie a dit qu’il viendrait avec lui et il ne sera pas tout seul, il aura son frère avec lui et au final, c’est ce qu’il veut, qu’il essaye sans la potion, non ? Alors il se jette presque sur sa main, la fait prisonnière de la sienne et serre comme s’il ne voulait plus jamais la lâcher, de peur qu’Edouard revienne sur sa décision. Il n’est pas obligé de partir et enfin, enfin, Eddie va essayer, il va lui faire confiance et enfin accepter cet aspect de lui-même.
Rohan est sûr de lui. Il va lui montrer que c’est mieux comme ça, qu’il peut le faire sans la potion qui sent mauvais, il va lui montrer qu’il n’a pas à être un monstre, même s’il ne prend pas de Tue-Loup. Tuer le Loup, c’est stupide, c’est lui le Loup. Il ne peut pas tuer une partie de lui et espérer aller bien après ça. Le blond déteste l’idée d’en prendre, mais c’est juste pour cette fois, pas vrai ? Après cette pleine lune, Eddie aura compris et il n’aura plus jamais à en prendre, Rohan en est persuadé. Alors il sourit, enfin et il se retient à peine de bondir d’excitation autour de l’autre loup. « We’ll patrol in the Forbidden Forest. » Oui, c’est bien ça, il va pouvoir lui montrer que les loups protègent les leurs, qu’ils peuvent être utiles, qu’ils ne sont pas juste des bêtes.

« Thank ye, Eddie, » fait-il plein de reconnaissance, plein de joie et d’impatience, parce qu’il se sent accepté, parce qu’il a l’impression qu’enfin, ils commencent à se comporter comme une véritable Meute et ça lui fait tellement de bien qu’il pourrait en pleurer. C’est plus fort que lui, il tire sur la main d’Edouard, l’attire contre lui et de son autre main, lui tape le dos avec un grand sourire. « It’ll be alright, ye’ll see ! » s’exclame-t-il. Rohan a confiance.

01 SEPTEMBRE † Il déteste cette potion. Il déteste cette potion. Il déteste, déteste déteste cette maudite potion. Le goût est infâme. Il a vomi la première dose qu’il a dû avaler, mais ils sont loin d’avoir une réserve illimitée alors depuis, il se force à serrer les dents et à ne surtout pas régurgiter les suivantes. La première journée, il l’a passée dans sa chambre, à suer et à trembler, pâle, presque vert. Ça va un peu mieux aujourd’hui, alors il est sorti parce qu’il ne supporte plus de rester enfermé, mais il a mal au ventre, tellement mal au ventre.

Et le Loup est mort.

Le Loup est mort et Rohan a envie de se rouler en boule dans un coin et de pleurer. Les autres sont calmes, si calmes, et lui a l’impression d’être dans une profonde léthargie et il se sent complètement seul, parce que le Loup est mort.

Il a l’impression de voir moins bien, il entend moins bien – on a réussi à le surprendre deux fois en entrant dans une pièce et il déteste ça, Merlin il déteste ça – et il ne perçoit plus l’odeur de la forêt et des autres membres de la Meute. Il se sent aveugle et sourd, plus rien n’a de goût ni d’odeur, la vie est fade et il se sent prisonnier d’un corps qui n’est pas le sien. Il déteste cette saloperie de potion. Il se sent faible, comme il l’était quand il était encore qu’un gosse qu’essayait de s’enfuir mais que Claevis rattrapait toujours et ça lui donne envie de gerber.

Rohan a envie de s’arracher la peau avec les ongles, parce que c’est pas lui ça, c’est pas son corps, c’est— c’est autre chose, c’est un être faible et les faibles meurent.

Il ne prendra plus jamais cette potion. Il va passer cette pleine lune avec, mais après ça, il ne la prendra plus jamais, c’est hors de question. Le Loup est mort et il n’est plus que Rohan l’humain et ça fait peur, ça le terrifie, parce que l’humain est faible et n’aurait jamais survécu tout seul et il s’est juré de ne plus jamais être faible. Helvar grince des dents, on lui a dit qu’Edouard était probablement dans la clairière alors c’est là qu’il va, mais il met deux fois plus de temps parce qu’il est désorienté et alors que d’habitude, il n’a même pas à réfléchir pour retrouver Eddie, juste à suivre son odeur, là, il ne peut compter que sur son sens de l’orientation humain et c’est horrible, horrible, horrible.

