| 13 décembre 2003 Is this the real life? Is this just fantasy? Caught in a landslide, No escape from reality. D’aussi loin que tu te souviennes, tes parents n’avaient pas eu de ce genre de gestes affectueux à ton égard. Ton père s’était très vite contenté de fermes poignées de mains viriles, même quand tu étais haut comme trois citrouilles, pour t’apprendre les bonnes manières. Ta mère variait un peu plus les plaisirs. Elle pouvait se montrer affectueuse ; mais ce qu’il y avait de terrible avec elle, c’est que, lorsqu’elle te caressait la joue, elle semblait regarder ailleurs, plus loin que ton visage en face du sien, comme si elle cherchait quelqu’un d’autre, qui aurait dû se tenir là à ta place. Morrigan, peut-être ? Elle est où Morrigan ?
Et puis, par la suite, les caresses de Tori, les seules à ne pas être vides de sens, étaient sans doute celles que tu redoutais le plus. Tu craignais tellement ne pas les apprécier à leur juste valeur que tu en perdais tout le goût. Paniqué, tu t’enfuyais, à la recherche du premier homme qui saurait te redonner le goût à un contact physique doucereux, voire même parfois brutal. C’est fort de ces pauvres expériences que tu te retrouves avec la main de Lestrange de nouveau sur ton front. Et ça n’a rien de la caresse d’un amant. Et ça n’a rien de la bourrade à l’épaule de ton père, comme s’il essayait, inconsciemment, de t’insuffler un désir hétérosexuel. Ça avait peut-être quelque chose de ta mère, dans cette impression qu’il voyait plus loin que toi, à ce moment-là. Plus loin ou au contraire, beaucoup plus près. Ce serait audacieux de ta part de dire qu’il se voit en toi-même. Alors, tu ne le diras pas, tu le chercheras juste un peu, dans le fond de ses yeux presque transparents.
Tu cherches ce que tu pourrais devenir, si on te laissait sortir de là. Tu cherches les échelons que tu grimpes, frénétiquement, comme pour te noyer dans le travail et les responsabilités, afin d’oublier qu’au final, tu n’es là que pour être à la coupe d’un seul homme. Un seul homme qui avait manqué dans ta vie. Sa main sur son épaule n’est en rien comparable à ton père qui te brusque comme s’il voulait s’assurer que tu n’étais pas en verre. Tu étais en pire que ça. Le verre à côté, c’était du solide. Ça sert à rien de s’attacher comme ça, c’est pas ton père.
Tu le considères, interdit, conscient des efforts qu’il fait pour te rassurer, conscient de la futilité de ses arguments, qu’il n’arrive même pas à avouer pouvoir être capable de rendre convaincants. Après tout, vous étiez les méchants dans l’histoire, dépourvus de remords et incapables d’être heureux, comme si ça s’était complètement évaporé, le jour où vous aviez pris la marque, histoire de rendre les massacres plus faciles. Oh, mais ça ne marche pas comme ça. C’était pas si facile. Quand on a fait du meurtre une banalité, la plus petite et anodine preuve d’affection devient le nouveau défi à surmonter. Et à quoi ça lui servait, de faire tous ces efforts, alors qu’il savait qu’il n’allait pas s’en sortir ? Comment faisait-il, pour garder ce calme apparent, alors qu’il savait qu’il n’avait plus rien à perdre ? Tu aurais été le premier à péter les plombs, à voir comment tu paniquais alors que tu n’étais même pas sûr d’y passer. Tu as tendance à trop te projeter dans le regard des autres pour savoir ce qu’ils attendent de toi -ça n’était pas pour rien que tu avais voulu être former à la legilimancie auprès de Rookwood. Sauf que quand tu le regardes lui, c’est comme quand on pose deux miroirs en face l’un de l’autre, et que les visages se réfléchissent à l’infini, si bien qu’on ne distingue plus à la fin, à qui appartient cette paire d’yeux bleus.
Sauf qu’il faut l’admettre, tu n’as jamais brillé en legilimancie. Alors c’est comme si tu ne voyais rien, dans ces yeux à lui. Qu’il était le seul à savoir ce qu’il allait t’arriver, si tu en venais un jour à sortir. Qu’il était le seul à savoir ce que tu ne devrais pas faire. Mais, que pour une obscure raison, il ne te révélera pas quoi et qu’ainsi, tu referais exactement les mêmes erreurs. Alors il aurait échoué, une fois de plus. Vous aussi vous avez déjà déçu votre père ? Moi, pas encore, pour l’instant, j’ai fait absolument tout ce qu’on m’a dit de faire ; j’ai répondu avec le plus de vigueur possible à ses grosses poignées de main, quitte à ce que je me fissure. Elle a dû en ramasser des débris, Tori. On n’en entend pas beaucoup parler, de mon père, tout ce qu’il laisse derrière lui, ce sont ces débris. Il allait laisser quoi, Rabastan ? Il laissait un maigre espoir germer en toi, sans y croire. Te rassurant juste parce qu’il pensait qu’en ces derniers instants, c’était peut-être la meilleure chose à faire, la seule décision qu’il aurait prise de lui-même, pour rattraper toute une vie d’obéissance aveugle. C’était sans doute le seul moyen qu’il avait trouvé pour t’éviter de répéter sa vie.
Et tu réalises alors que, si tu ne vois rien dans ces yeux, c’est que lui, quand il avait ton âge et qu’on l’avait enfermé, il n’avait pas eu de Rabastan Lestrange pour lui mentir que tout ira bien. Si tu ne vois rien dans ses yeux c’est qu’il n’avait rien à regarder. Et tu réalises qu’il avait dû se sentir si seul comme tu ne l’endureras sans doute jamais. Auquel cas, fragile comme tu es, tu en mourrais. Tu remonteras pas le temps pour changer la donne ; ni pour être avec lui dans ses débuts douloureux, ni même pour le faire évader. Alors, la moindre des choses, c’est que tu pouvais être avec lui en ce moment-même. Pour tous ceux qui continueront à vivre. Et, parce qu’il est de ceux qui n’y survivront pas, ta petite tête de piaf roule sur son épaule. Ton soupir est lourd d’un sanglot que tu ravales. « Vous en faites pas ; c’est pas comme si j’espérais que vous me procuriez une notice sur ce qu’on ne doit pas faire, une fois au-dehors. » Tu as un petit rire un peu désabusé. « J’ai toujours eu le droit à beaucoup de notices ; mam- ma mère, elle- » C’est encore trop dur de parler d’elle. Parce que sans elle, qui sait combien ton histoire aurait été différente ? Il n’y avait que comme ça qu’elle montrait son affection ; en te conseillant chaleureusement et parfois froidement quoi faire. « Vous d’vez connaître ça ; les enfants qui se font une joie d’enfreindre toutes les règles que vous préparez pour qu’ils mènent une belle vie. » Même si ça n’est pas une belle vie pour eux. « Si vous m’aviez eu comme fils, vous auriez pas eu à vous en faire ; je suis la docilité incarné… » Un petit mouvement de menton dans la direction des gardiens. « … quand on ne m’enferme pas dans une cellule. »
Tu ne pourras pas réécrire l’histoire de Rabastan Lestrange. Rabastan Lestrange n’avait que peu de temps devant lui pour espérer réécrire un morceau de la tienne. A quoi bon, tout ça ? C’est pas ton père. C’est pas ton père. Ton père aurait jamais fait ça pour toi. |
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