❝ Pac Pac Pac ❞1973 & Manoir Rosier Partout.
Ils sont partout.
Elle ne les voit pas encore.
Mais elle sait. Elle sent.
Leurs grands yeux perdus dans les coins sombres.
Ils ricanent sous les marches. Ils suintent entre les manteaux.
Chuchotent avec les tableaux.
Ils grondent dans les nuages. Hurlent dans les arbres.
Elle entend leur griffe taper contre les vitres.
Le bruit continue.
Encore et encore.
Pac. Pac. Pac.
Nombreux. Affamées. Terrifiants.
Elle est cernée.
Dans le couloir, une odeur de soufre.
C’est eux. C’est forcément eux.
Ils la suivent. La traquent.
Le bruit discret de ses pas entre les bougies éteintes.
Elle accélère le pas avant qu’ils n’attrapent un bout de sa robe de chambre.
Ils se lèchent les babines. Font claquer leurs crocs.
Dans les murs. Sous le tapis. Accrochés au lustre.
Un souffle paniqué flotte derrière elle.
Bientôt la porte, sa main sur la poignée. Elle se glisse avec empressement, les larmes collées aux joues.
Referme. Avance. Se fige.
Elle l’observe.
Elle attend.
Quoi ? Elle ne sait pas vraiment.
Que son cœur arrête de battre si fort, peut-être.
Bam. Bam. Boum.
Tape et tonne.
Contre sa poitrine, contre ses tympans.
Lui aussi, un monstre. Une bête en furie. Prête à s’échapper de sa cage. Mordre, griffer, déchirer. Craquer ses côtes et s’enfuir. L’abandonner.
Cogne et grince.
Fort.
Si fort qu’elle a peur que ça ne le réveille.
Que ça ne les attire.
Elle serre les dents et ses petits poings.
Ses yeux gorgés de sel ne distinguent plus que des taches dans l’obscurité de la chambre.
Des masses menaçantes, des formes agressives, des mirages qui tanguent dans les recoins, qui grésillent sous le lit énorme.
Tout est bien trop grand. Bien trop haut.
Comment font-ils, les adultes, pour devenir géants du jour au lendemain.
Ses sourcils se froncent. Ses joues se gonflent.
Le ciel crépite de bleu par la fenêtre.
Ses poils se hérissent sur sa peau mordillée par les frissons.
Comme des milliards de bestiole qui grouillent avidement.
Des centaines doigts qui l’ont retrouvé. Qui vont l’emporter.
Elle n’a pas compris comment elle est déjà dans le lit.
Comment elle a pu bondir, voler, échapper à leur crocs.
Comment ses lèvres ont déjà sangloté son nom.
- Evan.
Son front fiévreux contre sa nuque.
Le drap tiré précipitamment bien au-delà de sa tête. Pour se cacher. Pour disparaître.
Son corps minuscule immergé dans les odeurs tièdes.
La lessive. Le savon. Le chocolat. Le vetiver.
Lui.
Elle ferme ses paupières très fort.
Le parfum de la sécurité.
Il grogne paresseusement. Tente mollement de la repousser.
Elle l’étreint, se colle, se presse.
Roulée en boule contre son dos, son visage humide contre ce corps immense, bouillant.
Elle marmonne entre les spasmes.
- Les… les moldus… Evan… Ils… Ils…
Dehors la nuit explose. S’écroule sur le toit.
Elle émet un jappement suraigu.
Soudain elle sent une barre contre sa poitrine.
Non. Un bras. Son bras.
Une main sur son épaule.
Sa main.
Son frère s’est retourné.
Elle sent son torse contre son dos, son menton posé sur sa tête.
Son pouce contre sa pommette.
Elle perd son nez dans le pli de son coude.
- Nellie.
Son cœur ralentit. Sa respiration revient.
Son esprit refroidit, cesse sa course incessante.
Les horreurs s’effacent. La terreur s’assoupit.
Ici, les griffes ne sont que des gouttes. Les cris ne sont que du vent. Les yeux ne sont que des vases.
Ici, rien ne peut lui arriver.
- Il faut que tu sois plus forte.
Il n’y a pas de reproche, pas de colère dans sa voix enrouée par le sommeil.
La serre un peu plus fort, replace le drap lentement.
Dans le noir, il ne voit pas le rouge honteux qui marbre son visage.
Les molaires qui croquent sa langue.
Les ongles qui grattent ses paumes.
Sa voix se désagrège dans un murmure humilié.
- Comme toi ?
Son frère.
Son si grand frère.
Comment pourrait-elle ? Ca ne s’improvise pas, d’être lui.
D’être le premier né.
D’être le plus beau.
D’être le plus fort.
D’être le seul à pouvoir chasser les monstres dans les nuages.
Il ne répond pas.
Un ronflement tranquille la borde.
Son corps s’engourdit peu à peu contre le matelas.
Non.
Ses pensées s’éteignent une à une.
Elle ne pourra jamais être comme Evan.
Sa conscience s’évapore.
Elle devra être mieux.
❝ Inspire. Cille. Expire. ❞1975 & Manoir Rosier- Maman ! Maman !
- Votre mère… Maîtresse... Pas là… Partie.
Sur le sol, des traces brunâtres apparaissent à chaque seconde, innombrables à présent.
Des cheveux blonds volent.
Des joues rougissent.
Des petits cris vrillent ponctuellement dans le silence glacial du Manoir.
A peine plus grande que l’elfe qui lui retient les poignets, Cornelia se débat.
Dans ses yeux flamboie une lueur qu’elle ne connaît que trop peu : celle de la frustration.
- Bien sûr que si elle est là ! Tu mens ! Tu mens très mal !
Devant la porte de la chambre de sa mère, la lutte se poursuit pour ce qui lui semble être un temps infini. Droite. Gauche. Les échecs se répètent à mesure que la teinte cramoisie de son visage s’amplifie de grimaces coléreuses. Ses esquives ne passent pas le rempart du serviteur qui regarde d’un œil suppliant le parquet peu à peu envahi par la boue. Sa voix se casse presque tant elle est suppliante.
- Maîtresse attention vous salissez tout !
- Faut bien que tu t’occupes.
Elle s’arrache aux longs doigts du meuble, repoussée quelques pas plus loin. Derrière elle, le tableau d’une illustre ancêtre décide de s’épargner le reste du spectacle désastreux de sa descendance plus longtemps et quitte son cadre, les yeux au ciel. Cornelia quant à elle tape du pied et s’époumone.
- Maman ! Tu m’entends ! Je dois te raconter ! Dans le jardin, on a trouvé des gnomes et même que j’en ai capturé un ! Faut pas croire Simon si il te dit que c’est lui qui l’a pris et que je l’ai volé, hein, je l’ai capturé toute seule ! Puis on en a pris plusieurs et puis on les a mis dans le vieux chaudron de grand-père et même qu’on a fait un piège à harpies ! Y’a Elias qui m’a fait croire qu’il y en avait une à un moment pour me faire peur. J’ai pas pleuré longtemps hein ! J’ai bien vu que c’était un pigeon. Mais du coup il rigolait tellement qu’il est tombé dans le chaudron et à cause des gnomes il savait plus se relever ! Il roulait ! Il est bête Elias, hein ! Tu m’entends ? Il. Est. Bête !
Ses mains en porte-voix, ses mots relèvent à présent presque de l’ultra-son.
La porte reste silencieuse. Imperméable.
Elle tente une entrée en force, se rue à toute vitesse sur la chose à l’expression surprise. L’elfe laisse échapper un cri désespéré quand le front de la gamine frôle le sien. Crac. Le champ de vision de Cornelia est inondé d’or pendant une fraction de seconde. Le sol disparaît sous ses pieds, les murs sont renversés. Une seconde se perd dans le noir avant qu’elle n’en réalise qu’elle est à présent allongée sur le dos. Un tapis sous le crâne, le plafond devant elle. Les yeux ronds, la mâchoire molle, elle se relève sur les coudes, contemple l’esclave dont les globes oculaires disproportionnés dégoulinent de larmes.
