Je m’en branle du lit des parents et pareil du butin. Il s'en branle. Connard, elle pense vertement alors que ses lèvres esquissent un sourire salé, ses yeux plissés exprimant plus d'agacement qu'un quelconque amusement. Bien sûr, il a un numéro, qu'est-ce qu'il peut en avoir à faire des basses préoccupations de la masse d'orphelins. Lui, il distribue les ordres probablement. Juste ça, alors ouais, sa vie ne dépend pas trop de s'il parviendra ou non à dénicher une bourse de gallions dans cette fichue baraque.

Elle ne devrait pas être mordante, ça devrait la satisfaire. C'est dans son intérêt, après tout.

Mais bon.

ça l'exaspère quand même.

Cool, elle lâche pour laisser couler le sujet, ne pas s'emporter inutilement (c'est le sang de vélane, disait son père ; foutrement caractérielle comme ton emmerdeuse de mère), c'est pas comme si c'était vraiment important qu'ils ne soient pas sur un pied d'égalité, Aspen Dunstan et elle. Suffit qu'elle n'oublie pas la hiérarchie, parce qu'il lui parle peut-être comme si de rien n'était ce soir, entre ces murs qui les cachent aux regards indiscrets, mais une fois sortis de là il reprendra son rang — et de nouveau, elle le croisera juste lorsqu'il guidera les Breaches au cimetière au lever du jour, tandis qu'elle marchera dans les empruntes de Crow pour entamer sa propre journée. Pas un regard. No big deal, elle peut parfaitement faire avec ça.

Elle la pose, sa question, et il a l'air surpris, première fois qu'elle lui voit cette expression d'ailleurs. Elle se retourne pour couper les derniers légumes à jeter plus tard dans la poêle — il lui tarde de se mettre quelque chose sur l'estomac. Mon père était russe. What the actual fuck, elle pense, mais ne dit pas. Cela dit, sa lèvre supérieure est froissée d'un pli dubitatif, l'air de dire non sérieux ? Le mien est ministre de la Magie aux Iles Kiribati. Le pire c'est qu'il a pas l'air de mytho. Quoique, il doit juste être doué à ça, on devient probablement pas un numéro en balançant ses secrets à tort et à travers. Et toi ? Me fais pas croire que c’est la première fois que tu dis souka. Pochemu ty ne odela bryuki ? Ok, c'était pas un mytho (pourquoi il est honnête ? Ce type est trop bizarre). Mais décidément, pourquoi la gueule de chinois alors, et l'accent anglais parfait, le patronyme tout sauf russe ? Oh, p't'être que son père l'a abandonné. Genre, c'est un bâtard, du coup il porte le nom de sa mère ou de son orphelinat, ou va savoir quoi. Elle a envie de le bombarder de questions et tout, mais difficile de le faire alors qu'il vient de lui demander pourquoi elle ne porte pas de pantalon. Elle préfère se concentrer d'abord sur la première question, le regarde par-dessus son épaule et lance, les yeux légèrement écarquillés d'un air innocent, Mon copain russe jurait souvent quand on baisait. Puis un sourire mutin, et : ça sonne bien. C'était une impulsion, pour voir sa réaction, mais c'est du pur bluff. Et un réflexe, à vrai dire. Les mensonges viennent plus vite que les vérités. Mais peut-être qu'elle peut être honnête elle aussi, il lui a bien répondu, lui. C'est juste qu'elle a l'impression d'avoir plus à perdre que lui, peur de donner des armes contre elle à un Numéro. Alors elle se détourne à nouveau, pour ne pas le voir lorsqu'elle inspire profondément pour lâcher : Tse vse shche zanadto zharko bilya hrubky. (Il fait toujours trop chaud près des fourneaux), en guise d'explication pour le pantalon (elle ne va quand même pas lui dire j'voulais voir si tu materais mes cuisses, si ?), puis : J'ai vécu en Ukraine. Enfin, pas très longtemps. Son accent n'est pas parfait, mais il comprendra probablement, similitude entre les langues obligent. ça lui fait étrange cela dit, de le reparler. C'est l'endroit qu'elle voulait pouvoir qualifier de maison, c'était sa nouvelle chance, sa nouvelle vie. On le lui a pris, elle a perdu Nevaeh dans la foulée, et elle ne s'attendait franchement pas à ce que sa terre d'accueil lui manque. L'Angleterre est tellement... inhospitalière, avec son Mégalo Détraqué Sans Nez, vivement que quelqu'un l'encastre dans un mur celui-là parce qu'il est trop flippant (genre l'autre là, l'Elu, ce serait sympa qu'il se secoue un peu les puces, y'a de moins en moins de gens à voler tellement le gouvernement est encore plus pillard que Shadow Moses. Bientôt ils vont tous crever de faim et y'aura plus rien à sauver dans ce pays de merde).

