Colère. J'en tremble. Qu'en est-il de la décence ? Qu'en est-il de la compassion qui fait de nous des êtres humains à part entière et non pas des pâles imitations de vie ? Ne me suis-je pas voué à la protection de tout un chacun ? N'ai-je pas pour vocation d'aider les autres ? De les protéger ? N'est-ce pas pour ça qu'on m'a appelé aujourd'hui ? Les sentiments négatifs montent plus vite en moi que ceux d'un activiste écologiste devant un bûcheron et si ma baguette n'envoie pas des étincelles c'est tout simplement parce qu'elle est soigneusement rangée dans le holster en cuir attaché à ma ceinture. Une vélane qui accepte de donner sa vie pour un sorcier est une chose. Cependant je suis assez proche de la scène pour avoir capté le regard vide et les gestes dénués d'intention de la créature. Une chance pour moi, ce n'est pas ce spectacle morbide que je dois regarder, mais bien les dizaines de civils qui se trouvent devant l'estrade pour protéger ceux qui se trouvent dessus, en compagnie de quelques mangemorts présents comme dernière ligne de défense du Magister.
Honte, également. Honte sur moi. Honte sur le Magister. Honte sur tout ceux qui participent à cette morbide mascarade en la laissant arriver. Honte de ne pas être capable de me tourner pour en finir, pour élever la baguette et défendre ceux que j'ai juré de protéger lorsque je suis entré dans la brigade. J'ai honte de ce que je suis et pourtant je sais que tout ce que je peux faire est inutile, futile, pas plus important qu'une légère brise polissant le crâne chauve du Magister. Alors je carre les épaules et je joue mon rôle, car la seule façon pour moi de l'assurer correctement et de m'assurer que personne ici ne se mettra en danger en protestant trop fort. C'est le seul rôle qui me reste.
Dégoût, quand mon regard qui balaye l'assistance se pose sur des expression d'intérêt sincère ou de sombre satisfaction. J'entends le pauvre être s'effondrer derrière moi, sur l'estrade tandis que ce gratte papier déblatère des imbécillités sur les pertes inévitables à ce genre de processus dans les cas de maladies mortelles et je n'arrive pas à m'empêcher de penser que c'est ce genre d'individu qui devrait se retrouver derrière les barreaux. Dégoût lorsque je ressens l'excitation de certains grâce à mon demi don d'empathe. Pour une fois, je suis heureux de ne pas avoir à me prendre en pleine face l'amusement de ceux qui apprécient le spectacle.
Le discours se poursuit et s'approche des remerciement lorsque tout explose, le bâtiment s'effondre sur lui-même en me jetant au sol sous la force de l'explosion. Mes réflexes acérés me permettent de sortir ma baguette rapidement pour lancer un sort déviant un bloc de pierre, mais pas assez pour l'empêcher d'écraser d'autres personnes. Pas assez de puissance non plus pour empêcher le reste de s'écrouler et juste assez de rapidité pour me redresser en le faisant et essayer de me mettre à couvert. Cependant où fuir lorsque la seule issue se retrouve démantelée aussi sûrement que la démocratie anglaise ? Une pierre m'atteint en pleine tête et seule subsiste l'obscurité et le silence, comme une pause dans le fracas de la pierre qui se déchire et les cris des vivants qui bientôt ne le seront plus. La dernière pensée que j'emporte est que j'aurais voulu revoir les plages de la Floride une dernière fois avant de mourir.
Comme en réponse à mes prières, je me retrouve soudainement en Floride, debout sur ma planche, au milieu des vagues, le soleil caressant ma peau. J'aurais du garder les yeux ouverts à m'en arracher les paupières. J'aurais du décrocher ce soleil, l'arracher du ciel indifférent à mon manque pour le remettre dans mon cœur, à la bonne place. J'aurais du inspirer tout cet air chaud et salé qui m'entourait à m'en faire éclater les poumons, à en étouffer. À ma grande horreur cependant, l'énorme inspiration que je comptais prendre se bloque dans ma gorge incapable et je me vois obliger d'expirer. Naturellement, j'essaye de reprendre une inspiration, mais rien n'y fait et lorsque dans un réflexe primitif je veux lever la main pour la porter à ma gorge, celle-ci reste paralysée et la panique m'étreint.
Le rêve se transformait en cauchemar. Je bascule en arrière, dans cet océan qui est le seul propriétaire de mon cœur depuis ma plus tendre enfance, mais je suis incapable de bouger, de nager et je sens que je me noie alors que je m'enfonce de plus en plus profondément dans les ténèbres à nouveau, voyant le monde à travers le filtre terrible que forme la surface de l'eau, cette séparation implacable entre moi-même et le monde extérieur. Alors j'étouffe, seul, sentant qu'on me tire de plus en plus vers le fond, qu'on me retient les poignets et les chevilles pour m'empêcher de nager, moi l'homme poisson. Insensible, le rêve m'entraîne à nouveau vers le noir, efface le décors et lorsque j'atteins le fond, ce n'est pas de l'eau que j'inspire par à-coup dans mes poumons écrasés par la pression, mais du sable.
J'ouvre alors brutalement les yeux et pendant quelques minutes je n'arrive ni à faire le point ni à prendre la pleine mesure de la réalité. Je suis comme un poisson sur la berge d'une rivière, conscient que le salut se trouve à quelques centimètres, mais incapable de l'atteindre. Je me débats, je rue, j'inspire comme je peux l'oxygène qui m'entoure et je finis par lâcher prise, arrivé rapidement à bout de souffle, la tête me tournant à cause du manque d'air dans mon organisme. C'est seulement une fois calmé que je comprends que je ne pourrais jamais me défaire seul de l'étau qui m'enserre et j'essaye de contenir ma panique. Je n'ai jamais aimé les espaces clos.
Où suis-je ? La dernière chose dont je me souviens, qu'est-ce que c'est ? Est-ce cette plage de Miami ? Ai-je tellement sombré que j'ai atteint l'Atlantide ? Non, je me rappelle à présent, la vélane, la douleur qu'elle ressentait, l'amusement de la foule, puis l'explosion qui secoue le bâtiment comme si Dieu en personne venait punir les badauds pour avoir assisté à une telle infamie. Désormais je suis pris au piège et entouré des faibles gémissement des autres survivants. Je ne peux pas bouger la tête. Je suis allongé sur le ventre et quelque chose fait pression sur mon dos, m'empêchant de respirer correctement. Ma main tient toujours ma baguette, mais je ne peux pas la bouger non plus et la douleur que je sens dans mon autre bras m'apprend qu'il est au moins cassé. Quant à mes jambes, l'une d'entre elle souffre, la deuxième je ne la sens plus.
Mes narines inspirent la poussière des décombres et je m'étouffe lorsque mon organisme essaye de l'évacuer en toussant. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais ma gorge et mes poumons me font atrocement souffrir, ajouté à une soif incroyable, la douleur dans mes membres et le fait que je ne puisse pas bouger. La panique revient alors ainsi qu'une grosse envie de pleurer. Je déteste les espaces clos. Je déteste être dans le noir. Je déteste être seul. J'essaye d'appeler au secours, mais seuls des gémissement me répondent. J'essaye de me persuader que je ne vais pas mourir ici, seul sous les décombres, mais je n'arrive pas à y croire moi-même.
Les heures passent sans que rien ne bouge. La solitude m'écrase plus sûrement que ce morceau de béton qui me retient cloué au sol et mon inconfort est tel que j'appelle la mort à chaque seconde qui passe, trop enfoncé dans mon propre désespoir pour penser que de l'aide viendra un jour. Les gémissement, parfois les cris qui m'atteignent sont insupportables. Impossible de les ignorer. Impossible de les aider. Impossible de m'aider moi-même. Une autre quinte de toux me fait tourner la tête et je sombre à nouveau dans l'inconscience.
Un horrible fracas me fait émerger de l'inconscience. Des gens parlent. Des gens parlent. Aidez-moi. Mais rien ne sort de mes lèvres. J'arrive à respirer, rien de plus. Je n'ai plus si froid également. Les voix continuent de parler mais je ne comprends rien à ce qu'elles disent. Je m'en fiche. Je me repais de leurs paroles comme un détraqueur se repaît de la joie d'un homme. Alors que les voix me sont arrachées à nouveau et que je me sens transporter autant par l'inconscience que par une surface mouvante, une pensée me traverse, claire comme de l'eau de roche. Maintenant c'est clair. Il me faut un colocataire.
‹ occupation : criminel, propriétaire déchu du Centuries.
‹ maison : Serpentard.
‹ scolarité : 1977 et 1984.
‹ baguette : brisée.
‹ gallions (ʛ) : 5314
‹ réputation : il n'est plus rien, l'héritier réprouvé d'une famille presque extincte, indigne de toute confiance et bon à moisir dans les geôles d'Azkaban.
‹ faits : toujours considéré comme une ordure remplaçable, dans le clan désuni de Voldemort, Rosier est désormais perçu comme un lâche ayant déserté avant la bataille finale. Un monstre qui a abusé de la confiance d'une sorcière honnête (Anna), et un père indigne par-dessus le marché. Nombreux sont ceux qui auraient aimé maintenir la peine de mort jusqu'à ce qu'il y passe.
‹ résidence : Azkaban.
‹ patronus : un vague filet argenté, sans forme ni consistance.
‹ épouvantard : un précipice.