Il avait osé.
Sur elle.
Ici.
Lentement, l’enfant se relève.
Sans un mot. Sans un regard.
La bestiole avait reçu des ordres visiblement fermes.
D’une main un peu tremblante, elle essuie ses genoux, remet ses cheveux derrière ses oreilles rosies.
Les lèvres étroitement serrées, le regard sur le parquet, Cornelia revient vers le serviteur dont la posture de gardien de quidditch s’était muée en prostration très anguleuse.
- Maî… Maîtresse…
La tête tourne un peu. La démarche penche sur la gauche.
Autour d’elle, le bas et le haut se dispute encore quelques places.
- Maîtresse… Je…
Elle lève enfin les yeux.
Croise les prunelles ternes.
Les regards s’entrechoquent.
- Dégage.
Sa voix vibre comme une lame de métal.
Quelque chose de dur.
De mécanique.
Affutée. Dure. Glacée.
Une autorité qui n’a plus rien d’enfantine.
Ca en serait presque grotesque si ce n’était effrayant.
Une voix à l’égale de celles des autres maîtres du manoir.
La bouche du serviteur se referme lentement. Il ferme ses paupières et s’incline.
Un bruit de bouchon de champagne résonne.
Et voilà.
La silhouette effacée. L’obstacle envolé.
Sa respiration est profonde. Les veines de son cou palpitent.
Sa paume s’enroule autour de la poignée.
Elle tire.
Rien.
La porte est fermée de l’intérieur.
Un goût aigre monte jusqu’à sa bouche. Son dos, sa nuque, ses jambes, ses bras, ses doigts, ses muscles, ses nerfs. Un par un, tendu à l’extrême. Tout son être frêle convulse de rage.
Ses cris sont presque animaux.
- J’ai dit. Dé. Ga. Ge.
Ses petits poings cognent hystériquement contre le bois laqué, jusqu’à ce qu’un craquement les interrompent.
Une douleur tiède irradie le long de son avant-bras droit.
Elle porte son petit doigt à sa bouche, l’inonde déjà de salive.
Un courant d’air soudain lui fait relever la tête.
Ses prunelles s’écarquillent.
La porte a disparu.
Sa bouche se contracte en un rond surpris puis se déforme en un sourire euphorique.
Oubliant son doigt bleui qui pulse encore de douleur, elle se précipite dans les appartements de sa mère, s’égosillant de joie :
- Maman ! Maman ! Maman !
Un silence à l’odeur de naphtaline l’accueille.
Les fenêtres sont ouvertes. Les volets sont fermés. Quelques lamelles trouées laissent passer une lumière qui colore l’obscurité en orange.
Les rideaux s’agitent avec lenteur sous une brise d’été.
- T’as vu j’ai fait de…
Dans le grand lit à baldaquins, une silhouette est étendue.
Paisible. Calme. Sereine.
- …De la…
Trop paisible. Trop calme. Trop sereine.
- … Magie.
Elle croise le regard à travers les draperies.
Oh.
Les derniers éclats de sourire s’émiettent.
La pâleur. Les cernes. L’expression.
- Ma… Maman ?
Cornelia ne comprend pas.
C’est comme une énigme. Une mauvaise charade.
Ce long corps allongé.
Absolument immobile.
Déconnecté.
Absent.
Prêt à être enterré.
Pourtant elle la regarde. Sous ses paupières qu’elle ouvre et ferme avec lenteur.
Pourtant elle respire. Avec difficulté, comme si même cela lui demandait un effort surhumain.
Pourtant elle est belle. Pourtant elle vit.
Mais il y a quelque chose.
Ou plutôt il manque quelque chose.
Cornelia sent une boule se torde dans sa gorge.
Vide.
Elle semble si vide.
Sa main meurtrie se dirige avec précaution sur le drap blanc. Glisse ses doigts par-dessus les siens.
Elle ne dit rien.
Elles ne disent rien.
Iliana ne répond pas à son contact.
Elle se contente de la regarder.
Comme un métronome bien réglé.
Elle inspire.
Cille.
Expire.
Inspire.
Cille.
Expire.
Cornelia prend peu à peu le pli.
Hypnotisée.
Autour d’elles, les minutes coulent, écoeurantes.
Le silence l’étrangle.
Inspire.
Cille.
Expire.
- Cornelia.
Inspire.
Cille.
Expire.
- Laisse ta mère se reposer.
Ses doigts se referment violemment autour des siens, inertes.
Inspire.
- Cornelia.
Cille.
- Cornelia. Junon. Rosier.
La main épaisse de son père broie son épaule, l’empêche d’expirer en cadence.
Sa mère détourne son regard.
Celui de Cornelia se remplit de liquide.
- Mais… elle avait promis de… me faire … des… nattes.
Elle est traînée dehors.
La porte réapparaît.
Piégée dans les bras de son père, elle enfuit son visage dans son cou.
Les poils rasés nets picotent son front.
Il caresse ses cheveux.
Lui marmonne des phrases inutiles.
Pour l’heure, elle n’a qu’une pensée qui tourne.
Et tourne.
Et tourne.
L’elfe n’avait pas menti.
Sa mère était bien partie.
❝ Bientôt il faudra les ouvrir ❞1977 & Voie 9 3/4 Le panache de vapeur vacille.
Danse encore un peu et se désagrège.
Balaie le quai pour la dernière fois.
Les silhouettes se font de moins nombreuses.
La forêt de jambes s’estompe.
Au loin, le rouge a presque disparu du paysage.
La sensation de les avoir à ses côtés n’est déjà plus qu’un souvenir.
Un an.
Encore.
L’été est mort. Vive l’été.
Elle reste là.
Silencieuse. Immobile.
A s’accrocher à leurs odeurs.
A déglutir les derniers moments.
Evan.
Sa moue sombre. Son empressement militaire.
Son regard qu’elle n’avait pas réussi à croiser.
Ils avaient échangé une étreinte hésitante.
Comme s’ils ne savaient plus vraiment comment faire.
Elias.
Son sourire trop large. Sa décontraction insolente.
Son obsession à rappeler qu’il est bien un Gryffondor, par tous les pores de sa peau.
Elle avait fait mine de le gifler en guise de réponse à une de ses blagues.
Il avait évidemment esquivé avec un rire gras.
Simon.
Son excitation qu’il ne pouvait même pas dissimuler pour elle. La main dans sa poche, imitatrice de celle de son frère.
Elle avait posé un baiser sur sa joue.
Murmuré un « bonne chance » corrodé d’envie.
Derrière, sa mère l’appelle, enjouée malgré son impatience.
Cornelia ne bouge pas.
Ferme les yeux plus fort.
Encore quelques secondes.
Quelques instants avec eux.
Bientôt il faudra les ouvrir.
Bientôt il faudra rentrer.
Bientôt elle sera seule.
Ils sont partis.
Tout le monde est parti.
❝ 6h30 ❞1978 & Poudlard Le silence.
Le poids écrasant.
Devant. Derrière. Sur les côtés.
En-dessous.
Les ténèbres vertes.
Au-dessus.
L’infini argenté.
C’est beau.
Simplement beau.
Les rayons du soleil éclatent entre ses doigts troubles.
Révèlent les feuillages. Font luire les écailles.
Des bulles s’échappent au coin des lèvres, gouttes de mercure, prières humides.
Le silence.
Et puis la stupeur.
La montée.
Le goût âcre sur la bouche.
Le mouvement des hanches.
L’inertie de son corps.
Siffle. Crachote. Tambourine.
Contre ses tempes. Contre ses paupières. Contre son cœur engourdi.
Une dernière poussée.
Un dernier effort.
L’ascension. La tempête. L’explosion.
L’oxygène.
Un rire liquide se mêle à la toux.
Des taches de couleurs dansent sous ses yeux.
Les vaguelettes la gifle tranquillement.