Enfin il le voit et Rohan a chaud, il transpire et c’est à cause de la potion, son corps lui semble peser trois tonnes. « What d'ye want? » aboie Eddie mais il n’a même pas l’impression de l’entendre et le blond est jaloux, tellement, tellement jaloux. Même avec ses sens complètement endormis, il peut voir que Douglas respire la puissance et la rage et le Loup, le Loup. Et Merlin, Rohan veut être comme ça lui aussi, mais non, il y a cette maudite potion et elle a tué le Loup et il est juste Rohan et c’est insupportable. « Here, come and help me. Cut too much wood. » Il hoche la tête, oui, faire quelque chose, ça va l’aider à oublier tout ça. Et il veut aider Rohan, il veut toujours aider. Alors il s’avance vers le tas et veut en soulever une grosse partie mais il est si mou, c’est comme si tous ses muscles avaient quitté son corps. Alors il relâche le tout et donne un coup de pied dans le tas de bois, pour la forme. « Feck, how d’ye do it ? » qu’il s’exclame, énervé et fatigué et faible, tellement, tellement faible. « Yer potion, it’s shite, I feel so feckin’ weak ! » Il grogne, s’approche d’Edouard. « Can’t even tell how ye smell, it’s confusin’ ! » Il tend une main, qui tremble constamment depuis qu’il a commencé à prendre la potion. « Look at this ! Look at this ! » poursuit-il, complètement choqué par les réactions de son corps. « Two more days, just two more days and it’s over. Ugh. And ye ? How d’ye feel ? » Fort, il doit se sentir si fort, bordel ce que Rohan est jaloux.

Rohan n'a pas l'assurance de Rohan, sa rapidité ou même son... odeur, bizarrement. Avant cela, Édouard n'avait jamais remarqué à quel point les différents loups de Storm's End avaient chacun une odeur différente. Il y en a certains qui sentent la Meute — il sait ce que ça veut dire, maintenant. Ce n'est pas une famille, ce n'est pas quelque chose de simple et d'évident, c'est quelque chose de subtil qui agite son corps tout entier quand il est en présence de June, de Rohan, de Rachel, de Buckley, des autres... d'Amelia, aussi, bizarrement. La Meute, c'est savoir directement quand June veut lui parler, quand Rohan s'approche, quand Rohan est inquiet... quand Rohan est faible.
Quand les autres son faibles. La Bête hurle de joie, hurle tout court, à chaque fois qu'elle perçoit de la faiblesse, à chaque fois qu'elle aperçoit la manière qu'à Rohan de tordre le cou pour exposer brièvement la jugulaire — mémoire musculaire — alors qu'Édouard s'emporte. La Bête fait un festin de ses entrailles, les bouffe petit à petit, le consume tout entier. Édouard se demande aussi si c'est ce que ressent Rohan avant chaque pleine lune. Cette sensation de puissance et de force et... pas d'omniscience, mais presque. Presque.
Il tourne brusquement la tête, pour combler le vide occasionné par son oeil aveugle, quand Rohan laisse tomber le tas de branches. Ses réflexes aussi sont meilleurs, plus affutés... en temps normal, Édouard n'est pas très handicapé, il a juste des problèmes d'équilibre à cause de son oeil manquant: il pallie à ce trou dans sa vision en restant nerveux, en tournant la tête quitte à se faire mal au cou dès qu'il le faut. Mais là... c'est comme si de rien n'était. Le monde s'ouvre à lui, s'offre à lui.

Oui, définitivement, c'est un sentiment vertigineux de puissance qui lui étreint le coeur.

« Feck, how d’ye do it ? » Édouard reste immobile, serrant contre son torse les branches et brindilles, faisant bien attention à ne pas en laisser tomber. « Yer potion, it’s shite, I feel so feckin’ weak ! » Il s'approche à grands pas de lui et malgré lui, Édouard se sent menacé alors il lâche les branches et brindilles qui rebondissent à ses pieds, et il serre les poings, et il l'attend, l'air de dire vas-y, come at me, je suis prêt, tu veux te battre?
Mais un mot de Conscience — l'homme qui reste sous le loup, celui qui a peur de ce qu'il pourrait être, devenir si il se laissait faire ainsi — lui souffle que Rohan ne lui veut pas du mal. Il veut juste des réponses. « Can’t even tell how ye smell, it’s confusin’ ! » Et Édouard est jaloux, malgré lui, parce qu'il sent l'odeur de Rohan, il sent le nuage de thé qu'il a dû traverser dans la cuisine pour sortir du cottage, il sent la lessive qu'ils utilisent sur son pull, il sent aussi l'odeur de Rohan, qui n'a ni nom ni description, qui est juste Rohan. Sa main tremble mais Édouard est jaloux tout de même. Il va perdre la boule comme ça, avec toutes ces odeurs, tous ces détails, les cheveux de Rohan, la peluche de son pull sur son épaule, la lueur angoissée dans son regard. « Look at this ! Look at this ! » Édouard détourne les yeux. Il a envie de le frapper mais il ne sait pas pourquoi. Arrête de te plaindre. Ça va passer. « Two more days, just two more days and it’s over. Ugh. And ye ? How d’ye feel ? »