‹ risèd : une plage, avec Anna et Charlotte.
wrong place my wrong time
I won't believe in heaven and hell. No saints, no sinners, no devil as well. No pearly gates, no thorny crown. You're always letting us humans down. The wars you bring, the babes you drown. Those lost at sea and never found, and it's the same the whole world 'round. The hurt I see helps to compound that Father, Son and Holy Ghost is just somebody's unholy hoax, and if you're up there you'd perceive that my heart's here upon my sleeve. If there's one thing I don't believe in, it's you.
and the world was gone
Il ne comprend pas pourquoi l’assistance s’indigne pour si peu et ose se parer d’un air révolté ou dégoûté. Hypocrites. Ils acceptent sans broncher la traque des sang-de-bourdes mais froncent les sourcils pour des Vélanes — ces mêmes êtres qu’il n’a jamais lorgnés autrement que comme des poupées discriminées, condamnées à vivre loin de leur race, en communautés retirées, où le sorcier lambda (et sa queue) trouvait le moyen de s’inviter. Benham est venu le remercier avant la présentation, ses deux mains frémissantes d’excitation serrées autour de la sienne, s’embourbant dans une insupportable palabre dont lui seul avait le secret — Rosier s’était fendu d’un sourire absent. Il lui a fourni des sujets. Il trempait depuis toujours dans le trafic de créatures magiques, et il connaissait les pouvoirs que cachaient ces harpies séraphiques, pour en avoir profité, lorsqu’il s’était explosé la colonne vertébrale. Sans elles, sans leur sang, il n’aurait pas remarché, et s’il se gardait d’évoquer cet épisode, il était définitivement convaincu de leur efficacité. Les bras croisés, il ne prétend pas s’intéresser à ces discours pompeux, trop occupé à mirer la foule amassée devant l’estrade dans l’espoir (insensé) d’apercevoir Anna. Ils ne se parlent plus. Il ignore où en est sa grossesse, si elle a décidé de se rendre à l’inauguration, si… si elle tente de le repérer aussi. Il avait eu vent de la disparition suspecte de son frère, et n’avait pas pu s’empêcher de gratifier Eirene Mayfair d’un rictus goguenard — comme s’il se doutait de quelque chose, sans pour autant mettre le doigt dessus. Son coude s’enfonce mollement dans les côtes de Draco, à qui il décoche un « we should get going » éraillé. Ils ont beaucoup bu la nuit dernière, et il ne se souvient pratiquement de rien, sinon d’un réveil hâtif, ponctué de « fuck » impatients. Un arrière-goût de vodka et de tabac froid dans le gosier, aussi. « I need to find something… to throw up. » Ça, c’est une mission pour eux. Une vraie mission, et une meilleure excuse que leur ronde pour déambuler dans les corridors aseptisés de l’hôpital. Il a hâte de décamper, du reste — plusieurs rendez-vous l’attendent, et il énumère silencieusement une liste de tâches à compléter avant le weekend de débauche qui le guette. Cette journée aurait pu être juste pénible ; pas mauvaise.
Et le sol a tremblé.
Une brusque inspiration rompt le silence, et le tire de sa torpeur, alors même qu’il reprend – ou croit reprendre – connaissance. Ses ongles raclent les débris, s’enfoncent dans la saleté, tandis qu’il expectore à coup de glaviots épais la poussière qui s’était accumulée dans ses poumons. Le corps perclus de douleur, il remue bras et jambes, gesticule, se réapproprie sa carcasse miraculeusement intacte (du moins, en a-t-il l’impression) sans pour autant se sentir vivant. Son épaule lui arrache un gémissement étouffé, un son rauque qui meurt dans son gosier pâteux ; il a envie de dégueuler, et c’est peut-être ce qu’il fait, ou ce qu’il a fait, car la réalité ne l’a pas encore percuté. Il rêve, cauchemarde, erre entre deux rives avec l’incertitude comme seule compagne. Il n’entend rien, pas âme qui vive à la ronde, sinon les battements irréguliers de son propre cœur cognant contre ses tempes. Il y a quelque chose d’angoissant, dans ce silence mortifère, quelque chose qui l’oppresse, l’appréhension terrible d’être livré à lui-même dans les entrailles béantes de ce qui se réclamait être le futur. Un râle guttural, inquiet, s’échappe alors de ses cordes vocales déglinguées, « Malfoy ? » La vue brouillée par les émanations délétères flottant autour de lui, il croit distinguer une forme grossière, quelque part dans son champ périphérique, qui pourrait être un corps. Il s’agenouille tant bien que mal, la main plaquée contre son épaule démise, et lève le nez vers le toit précaire qui menace de s’écrouler à tout instant — il va crever ici. « Malfoy ? » qu’il croasse une nouvelle fois, en se traînant sur les rotules vers un Draco inerte. Son jean se déchire sous les éclats de fioles éclatées, lui égratignent la peau, mais il est trop hagard pour se préoccuper de quelques coupures. Ses doigts tremblent, quand il cherche le pouls — faible quoique régulier — de son cousin, coincé sous une poutre qu’il ne peut pas déplacer immédiatement, au risque de déranger un monticule de blocs de béton empilés les uns sur les autres. « Fuck. » Qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que je dois faire— il n’a jamais eu la responsabilité d’une vie, lui, et Merlin seul sait comment il a survécu à cette chute, pourquoi l’a-t-on encore épargné d’une énième fin tragique. Il a la mort dans le sang et par quelque miracle, lui échappe constamment, malgré sa fâcheuse tendance à lui courir après. Une explosion retentit — il ne comprend rien, plaque un bras contre ses yeux et fait barrage sur Draco. Les gravats tremblent, son monde tremble, il serre les dents, se surprend à prier tous les mages que gamin, il croisait sur ses cartes chocogrenouille. Il regrette presque ses erreurs, et tellement d’autres choses, tout, jusqu’à ce que ce fugace moment d’épiphanie ne commence à cramer en même temps que son bras. « Fuck ! » Il n’avait pas remarqué, à son réveil, qu’à l’instar de Draco, il baignait dans des liquides étranges, dont la couleur, dans l’ombre, lui échappait. Le craquement qu’émet son épaule est écœurant, plus écœurant que douloureux du reste, tandis qu’il s’acharne à éteindre les flammes qui ont pris dans cet espace étriqué, chasse les décoctions nauséabondes qui les entourent, et s’aperçoit — avec horreur — que les chairs à vif de Malfoy flambent, comme un feu de joie macabre dans cette obscurité saturée. La poutre aussi. Peut-être qu’ils devraient brûler. Peut-être. La fumée l’étourdit ; il se dépêche pourtant, étouffe le brasier, jusqu’à se sentir faiblir d’abuser autant de sa magie alors qu’il n’est, en théorie, pas en état de pratiquer. Il n’y connaît rien, en sortilèges médicomagiques, des rudiments, des incantations de base dont l’efficacité sur une plaie de cette envergure sera moindre… Il utilise seulement de quoi neutraliser la souffrance, garrotter l’artère principale, la respiration erratique et les gestes trop brusques. Il redoute une autre explosion — et Draco, Draco est dans un sale état. Il a peur. Il a tellement peur bordel. Ça lui broie les tripes, et il dégueule par réflexe, s’étrangle avec sa bile. Il y a du sang, dans ses glaires. Ses billes céruléennes tombent alors sur son abdomen, d’où dépasse un morceau de verre, pas trop épais, mais pas si fin. « Fuck me… » Sa tête se renverse en arrière et heurte un pan de béton contre lequel il s’était adossé. Là aussi, il ne sait pas. Cautériser — il faut cautériser. La manche de son pull a brûlé avec sa peau. Il a mal, et il a peur, et il vomit encore — à cause de la jambe de Draco, cette fois-ci. L’air, le peu d’air qui les maintient en vie, est chargé d’odeurs nauséabondes, il se demande même s’il s’agit seulement des concoctions des laboratoires de Sainte Mangouste ou bien des macchabées. Rosier fouille l’une des poches de son jean et en extirpe une fiole à moitié vide, dont il arrache le bouchon avec ses dents, faute de pouvoir lâcher sa baguette (il ne veut pas, il ne peut pas la poser). Après un passage dans chaque narine, la poussière dorée n’est plus, et il jette le minuscule contenant avec le reste des débris, soudainement apaisé par les premiers effets de l’orviétan. La panique se tasse dans un coin de son esprit, ses neurones s’engourdissent et bientôt, il oublie les douleurs éparses qui le clouent au sol, la cacophonie insoutenable de ses pensées, cette migraine à s’en fendre le crâne en deux. Ses yeux explosés s’habituent aux ténèbres, s’attardent un instant sur la tête blonde de Draco, qui n’a pas fini sa sieste. Une sérénité feinte annihile son désespoir de survivant — et dans un élan de lucidité psychédélique, il leur applique à tous les deux un Tétenbulle. Pointe mollement sa baguette vers la voûte qui les surplombe, ahane des « periculum » qui demeurent sans réponse. Puis il compte les étincelles grésillant ici et là, sombre doucement dans les limbes d’un demi-sommeil, terrassé par cette fatigue si familière, aujourd’hui justifiée par ses derniers efforts. Il n’a plus mal, il n’a plus peur — pour l’instant. Il voudrait une cigarette. Putain, son royaume pour une clope.
(Il a dû perdre conscience, car lorsque ses paupières se soulèvent, l’enchantement s’est rompu, et ils sont de nouveau exposés aux remugles de potions et de carne grillée.)
« Getoffme– » Des fragments de verre se frottent les uns contre les autres. Sa tête s’incline sur le coté, à temps pour contempler le réveil laborieux de Malfoy. C’est bien, il pense. Son gosse ne sera pas orphelin. C’est bien. « Morning sunshine, » il marmonne. « Rosier ? » Un rictus gribouille sur son visage livide une grimace narquoise. L’autre, évidemment, commence à s’agiter comme un animal pris au piège, « I wouldn’t, if I were in your shoes… » Sa voix est terriblement paisible, rassurante. « ‘you okay ? — Yeah. » Il est défoncé, l’abruti, et ça l’agace, que Draco continue de se débattre en dépit de son avertissement. « Seriously Malfoy, you can’t move that leg, I mean, look at it- (il s’interrompt, les sourcils froncés et la moue songeuse) no, you know what ? Don’t look, it’s pretty disgusting. — What are you on about ? — Trust me- (for once) — Well, I don’t. » Fucker. Ses billes roulent dans leurs orbites injectées de sang, alors qu’il entend, « I’m not a bloody child, I can handle-oh. Oh- (Oh.) — See, I told you- — Oh fuck- — No need to panic- » You’re gonna be alright… C’est une chanson, il croit. We’re gonna be alright. « How can you be so placid, are you mad ?[/color] Un ricanement s’échappe de ses lèvres sèches. — I’m, il tente de trouver une position plus confortable, ah, peine perdue, high, guess that helps ? » Plus pour longtemps, cela dit. Deux, trois heures maximum. Il aurait dû en garder, faire durer sa maigre réserve (quoique, réflexion faite, non, Draco aurait exigé qu’ils partagent — ce qui, en soi, était compréhensible). « It can’t be this bad, the pain’s not eating me alive so– » Grâce à qui, ducon. « Numbing spells. — O-ok. Ok. » Sa main valide tremblote sur sa cuisse. « Quand on y pense, ça tombe bien, on pourra tester les soins à base d’extraits de vélanes. » Il aurait bien répliqué, de ces remarques graveleuses dont il avait le secret, mais il s’assoupit (s’évanouit) malgré lui.