Le Lac Noir relâche son étreinte polaire alors qu’elle se laisse porter, bras écartés.
Le ciel laiteux envahit son regard.
Un soleil pâle se lève lascivement au milieu des nuages.
Quelques étoiles brillent encore, épuisées de leur nuit blanche.
Il doit être six heures et demi.
Quelques brasses dessinent un sillage doré en direction de la rive.
C’est une habitude que Cornelia avait prise à son père.
L’exercice dès l’aube.
Revigorant. Physiquement et intellectuellement.
Selon ce précepte, le Lac s’était bien vite imposé comme le lieu idéal de ses réveils.
Deux mois déjà qu’elle était à Poudlard et que pas un jour ne dérogeait à la règle.
Elle avait appris à se lever sans sonnerie. S’habiller dans l’obscurité la plus complète. S’extirper des cachots sans un seul bruit.
Il suffisait ensuite de se précipiter par la porte de la cour intérieure. Contourner par les serres de botanique. S’enfoncer juste assez loin en bordure de la Forêt.
Et puis de se laisser aller.
Ses cousins lui avaient fait très concrètement comprendre leurs inquiétudes ahuries concernant sa santé mentale quand elle avait évoqué sa routine en leur présence.
Quant à son frère… Hé bien. Elle ne savait même pas si Evan était au courant de cette habitude.
Réunis sous le même toit, il n’y avait jamais eu autant de distance entre eux.
Il était toujours trop loin, trop entouré, trop occupé.
Trop en septième année.
Elle n’avait jamais été assez stupide pour espérer de réelles démonstrations d’affection.
Mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir mal.
Elle secoue la tête. Fronce les sourcils.
Tous les Rosier connaissent le petit jeu de l’Elite.
Même Elias, cet abruti.
Elle ne peut pas décemment s’en plaindre à présent.
Cornelia laisse son visage s’immerger une dernière fois.
Son regard se perd dans le flou aquatique.
Quelques battements de jambes froissent la surface de l’eau.
Bientôt son pied touche la roche gluante.
A mesure que son corps maigre émerge, elle laisse couler la fatigue et les Rosiers entre les algues du fond.
Ses cheveux dégoulinent, collés à son crâne. Elle étire ses bras méthodiquement, fait rouler ses épaules lasses. Exhale un soupir en avançant vers le tas vert et noir de vêtements soigneusement repliés, sa baguette trône par-dessus.
Le vent est saturé d’humus.
Les écorces craquent sous le poids des branches.
Des gnomes jouent dans les herbes hautes.
Tout est si calme à cette heure.
Un sort marmonné en vitesse la sèche presque complètement, elle passe bien vite sa robe épaisse. Se met déjà en marche, ignore les frissons.
Le château s’élève au loin. Le temps qu’elle arrive, le petit-déjeuner devrait être servi.
Le ciel se dégage, laisse le soleil s’imposer. Un rayon agrippe son visage, embrase sa chevelure.
Ca sera une belle journée.
❝ 443 ❞1980 & Poudlard Elle avait passé la nuit avec Bathilda Tourdesac.
Autant dire qu’ils étaient peu à pouvoir se vanter d’un tel exploit.
Les doigts tâchés d’encre, la joue marquée par les traces de la main sur laquelle elle s’appuyait depuis près de deux heures, Cornelia se tâte à poursuivre un nouveau chapitre de l’Histoire de Poudlard ou passer à l’un des cinq grimoires de potion qu’elle avait sélectionné sur sa table de travail.
Mmh.
Bathilda supporterait bien une infidélité. Elle lui revenait toujours.
Extirpant d’un de ses tas une particulièrement poussiéreuse encyclopédie des poisons, elle sortit un nouveau parchemin et se mit au travail.
Le grattement de la plume malmène le silence de la bibliothèque.
L’obscurité coagule autour du halo de sa lampe à huile.
Seule.
Perdue entre l’allée B43 et C51.
Deux heures du matin sonne cliquètent à sa montre.
Elle n’a probablement jamais été aussi productive que cette nuit.
Ce qui en disait long.
Quatre dissertations, deux cartes du ciel, une analyse structurée de composition de philtre.
Tout paraît évident ici. D’une simplicité éblouissante.
Comme si le savoir débordait des livres, du sol au plafond, avait avec les siècles infusés jusqu’à l’oxygène de la bibliothèque.
L’expérience est presque religieuse.
C’était comme une symphonie microscopiques. Un opéra des détails.
Sa main qui effleure la page.
Chaque phalange déployée, impérieuses.
Son verni un peu éraflé, la rougeur au coin de son majeur.
Le cuir qui pépie contre la table, la reliure qui geint.
Les lettres qui se déroulent sous ses yeux.
L’encre qui trace les mots comme une chorégraphie, tourne, s’étire, s’envole.
Le bout de sa langue entre ses molaires serrées, son rouge à lèvres assombri. Sa nuque raidie par la douleur lancinante.
La mèche qui traverse son front. Ses ongles qui effleurent son menton. Son dos si droit de danseuse.
Rien ne semble inutile. Tout paraît calculé, prévu, calibré.
Comme s’il y avait une logique même dans son hasard.
Elle s’acharne un quart d’heure puis cède à la soif.
Se résignant à quitter des yeux le texte, vaguement exaspérée, elle s’étend pour attraper sa bouteille d’eau.
A l’instant où ses doigts entraient en contact avec le verre, le coin de son œil se retrouve irrémédiablement attiré par une ombre sur la droite.
Quelque chose a bougé.
Continue de bouger.
S’approche, émet des sons qu’elle n’arrive pas à distinguer nettement.
Ses pupilles s’élargissent, sa main passe sous la table, pointe la baguette cachée droit vers la bête.
La chose s’élargit dans les ténèbres, difforme, menaçante.
Un rire qui ressemble à un ricanement.
Réminiscence de monstres trop anciens.
D’une peur primitive.
Elle retient son souffle alors que la créature arrive à distance de tir.
Son cœur bat bien trop vite, le maléfice est au bord de ses lèvres.
Le bout de sa baguette rougeoie.
Trois.
Deux.
- Hein ?
Des visages apparaissent. Des regards se rencontrent.
La petite bulle d’adrénaline éclate mollement.
Trois voix s’élèvent d’une même octave scandalisée.
- Qu’est-ce que vous foutez là ?
- Qu’est-ce que tu fous là ?
Elle croisa les bras, rejetant ses cheveux en arrière dans un mouvement éminemment dramatique.
- Autorisation spéciale de travail nocturne.
Les cousins échangent un regard qui leur épargnent de prononcer un très sarcastique « Evidemment ». Les yeux de Cornelia doivent rayer les peintures du plafond à force de se lever au ciel avec une telle violence.
- Vous n’avez pas d’autorisation.
- Oh merde ! Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ?
Ponctuant son ton nasillard d’un rire arrogant, Elias contourne la table où elle est installée pour se diriger vers l’étagère la plus à gauche du cul-de-sac.
- T’inquiète pas, on sera pas longs.
- J’espère bien que vous serez aussi courts que vos…
Sa phrase se fait casser en deux par un sifflement plaintif. Elias se retourne brusquement vers son frère, sourcils froncés, visiblement contrarié.
- Bro.
- Quoi ?
- C’est plus là.
- Hein ?
Simon se précipite à la suite de son frère, tâtonne les mêmes tranches dans le noir.
- Vous cherchez quoi exactement, les génies ?
Elias ouvre la bouche, prêt à déployer toute son expertise en réplique cinglante mais il semble se raviser. Les Rosiers échangent un regard et reviennent dans le périmètre lumineux. L’aîné s’éclaircit la gorge, le benjamin passe une main sur sa nuque.
- On a… ouais… comment dire ça… entreposé des… ouais… des trucs… des trucs très cool dans un des bouquins… Enfin… Une boîte… Mais qui ressemble à un bouquin… ouais… Qui était là…
- Juste là…
D’un même mouvement désemparé qui leur donne l’allure de deux petits garçons surdimensionnés, ils pointent un même point dans la rangée fouillée quelques secondes auparavant.