Puissant, puissant, PUISSANT et surtout, oh, surtout, LIBRE, ENFIN après tout ce temps, avec cet humain ridicule qui pense vraiment qu'il peut APPRIVOISER les loups mais il faut savoir une chose: on ne peut pas, ON NE PEUT PAS CONTRÔLER UN LOUP, c'est impossible, IMPOSSIBLE, un loup est une chose SAUVAGE.

“ I'm fine, ” gronde-t-il simplement en ramassant branches et brindilles, indiquant d'un coup du menton à Rohan de faire de même au lieu de flemmarder sous ses yeux. “ Pick that up, sun's setting. ” Il le sent. Il sent les proies qui retournent dans leurs cachettes, les oiseaux qui s'envolent pour d'autres paysages moins lupins, la forêt qui laisse son atmosphère agréable et lumineuse pour laisser place à l'ambiance feutrée et terriblement effrayante de la nuit. Édouard n'a jamais passé la nuit dans la forêt près de Storm's End. Il n'a pas envie. Des fois, la nuit, il a l'impression d'entendre des cris éthérés, comme si l'endroit était hanté.
Et il n'a aucune envie de découvrir si c'est vraiment le cas. “ Hey, ” grogne-t-il en voyant Rohan un peu vaciller sur ses appuis, apparemment mal à l'aise, déséquilibré au plus profond de lui même. Il lui adresse un regard dur, noir, alors que sa mâchoire se carre malgré lui. “ Ye be fine, okay? Just power through. Two more days. ” Deux jours, deux jours, DEUX JOURS JUSQU'À LA DÉLIVRANCE.
Une sueur froide lui colle à la peau. Il gronde quelque chose et se met à marcher vers le cottage, trouvant naturellement ses appuis et son chemin parmi les arbres, avec une grâce et un équilibre qui n'ont rien d'humain.

« I’m fine. » Il gronde et sa voix devrait résonner, traverser chaque fibre du corps de Rohan et lui faire ressentir la puissance d’Edouard mais c’est le vide. Il n’est même plus fichu de percevoir les différentes tonalités qui devraient lui indiquer qu’il est une menace, là tout de suite. Pas étonnant que les humains soient aussi stupides, parfois, ils sont incapables de sentir le danger, ils se jettent tête la première dedans parce qu’ils n’ont aucun moyen de percevoir qu’ils sont sur le point de se mettre dans le pétrin. Merlin ce que c’est détestable. Tous les humains sont aussi fragiles ? Aussi aveugles au monde qui les entoure ? Mais comment font-ils pour survivre ? Le seul côté positif à cette situation infernale, c’est qu’il n’a pas besoin de ses sens pour savoir qu’Eddie ment et qu’il ne va pas bien. Pas bien du tout. Il pense peut-être qu’il est bon menteur mais à force, Rohan a appris à identifier les humeurs de l’ancien auror. Et le blond regrette vraiment d’avoir pris cette fichue potion, parce qu’il ne pensait vraiment pas réagir aussi mal mais du coup, il se sent complètement incapable d’aider Eddie à profiter de ce qu’il est à présent en mesure de faire.
« Pick that up, sun's setting. » Un mince sourire se dessine sur les lèvres de Rohan. « Bossy, eh ? » qu’il marmonne en se penchant pour ramasser le stock de branches et de brindilles. Ça ne l’étonne pas, qu’Edouard soit du genre à aboyer des ordres et à s’attendre à ce qu’on lui obéisse sans poser de questions, quand la pleine lune approche. Du moins plus encore que d’habitude. Ça lui correspond bien. Et quelque chose lui dit que s’il s’amuse à refuser, la réponse de l’autre loup ne lui plaira pas.