day 2
Anna travaillait tard. Du matin au soir, elle se baladait avec des dossiers sous le bras, fronçait le nez à chaque fois qu’une lettre frappée du sceau ministériel atterrissait près de son thé, et parfois, même quand il ne passait pas la nuit ailleurs, elle s’installait en tailleur sur le lit, armée de sa plume et de ses parchemins. Il essayait de la distraire, elle protestait, le repoussait sans y mettre suffisamment de volonté pour le décourager. Il entend son rire raisonner dans sa caboche, et c’est comme un film se déroulant sous ses yeux, des moments isolés, confus, de leurs souvenirs, et de son absence, qui lui crève le cœur, mais moins que les remords qui ne cessent de l’assaillir depuis qu’elle est partie. Il va crever ici, sans s’être excusé. Ni à elle, ni à son frère, ni à Sansa. Sa fille, si elle est encore vivante (Merlin, l’est-elle ?), ne le connaîtra jamais, et il commence à comprendre — il commence à comprendre, ce qu’il est, ce qu’il a été, ce qu’il a fait, ce qu’il ne fera pas, ou plus. Ses côtes le lancent, sa blessure au ventre le lance, sa tête le lance, des haut-le-cœur le surprennent à chaque inspiration. Les conséquences de sa prise d’orviétan rendaient cruellement justice à son impulsivité — il était maussade, ou déjà trop fiévreux pour aligner plus de trois mots, et le barrage artificiel érigé contre la terreur qu’il refoulait avait cédé sous ses brusques assauts. Son palpitant, comprimé dans sa cage thoracique, lui remontait dans la gorge. Malfoy l’avait enjoint à s’hydrater (en glissant qu’avec de la chance, il s’étoufferait) mais son estomac ne l’avait pas supporté. C’est à l’orée de l’inconscience que les plus insignifiants détails qui ont jalonné sa mémoire lui reviennent, la marque des cigarettes que son frère et lui fumaient en douce, la broche de sa mère, l’ululement de la chouette familiale, son premier match de Quidditch, cette fille qu’il avait malencontreusement bousculée dans le Poudlard Express… et ça n’avait pas de sens, ça n’a pas de sens. La violence de ses souvenirs l’esquinte — il n’aime pas se rappeler. Ce monde, il l’emmerde, il l’emmerde tellement. Une quinte de toux (ou plutôt, un gargouillis) le secoue. « Water… » que Draco ânonne. Il a une voix désagréable, quand il est assoiffé, aussi rocailleuse que la sienne après un paquet de clopes. « We’re gonna die anyway, » il marmonne, en dodelinant de la tête. Une heure. Il a tenu une heure sans prononcer ces paroles, et Draco enfonce sa tête entre ses bras (se bouche les oreilles ?), maugrée des phrases inintelligibles. « I’m going to die if you don’t give me some water… — I don’t want to die, » réplique Simon, indifférent aux jérémiades voisines. Ses globes déments scrutent les fissures lézardant un bloc de béton, tandis que Malfoy, au bord de la crise de nerfs, cherche à tâtons à lui arracher sa baguette des mains pour s’abreuver. « Listen to me– right now, I could kill you and make it look like you were just another victim of this senseless tragedy. (Il exagère volontairement le sarcasme.) Give. Me. Your. Wand. » Rosier obtempère, imperturbable. « We weren’t– we weren’t with the crowd, they won’t be looking for us before– a long time… — I have a wand, Rosier. A wand, » martèle furieusement Draco. Et à Simon de le guigner avec défiance, désormais convaincu que la prochaine menace ne sera pas seulement verbale ; il se grignote la lippe, en gosse tétanisé, puis réclame la fameuse baguette qui, depuis qu’ils ont retrouvé celle (défectueuse) de Malfoy, passe de main en main toutes les dix minutes.
« I don’t want to die with you. — You and me both, asshole. »
À un moment, il a braillé, s’est cogné l’arrière du crâne contre le mur défoncé qui lui tenait lieu de dossier, trempé de sueur, en bredouillant faiblement qu’il ne voulait pas revivre ça, qu’il ne voulait pas, des je veux pas mourir, je veux pas mourir inlassables, il sifflait entre ses dents, je veux pas mourir, pas comme ça, pas ici, et cette attaque de panique avait obligé Draco à l’assommer d’un Stupéfix avec sa baguette défaillante. Dépouillé de ses psychotropes, de l’alcool, de son calme olympien, Rosier révélait l’étendue de ses psychoses, gangréné par les affres de la paranoïa, de l’angoisse, de la dépendance – il n’était rien. C’est la vie, la vie qui un jour lui a lardé l’âme, et il voudrait expliquer pourquoi sa réalité chaotique n’est pas celle des autres, pourquoi il fait ce qu’il fait, pourquoi il se ravage autant – pourquoi il est fatigué, et combien il est terrifié, que cette résilience factice l’abandonne et cède à sa détresse. Ses billes lorgnent ses doigts, poisseux de sang, et l’aliéné a des rêves de suicide.
« Wanna play a game ? — Huh ? Draco émerge d’entre ses bras croisés, le sourcil froncé et l’air revêche, un rien circonspect. — Wanna play a game ? Il répète patiemment, en fixant un point imaginaire entre deux barres de fer arrachées. — What are you, five ? — I'm bored. Le reniflement dédaigneux de l’estropié est aussitôt suivi d’un soupir agacé. You got money ? — Nah. — Not interested then. » Simon hausse les épaules, et se contente de s’emmerder.
« Malfoy ? — What ? — Nothing. Just checking. » Draco lève les yeux au ciel.
« Malfoy ? — What ?! — If I die, please don’t eat me. — Bloody hell… » Draco est atterré.
« Malfoy ? — Shut up ! — Have you ever slept with a Veela ? A real one ? » Draco est sidéré.
« Malfoy ? — I swear to Merlin, I’m going to rip my leg off and beat you to death with it. » Simon se marre.
(Rosier déconne complètement.)
Anna agonise peut-être. Anna est peut-être morte. Beaucoup de peut-être ; il saigne toujours, mais le fragment de verre ralentit l’hémorragie. A priori, aucun organe vital n’a été touché, sinon… sinon. La pensée même de succomber à ses blessures le rend malade. Les gestes sont lents, calculés, quand il gesticule sur son séant, replace correctement son rachis contre le bloc de béton, tasse sa charpente à l’aide de sa paume valide ; en dépit de ses grimaces, et de ses difficultés de plus en plus flagrantes, il trouve une position confortable. Il transpire mais est transi de froid, puis de chaud, selon l’heure — quelle heure est-il, d’ailleurs ? Depuis combien de temps croupissent-ils dans ces entrailles mortifères ? L’air, par moments, est irrespirable, et quand les Tétenbulles éclatent, il ne leur reste plus que leurs mains pour se protéger des miasmes qu’exhalent les macérations de filtres, et à leurs paupières de se presser l’une contre l’autre, afin de tromper les hallucinations venant perturber leurs visions. Rosier a vu des feux d’artifices – et il a songé à la fête grandiose qui était prévue en l’honneur de son anniversaire, la mort dans l’âme. Il s’aperçoit alors qu’à part quelques soirées orphelines, il ne connaissait plus vraiment Malfoy, si un jour il avait pris la peine de s’intéresser à lui. Ils n’étaient pas proches, en dépit de rares points communs avilissants tournant autour du jeu et de l’alcool – pas de quoi être fier, en somme. Ils ne partageaient rien, hormis quelques mémorables gueules de bois, et un goût certain pour la décadence. Mais il y en avait dix autres comme Draco, dans sa vie. Il s’entoure uniquement de dégénérés pareils, abrutis par le sexe et les vices en tout genre. À dire vrai, il n’aurait absolument pas pensé à lui s’ils ne s’étaient pas retrouvés prisonniers des décombres ensemble. Comme quoi – le hasard. « It’s funny… you were… three or four. My mother, she invited Narcissa over for… I don’t remember what for, but anyway, doesn’t matter. You kept following me around for some reason and I told you to fuck off, and you kept saying ‘fuck off, fuck off, fuck off’. Looking back… I’m pretty sure you knew you’d get me into trouble for that. My brother, he tried to talk to you, he was like, ‘you can’t say that, it’s a grown up thing, you can’t say that’, and of course… you told him to ‘fuck off’ with that big, devilish smile on your face. Merlin… everyone was so mad at me. So fucking mad. » L’anecdote lui dérobe un ricanement amer. « Oh, Draco, pour une fois, n’est pas pressé de l’envoyer chier. Really ? Il louche dans sa direction, croit entrevoir l’ombre d’un demi-sourire étirer mollement l’une de ses commissures, sans en être certain. Sounds like something I would do to you. — Dickhead. » Le rire qui s’échappe de ses cordes vocales sclérosées est faiblard et meurt entre deux quintes de toux. C’est ironique, de contempler l’abîme en compagnie de quelqu’un dont le sort, encore hier, lui importait si peu.