- Et là… bah…
- Y’a plus.
- T’as une idée de qui a pu bouger à ça ?
- Oui.
- Pardon ?
- Oui. Moi.
Penchant la tête sur le côté, elle leur adresse une mine interrogative.
- Le deal avec Pince c’est que je peux rester après la fermeture si j’organise un de ses rayons. Elle en a marre que les gens sortent ses livres avec des accio et les range n’importe où. Il faut tout désenvouter et reclasser avec le nouveau système. Elle a investi dans des étagères imperméables à la magie, c’est pour ça qu’il faut tout faire à la main. J’me suis occupée de cette section aujourd’hui.
- Mais il y a deux cents bouquins.
- Quatre cent quarante-trois.
Les frères ne se sont probablement jamais autant ressemblé que dans ce moment de scepticisme absolu.
- Mais… Il est où le nôtre ?
- Qu’est-ce que j’en sais ?
- …
- …
- …
- Nellie.
- Ne me Nellie pas.
C’est à leur tour de croiser les bras.
L’occasion de remarquer le gonflement étonnant de leurs muscles, comme s’ils avaient fait plus de sport récemment.
Elle ne sait pas exactement pourquoi, mais ça l’agace prodigieusement.
- Bon. Si vous pouviez vous dépêcher, je n’ai pas toute la nuit pour finir mes devoirs.
- T’es en troisième année, Nellie.
- C’est un concept qui vous échappe sans doute mais les études comptent vraiment pour certaines personnes.
Le plus serpentard des deux hausse les épaules.
- T’as pas l’impression d’en faire trop ?
Elle plisse les yeux.
- Tu veux dire comme quand tu t’es saoulé à trois heures du matin dans les Cuisines, à brailler parce que Monsieur s’était barré sans toi pour une excursion avec ses chers amis ?
Simon proteste. Rumeurs infondées. Diffamations.
Cornelia ne lui accorde pas un regard, braquant son mépris vers Elias.
- Des nés-moldus.
Pas plus de commentaires nécessaires.
D’un mouvement sec du poignet, elle referme l’énorme livre ouvert devant elle.
Le bruit engendré résonne sur plusieurs rangées.
Ils lui ont filé la migraine.
Elle fait pivoter ses jambes et se lève de son siège sans daigner les regarder plus longtemps.
Elle marmonne un charme et la quinzaine de manuscrits s’élèvent dans les airs avec lourdeur, néanmoins prêts à la suivre comme une portée de canetons.
Bousculant les garçons en passant entre eux, elle s’éloigne à grands pas vers la sortie, marmonnant d’un ton acide :
- Allez. Au plaisir. Si Rusard vous chope, surtout ne vous débattez pas. Il adore jouer avec la nourriture.
- Attends…
- Tu nous as pas dit quel système t’as pris pour classer le bouquin…
Elle se fige. Pivote lentement vers eux.
Sourire éblouissant.
- Je sais.
Sans ajouter un mot elle se détourne et reprend son chemin.
Les laisse devant les rayonnages.
Quatre cents quarante-trois livres.
❝ Violet, rouge, bleu ❞1980 & Manoir Rosier - My heart’s a Bludger right into ya face
It’ll crush the players hard with such a grace
Debout sur le lit, elle s’égosille.
Les ressorts craquent à chaque bond.
Sa crinière gonfle sous ses nombreux coups de têtes.
Ses poings battent l’air de plus en plus énergiquement à mesure que les couplets se déversent.
Le tourne-disque crache à un rythme effréné des notes agressives.
Ses hurlements peinent à dépasser le volume indécent des paroles.
- Even if my soul twirls when you call them dolls
Try to touch my girls and I’d accio your balls
Essoufflée, elle continue.
Saute plus haut. Chante plus faux.
Evan lui avait envoyé de lui-même quelques gallions pour acheter l’album qu’elle voulait depuis des mois.
Cornelia compte bien y faire honneur.
Sa tête tourne.
Ses yeux brillent.
Son rire est presque féroce alors qu’elle articule les paroles.
- Your tiny wand never impressed me…
Elle entend des pas. Une porte qui claque.
Un bond la précipite au sol. Ses mains entraînées aux opérations d’urgence arrête le vinyle, en extirpe un autre de sa pochette, replace le bras métallique en vitesse.
Son frère et son père étaient « en déplacement ». Sa mère ne devait pas rentrer de son cocktail avant la fin de l’après-midi.
Qui était-ce ?
Elle passe une main dans ses cheveux, les discipline relativement.
Une valse terriblement viennoise s’élève.
Prenant un air doux, elle ouvre précautionneusement la porte de sa chambre.
Ne passant que la tête par l’interstice, elle plisse les paupières, inspecte les environs.
Le couloir aujourd’hui.
Okay.
Bien.
Elle ouvre la porte plus largement et avance sur le parquet ciré.
Sa mère était depuis quelques temps dans une de ses périodes particulièrement enjouées.
Elle s’était pris cette fois-ci d’une passion dévorante pour la décoration.
Vraiment dévorante.
Chaque jour, de nouveaux meubles et accessoires arrivaient par toutes les cheminées de la maison, la plupart du temps stockés dans des endroits les plus impromptus parce qu’Iliana oubliait les avoir commandé. Ainsi Cornelia avait-elle dû se laver au milieu d’un service à thé de porcelaine chinoise de plus de quatre-vingt éléments, chacun emballé dans une boite individuelle. Mais cela ne s’arrêtait pas là. Des arbres du jardin se retrouvaient déraciné parce qu’ils gênaient la vue. Une large véranda avait été à moitié érigée pendant la nuit en extension du salon. Les murs changeaient de couleur, des plantes envahissaient les escaliers, la taille des pièces changeaient au grès des envies changeantes de la maîtresse de maison.
Jusqu’à la disposition architecturale y passait. Ainsi depuis plus d’une semaine, chaque fois qu’elle ouvrait la porte de sa chambre, Cornelia se retrouvait face à une salle différente.
Si elle ne s’en était que très peu plainte, les lubies de sa mère n’étant pas exactement un phénomène récent, il avait fallu mettre un halte-là quand elle s’était retrouvée dans le bureau de son père, alors en pleine discussion à voix basse avec un homme habillé tout de noir, avec pour seul vêtement sa nuisette d’été, cernes et marques d’oreiller en guise de maquillage.
Elle pince les lèvres en repensant à la scène.
Celle-là, elle l’emportera dans la tombe.
Les pas se sont dirigés vers le salon, elle entend un fauteuil dont les pieds raclent sur le sol. Sans attendre, elle se glisse jusqu’à l’escalier de l’entrée, le descend le menton relevé et pénètre directement le grand salon, sourire aux lèvres.
Assis dans le sofa de cuir devant la cheminée, la large stature de son père lui tourne le dos.
Se retenant d’applaudir de joie, elle accélère le pas, contourne un guéridon pour arriver progressivement devant lui.
Il l’entend, lève les yeux vers elle.
Lentement.
Quelque chose au fond de ses prunelles fige Cornelia, éteint ses salutations à même sa bouche.
Quelque chose qu’elle n’arrive pas à identifier immédiatement.
Trop calme pour être de la colère. Trop animé pour être de la tristesse.
Non.
Ce qu’il y a dans ses yeux, sur son visage, dans ses mouvements, c’est la peur.
Elle hausse les sourcils à ce constat, confuse. Son champs de vision pivote, elle se retrouve face à Alaric.
Il se met debout.
Avec lenteur et précaution, le genre de posture qu’on prend pour approcher des animaux sauvages.
Ses yeux tombent sur ses bras, elle ne comprend pas plus.
Violet, rouge, bleu.
Bouffi.
Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
- Ta sœur.
❝ Préfète ❞1982 & Manoir RosierUne épaisse fumée noire.
Des picotements dans les rétines.
Une toux dans la gorge.