Sans le Tue-Loup, il aurait probablement cherché la confrontation. Non, c’est même certain. Il aurait dit à Eddie qu’il n’est pas son larbin, une connerie du genre. Juste pour répliquer, juste pour le voir s’énerver. C’est comme ça, quand la pleine lune approche, ils ont ce trop-plein de colère et de fougue à libérer, à jeter à la gueule des autres. Mais là, Rohan est juste plongé dans cette léthargie agaçante, alors il s’exécute parce qu’il n’est pas assez influencé par la pleine lune pour ne pas se rendre compte que dire non à Eddie serait une très mauvaise idée. Et il sait qu’affaibli comme il est, et en colère comme Douglas l’est, il n’a aucune chance.
Il se redresse avec son fardeau et il a vraiment l’impression que c’est plus lourd que ça ne devrait l’être. Fait chier. « Hey, » fait Edouard en le voyant perdre l’équilibre et quand Rohan lève les yeux, c’est pour croiser deux orbes noirs, durs, presque mauvais. « Ye be fine, okay ? Just power through. Two more days. » Il n’attend pas qu’il réplique pour se mettre à marcher vers le cottage, comme si son corps et son tas de bois ne pesait rien et Rohan grogne.

Il grogne parce que c’est lui ça, d’habitude. Il grogne parce qu’il a du mal de porter ces foutus bouts de bois qu’il a soudainement très envie de jeter au visage d’Edouard. C’est en faisant définitivement la gueule qu’il se met en marche et il met dix plombes à arriver jusqu’au cottage, où Edouard l’attend avec un air presque impatient et là, vraiment, c’est trop. Rohan laisse tomber le tas d’un air agacé et s’approche de l’autre loup. « Just power through, » fait-il en imitant la grosse voix trop sérieuse de l’ancien auror avec une mimique exagérée. « Everything feels like shite and he tells me ‘just power through’ ! I’m blind and deaf and everything smells like ashes in my mouth and I can’t even lift a bloody pile of wood without sweatin’ like a feckin’ cow and he tells me ‘just power through’, THANK YE EDDIE ! » Okay, il n’est peut-être pas si léthargique que ça.
Encore que, ça vient de l’achever et il souffle trop fort et sa tête lui fait mal. Alors il se laisse tomber contre la pile de bois avec un gémissement exagéré. « Just lemme die, » qu’il marmonne. « Ye know what ? It still fuckin’ hurts but I just wanna see the full moon and feel like a bloody wolf again. Seriously, how d’ye do it ? » Il attrape une branche, joue avec d’un air absent, lève les yeux vers Eddie. « I bet ye just feel like ye could run to Hogwarts and come back without breakin’ a sweat. Or punch my face till I feckin’ shut up, » ajoute-t-il avec un sourire en coin.

Il sent la frustration et la colère de Rohan enfler, enfler, enfler lentement, et il sait qu'il ne va pas tarder à exploser. Il s'en fiche. Il en a rien à faire. Qu'il explose, à vrai dire, ça lui fera les pieds! Édouard va lui rappeler qui est son supérieur ici, qui l'a accueilli aussi sûrement que June, il va lui rappeler qui est le plus fort, le plus puissant, le plus hargneux, il va lui montrer... c'est seulement quand Rohan arrive au cottage qu'il s'énerver. Édouard l'attend, déjà en train de ranger les arbres à couvert, pour éviter qu'ils ne prennent l'eau si ce n'est l'humidité ambiante, et il se redresse en l'entendant jeter à terre la moitié de son fardeau. « Just power through. » Il arque un sourcil, se redressant tout à fait alors que le plus jeune s'approche, l'air agacé voire carrément furieux. Sa colère nourrit l'envie de lui apprendre ses manières d'Édouard, même si il sait aussi que ce n'est pas lui qui réagit ainsi, c'est la Bête, le Monstre, le Loup, non, ce n'est pas lui même si en cet instant précis il n'y a rien d'autre qu'eux deux devant Storm's End. « Everything feels like shite and he tells me ‘just power through’ ! I’m blind and deaf and everything smells like ashes in my mouth and I can’t even lift a bloody pile of wood without sweatin’ like a feckin’ cow and he tells me ‘just power through’, THANK YE EDDIE ! » Et le sourire sur les lèvres d'Édouard est arrogant, presque dédaigneux, le confrontant au fait que sa colère ne l'atteint pas, pas de cette manière, et qu'il est ridicule à se comporter ainsi: n'importe quoi pour l'agacer encore plus, n'importe quoi pour l'énerver, pour lui donner une bonne raison de lui sauter à la gorge et de lui rappeler qui est le chef entre eux deux.