Draco est-il en train de réclamer sa mère ? Ses prunelles se sont dilatées. La morsure du manque lui agrippe les entrailles, ses jambes tremblotent — il s’est toutefois calmé, malgré sa nervosité grandissante, et les douleurs qui lui irradient les muscles. Il a tenté, sans succès, de les apaiser avec un sortilège engourdissant, mais elles se sont réveillées au bout de quelques minutes seulement. La blessure le vide autant de son sang que de sa magie. Il s’attarde un moment sur la silhouette frissonnante de Malfoy, puis examine, de loin, l’état inquiétant de sa jambe. « Are you okay ? » il bafouille, avant d’étirer le cou, grimaçant. Sa nuque craque, et c’est dégueulasse. « Are you ? » ironise son cousin. Leurs appels à l’aide demeurent sans réponse, aucun indice n’est en mesure d’indiquer leur présence aux secours, ils vivent d’Aguamenti et de joutes verbales acerbes. « Could be worse, » Rosier a l’audace de tempérer, alors même qu’il se plaignait d’étouffer quelques heures plus tôt (la veille ?), en marmottant des inepties. « Like what ? Malfoy glapit, le ton chargé d’une acrimonie toute justifiée. The only thing worse than dying from dehydration, il pointe son index vers le toit branlant qui culmine au-dessus de leurs carcasses pourrissantes, is getting crushed by that thing. » Un silence. « You scared ? » À force, son esprit se morcèle, et se dissocie de ce corps étranger, parfois transpercé de douleurs lancinantes qui ne lui semblent plus être les siennes. Il ne sait pas s’il l’est, lui, terrifié. S’il doit l’être. Draco est complexe à déchiffrer, et de ses paroles, il ne glane qu’un agacement de surface. Sa conscience se fracture. « I guess… le timbre chevrote. I’m… tired. I can’t take it anymore. — What do you mean ? — I just–I wish it would go away. I can’t die and leave them. My mother, (Narcissa ?) Scorpius, Pansy. I can’t leave them. » Et il divague, divague, divague, évoque à mi-mots un besoin de partir, de s’échapper, de les protéger (qui ?). De fuir ? Simon le perd en cours de route, trop anémié. Sa tête ballotte, son menton racle la clavicule, et il s’échine à rester éveillé — pour une fois, il ne languit pas après le sommeil, ne rêve pas d’un matelas sur lequel s’effondrer, n’observe pas le firmament, une cigarette pendouillant entre les lèvres, frustré de résister ainsi à Morphée. Ses paupières s’alourdissent. « We all have things to hide, et l’aveu, sibyllin, n’est qu’un murmure qui cahote hors de sa gorge. Could you do it ? Could you run away ? — I–I… what– — Do you want to ? — Stop doing that. — I’m not judging. I’m asking. — I don’t know, okay ? I don’t know. » L’échange cesse sur une note enragée, et il se demande si cette conversation a vraiment eu lieu ou si ce n’est pas le fruit de son imagination détraquée, s’il ne se projette pas dans le doute qui étrangle Draco. « I have a house, in the Cornwall. A safe house, précise-t-il. We used to spend our holidays there when I was a kid. If you ever need to– — Why are you telling me this ? » l’interrompt sèchement Malfoy. Il ne sait pas. C’est une grande maison, ancienne, près de la mer. (Le palpitant s’affole.) Et le son du ressac cognant les falaises lui manque. Il aurait pu y emmener Anna. « It’s a way out… » il dit, sans terminer sa phrase. Juste ça. Une issue.
day 4
Il s’est allongé — les bras crispés autour de son abdomen. Le manque le nargue, s’accroche à ses tripes, à son esprit malade, il ne le supporte plus. Il ne le supporte plus. Le sevrage, il s’y était essayé, plusieurs fois, et cette souffrance-là lui était aussi familière que désagréable. Elle le déchirait de l’intérieur. Il n’a pas la force de s’agiter, ni de gémir, encore moins de parler, et rien, rien n’égale ce calvaire psychologique. (Il en chiale, silencieusement, mais il en chiale.) Son père, un jour, s’était penché vers lui, après sa première overdose, il s’était approche de son oreille, la prochaine fois que tu essayes de te foutre en l’air, fais-moi le plaisir de réussir. C’était cette voix qui tournoyait dans le chaos régissant ses divagations oniriques. (Le morceau de verre a bougé.) Il tousse, dégueule des jets d’hémoglobine souillés de bile, suffoque, ferme les yeux, serre les dents, si fort, tremble. Il va crever la gueule ouverte, et c’est épouvantable, de vouloir exister, de lutter contre ce lointain désir d’en finir. Il se remémore les paroles de Draco, son discours sur la paternité, les enfants, et il n’est toujours pas sûr. « Rosier ? » Les billes électriques vagabondent dans les ténèbres à la recherche de son interlocuteur. Ses ongles récurent le tapis de débris sur lequel il agonise. « Keep your eyes open… keep your eyes open, » lui intime Draco, épuisé. Un gargouillement infâme se fraye un passage hors de son gosier, en guise de réponse. Il pense à son frère, dont le visage et la voix lui échappent, et il se concentre sur les derniers moments passés ensemble, mais ça ne lui revient pas. Il ne se rappelle pas. Cette absence lui pèse. Surtout aujourd’hui – surtout maintenant. Sa main se détache de la poussière et si le bras peine à se soulever, il essaye, du bout des doigts, d’effleurer l’obscurité, de toucher ceux qu’il a lâchement abandonnés, une grossière illusion, mais sa paume s’écrase aussitôt par terre, à côté de son visage luisant de transpiration. Il ne mérite pas que sa hargne le maintienne en vie. Des éclats de verre lui ont entaillé la paume. Son poing se serre et se desserre, et ce spectacle sanguinolent le fascine. Un sourire allumé apparaît furtivement sur sa figure. Il replie un genou, oubliant alors que la pression de ses muscles agit sur le débris qui s’enfonce dangereusement dans son ventre. Il expulse un filet carmin, gémit de plus belle. « Dr–Draco ? » Son bras s’allonge, et du bout des doigts, il frôle un poignet, qu’il agrippe brièvement. Ses jointures blanchissent. Il a l’impression qu’une vermine rampe sous sa peau. Il voudrait s’amputer de chaque membre, se rompre les os, et boucher ses artères, pourvu que le démon de son addiction se taise, et cesse de tambouriner ses tempes, sa boîte crânienne. Il pourrait lécher ces flaques de liquides suspects comme un chien, mais il faudrait qu’il bouge. Un hoquet se coince dans sa gorge. « K–keep your eyes open, » c’est la seule chose qu’il saisit. Il lâche le poignet (si c’en était un ? il pense que oui, il a senti un pouls.) « I wish we knew better… — … Yeah. » La souffrance s’amenuise, sans qu’il puisse pour autant se tourner sur le dos. À moitié recroquevillé, son cœur pulsant contre la plaie béante, il tremblote, transi de froid. Un jour, il est tombé , et la chute lui a semblé infinie, s’étirant et s’étirant jusqu’à ce son corps heurte les aspérités du sol et se brise en deux. C’est ce qu’il revit. Ça, et toutes les autres fois où le néant l’a enveloppé de son linceul macabre pour aussitôt le recracher des géhennes, comme s’il ne méritait pas plus de mourir que de vivre. Il n’a aucune croyance à laquelle se rattacher sinon un visage strié de larmes qu’il a provoquées, et la déception grésillant dans le regard de ceux qu’il a déçus, et sa détresse, à lui, qui le tourmente. Il n’a rien sinon le vice coulant dans ses veines, et qui abreuve ses plus sinistres desseins, et il n’est rien, sinon la plaisanterie d’un siècle rongé par des guerres qui ne sont pas les siennes. La respiration se fige, par moment, puis il inspire, brutalement, par la bouche, de la terre, des substances inconnues, se bat sans savoir pourquoi il y met tant d’ardeur, et quelle force le défend contre cette agonie ardemment désirée. Ses cordes vocales macèrent dans son propre sang ; il n’arrive pas à l’expulser. Et c’est peut-être pour ça, que son cœur bat toujours — parce que la mort, aussi salvatrice soit-elle, est un privilège trop bon pour lui. Il paye, à chaque respiration, il rembourse sa dette à un monde qu’il abhorre.
La mort, il en est persuadé, n’a rien d’une délivrance. Il le sait — il le sait.
L’Horreur. Il supportait de moins en moins tout ce qui se passait, ce gouvernement. Il avait pourtant fait du beau travail à se confectionner de superbes oeillères. Qui ne l’avaient jamais empêché de savoir ce qui se passait, ce qu’il en était et ce sur quoi il décidait de fermer les yeux pour le bien de sa famille, de la magie. Mais cela ne l’avait jamais profondément dérangé parce qu’il savait qu’il faisait ce qu’il avait à faire et rien d’autre. Mais tout cela avait changé au mariage de Nyssandra. Au moment où Lorcàn avait révélé sons allégeance au Lord. Tout avait basculé, d’un coup. La trahison avait bien sûr été la pire des choses à encaisser - il n’y parvenait d’ailleurs toujours pas. Mais tout s’éclairait, tout prenait un sens. Ces semaines, ces mois de silence, où son jumeau, sa moitié, s’échappait de la demeure familiale pour ne pas en revenir avant la nuit tombée, quand lui-même s’était endormi. Son regard fuyant, la communication rompue … Tout s’expliquait. Et ça l’avait rendu malade. Après qu’on ait soigné sa main, il avait été rendre ses tripes dans les toilettes, quand personne n’avait plus fait attention à lui et qu’il n’avait pu supporter la vision de son frère en train d’être félicité par tous les Mangemorts les plus engagés de l’assemblée. C’était une atrocité sans nom. Il avait fait bonne figure autant qu’il l’avait pu, essayant de rester digne comme Eithne, d’affecter les désintérêt poli de Père, mais rien n’y avait fait. Parce que c’était Lorcàn, parce qu’il avait dit que c’était elle qui l’avait inspiré … Nyssandra, Flora. Les deux responsables dans l’esprit du jeune homme. Et depuis … depuis il vivait dans le noir le plus total. Il ne parvenait pas à décolérer, il ne pouvait pas effacer l’image de l’avant-bras marqué de son frère. Et chaque fois, une rage froide s’emparait de lui et il brisait de ses doigts nerveux ce qu’il avait en main. Le verre n’ait été que le début d’une longue ligne de bris. Il ne voulait pas parler à sa soeur, il ne voulait parler à personne. Il n’y parvenait pas. Et ce jour-là …
Ce jour-là, le deuxième pan de problème lui avait de nouveau sauté aux yeux. Il était venu, seul. Il n’arrivait plus à supporter qui que ce soit, pas après que sa moitié lui ait été enlevée de façon définitive, de la plus cruelle des manières. Sa main gauche était bandée, signe extrêmement visible que cela n’allait pas, qu’il avait un problème. L’héritage familial que constituait son savoir-faire, il l’avait toujours jalousement gardé. Mais une ébauche de baguette avait été victime de son tempérament. Et de nombreuses échardes avaient volé, et entaillé cette main si précieuse. Cela l’avait ennuyé. Juste ennuyé. Il n’était plus capable de ressentir grand-chose à part ce vide dans sa poitrine. Seul. Il était seul. Il n’aurait même pas la possibilité d’être solitaire dans une dignité parfaite comme Eithne. Il serait juste ce qu’il était, cette silhouette parfaitement habillée, le menton droit, le regard dur, qui regardait la personne donnant ce discours. Et là … la vision de cette Vélane … Son poing gauche s’était serré, ne lui arrachant même pas une grimace. Ce n’était plus possible. Il ne parvenait plus à fermer les yeux, à rester impassible parce que son frère, son propre frère supportait les ordures qui se livraient à ces actes barbares. Il ne savait pas ce qui avait pu se passer et il s’en moquait. Il allait mettre les choses au clair et tant pis si on les voyait. Il n’en pouvait plus. De toutes les manières, à part ses parents, qui le pleurerait s’il se faisait prendre ? Nyssandra lui avait bien fait comprendre qu’elle ne pensait absolument pas que son intérêt et son inquiétude pour elle étaient quoi que ce soit d’autre qu’une nouvelle stratégie pour la faire souffrir. Gwen avait d’autres préoccupations et un fiancé suffisamment polémique pour qu’elle ait bien d’autres soucis que savoir comme il allait. Aramis était un Mangemort et même s’il lui avait promis de veiller sur Lorcan, il n’avait pas spécialement envie de lui parler maintenant. Et tous les autres … tous les autres avaient autre chose à faire. Il perdait pied, clairement. Sans se rendre compte le moins du monde que le problème venait de lui et du fait qu’il n’arrivait plus à se contrôler ni à vivre avec lui-même.