Et merde.
Cornelia se précipite pour ouvrir la fenêtre.
Aboie aux elfes de maison de dégager de la cuisine.
C’est sa cuisine.
De la laisser faire.
C’est sa recette.
Elle regarde à droite, à gauche, perdue dans le brouillard suffoquant.
Sa coiffure défaite. Son eye-liner coulé.
Cornelia se rue avant qu’un feu ne prenne, tente de maîtriser la situation.
Un hurlement enragé ne tarde pas.
Des ampoules constellent sa paume.
Un coup de baguette rageur fait jaillir la plaque du four, responsable de ses blessures, et l’envoie valser à toute vitesse droit contre le mur.
Le métal tonne contre la pierre. Le papier-peint est largement déchiré.
Un des carreaux est fendu.
Les cookies noirâtres éclatent au sol en même temps que son cœur.
Incapable.
Elle est incapable.
De quoique ce soit.
Plantée au milieu du carnage, elle plaque ses paumes contre ses paupières gonflées.
Stop.
Stop.
Stop.
Elle rejette sa tête en arrière. Ramène ses cheveux sur une épaule.
Besoin d’air.
Quelques pas chancèlent jusqu’à la porte qui donne sur le jardin.
Elle ignore son talon visiblement cassé.
Dehors, le ciel est gris cendre. L’atmosphère est poisseuse.
Quelques gouttes s’écrasent sur son front brûlant.
Un vent chargé d’orage chasse des miettes calcinées des plis de sa robe noire.
Elle se laisse tomber sur les marches.
Sort de son sac un petit paquet luisant.
Clope.
Elle l’allume du bout de sa baguette.
Tire une première bouffée.
Comme pour remplacer la brûlure qui cuit sa gorge depuis des jours.
Soigner le mal par le mal.
Oublier.
Respirer.
Evidemment, une quinte de toux couronne sa tentative.
Elle se sent conne. Ca fait du bien.
Son regard s’élance sur le domaine.
Elle contemple les arbres agités. La pelouse boueuse. Le potager envahit d’herbes.
La dernière fois qu’elle y avait pénétré, Simon et elle s’étaient mis en tête de passer une nuit à la belle étoile. S’en était suivi un orage, une attaque de niffleurs et une rentrée précipitée dans le manoir. Et des rires. Tellement de rires.
Ca semblait si faux à présent. Un conte un peu naïf perdu dans des temps oubliés.
Ses pensées s’enfoncent dans la terre détrempée.
Jamais deux sans trois, qu’ils disaient.
Quelle connerie.
La blonde a toujours viscéralement détesté les prophéties.
Cornelia expire un nuage bleuté. Laisse le goût de tabac s’attarder sur sa langue.
Margery avait tout organisé dans le manoir pour la réception funéraire.
Faire-part. Décorations. Services. Tenues. Serviteurs. Horaire. Boissons. Buffet.
Efficace. Discrète. Respectueuse.
Absolument parfaite.
Cornelia s’était contentée de cacher les photos de famille.
A quoi bon ?
Quelle famille ?
Les images défilent à toute vitesse.
Les mains. Les moues. Les fronts plissés.
Les murmures. Les sanglots.
Les pelles qui frappent contre le sol.
Tip. Tip. Tip.
Les pétales arrachés par le vent. Un cri de nourrisson.
Et puis le trou.
Elle dedans.
Dans sa boîte trop large.
Empilée au-dessus des deux autres.
Ils étaient partis. Une dernière fois.
Une mer si noire d’anonyme qui les engloutissait.
Elle. Eux. Tout.
Quelqu’un avait déposé une gerbe en retard.
Condoléances à la famille Rosier.
Quelle famille ?
Cornelia cligne des yeux, dans son souvenir et sur les marches.
Ouais.
Cacher des photos et rater des cookies. Voilà ce qu’elle avait fait de plus productif depuis le décès.
Elle n’avait même pas réussi à pleurer.
Derrière elle, des pas.
A côté d’elle, des jambes.
Elle continue de fumer. Le regard droit devant elle.
Ils s’asseyent.
Un à droite. L’autre à gauche.
Leurs genoux touchent les siens.
Elle les déteste.
Ils sont bien trop grands.
Bien trop hommes.
Bien trop vivants.
Un coup d’index envoie le mégot se perdre dans une flaque.
Neelam dort paisiblement dans les bras d’Elias.
Cornelia pose lentement sa tête sur son épaule. Glisse sa main dans celle de Simon.
Ferme les yeux.
Contre sa cuisse, elle sent le badge métallique perdu au fond de sa poche.
Elle l’avait oublié.
Reçu le matin-même.
Préfète.
Qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre à présent.
Elle a envie d’éclater de rire.
Ou de pleurer.
Elle ne sait plus trop.
Quoi penser. Qui être.
A travers la porte la fumée des biscuits carbonisés continue de sortir en spirale.
Des oiseaux se répondent en croassant.
Sa main la lance.
La pluie continue de tomber.
- Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
Pas de réponse.
❝ Dix points ❞1982 & Poudlard- Très bien Meredith, tu vois la consistance épaisse ? C’est exactement ça qu’on veut.
- Comme une compote.
- Oui !
- Mais le manuel dit que ça doit être violet…
- Oh ne t’en fais pas pour ça, on se revoit mercredi prochain, d’ici-là la couleur aura tourné. Un truc à retenir c’est de regarder si tu as une couleur froide ou chaude. Ici il est rouge plutôt pourpre, donc l’onguent va sûrement murir vers les violets ou les roses. Si c’était un rouge plus orangé, là il aurait probablement fallu tout recommencer…
- Ah. D’accord. Je…
- Tu peux y aller.
La Serdaigle de quatrième année lui adresse un sourire nerveux, fourre précipitamment son nécessaire à potion et son grimoire dans un sac de toile et se précipite pour sortir du laboratoire.
La porte du petit cachot claque désagréablement.
Cornelia soupire bruyamment.
Cette gamine n’arrivera probablement jamais à produire plus qu’une pommade contre les boutons. Mais elle a le mérite d’essayer de progresser.
D’un tour de poignet, elle éteint les derniers feux qu’ils avaient laissé sous leur chaudron en partant.
Les vapeurs s’évanouissent lentement.
Le silence absolu prend des fragrances aromatiques.
Racines coupées, fleurs séchées, macéras parfumés.
Elle s’appuie sur le bureau de professeur, défait sa queue de cheval, essuie la pellicule de sueur de son front d’un revers de la main. Devant elle, une dizaine de tables à préparation qu’elle avait disposées en cercle parfait. Le but était que n’importe qui puisse s’asseoir n’importe où et observer tout le monde. Apprendre ou corriger. Et puis cela instaurait une petite rivalité qu’elle estimait parfaitement saine.
Nouveau soupir.
Organiser le club de potions.
Comme si ses nuits n’étaient pas assez occupées.
Entre les réunions de préfets, et les débats interminables que cela engendrait, les retenues à superviser, le travail de bénévolat auprès de l’infirmerie et des archives de la bibliothèque, le programme de soutien aux devoirs des premières années, ses propres examens à préparer ainsi que l’organisation la maison de Serpentard à gérer.
Quand le professeur lui avait proposé de remplacer, sortez les mouchoirs, la septième année malencontreusement tombée dans les escaliers magiques suite à une crise de somnambulisme le jour même de la rentrée, elle n’avait cependant pas hésité une seconde. Presque comme si elle s’y attendait.
Elle avait réussi à échanger ses rondes du mercredi soir avec le préfet-en-chef, un Poufsouffle particulièrement musclé, pour se dégager une plage d’horaire libre. Tout ce que ça lui avait coûté, c’était un baiser prolongé et un peu de dignité.
Tout ça pour quoi ? Elle n’en est plus vraiment certaine.
L’admiration dans les regards. La façon de prononcer son nom. Les notes forcément en hausse.
Le respect. L’influence. L’arrogance.
