PRISONERS • bloodstains on the carpet Simon Rosier | Il avait bu, avant de l’embarquer dans cette danse vénérienne, sans que l’ivresse ne dure, sans qu’elle n’engourdisse la brûlure qu’attisait cette moitié d’humain. Parce qu’il en avait mal. Parce que la douleur, quelques instants auparavant délicieuse, en devenait insupportable. Une pernicieuse gangrène grignotant lentement ses membres ; une menace qu’il avait sous-estimée avec toute l’arrogance qui le caractérisait. Même les fous savaient quand se rendre, mais pas lui. Comme si l’inévitable perspective de perdre sa raison entre ses jambes de succube lui plaisait, pire, l’excitait ; à force de contempler le vide qui le narguait, il s’imaginait maintenant s’y précipiter, la peur aux tripes mais les idées finalement claires. Il mettait à son ouvrage une patience masochiste. Le mensonge aurait été de prétendre que son essence à la fois démoniaque et céleste ne l’affectait pas, de nier l’insidieuse fièvre, ou folie passionnelle, qui prenait sa conscience en otage. Elle ne serait jamais à sa merci, mais il resterait son esclave, luttant vainement contre ses pulsions ; baiser une vélane pourrait dorénavant s’ajouter à la liste sans fin des mauvaises décisions qui pavaient son existence. Une belle déesse sacrifiée à l’appétit d’un crevard sans scrupule. Les mains graciles fourrageaient les épis ébènes, électrisaient sa nuque à chacun de leur passage, et il continuaient de s’abreuver à cette source infernale comme un clebs déshydraté. Ses mains quittèrent l’épiderme de sa maîtresse d’un soir pour rejoindre sa propre ceinture, qu’il malmena fébrilement avant d’être capable de se défaire de ses frusques dans la foulée, délivrant un membre on ne peut plus satisfait d’être fièrement exposé à l’innocence qu’il avait impunément lacéré de quelques coups de langue. Il rampa jusqu’à ses lèvres, délesté de quelques inutiles couches de tissus, la pressant contre son corps comme si elle allait lui échapper. Et il la haïssait, de le rendre aussi hagard. Aussi vide qu’entier, à mesure qu’il s’accrochait à elle — à ce succube. Bientôt, il décida d’arrêter de jouer, plus avec lui-même qu’avec elle du reste. Amant égoïste, il écrasa ses lèvres contre les siennes, tandis que dans une main, il guidait la source de son supplice entre les cuisses écartées de son éphémère maîtresse. Il ne se fit ni doux, ni prévenant. Pas brutal, mais impatient. Quitte à la sauter vite fait bien fait, autant y mettre les formes. Sa paluche s’harponna à ses reins, tandis qu’il la bousculait par-dessus lui avant de se redresser à son tour, un bras tendu fiché dans le matelas pour maintenir un semblant d’équilibre. La nymphe assise, dominatrice, mais empalée et commandée par d’infatigables coups de reins. Un tableau peint à la luxure et à la sueur. Il cherchait la bouche sans la conquérir, frôlait du bout de sa pulpe gonflée une parcelle de chair qu’il avait négligée auparavant, s’imprégnait du parfum grisant que transpiraient les pores de sa peau opaline. Il s’empêchait de l’embrasser encore une fois, au risque de lui dévorer la cavité buccale. Il dirigeait, en chef d’orchestre, son hymne débauché, et leurs soupirs n’étaient rien de moins que les quelques notes ponctuant la vulgaire symphonie. Ressentait-il seulement. Aurait-il envie de la revoir. Il carburait uniquement au chaos, et ce qu’elle était ; une douleur qui le meurtrissait autant qu’elle le soulageait. Ce qu’il aurait fait, pour se sentir vivre un peu. La cadence s’accéléra, jusqu’à ce que ses muscles ne le supportent plus, jusqu’à la faim se taise. Et l’affaire se scella, au son d’un phonème rauque. Son souffle irrégulier martelait la gorge de la jeune femme, contre laquelle il avait niché son museau. Une brève seconde d’intimité. Il la bascula de nouveau sous lui, pour mieux s’effondrer à son tour peut-être, et poussa le vice jusqu’à déposer un baiser furtif contre sa gorge. Le vague rapprochement dura approximativement… deux ou trois secondes, le temps qu’il s’extirpe des draps et contourne le lit. Monstre d’impudeur, Rosier récupéra ses affaires. Il ne resterait pas pour les confidences sur l’oreiller, ou une dernière étreinte, non ; la bite désormais rangée, il reboutonna sans empressement sa chemise, silencieux. Étourdi, aussi. Dans un état sensiblement identique à la quiétude psychédélique d’un shoot d’Orviétan. S’il disparaissait maintenant, il n’aurait pas à bondir de nouveau sur elle pour assouvir le manque qui ne tarderait pas à tirailler ses entrailles. Elle n’imaginait pas la drogue qu’elle était ; la descente serait brutale, et il n’avait pas l’intention de mendier encore et encore son attention pour étancher ce désir factice. Il avait du mal à concevoir une attirance réelle pour sa jolie nymphette. « Attends un peu avant de sortir, » lâcha-t-il en vissant une cigarette à ses lèvres. Il replaça son col, flanqua sa veste sur ses épaules et, alors qu’il s’avançait déjà vers la porte, il accorda à Beatrix un regard espiègle. Ses pupilles étaient dilatées, le sourire qu’il lui décrocha désolé. Il la quittait comme un connard, parce que c’était ainsi ; quelque part, il espérait la revoir. Un autre jour, dans d’autres circonstances. What kind of man loves like this. Sans mot dire, sans adieu, le battant claqua derrière lui avec une violence sourde. Dans le couloir désert, où le brouhaha indistinct de la réception résonnait mollement, il avait envie d’un verre de whisky. |
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