Il avait donc commencé à se déplacer, pour attraper son jumeau. Et au moment où sa main s’abattait sur son épaule …
L’Horreur. Une fois encore.
Il ne réfléchit pas. Il se jeta sur son frère, de tout son poids pour le faire basculer. Peu importait qu’il ait été sur le point de lui faire remarquer qu’il était stupide, qu’il n’avait aucune cohérence, qu’il était en train de devenir un monstre. Ses tripes, son instinct avaient parlé. Il fallait le protéger. C’était son jumeau, sa moitié, son petit frère. Et malgré tout ce qu’il pouvait penser, le monde ne serait plus jamais le même s’il n’était pas là, s’il ne l’avait pas, même au loin, même le détestant. Sa vie était beaucoup trop précieuse. Il n’entendait rien d’autre que les hurlements, les explosions et les chutes. Mais il ne bougeait pas d’un poil. Il sentait Lorcan se débattre sous lui. Peut-être même protestait-il. ça n’avait pas la moindre importance. Il était hors de question qu’il le laisse se lever. Il fallait qu’ils aillent se mettre à l’abri bien sûr, mais quand il y aurait moins de monde. S’il fermait les yeux suffisamment fort, s’il arrivait à bouger le bras pour attraper sa baguette … Il décolla la main. Et une douleur fulgurante le fit hurler. Un débris, sans doute. A moins que ce ne soit un corps. Il fallait qu’il attrape sa baguette, dans sa poche, qu’il les protège efficacement …
Il n’entendit pas le pan se détacher. Il ne le vit pas arriver. Il ne put donc pas anticiper ce qui lui tomba dessus. Directement sur le crâne. Qui allait le priver de conscience et d’existence pour les jours, les semaines, peut-être même les mois à venir.
Caleb avait eu la peur de sa vie. Il se rappelait exactement où il était lorsqu'on lui avait annoncé la nouvelle de l'explosion de l'hôpital. Il était au travail, il n'avait pas pu se libérer pour l'inauguration du jour et avait dit à Gwen de profiter pour lui et de lui raconter ce qu'elle aurait vu là-bas. Il se rappelait être en pleine réunion avec ses collègues du commerce international lorsque des cris avaient retentis dans le couloir. Un homme passait de porte en porte pour prévenir tout le monde que les insurgés avaient encore frappé, qu'ils avaient fait exploser l'hôpital pendant l'inauguration de sa nouvelle aile.
Il se rappelait exactement avoir attrapé l'homme pour poser des questions d'une voix tremblante à l'annonciateur paniqué, le teint déjà blanc tandis que son imagination s'emballait. Un bâtiment dédié à la santé et à la vie avait été réduit en gravats pour ensevelir des vivants, transformant un aimable rassemblement en concert de gémissement et de pleurs. Y avait-il eu des survivants ? Oui. Avait-on retrouvé Cedrella Lestrange ? Non. Sans réfléchir, il avait alors planté là tout ce qu'il faisait pour transplaner sur les lieux du massacre et avait hurlé son nom à s'en déchirer les cordes vocales, venant aider les équipes d'interventions déjà présentes à dégager les débris pour libérer les survivants, mais aussi les cadavres broyés ou asphyxiés de ceux qui n'avaient pas réussis à survivre.
Il avait alors passé deux jours complets sans dormir, ne mangeant que lorsqu'on le forçait à faire une pause dans ses recherches avant de reprendre de plus belle, organisant une partie des fouilles car malgré tout un reste de lucidité lui permettait de savoir que ça n'était pas en allant seul de son côté qu'il réussirait à la retrouver. Deux jours sans le moindre signe que sa Gwen était encore en vie. Deux jours passé à n'être que l'ombre de lui-même, bataillant comme un diable pour bouger des blocs de béton à l'aide de sa magie ou de ses mains, tournant à la potion de force pour continuer de tenir debout malgré l'effort constant et le manque de sommeil. Ils en avaient retrouvé des cadavres. Ils en avaient retrouvé, des vivants également. Des hommes, des femmes, des enfants mêmes, entier ou pas, conscient ou pas, assoiffés après des heures ou des jours passés sous les gravats, affamés et affaiblis par le manque d'oxygène et les privations.
Il ne savait pas ce qui était le pire, entre retrouver les vivants mutilés, parfois avec des plaies déjà infectées et brûlants de fièvre, ou bien les morts qui gisaient avec les yeux ouverts et leur regard vitreux fixant le néant pour l'éternité. Chaque fois qu'il découvrait un vivant, il se demandait dans quel état il allait retrouver Gwen. Chaque fois qu'il retrouvait un mort, il se demandait s'il allait la retrouver vivante ou bien si les Insurgés lui avaient pris la vie de sa future femme.
Et après tout ses efforts, il avait fini par la trouver, ensevelie sous les pierres aux côtés de son frère, non loin d'Aramis et Nyssandra. Cependant pour cette fois il se fichait royalement des autres sang-pur qui se trouvaient là, il n'avait eu d'yeux, il n'avait eu d'attention à donner qu'à Gwen, prononçant son nom en boucle, passant un bras par un interstice pour la toucher, s'assurer qu'elle était encore chaude et vivante. Elle l'était, mais à peine. Alors seulement, il retrouva son sang froid, criant qu'il avait trouvé des survivants. Aussitôt, comme une machine bien huilée, les secours se mirent en place pour dégager et évacuer les quatre Lestrange, mais Caleb n'avait toujours d'yeux que pour Gwen qu'il accompagna en tannant les médicomages pour qu'ils fassent attention à sa santé, leur déballant tout ce qu'il savait sur elle et ses antécédents pour être sûr qu'elle soit le mieux traité possible, ne lâchant sa main à aucun moment, continuant de lui parler même lorsqu'elle perdit conscience, lui interdisant de le quitter et lui ordonnant de rester en vie.
Le reste des fouilles pouvait se débrouiller sans lui à présent. Il n'avait jamais eu aussi peur de sa vie pour quelqu'un d'autre que lui Il n'aurait jamais cru possible d'ailleurs de s'inquiéter autant pour quelqu'un d'autre. Gwen n'avait pas le droit de le laisser à présent, elle avait survécu au pire, elle était entière et presque consciente lorsqu'il l'avait retrouvé. Elle allait vivre, sinon il ferait lui-même brûler le pays pour réduire en cendre tous les pleutres d'insurgés qui avaient osé lui arracher ce qui lui était le plus cher.
‹ occupation : guérisseuse au service d'infection par virus et microbe magique et co-présidente de l'association "Rosier's Disease Research Trust".
‹ maison : Serdaigle
‹ scolarité : 1980 et 1987.
‹ baguette : est en bois de charme, contient une plume de phénix et mesure 26,4 centimètres.
‹ gallions (ʛ) : 5557
‹ réputation : je suis fragile et que j'ai été manipulée par mon compagnon.
‹ particularité : occlumens.
‹ faits : je suis de sang pur, que je fais partie de la famille Grimaldi, que je suis d'origine italienne, que j'adhère aux idées insurgées mais que je me suis résolue à ne jamais les rejoindre pour le bien être de ma fille, que je suis une ancienne guérisseuse et que je sais donc comment soigner les gens de diverses pathologies, que je me défends en duel, que j'adore lire, que j'apprécie les jolies choses.
‹ résidence : dans un petit studio sur le chemin de traverse que le gouvernement a bien voulu me donner pour mon implication de guérisseuse durant la guerre. La demeure des Grimaldi à Herpo Creek ainsi que mon appartement à la Bran Tower avaient été saisis. Je dispose toujours d'une résidence secondaire et tertiaire à Brighton (maison d'été) et à Florence (terres italiennes).
‹ patronus : un lapin, patronus de Thomas
‹ épouvantard : un entassement de corps, celui de mes enfants et des êtres qui me sont chers.
‹ risèd : ma famille heureuse et recomposée.