Avoir des gens qui lui doivent quelque chose.
Des relations placées par-delà les frontières des maisons.
Une réputation que les évènements extérieurs ne peuvent entacher.
Tout-ça, oui.
Son regard erre sur les bocaux colorés qui s’alignent sur le bureau, leur contenu gluant en suspension. Les petits sacs remplis d’herbes rares qu’on l’avait autorisée à prélever dans les serres. Les poudres aux étiquettes rongées par le temps qu’on l’avait laissée, avec réticence, emprunter de la réserve des ingrédients.
Et le reste aussi.
Tranquillement, elle attrape un des pots, versent quelques cristaux argentés sur le revers de son pouce. Avec le naturel de l’expérience, elle tapote le dos de sa main jusqu’à ce qu’une ligne parfaite soi formée et avec une élégance douteuse en aspira l’ensemble par la narine droite.
Elle pince son nez, lève la tête, laisse la chaleur se répandre le long de ses membres.
Elle se rappelle pourquoi.
Un sourire flotte sur son visage alors que sa fatigue se désintègre.
C’est reparti pour un tour.
Il n’est que vingt-trois heures, elle a encore au moins quatre heures devant elle.
D’un seul coup beaucoup plus énergique, elle replace rapidement tous les ingrédients à leur place, replace le tas de parchemins correctement et fait disparaître les instructions à la craie qui recouvraient le tableau.
Ses pupilles se dilatent d’aise. Son cerveau est aéré.
Elle a la fugace mais intense impression de savoir ce qu’elle fait, ce qu’elle est.
Elle inspire à fond.
Elle se sent si bien.
Un rire se love dans la salle.
Il lui faut quelques secondes pour comprendre que ce n’est pas le sien.
Bang.
La porte s’ouvre à la volée.
Entre à reculons un tas de chair et de cheveux.
Des bruits de succion prononcés se font entendre.
Les lèvres luisent dans un cou. Des jambes serrées autour d’une taille.
Les respirations éructent des gémissements évocateurs.
Une chemise blanche déboutonnée. Des mains perdues dans des cheveux.
Affichant un sourire aimable, Cornelia annonça d’une voix chantante :
- Cassandra. C’est donc ça cette fameuse retenue qui t’a empêchée de venir à la session du club ?
La température de la pièce semble perdre dix degrés.
Elias et sa proie du jour tournent vers elle des regards amusé pour lui, horrifié pour elle.
Le regard paisible de la Rosier longe les mains qui agrippent fermement les cuisses de la jeune femme.
- Effectivement, tu es… retenue.
La brune émet un cri suraigu, se dandinant bizarrement pour échapper à l’étreinte du Gryffondor. Elle manque de peu de s’écraser complètement au sol. Mal à l’aise, elle tentait de remettre sa chaussure perdue dans leur entrée fracassante.
- Cornelia… Je…
- Viens de faire perdre dix points à Poufsouffle. Bou fucking hou.
La sixième année rougit à vue d’œil, fixant le plafond, repoussant d’une main sèche le septième année toujours aussi tactile.
- Tu es priée de dégager. Tout de suite.
Cassandra est visiblement pourvue d’une excellente audition, la blonde a à peine fini sa phrase qu’elle s’est déjà envolée, ne laissant qu’une bourrasque et un vague sentiment de gêne derrière elle.
Elias, tentant de paraître exaspéré malgré son air goguenard flagrant, se tourne vers la Serpentard alors qu’elle s’assoit tranquillement sur l’une des tables.
- Buzzkiller.
- Si on en croît les ragots des toilettes du quatrième étage, tu peux me remercier, elle a de l’herpès.
- Tu… quoi ?
- De rien.
Contemplant ses ongles d’un air ravi, elle sourit tranquillement.
- Vous pouviez pas aller faire ça dans une de vos tours ?
- Nah. C’est bien un peu d’aventure. Ca change.
Sous ses paupières lourdes, elle glisse un regard dans sa direction.
Nonchalant, il avance vers elle, traîne une chaise pour s’y asseoir à l’envers, les bras croisés sur le dossier.
Il n’a même pas pris la peine de refermer sa chemise. Elle a une envie cuisante de le gifler.
- C’est pas comme ça que tu vas te faire des potes, Nellie.
- Pour en avoir comme les tiens…
- T’aurais déjà bien d’la chance…
- Je me débrouille très bien dans mes relations, Elias Keith Rosier.
- C’est pas ce que disent les filles qui ont raté leurs examens après que la moitié de l’école t’ait entendue gueuler sur un E de métamorphose à un travail groupé...
- Objection. Pure spéculation.
Ses lèvres se retroussent en un sourire mauvais.
- Et c’était un Acceptable. Ce qui paradoxalement ne l’est pas du tout.
Le silence retombe.
Elle détaille son visage. Sa mâchoire prononcée. Son front large. Son nez raide. Ses arcades sourcilières. Ses pommettes. Ses cils. Sa bouche. Elle s’approche et lance joyeusement :
- Cette barbe est immonde.
- Je me suis inspiré de ta tête.
Cornelia hoche la tête, pensive.
Elias gratte son menton.
- Je t’ai pas vue pendant les vacances d’hiver…
- J’étais en France.
- Chez la Archambault ?
- Ouais. Je lui dois bien ça.
Elle déglutit. Détourne le visage.
Sa grand-mère voulait qu’on l’appelle Catherine. Cornelia n’y était jamais parvenue.
Elle avait toujours eu le besoin de mettre une distance. Même quand elle s’était occupée d’elle après l’enterrement de sa mère.
Trop de maux. Trop de morts.
Elles s’aimaient tendrement. Mais ça faisait trop mal. Pour toutes les deux.
- Hey. Un de tes marmots a laissé ça.
Elle sursaute un peu, jetant un regard courroucé à son cousin.
Il tient des lunettes aux verres ronds par la branche et les fait tournoyer alternativement dans un sens et puis dans l’autre.
- Ce ne sont pas mes…
Elias vient de passer les lunettes et de lui adresser une grimace.
Elle reste statufiée.
La barbe. Les sourcils froncés. Le faciès large.
Elle se retrouve dans un bureau immaculé.
Des odeurs de propreté chimique.
Elle entend la voix qui résonne.
Précise. Professionnelle. Chirurgicale.
Tu sais ce que c’est la bipolarité, Cornelia ?
Elle se voit nier de la tête. La voix qui reprend, cachée derrière des lunettes épaisses.
Ta mère le savait.
Son estomac se tord. Là-bas et ici.
Elle mord sa lèvre. Serre les poings.
Elle s’arrache au souvenir, mais les mots collent à sa peau.
Ta mère le savait.
Crissent contre ses tympans.
Ta mère le savait.
Ne la quittent plus depuis des mois.
Ta mère le savait.
Ta mère le savait.
Ta mère le savait.
- Woh. Calme.
Sa main plaquée sur sa bouche.
Toutes les veines de son front saillantes.
Elle ne respire plus.
Depuis ses mots, les potions.
Tous les jours. Tout le temps.
Depuis ses mots, les émotions.
Affolées. Terrifiantes.
Depuis ses mots, le vide.
Elle. Elles. Qui ?
- Nellie.
Ses ongles raient la table.
Son teint bleui.
Un voile noir devant ses yeux.
Elle s’agite d’avant en arrière.
Qui est-elle ?
Sa mère le savait.
Les médicomages le savaient.
Pas Cornelia.
Elle ne savait plus, depuis longtemps.
Sa vie explosée en petit bout qu’elle n’arrive pas à recoller.
La fille Rosier. La fille préfète. La fille optimale.
La fille aux médocs. La fille aux potions. La fille aux poudres.
L’instable.
La dangereuse.
L’incapable.
La folle.
La folle.
La folle.
La baffe claque contre sa peau.
Il pose déjà sa large paume là où il a frappé. La soutient presque par la mâchoire.
Elle cligne des yeux, perdue.
Il a retiré ses lunettes. Sa voix est basse.