« Just lemme die. » La réponse intervient malgré tout alors qu'Édouard se détourne pour ne pas céder à la pulsion de le frapper pour seulement avoir formulé cette idée. “ Shut up, ” grince-t-il simplement, recommençant à ranger morceaux plus ou moins imposants de bois sous la bâche, lui présentant son dos et sa nuque. « Ye know what ? It still fuckin’ hurts but I just wanna see the full moon and feel like a bloody wolf again. Seriously, how d’ye do it ? I bet ye just feel like ye could run to Hogwarts and come back without breakin’ a sweat. Or punch my face till I feckin’ shut up. » Rohan a toujours été plus rapide que lui. Pas cette fois. “ Oy, ” grince-t-il en se retournant brusquement, lui sautant presque au cou: il l'attrape par le col et le mouvement qu'il fait vers le haut est tellement violent que Rohan est obligé de sauter sur ses pieds pour suivre. “ Dinnae tempt me, ” lui souffle-t-il au visage et pendant un instant, il semble vraiment sur le point de le frapper, juste pour lui montrer qu'il en est capable, juste pour lui rappeler, rappeler qui a le POUVOIR ici et qui a le DROIT ici. Il le relâche, l'envoie faire quelques pas en arrière avec nonchalance, son regard ne lâchant pas le sien pour autant. “ Get that wood under the cover. ” Et puis une moue désagréable de s'installer sur son visage. “ Ye will be a wolf soon enough, dinnae worry. ”

Ils travaillent en silence les minutes suivantes, jusqu'à ce que tout le bois soit à l'abri. Édouard est sur le point de se remettre à sprinter en direction du petit bois pour apporter le bois restant et le mettre à l'abri de la pluie, en forçant Rohan à le suivre quand soudainement, il se tourne vers lui et le regarde jusqu'à ce que Rohan lui jette un regard interrogateur en retour. “ I feel like I could eat the world raw. ” Il serre le poing, malgré lui, comme pour se rappeler de la douleur de ses ongles contre sa peau, comme pour imaginer des griffes à la place. “ Everything is too radiant, too noisy, everything feels like an insult, everyone smells bad. I hate it. Am powering through so ye better do the same until this bloody full moon shines on us. Understood? ” Il pointe un index presque accusateur dans sa direction. “ We made a deal, ” lui rappelle-t-il pour faire bonne mesure, avant de lentement se fendre d'un sourire. “ Noo, Ghost, let's go back and get the rest of the wood before it starts raining. ” Il y a une rumeur d'orage dans l'air.

«  Oy. » Il a à peine le temps de tourner la tête vers Edouard que déjà, l’autre loup l’attrape par le col et le soulève suffisamment vite et fort que Rohan se retrouve sur ses pieds. Il chancèle un peu mais heureusement, la poigne de l’autre le maintient debout et il cligne des yeux, soufflé. « Dinnae tempt me, » fait-il, son visage à quelques centimètres de celui du blond. This is it, se dit-il en retenant sa respiration. C’est le moment où l’ancien auror va craquer et céder à la violence, complètement influencé par la pleine lune sans sa maudite potion. Rohan se prépare à l’impact, parce qu’il ne voit pas comment l’éviter en étant aussi proche d’Eddie, en étant aussi ramolli par la saloperie qu’il boit ces derniers jours. Mais non. Il le relâche brusquement, lui faisant perdre l’équilibre et Helvar se demande s’il ne va pas retourner s’effondrer sur sa pile de bois. Mais il tient bon. « Get that wood under the cover. » Et les ordres, encore. Il reste un moment immobile, à observer Edouard attentivement. Il est bon. Rohan est impressionné. N’importe quel autre loup lui aurait déjà fracassé la mâchoire. Mais pas lui. Alors qu’il a probablement les nerfs plus à vif que tous les autres loups que le blond a pu croiser, à cause du sevrage par lequel il est sûrement en train de passer.