« Madame, est-ce que vous m’entendez ? Madame ! Clignez des yeux si vous m’entendez ! » Ses yeux fixaient obstinément le visage du médicomage sans réussir à comprendre ce qu’il lui disait. Les billes claires s’accrochaient à cet inconnu et tentaient de lire sur ses lèvres le message qu’il tentait de lui transmettre. Plus son esprit se concentrait pour décrypter ces paroles et plus la tête lui tournait. Un sentiment de détresse lui écrasait la poitrine et le monde autour d’elle commençait à disparaître dans une obscurité lourde et épaisse. Elle ne sentait plus rien, s’échappait, s’effaçait …
Adossée à un mur au fond de la grande salle de présentation, Anna caressait doucement son ventre arrondi. A défaut de venir accompagnée, elle se contentait de la présence permanente de son enfant en son sein pour effacer le sentiment de solitude qui la rongeait à chaque seconde, de chaque minute, de chaque heure, de chaque journée depuis que le monde s’était ligué contre elle pour la faire souffrir. La douleur qui obscurcissait ses jours et ses nuits n’était due qu’à l’absence ou la disparition de toutes les personnes qui comptaient à ses yeux. Les unes après les autres, elles étaient parties. Teresa, Thomas, Cara … Et aujourd’hui, Simon qui ne voulait pas devenir père, Matteo qui voulait assouvir son besoin de vengeance, Eirene qui souhaitait gravir les échelons … Même les Grimaldi avaient décidé de se cloîtrer dans leur demeure pour éviter d’alimenter le feu qui détruisait déjà toute leur réputation de bonne famille de sang pur. Ces dernières semaines avaient été horribles. Enchaînant entretien sur entretien, interrogatoire sur interrogatoire, le service de justice magique avait plus que jamais les Grimaldi dans le collimateur. Etant le seul membre de la famille encore présent publiquement, elle avait le droit à toutes les critiques. Elle était la cible de toutes les rumeurs, de tous les regards, de tout … On parlait beaucoup de la traitrise de sa sœur et de son mari. Mais tout dernièrement c’était surtout la trahison de son frère qui la rendait vulnérable. Elle le détestait de l’avoir mise dans cette situation. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Il avait beau avoir fui à cause d’Eirene, il avait réussi à assumer sa situation. Cela dit, aujourd’hui, à cet instant même, elle était seule, désespérément seule face à la société. Lors de ses derniers passages au service de Justice Magique, elle n’avait pas cessé d’avancer son adhérence au gouvernement en appuyant ces termes par les faits, notamment sa place au ministère. Elle avait fait de son mieux pour montrer aux autres qu’elle était et avait toujours été du bon côté : celui de la neutralité. Elle savait qu’elle se mentait en affirmant ça, mais au moins, ce mensonge lui permettrait de protéger sa fille coûte que coûte. Ses yeux divaguaient dans la foule de personnes invitées pour l’événement. Elle n’avait pas pu refuser de s’y rendre, cela n’aurait fait que ternir encore plus sa réputation. Elle voyait déjà son nom dans les gros titres et les articles avancer des hypothèses sur sa propre trahison. Elle ne pouvait pas prendre ce risque, elle ne pouvait pas emmener son enfant avec elle dans une potentielle fuite, elle n’était pas prête à les mettre en danger pour satisfaire ses besoins de vengeance. Elle avait trop à perdre. Les personnes qui remarquaient sa présence l’observaient avec insistance et se retournaient le plus souvent vers leurs voisins pour médire à son sujet. Elle n’essayait même plus de faire taire les rumeurs. Manquant déjà de temps pour s’occuper d’elle-même, elle n’allait pas le perdre à s’occuper de ce que pensait la société. « Miss Grimaldi, je suis ravi de vous voir ici. » Anna fut surprise de se retrouver face à l’un de ses anciens collègues de Ste Mangouste. Elle esquissa un sourire de façade à ce guérisseur. « Oh, quelle joie de vous revoir. Comment vous portez-vous ? » Elle se devait d’être polie face à la première personne qui s’adressait à elle avec sympathie depuis bien trop longtemps. « Bien, très bien. Je vois que vous aussi … » Elle baissa les yeux quelques instants sur son abdomen et lui rendit un sourire courtois. Si seulement il savait … Elle était loin d’aller bien, mais peut-être essayait-il de la tester ? Elle ne devait pas défaillir. « … Quel grand événement n’est-ce pas ? Je pense que ce que nous allons voir va être merveilleux. Vous devriez vous avancer ! Vous ne verrez rien d’ici ! Venez, accompagnez-moi ! »
« Elle a perdu conscience ! J’ai besoin d’aide ! – J’arrive ! – Occupez-vous plutôt de monsieur Preston – Il n’y a plus rien à faire, il nous a quitté ! Il a dû avoir une hémorragie interne, nous ne pouvions rien faire. – Pauvre homme. Recouvrez-le et venez vite, son enfant est en détresse. Dépêchez-vous ! »
« Magnifique ! Vraiment magnifique ! » Alors que la moitié des personnes de la foule exprimaient leur dégoût, le guérisseur qui avait accompagné Anna vers le milieu de la salle s’extasiait de la magnificence de cette découverte. Pour sa part, elle ne savait pas trop où se placer par rapport à cette utilisation abusive des pouvoirs d’un autre. Comment arrivaient-ils à rassembler autant d’antipathie à l’égard des Vélanes pour oser aspirer leur pouvoir quitte à les tuer ? Elle eut des haut-le-cœur et fut contrainte de s’éloigner pour tenter de retrouver un peu de contenance. Cependant, le craquement et l’explosion qui retentirent dans la grande pièce suffirent à l’arrêter. Elle se figea et regarda les pans de mur s’effondrer devant elle sans réussir à réagir. Les cris et les pleurs étaient les seuls sons qu’elle réussissait encore à entendre. Elle paniquait, ne savait pas où aller, où courir, où fuir … « Miss Grimaldi, par là ! » Elle vit son compagnon de soirée l’appeler quelques mètres devant elle. Elle le regarda sans savoir quoi faire. Cette hésitation lui fit fatale. Elle eut juste le temps de le voir se jeter sur elle et un morceau de plafond éclata au-dessus d’elle.
Ses oreilles sifflaient. Combien de temps avait-elle été inconsciente ? Passant sa main derrière sa tête où un liquide visqueux dégoulinait, elle tenta de faire un rapport de son état, tel qu’elle l’avait appris durant ses années d’étude. Un, la victime est-elle consciente ? Oui. Deux, a-t-elle des blessures graves visibles ? Une plaie à l’arrière du crâne … Elle tâtait les zones qu’elle arrivait à atteindre, jusqu’à son abdomen où un débris métallique s’était planté. Subitement, un vent de panique la traversa. Elle ne sentait rien, plus rien. Sa fille. Elle ne bougeait plus, elle ne réagissait plus. « Non, non, non … » Elle pleurait, son cœur se déchaînait dans sa poitrine et elle se sentait suffoquer. La fumée et la poussière qui empoisonnaient l’air n’arrangeait rien. Les sanglots devenaient de plus en plus puissants. « Miss Grimaldi, vous allez bien ? » Elle ravala ses larmes pour tenter de répondre à l’homme qui l’avait sauvée. « Je … crois, et vous ? » Elle caressait lentement son ventre pour tenter de faire réagir son bébé, mais rien, aucun coup de pied, autant mouvement, ce n’était pas normal. « J’ai le bras coincé mais je crois que ça va. Je pourrais soulever ce morceau de béton mais j’ai perdu ma baguette ! » Anna ne l’écoutait plus vraiment, elle s’inquiétait plus pour sa situation. Et elle, pouvait-elle bouger ? Ses jambes étaient prises en étau entre le sol et le morceau de plafond qui s’était effondré sur elle. C’était fini, il n’y avait plus rien à faire, elle pouvait mourir ici. Tout serait plus simple, elle pourrait enfin se reposer, elle n’aurait plus à faire face à toutes les choses qu’on disait sur elle, elle n’aurait plus à subir tous ces interrogatoires qui la détruisaient à petit feu. Sa fille morte, elle n’avait plus aucune raison de vivre. Chiara était en sécurité auprès des Prescott, elle n’aura jamais à savoir ce qui était arrivé à sa mère. Il était temps. Il n’y avait plus rien à faire, elle pouvait abandonner … S’abandonner … Elle se sentait soudainement extrêmement fatiguée, elle ferma les yeux et s’endormit, tout simplement.
« Anna, réveille-toi ! » Ses paupières se soulevèrent faiblement. « Anna, reste avec moi s’il te plait. » Le sang qui dégoulinait sur les draps, la voix paniquée de Thomas, la sueur qui collait ses vêtements à son corps. « On va à Ste Mangouste. » Elle agitait la tête de droite à gauche avec obstination. « Non c’est trop tôt, c’est trop tôt ! » Thomas la soulevait déjà. « Tu as perdu trop de sang Anna, je ne peux rien faire. Andrea ne survivra pas sinon, s’il te plait chérie, s’il te plait, ne me laisse pas. » ✖ « Emmenez-le quand il aura quitté mon ventre, je ne veux pas le voir, je ne veux pas m’attacher … » Ils l’emmenèrent en salle d’opération et elle entendit tous ces sons si communs aux opérations auxquelles elle avait déjà pu assister en tant que guérisseuse. Elle tremblait mais la main de Thomas dans la sienne la rassurait. Elle n’entendit ni cri, ni pleurs lorsque l’enfant fut extrait … L’infirmière le déposa à côté d’Anna. « Non ! Non ! Je vous avais dit non ! Je … Emmenez-le ! Faites ce qu’il faut, emmenez-le ! » Ils l’emmenèrent. ✖ « … suis vraiment désolé. Nous ne pouvons rien faire, il n’est pas assez fort. Nous devons attendre. Les prochaines heures seront décisives. Le mieux que nous pouvons faire pour l’instant c’est le laisser auprès de vous pour qu’il se sente protéger et aimer. Nous ne pourrons tenter quelque chose que s’il survit aux prochaines heures. » Elle pleurait, ne pouvait pas s’imaginer survivre si Andrea mourrait. Elle n’y arriverait pas, pas seule, pas comme ça. ✖ « Heure de la mort : 4H34. » ✖ « Anna s’il te plait ! – NON ! Je veux mourir, je ne peux pas ! Je ne peux pas ! Il … Il n’est plus là ! » Elle griffait son abdomen et criait tellement fort que leur chouette s’était envolée pour fuir cette crise de nerf. « Je suis désolée, je ne peux pas ! – Mais je suis là Anna, je suis toujours là moi ! – Je n’y arriverai pas ! » Elle retourna sa baguette contre elle.