- Qu’est-ce qui va pas ?
- Tout va bien.
Sa voix est craquelée par la confusion.
- Tu te fous de moi ?
Le bout de son pouce caresse sa joue.
Une seconde se suspend quand il récolte de la poussière luisante au bord de son nez.
Il reste impassible.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
Ca monte d’un seul coup.
Comme une éruption.
Le moindre de ses nerfs électrisés.
Les bouffées d’énergie devenues amères.
Elle le repousse à deux mains, écrase les larmes au coin de ses yeux.
- Je sais pas ! Tu comprends pas que c’est ça le souci ? Je sais pas !
Non.
Evidemment qu’il ne comprend pas.
C’est Elias.
- Et c’est pas toi qui va m’aider. Pas maintenant !
Elle a envie de lui cracher dessus.
Non.
Pas envie.
C’est déjà fait.
- Ca fait des années que t’es plus là. Que tu m’as lâchée. Que tu nous as tous lâchés.
Elle vocifère.
- Ils l’ont pas encore capté. Mais tu le sais. Je le sais. On va arrêter de jouer aux cons.
Haineuse.
Volcanique.
Enragée.
- Barre-toi ! C’est ce que tu veux, barre-toi loin, reviens pas !
Le dernier mot se mue en un cri tout simplement sauvage.
Elle tente de partir, il attrape son poignet.
Rapide, elle a déjà sorti sa baguette, l’enfonce dans le creux de son cou, juste derrière la pomme d’Adam.
- Je te déteste, je te déteste, je te déteste.
Ses lèvres écument de rage. Elle appuie sur la baguette toujours plus fort.
Lui ne bouge pas. Il a gardé son poignet entre ses doigts. A planté son regard dans le sien.
Sa vision tremble.
Elle titube.
- Tu sais que t’as beau essayer là, pour la famille, tu seras jamais aussi cinglée que moi, hein ?
Le ton est très calme.
Il passe dans l’air comme au ralenti.
La baguette tombe sur le sol.
Elle tombe contre lui.
Des spasmes secouent son corps alors qu’il la serre maladroitement.
Elle n’arrive plus à pleurer. Il ne dit rien.
C’est ridicule.
Tout ça n’a aucun sens.
Presque par réflexe, elle a calé son visage contre son épaule.
Le parfum de Cassandra y est encore.
Elle n’a pas besoin de lui.
Il n’a pas envie d’être là.
Pourtant ils ne bougent pas.
Ils restent là, dans cette étreinte dysfonctionnelle. Ils respirent en silence au milieu des chaudrons.
Comme s’ils n’y avaient pas plusieurs univers entre leurs vies à présent.
Comme s’ils pouvaient mettre en pause leurs ressentiments.
Comme si ce qu’ils étaient était devenu simple.
Le visage contre sa chemise, elle marmonne d’une voix enrouée.
- Gryffondor vient quand même de perdre dix points aussi, tu le sais ça.
❝ Rien que ça ❞1983 & Poudlard- Je croyais que « tu n’avais pas besoin d’assister au cours pour réussir l’examen » ?
- Oui parce que ce cours de rune est vraiment, vrai-ment, très mal donné et que j’ai de meilleures notes en le travaillant moi-même...
- Alors débrouille-toi seule.
- Non. Simon. Je dois avoir tes notes pour le travailler seule. Travailler dessus. C’est le principe.
- Demande celles d’Elias. Il a tapé un Optimal à cet examen.
Un silence consterné suit cette remarque.
- On parle du même Elias, là ?
- Bah…
- Tu sais mieux que moi qu’il a dû les perdre. Ou vomir dessus. Ou les brûler. Ou tout en même temps.
- Comme c’est dommage pour toi.
- C’est tes notes de l’année passée ! Qu’est-ce que ça peut bien changer pour toi ?
- Je…
- J’peux te les passer, moi.
La voix coasse derrière eux.
Cornelia fait volte-face, un sourcil levé.
Le soleil s’insinue à travers les fenêtres du troisième étage, inonde d’une lumière mordorée le coin où elle a réussi à bloquer le Rosier.
A contre-jour, la cause de l’interruption n’est qu’une silhouette immense et noire.
Elle plisse un œil. Cherche le visage.
Elle sent un courant d’air flatter sa main.
Le temps qu’elle se retourne, son cousin a déjà filé. Une tapisserie palpite sur la gauche.
Elle soupire.
Roule des yeux avant de les replacer sur son nouvel interlocuteur.
- Pas très commode, c’ui-là, hein.
- Au moins lui a la politesse de ne pas couper les conversations qui ne le regardent pas.
Elle l’a reconnu.
Les traits grossiers, la nuque bronzée, des muscles peu nécessaires.
Le capitaine de l’équipe de quidditch de Gryffondor. Un batteur.
Elle a tout simplement oublié son prénom.
Ou plutôt, ne s’est jamais embarrassée à retenir ce genre de détails inutiles.
- J’demande qu’à aider.
- C’est pas nécessaire.
- Mais tu viens de…
- Non. J’ai besoin d’aide. Mais pas de la tienne.
Elle tourne les talons, la voletée de livres qui l’entourent habituellement, jusqu’alors posée sagement sur les appuis-de-fenêtre, bat déjà des pages en direction des escaliers. Elle fait à peine un pas qu’un étau calleux broie sa main, la ramenant dans le coin du couloir déserté.
- Comment ça ?
- T’as très bien compris.
- J’suis pas assez bien ? C’est ça ?
- Tu vois, quand tu fais un effort.
Il l’attire plus près de lui, son souffle de bœuf chatouille ses cils. Elle lève menton, le regarde droit dans les yeux.
- J’ai besoin de notes de qualité.
- Oh j’en ai plein de qualités, beauté…
- Vu la façon dont je t’ai botté le cul au club de duel, elles doivent être limitées.
Elle sourit, laisse sa mémoire le saupoudrer d’offense. Sent la chaleur irradier de la bête de foire.
- Tu f’rais bien d’être gentille avec moi.
Rien que ça.
Sa baguette glisse de sa manche vers sa main.
- Ma famille est au Ministère. J’sais des choses.
- Ah ouais ?
- Ouais. J’sais que la roue tourne. Que les temps changent. J’sais que Rosier, ça veut plus dire la même chose qu’avant ici.
Elle lève un sourcil. Il attrape son deuxième poignet.
Un sourire débordant de dents absorbe son champ de vision.
Il pue la satisfaction et la testostérone.
- Ah bah là on écoute, hein, Miss Tombeau…
- Je suis toute… ouïe…
Ses mains endolories commencent à chauffer.
Il continue à sourire et à écraser.
Il commence lentement à tordre ses avant-bras.
Les manuscrits tournent en rond au-dessus d’eux, les couvertures bruissent en touchant les pierres du plafond.
Il se colle presque à elle pour grogner.
- Va falloir commencer à respecter les autres, princesse. L’monde change…
- Je… oh…
Ils sont bien trop proches.
Sa chaleur. Ses poignets. Son corps entier, comme un mur sur lequel on l’aurait plaquée.
Elle le regarde par-dessous ses cils, respire difficilement.
Laisse ses prunelles s’écarquiller, sa bouche s’ouvrir lentement à mesure qu’elle contemple son visage.
Son sourire s’élargit alors qu’elle s’approche.
Leurs lèvres se touchent.
Tièdes et molles.
Les muscles s’agitent. Les terminaisons nerveuses frétillent.
Les commissures. La langue. Les dents.
Il relâche ses poignets. Glisse ses mains sur sa taille.
Elle laisse échapper un gloussement aigu.
Pose une main sur sa joue.
Est-il sérieusement en train de ronronner ?
- Voilà. C’est pas mieux comme-ça ?
Elle s’écarte un peu, la mine timide, murmure doucement à son oreille.
- Non. Ta copine a meilleur goût.
Son genou part, il se plie en deux.
Le sucre a fondu en une demi-seconde.