«  Ye will be a wolf soon enough, dinnae worry. » Ha, c’est facile à dire, pour lui. Rohan se sent complètement vide. Mais il ne répond pas, il se remet au travail parce qu’il n’a pas envie de pousser Eddie dans ses retranchements, aujourd’hui. Pas quand il ne se sent pas en mesure de lui tenir tête. Il cesse de se plaindre un moment, le temps de ranger le bois sous l’abri pour qu’il ne prenne pas l’eau, car même si tous ses sens sont complètement étouffés, il peut voir les nuages gris qui pointent à l’horizon. Il travaille jusqu’à sentir le regard d’Edouard peser sur lui et là, il s’arrête et se tourne vers lui, un sourcil levé. « I feel like I could eat the world raw. » Ah. Alors il va parler, finalement ? Rohan se tait, de peur de le couper dans son élan. Il veut connaître le ressenti de l’ancien auror, il veut savoir dans quoi il s’aventure, en le poussant à ne pas prendre sa potion. « Everything is too radiant, too noisy, everything feels like an insult, everyone smells bad. I hate it. Am powering through so ye better do the same until this bloody full moon shines on us. Understood? » Le blond fronce les sourcils.
Le monde entier semble être une agression injustifiée et insupportable, lorsque la pleine lune approche. C’est normal qu’Edouard se sente ainsi. Ce qui ne l’est pas, c’est le contrôle qu’il arrive à maintenir, alors que d’habitude, il a recourt à la potion pour calmer ses pulsions. Même Rohan qui a appris à se maîtriser sans aucun artifice, depuis plus longtemps que l’ancien auror, est incapable de garder son calme aussi longtemps. Le plus jeune réalise avec une certaine angoisse que le jour où Edouard craquera réellement, ce sera plus terrible encore que tout ce qu’il a pu voir et imaginer. « We made a deal. » Il le réprimande encore, mais il finit quand même par esquisser un sourire et Rohan ne sait pas s’il doit être impressionné ou avoir peur. « Noo, Ghost, let's go back and get the rest of the wood before it starts raining. » Il se met en marche, parce qu’il ne veut pas faire perdre patience à Eddie, mais alors qu’ils retournent dans la clairière, il en profite pour enfin prendre la parole.

« It gets better, » commence-t-il doucement. « Yeah, everything still feels like shite, but it’s not as bad as ye must feel now. » Rohan lance un regard en coin à l’autre loup. « Ye’ve got no idea how freakin’ amazin ye are, eh ? » demande-t-il avec un sourire en coin. « Anyone else would have ripped my throat already. A dinnae ken how ye do it. » Ils arrivent finalement à côté de la pile de bois, se retrouver aux côtés d’Eddie qui n’est pas aussi léthargique que les autres semble lui redonner un peu d’énergie, même s’il a toujours mal à la tête et envie de vomir. « Ye’re good at this, Eddie, » conclut-il avant de se pencher pour ramasser sa part.

03 SEPTEMBRE † Ils se sont trouvé une petite clairière, le plus loin possible de Poudlard. Il n’y a plus qu’eux deux, la forêt est entièrement silencieuse, les autres animaux ont senti leur présence et savent ce que ça signifie. Tous sont partis se cacher. Le soleil est presque complètement couché et Rohan a chaud et froid et frissonne d’excitation et de peur. C’est comme ça à chaque fois. Le Loup veut sortir, il n’attend plus que ça mais l’humain anticipe la douleur atroce qu’il va éprouver, comme à chaque fois. Eddie ne parle plus depuis le début de l’après-midi. Il craint probablement de ne lâcher qu’une flopée d’insultes et des choses horribles s’il ouvre la bouche, Rohan comprend ça. Il tourne en rond, le blond ne l’a jamais vu comme ça et il suit ses allers et retours, comme hypnotisé. Lui s’est assis calmement sur le sol, a retiré chaussures et chaussettes, comme Eddie, qu’ils ont déposées près d’un arbre. Il attend. La potion a encore une grande emprise sur lui car d’habitude, il est dans le même état qu’Edouard. Enfin, le soleil est couché et il peut le sentir.
C’est là. Ça vient. Rohan se redresse et retire son t-shirt, les soirées se sont largement rafraichies et il a plu aujourd’hui, alors il tressaille et serre les dents, tandis que l’ancien auror lui lance un regard bizarre. « What ? It’s shite to turn in yer clothes, » qu’il marmonne en déposant son t-shirt avec le reste. Il veut faire la même chose avec son pantalon, quand les rayons de la lune apparaissent entre les arbres et baignent Edouard qui se met à respirer fort, rapidement. Quelques secondes après, c’est à son tour.

Rohan fait de son mieux pour garder son calme alors que tout son corps semble prendre feu. A quelques pas de lui, Eddie semble étouffer et commence à tirer sur le col de son t-shirt. « Just take it off, » grogne Rohan mais l’autre continue de tirer et finit par déchirer le tissus. That’s why I told ye to take it off, veut-il lui dire mais il n’est plus en mesure de parler.

Sa conscience s’efface. Petit à petit, le Loup prend le dessus.

La première vague de douleur lui arrache un cri rauque et le jette à terre.