Une détonation venait de retentir. Elle provenait sûrement des restes de bombes qui n’avaient pas dû exploser lors de la destruction du toit. Elle ouvrit brusquement les yeux. Ses oreilles se mirent à nouveau à siffler, elle n’entendait plus rien mais lorsqu’elle porta sa main vers son ventre, elle sentit que le morceau de métal était toujours là. Elle devait faire quelque chose ; tenter le tout pour le tout. Qu’avait-elle à perdre ? Farfouillant dans sa robe elle réussit à extraire sa baguette. Serrant sa main gauche autour de la tige métallique légèrement enfoncée dans son ventre, elle prit une profonde inspiration. Ce qu’elle allait faire était complètement fou mais elle était portée par l’adrénaline et une perte d’espoir profonde. Elle n’en avait plus rien à faire de vivre si sa fille ne pouvait pas survivre. Elle ne perdrait pas deux enfants, elle ne le supporterait pas, jamais … Elle pointait sa baguette vers la blessure. « Retirer le corps étranger et cautériser. Un jeu d’enfant. » Elle tentait de se rassurer du mieux qu’elle le pouvait mais elle savait que sans anesthésie, elle pourrait tourner de l’œil à tout moment. Elle devait absolument arriver à cautériser la plaie avant de s’évanouir sinon elle perdrait trop de sang et tout serait fini. Elle arracha l’objet, le balança et pointa sa baguette sur la plaie. Sa tête commençait déjà à tourner sous le poids de la douleur, du sang coulait le long de son abdomen … Elle murmura le sortilège et un cri déchirant résonna. La souffrance était tellement grande qu’elle perdit immédiatement conscience.
(…) « Quand est-ce que les spécialistes pourront la libérer, on ne peut plus attendre ! Le bébé est en détresse, il faut absolument l’emmener à l’hôpital sinon on les perdra toutes les deux ! – Ils arrivent ! – On n’a pas le temps, donnez-moi votre baguette ! – Non ! Ne faites pas ça, on ne fera qu’aggraver les choses si tout s’effondre sur vous ! – Dites-leur de se dépêcher ! »
Si je meurs, elle meurt. Si elle meurt, je meurs. Il n’y a plus que nous deux et nos vies sont liées. Je n’ai plus rien à perdre, plus rien à gagner, plus rien à donner, j’ai perdu l’amour de ma vie, ma famille, mon existence toute entière. Je suis l’esclave et la victime d’un monde maudit. J’ai répandu la mort autour de moi, je suis la mort, et aujourd’hui, la mort m’emportera.
Une avancée capitale de la médecine magique. Une avancée majeure de la cruauté humaine. Qui serait-elle pour juger ? Jamais ses expériences n'atteindraient ainsi les devants de la scène, jamais leurs dessous ne seraient divulgués au grand public, de crainte que ne résonne les protestations d'un peuple meurtri, de crainte de nourrir une rébellion qu'on cherchait à endormir. Tout se faisait dans le noir, dans les inaccessibles couloirs du Département des Mystères, cet endroit où rien n'existait, d'où rien ne sortait, selon le commun des sorciers, mais qui était pour Darja une véritable cour des miracles, l'endroit de tous les possibles.
Déjà, là, on pouvait percevoir dans la foule un frémissement imperceptible, celui des poils qui se hérissaient, de la conscience dérangée, de l'individu qui se questionne sur la limitation entre le bien et le mal. Darja en avait fait fi depuis longtemps ; elle était de ceux qui agissaient au nom du progrès, sans se soucier des conséquences, sans se soucier des douleurs, quand il fallait répondre au bien commun, quand sonnait l'appel du devoir. Ses expériences personnelles, elle ne les menait qu'auprès de volontaires, mais sous le banneret du Ministère, c'étaient toutes les portes qui s'ouvraient, toutes les barrières qui tombaient, les interdits se transformant en défis à relever, en étapes à passer. Elle avait fait de ce banneret sa robe favorite, un luxe dont elle aimait se parer, qu'elle aimait arborer, et les obstacles qu'avaient pu faire apparaître sa conscience au fil du temps avaient cédé sans trop de résistance.
Le Magister avait fait son apparition en « personne ». La Mangemorte n'avait jamais pu considérer cette chose comme étant humaine. L'on murmurait qu'il l'avait été, jadis, et beau comme l'une de ces vélanes que l'on vampirisait, de surcroît. La beauté est une chose éphémère, disait-on... Cela n'avait jamais été aussi vrai. Ils étaient gouvernés par un monstre qui se prenait pour un dieu, que l'on prenait pour un dieu. Et elle était la première à répondre aux ordres, à afficher une loyauté née d'on ne sait où, pour un but aussi futile que ce faciès était hideux. Ne crachons pas trop dans le jus de citrouille : il lui avait ouvert des portes, après tout ; sa cruauté sans bornes permettait le genre de découverte que l'on exposait aujourd'hui.
Elle n'était pourtant pas là pour assurer sa défense, aujourd'hui. Jour de congé bien mérité. Le masque de fer était resté à la maison, et elle assistait à la réunion en tant qu'intéressée, ainsi que potentielle donatrice au nom de la maison Valkov. Ses parents avaient pris des vacances et Andel... Andel était peu intéressé par ce genre d’événements, elle doutait de le voir paraître. La lourde tâche de jauger quel pourcentage du portefeuille familial serait investi dans cette innovation incombait donc à Darja, et celle-ci attendait la série de questions/réponses prévue après les démonstrations en espérant que cela l'éclaire plus amplement sur la position à prendre. On aurait pu la croire passionnée par ce qui se déroulait sous ses yeux, mais les recherches étant déjà abouties, plus aucune énigme n'étant à dénouer, et le sujet de tout cela étant la biologie, elle se trouvait en réalité passablement ennuyée. Son regard ricochait de la scène à l'assistance, elle reconnaissait ces visages plus ou moins familiers, Mr Rookwood – le grand patron, Aramis et Nyssandra, Guenièvre, Draco et Theodore, Rabastan Lestrange, sa cousine Ladáh, cette chère Adèle Bones, même Jessie, et Ardal. Autant de personnes avec qui elle aurait pu s'en aller sociabiliser, critiquer, rire ou commenter, si seulement cela avait été son genre.
Elle avait entendu l'explosion. Elle avait senti le sol trembler sous le poids du béton qui le heurtait, se craqueler lui-même. Elle n'avait pas compris si quelqu'un ou quelque chose l'avait poussée, mais sa tête avait heurté une surface dure, sûrement même coupante, et tout s'était mêlé en une aquarelle de bleu, de gris et de crasse.
*
Elle sentit les premiers frémissements de son corps qui cherchait à la ramener à la vie. Elle se débattit alors contre l'énergie renaissante, s'agrippant de toutes ses forces à ce songe merveilleux, à cette réalité alternée qui l'avait bercée, à ce moi qui ressentait, respirait, vivait comme jamais elle n'avait eu l'impression de l'avoir fait. Elle s'accrochait à ces êtres si familiers et pourtant inconnus, probablement chimériques, ou à ceux qu'elle connaissait sous un jour différent aujourd'hui, à la douceur de cet univers insouciant. Ce n'était pas terminé, elle le savait. Elle n'avait pas vu la fin de ce film dont elle était l'héroïne. Pourquoi la rappelait-on maintenant ?
Quand elle comprit qu'il n'y avait plus rien à faire, que sa conscience se mettait à souiller le déroulement de son conte de fées, elle autorisa ses paupières à se détacher doucement. Le poids de son crâne la clouait à un oreiller trop fin. Le plafond tournoyait, tanguait. « Darja ! » La voix de son frère, son visage apparaissant dans son champ de vision. Ce visage chéri, cet être aimé... Qu'elle a soudainement envie de repousser avec violence, écraser le poids de sa tête contre la sienne, le faire souffrir, subir. « Va-t'en. » Cette colère, cette rage qui l'envahit, insondable, incompréhensible. « VA-T'EN ! » C'est comme un écho, une impression de déjà-vu, alors qu'elle ne se souvient pas avoir jamais éprouvé une telle haine envers Andel. Il recule, dans un mélange de surprise et de crainte, et il lui semble – il lui semble – qu'il comprend quelque chose à ce qui se passe, alors qu'elle-même n'en a pas la moindre idée. Quelques minutes s'écoulent, son jumeau s'est retiré, bientôt remplacé par un médicomage. Alors que la blessée tourne la tête pour lui faire face, des flashs lumineux la font vriller, flashs dans lesquels se dessinent ces visages. Elle a déjà oublié leurs noms, d'où est-ce qu'elle les connait. « Mademoiselle Valkov, vous avez été victime d'un attentat. Durant celui-ci, vous avez reçu un grave coup à la tête qui vous a plongée dans un coma de six jours. J'aurai besoin de vous faire quelques examens afin de m'assurer que vous n'ayez aucune séquelle... »
*
Il avait dit que tout allait bien. Elle ne se sentait pas bien.
❝ War is dark. Black as pitch. (...) It is merely the place where the iron bones of the earth meet the hollow bones of men and break them. ❞
TOUT EST ETRANGEMENT CALMEde ce côté de Sainte Mangouste. Dans cette cour verdoyante, perdue entre les immeubles de l’hôpital, c’est presque comme si rien ne s’était passé. Il y a bien quelques blessés, comme elle, qui attendent de guérir ; mais quand on les regarde, on peut facilement leur inventer d’autres vies. Les magies ici ne sont pas abîmées, elles sont presque jolies, à peine égratignées par les blessures qui se cachent sous les bandages. “ Maman, regarde ! s’exclame une gamine borgne avec un sourire plus grand que son visage : Regarde, ce que j’ai trouvé ! ” Et Tracey, de sa chaise roulante, détourne les yeux, ne veut pas regarder ce que la petite montre à sa mère.