Son visage soudainement durci crache un enchantement, les grimoires fondent droit sur la tête du colosse.
Elle avance droit vers la tapisserie empruntée par Simon, ne se retourne pas.
Ses talons claquent. Sa cape virevolte.
Les livres la retrouveront bien.
Quant à lui, elle espère simplement que ça laissera des marques.
❝ Une Rosier ❞1984 & Manoir Rosier- Tu as la moindre idée du prix de la robe sur laquelle tu es en train de tirer, là ?
- Laisse-moi passer !
- Non.
- C’est MA maison !
- Et c’est ma réception.
- Tu t’prends pour qui ?
- Une Rosier. Ce que tu es censé être aussi, mais visiblement tu as raté le coche.
- J’veux voir Neelam.
- Tu t’es vu ?
- J’veux la voir.
- Une gosse de cinq ans a pas besoin de voir son cousin défoncé…
- Bou… rré. Pas pareil.
- Bourré à minuit. Adonis l'a mise au lit. Tu la verras demain matin. En admettant que tu sois en état de te lever.
- C’est pas comme si t’adorais cette gamine…
- C’est ma sœur. Et toi, tu n’es pas invité. Point.
- Pourquoi j’suis pas…
- Tu vas réellement poser cette question ?
- Mais…
- On avait un accord. Tu partais te perdre dans un de tes bars moldus pendant toute la nuit et je m’assurais qu’on n’évoque jamais ton nom dans une discussion entre purs…
- Mais j’veux… j’veux voir… Où est Simon ?
- A l’intérieur.
- Tu l’as invité, lui ?!
- Oui. Parce que lui est capable de se contenir pendant une soirée complète.
- Mais depuis quand t’es demi-harpie, toi…
- Baisse d’un ton, les invités commencent à t’entendre.
- Mais je les… hmpf… vire ta main de ma bouche !
- Je perds mon temps et toi aussi, là. On a tous les deux notre place, Elias. Et la tienne est clairement pas ici ce soir. C’est toi qui l’a voulu.
- Attends…
- Bonne nuit.
- Tu peux pas faire semblant d’être toujours toute seule, Nellie. Pas quand on t’a aidé.
Son regard flamboie quand elle referme la porte sur lui et ses yeux vitreux.
Pas de traître à sa table.
❝ Avant 6 ans ❞1984 & PoudlardLa montre vibre.
C’est comme un ricochet dans son cerveau.
Attraper. Débouchonner. Boire.
Elle ferme les yeux.
La potion pétille au fond de sa gorge.
Les bulles éclatent entre ses pensées.
Emporte les sons et les lumières.
La manie s’endort, la dépression vacille.
Mais toutes les autres bêtes rodent encore dans le brouillard.
Elle déglutit.
On frappe à la porte.
- Entrez.
Le thermos file sous le bureau. Ses mains se plaquent sur le bois lustré.
Une poussée et elle est debout, domine d’une tête la silhouette dodue qui pénètre dans le bureau.
Une tête très ronde étonnamment parfaitement maquillée fuit son regard.
- Ah, Wanda.
Elle se rassied aussitôt, adressant un sourire radieux à la petite Poufsouffle, l’invitant à prendre place dans le plus confortable des deux fauteuils à disposition des visiteurs.
- Bon… Bonjour… Mada… dame la préfète-en-chef…
Son angoisse perceptible fait vibrer le titre avec une nuance délicieuse.
Un sourire félin s’élargit.
La blonde se fige, jauge la rousse.
Soupire. Elle n’a pas le temps de jouer.
- Cornelia. S’il-te-plaît. On se connaît depuis sept ans.
Comme si on venait de déverrouiller le cadenas de ses chaînes, Wanda semble se détendre presque immédiatement. Se laissant retomber contre le dossier de sa chaise, elle expire longuement.
- Ah ouais, ouais, okay… c’est juste que… avec tout-ça…
Elle désigne de sa main potelée à la manucure vert d’eau le bureau étroit et surchargé dont elle avait hérité.
- C’est…
- Beaucoup. Pour moi aussi, oui.
Cornelia affiche un air rayonnant, parfaitement à l’opposé de la modestie qu’elle a tenté d’invoquer.
Un silence se développe entre elles.
- Et… donc ? Tu es venue à ma permanence… ?
- Ah ! Oui ! Pour ça…
Ouvrant la petite besace posée sur ses genoux, elle en extirpe un parchemin soigneusement plié. Elle le dépose sur le bureau et le fait doucement glisser jusqu’aux mains de Cornelia.
- L’essais sur la caulerpe chez les sirènes.
Balayant le texte du bout des cils, Cornelia suit les lignes à toute vitesse avec l’ongle de son index.
- Comme prévu. Un parchemin et demi. J’ai mis des notes en fin de page si jamais tu veux consulter les manuels…
- Je les ai déjà consulté.
L’air pensif, la serpentard replie son poing sous son menton, croise le regard à nouveau vaguement anxieux de la poufsouffle puis hoche la tête.
- Okay.
Un mouvement de baguette replie le texte en trois et le fait s’envoler vers un classeur en équilibre instable sur une des étagères qui envahissent les murs. Un autre ouvre un tiroir duquel jaillit une carte céleste impeccablement griffonnée à la plume. Comme un oiseau, elle vient se poser sur l’épaule de Wanda qui s’empresse de l’agripper.
- Astronomie, c’est bien ce qui était convenu ?
- Oui ! Merci beaucoup !
- Au plaisir de refaire affaires.
Fourrant le document dans son sac, elle lui adresse un sourire candide, manque de faire tomber son fauteuil et se précipitant vers la sortie.
Une petite abeille productive.
Cela faisait trois ans que le système tournait.
On avait toujours répété à Cornelia qu’elle devait apprendre à déléguer.
C’était ce qu’elle avait fait.
Dans chaque matière, elle avait sélectionné les deux meilleurs étudiants parmi ceux disposés à participer à sa petite entreprise. A chaque devoir donné, elle demandait alternativement à l'un des deux d’écrire une version pour elle. Ils avaient la moitié du temps imparti pour rendre leur copie. Quand elle recevait cette première version, Cornelia n’avait ainsi plus qu’à s'assurer que la version qu'elle rendrait reflète bien son niveau : reprendre des tournures de phrases, vérifier des informations, ajouter des points plus poussés, des références personnelles,... En somme, élever un bon papier à un niveau optimal, ce qu’elle n’aurait autrement jamais le temps de faire pour tous ses cours. En contre-partie, la main d’œuvres intellectuelles recevaient les brouillons des autres matières. Si les devoirs tournaient dans toutes les mains, Cornelia s'assurait qu'ils n'arrivent jamais à destination trop tôt. Chacun recevait un devoir digne d’un E qu'ils n'avaient plus le temps d'améliorer. Subtilité qu'aucun de ses petites abeilles n'avaient compris, trop heureux de ne pas avoir à étudier, ne serait-ce que pour un sujet. La Rosier s'assurait d'une fidélité absolue de ses petits employés tout en s'assurant de conserver la tête du classement officieux des étudiants. C’était du gagnant-gagnant. Certains étaient suffisamment impressionné par elle pour se contenter de ses bonnes grâces et les copies, d’autres se laissaient convaincre par quelques gallions en supplément.
Il faut ce qu'il faut.
Au fond de son fauteuil, Cornelia ferme les yeux.
Respire profondément.
La mécanique est parfaitement huilée. Les engrenages maîtrisés.
Aucune erreur n'était tolérée.
La perfection était le seul résultat admis.
Son front se plisse.
Son crâne collé contre le cuir.
Elle acquiesce à l'image de son père qui flotte dans le noir de ses paupières.
Ce serait l’année la plus grandiose de ses études.
Aucun professeur ne parviendrait à oublier son nom.
Elle serait la dernière Rosier à Poudlard avant six ans.
C’était à elle d'élever leur nom de leur famille au rang de compliment.
Une dernière chance.
Marquer les esprits.
Au fer rouge.