Elle le sent approcher (ou plutôt, elle perçoit les mouvements de l'eau que contient son corps), se crispe, mais il reste relativement à distance, pas menaçant. J’aime pas les poivrons Hein ? Elle se retourne à moitié, le dévisage l'air de ne pas y croire, puis se rattrape. J'veux dire... ok ? Le Cuistot (c'est le surnom du malheureux qui tente de préparer des trucs aux plus jeunes qui savent pas trop quoi faire pour se nourrir ; et bien sûr, les autres s'invitent parfois, du moins Indie se barre loin quand y'a du rat au menu) nous fait bouffer du ragout de rats avec legit juste des cailloux en guise de """"légumes"""" (elle forme les guillemets avec ses doigts) et c'qui te dérange ce sont des... poivrons ? Et ça la fait rire. C'est tellement inapproprié comme caprice (elle mangerait un éléphant mort, là, tout de suite, même si c'est dégueu, juste pour enfin manger en quantité, quoi), c'est trop mignon. Il a une tête de gamin bougon en plus, il lui rappelle Neva putain. Capricieuse elle aussi, ça doit vraiment être un truc de vélanes (et vraisemblablement, de chinois-slash-russe aussi). C'est noté, Aspen Dunstan, t'auras qu'à me les donner tes poivrons, je te sauverai de leur goût immonde. Elle lève les yeux au ciel, mais son sourire trahit le fait qu'elle n'est pas du tout vexée. ça ferait plus de trucs pour elle, c'est pas un problème. Peut-être qu'elle l'a vexé lui cela dit, vu qu'il se casse. Indie se mord la lippe, tentant encore de déterminer si elle a franchi une limite pour de bon, et puis elle hausse les épaules en décidant qu'elle s'en fiche, c'est lui qui a commencé à lui parler comme s'ils étaient potes. La cuisson achevée, elle lui fait signe de lui passer deux assiettes pour les remplir sans avoir à déplacer chaudron et poêle. C’est quoi ton histoire ? Il demande tandis qu'elle remplit le premier plat, et elle répond sans sourciller : Mes parents étaient du genre nomades. On n'avait pas vraiment de maison, on voyageait juste tout le temps et on dormait dans des auberges ou à la belle étoile. Ils étaient de grands fans de VRock — tu connais ? C'est du rock de vampires. Enfin bref, ils adoraient, alors quand leurs groupes favoris faisaient des tournées ils les suivaient. Parfois j'allais avec eux, parfois non. Ils ont décroché des billets VIW une fois et ont pu aller en coulisses, mais ça a mal tourné. Les musiciens étaient assoiffés tu vois, du coup ils les ont saignés à blanc et voilà, j'me suis retrouvée orpheline. Crow m'a dénichée dans la rue quelques années plus tard et m'a ramenée de force devant Mood, tu connais la suite. Elle lèche la sauce qui lui a coulé sur le doigt, avant de se hisser sur le comptoir, les jambes battant l'air et cognant doucement le placard du dessous à un rythme régulier. ça la tente pas trop de s'asseoir à table, les couteaux et tout, ça fait trop civilisé et chiant. Elle est bien là, avec une cuillère et ses doigts. Et toi, tu racontes quoi ?