22 MAI 2003. Tracey n’a pas détourné les yeux, elle a regardé l’horreur exploser et s’effondrer. Elle a vu l’immeuble flambant neuf engloutir son Lord, sa famille, ses amis, et tous les autres. “ Putain de merde ! ” S'exclame Peter de sa voix graveleuse, son juron est pourtant noyé dans le cri de panique de Tracey qui s'élance vers le bâtiment. “ Le Lord est en-dessous ! ” Dans ses tripes, il a comme une urgence insoutenable et au creux du cœur, cette peur indescriptible à l'idée qu'Il disparaisse loin d'eux, qu'ils se retrouvent seuls sans Lui pour les guider. Et si ces connards d'insurgés avaient réussi leur coup cette fois ? La perspective l'effraie tellement qu'elle s'élance sans réfléchir vers la bâtisse branlante, prête à s'enfoncer dans l'enfer de gravas pour extirper de là son Maître. “ T'approche pas, gamine ! ” La grande main rugueuse de son partenaire est lourde sur son épaule, la voix autoritaire annonce qu'elle ne souffrira pas de désobéissance - pourtant, Tracey se dégage d'un geste sec et impatient. Deux pas ont à peine le temps d'être esquissés qu'elle est stoppée de nouveau, par le poigne de Peter autour de son bras et par le toit qui s'effondre dans un grand fracas de bombes explosées, ajoutant une couche supplémentaire d'horreur sur le chaos ambiant. “ On doit sauver le Maître !, siffle-t-elle, l’œil fou et sombre, quand elle se retourne vers son partenaire : Ou tu ne veux pas que le Magister survive, Peter ? ” Les mots sont presque doux, mais elle a déjà sa baguette pointée sur l'autre Mangemort. Est-ce que tu es un traître ? Elle est déjà prête à le tuer. “ Sois pas débile, gamine. Tu sauveras personne en te faisant ensevelir. ” “ Mais le Maître ” insiste-t-elle entre ses dents serrées, mécontente de la réponse de Peter, des échos logiques qui résonnent chez elle. Elle est mécontente, Tracey. Elle a l'oeil noir, les lèvres plissées et la bouche comme une fente prête à cracher le sort de mort. Cette fidélité qui ne se grave pas dans le sacrifice aveugle de soi, c'est presque de la trahison. C'est presque de la traîtrise, non ? Et ça mérite l'exécution, n'est-ce pas ? Tracey l'a quasiment au bord des lèvres, c'est comme un automatisme qu'elle n'avait jamais vraiment réalisé - mais le poing de Peter s'abat sur sa mâchoire, le sang envahit sa bouche et elle titube, sonnée, désorientée. “ T'as mieux les idées en place, gamine ? ” Le sang tache le sol, c'est difficile de retenir le couinement de douleur quand le grand sorcier la saisit par le col. “ Sinon, je peux te cogner jusqu'à ce que t'arrêtes d'être suicidaire ou que tu puisses plus l'être. ” Peter n'est pas prêt à crever, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Peter, on l'appelle L'Antiquité avec un rire au coin de la gueule mais ce n'est pas pour rien ; car il est de ces trucs tellement résistants et tenaces qu'ils se parcheminent et se conservent malgré le temps et les intempéries. Peter, il survit à tout. C'est ce qu'on a fini par croire, et jusqu'ici, on s'est jamais trop trompés sur la question. “ Bien, lâche-t-il en même temps que son vêtement quand il constate qu'elle l'écoute de nouveau : Dans ce cas, rends-toi utile, traque les enflures qui ont fait ça. ” Tracey ne sait pas s'il parle de l'hôpital et des civils ou du Lord - elle ne sait pas ce qu'elle trouve le plus horrible et elle décide qu'elle ne veut pas vraiment décider (la mort du Lord, bien sûr ; on s'en fout des autres, bien évidemment - parce que tu n'es rien rien rien sans Lui). “ C'est tout ce que tu peux faire, gamine. ”
Et c'est ce qu'elle fait de mieux. Tracer ou traquer, c'est jamais qu'une consonne qui la joue silex.
TRACEY NE REGARDE PAS, mais elle entend tout. Les rires, les exclamations. “ Maman, regarde ! ” insiste la gosse. “ Maman, c'est joli, non ? ” demande-t-elle, dans un rire. “ Maman, tu aimes ? Tu crois que ça va plaire à Papa ? ” Le poing encore valide se serre sur l'accoudoir. “ Tu joues avec moi, Maman ? ” Un ferme ta gueule s'enlace au soupir agacé de Tracey, et il y a comme un reproche dans l’œillade noire qu'elle décoche au vieil homme qui rit, attendri par la scène. Putain, mais ne l'encouragez pas, vous, en plus ! C'est indécent, non ? Les hôpitaux sont censés être des endroits calmes où on peut se reposer. Ce n'est pas censé être aussi bruyant.
23 MAI 2003. Le verdict tombe, les mots vibrent dans le silence de la chambre. Deux jours clouée dans ce lit d'hôpital et deux semaines, immobilisée dans une chaise. “ On ne peut pas faire mieux ” s'est expliqué le guérisseur devant son regard furibond. Et Tracey serre les dents. Elle sait bien, il a parlé de ces éclats de magie qu'elle sent très bien toute seule et qui polluent la guérison de son pied, tas de chairs et d'os explosés. Et puis, on ne peut pas faire mieux : c'est un peu la putain d'histoire de ces derniers jours. On n'a pas pu empêcher l'explosion ; on n'a pas su capturer les coupables (et elle craint tellement tellement la punition déception du Lord pour cet échec honteux ; Merlin, elle espère qu'il ne croit pas qu'elle s'est laissée influencer par ses erreurs passées). On ne peut rien faire de plus que de laisser les secours faire leur travail ; on peut seulement espérer qu'ils vont bien (Merlin merci, Lui va bien, Il est sorti indemne). “ Bien, et votre main ? ” demande le sorcier en confiant le bandage de son pied à une assistante. Mécaniquement, Tracey tend la main, et les doigts tremblent encore, fort, beaucoup trop fort pour un geste si simple. “ Qu'est-ce que je pourrais - vous savez ... ” Utiliser la magie de nouveau. “ Me joindre aux équipes ? Je pourrais déblayer les zones périphériques, je resterai assise. ” Ce serait mieux que de rester ici à attendre - à ne pas savoir (et sa famille ? et tous les autres ? est-ce qu'ils vont bien ? est-ce qu'ils respirent encore ?). Alors Tracey fait sa moue la plus charmeuse, mais le soignant secoue la tête, catégorique, et manipule le poignet, lui arrachant un couinement de douleur : “ Vos nerfs ne se soignent pas bien ” La brunette veut protester (bien sûr que ça se soigne très bien !) “ Vous êtes incapable de lancer un sort précis dans cet état. ” “ Mais les soins spéciaux ? ” Le froncement de sourcils et le regard dégoûté de l'homme lui disent qu'il est contre et automatiquement, une petite voix dans sa tête lui demande s'il est aussi contre Lui ou pas. “ Quoi ? ” agresse-t-elle aussitôt, le menton relevé. (Merlin, elle n'a pas tant besoin de guérir ses blessures que de corriger et faire pardonner ses erreurs et ses incapacités crasses - si on lui laissait juste prouver qu'elle est digne de confiance, digne de L'aider). “ L'attentat a causé beaucoup de pertes, et ces soins sont réservés à nos patients ... d'honneur. ” botte en touche le guérisseur. “ Oui, je comprends, c'est normal. ” Et si elle n'avait pas été si occupée à fixer de nouveau la fenêtre, satisfaite qu'on protège les familles pures et ravalant la douleur des doigts sur lesquels on force les articulations, elle aurait sans doute pu remarquer l'éclat déçu du sorcier devant l'inégalité des traitements offerts aux victimes. “ Et le Magister est sauvé, c'est l'essentiel. ” couine-t-elle, pense-t-elle. Car il les sauvera tous. De la déchéance moldue, du terrorisme insurgé et de la mort noire.
Tous. S'inquiéter est irrationnel, au fond. Tout le monde va bien.
LES DOIGTS QUI FRÔLENT SON EPAULEla font sursauter. “ Miss Davis ? ” Tracey hoche la tête, sèche et revêche. Un moment, elle veut accuser l'apprentie d'être en retard. Vous auriez pu venir plus tôt. Elle l'a au bord des lèvres, mais Tracey ravale les mots acides et amers. Elle ne veut pas se disputer et rester plus longtemps ici. “ C'est l'heure. ” La prévient stupidement la sorcière - comme si ça marquait un nouveau jalon dans sa vie. Et la brune le sent sur elle, ce regard plein de pitié qui glisse sur le tissu noir de ses vêtements. Que ne donnerait-elle pas pour pouvoir se sortir de cette maudite chaise et partir de ce jardin en snobant tout le monde. (Que ne donnerait-elle pas pour pouvoir s'enfuir et aller pleurer sa douleur autant que sa colère loin des regards indiscrets ?) “ Est-ce que vous voulez passer par votre chambre avant d'y aller ? Vous avez besoin de quelque chose ? ” Nerveusement, sa main lisse la robe et Tracey secoue la tête.
25 MAI 2003. Elle a secoué la tête aussi quand ils ont annoncé la nouvelle. “ Non non non. ” Et elle l'a répété si souvent, si fort. Comme un mantra pour éloigner les monstres mangeurs de paix. “ Tracey ... ” a essayé Camille en posant sa main sur son épaule pour attirer son attention. Mais “ non non non. ” est la seule réponse que sa soeur a bien voulu lui donner, aveugle au chagrin de son frère, aveugle à la réalité morbide qui se peignait. “ Therasia ! ” Et elle ne sait pas si c'est le prénom, si rarement utilisé, ou le désespoir de Camille qui transpirait dans sa voix. Interdite, elle a levé les yeux vers lui, et elle a vu qu'il pleurait. Pour la première fois peut-être, contrairement à elle dont les larmes ont toujours été tellement faciles à couler pour tout et n'importe quoi. “ Maman est morte, Tracey. ” Alors elle lui ouvre les bras, moins douée que Camille pour consoler les chagrins et les peines. Elle le serre contre son cœur qui s'agite entre ses côtes (douleur ou colère ? il lui semble que, depuis quelques temps, ces deux émotions sont toujours si étroitement liées chez elle que c'est à la fois impossible et trop effrayant à démêler). “ Maman est morte, Tracey. ” Leur mère est morte dans l'attentat contre le Lord - Lui s'en est sorti, et pas elle ; Il ne les sauvera pas tous, tuée par les insurgés. “ Je te promets qu'on leur fera payer, Cammy. ” Ca ne la ramènera pas, ça ne fera pas revenir ni ses sourires pleins de rires, ni ses étreintes tendres ; Tracey le sait bien. Mais elle promet qu'ils paieront tous pour avoir fait pleurer Camille, pour avoir tué leur mère et pour avoir explosé leur famille.
ELLE AURAIT JUSTE EU BESOINde pouvoir embrasser sa mère, de pouvoir l'enlacer, lui dire bonjour et bonsoir et au revoir. Elle aurait juste eu besoin de pouvoir la sauver. Elle aurait juste voulu qu'Il Il IL ils la sauvent
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