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sujet; [Event #3] I met an old friend today

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Sa baguette posée devant lui sur la table, Keziah ne pouvait s'empêcher de faire pianoter ses doigts le long de la fine branche de noyer dans laquelle elle avait été taillée. Le lien déjà très spéciale qui l'unissait à sa vieille compagne était aujourd'hui plus vivace, plus pressant que jamais, comme si la magie prisonnière en son cœur était entrée en résonance avec celle qui coulait au-travers de ses veines. Il pouvait presque la sentir frémir sous ses doigts, et pour une raison qu'il ne s'expliquait pas très bien ce sentiment l'emplissait de sérénité. Il se sentait bien. Il n'aurait pas su dire à quel moment de la soirée le changement s'était opéré, mais ses soucis lui semblaient dorénavant si loin de ses préoccupations. Il avait au creux du ventre comme une boule de chaleur plongeant tout son être dans un bain de bienveillance.

Les conversations de ses anciens collègues de la Gazette, attablés à ses côtés, n'étaient plus qu'un brouhaha riant, distant, auquel il avait cessé de prêter véritablement attention depuis un moment déjà. Un sourire absent aux coins des lèvres, son regard dérivait sur la foule. Il ne savait pas ce qu'il cherchait mais il lui semblait attendre quelqu'un. Chaque fois qu'il croisait un regard, il sentait les muscles de son dos se tendre et son cœur manquer un battement. C'était un sentiment empli de tant d'amour que, pour lui, cela ne pouvait signifier qu'une chose. Victoria devait être présente, et la magie de Beltrane cherchait à tout prix à les réunir. Il en était persuadé, et s'il avait accepté de se rendre à Pré-au-Lard ce soir, c'était bien avec l'espoir que sa fugitive de femme aurait elle aussi eut l'idée de profiter de l'occasion pour se fondre dans la foule. Jamais depuis ces derniers mois Keziah n'avait à ce point pris conscience de l'importance qu'elle avait pour lui. Ni d'à quel point il se sentait incapable de vivre sans elle.

Une nouvelle bourrasque de vent fit bruisser les feuilles des arbres, et avant qu'il n'ait eu le temps de se rendre compte de ce qu'il faisait, Keziah se retrouva debout sur ses pieds. Il s'entendit marmonner quelque chose comme une vague excuse à l'intention de ses anciens collègues, puis il s'engouffra au milieu des passants. Il n'avait aucune idée d'où il allait. Ses jambes semblaient obéir à un ordre impérieux sur lequel il n'avait pas la moindre emprise. Il devait la trouver. Elle était là, il en était sûr et certain maintenant. Son regard sondait frénétiquement la foule, jusqu'à ce qu'une silhouette encapuchonnée n'attire son attention. Là. Elle marchait vers lui, elle aussi, et quand Keziah attrapa son bras, que ses yeux croisèrent les siens, la surprise fut telle que son visage tout entier prit une expression pour le moins choquée. « Dav... ? » Il se retint de justesse de prononcer le nom de l'insurgé à voix haute. À la place, sa poigne se fit un peu plus pressante et il entraîna le sorcier dans l'allée étroite devant laquelle ils se tenaient, là où les regards curieux  ne viendraient pas les déranger. « Par Merlin, tu peux me dire ce que tu fous ici ?! »

Il ne savait pas pourquoi mais il se sentait soudain en colère. Ses traits se détendirent pourtant presque aussitôt alors qu'il prit le temps d'observer le visage de son vieil ami. La dernière fois qu'il l'avait vu, Davius était encore un homme marié, père de deux jeunes filles magnifiques qui avaient toute leur vie devant elles. Ava, Gemma, Jillian. Les fantômes des trois femmes semblaient danser dans ses yeux, et Keziah sentit sa bouche se torde dans une mimique sincèrement peinée. « Davius, je... Je suis tellement désolé. »
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L'insurgé a quitté le plus gros de la fête, la foule dense, pour laisser traîner ses oreilles dans les conversations aux alentours. Difficile à faire, vu son taux d'alcoolémie et les ricanements féminins stridents qui l'empêchent de bien entendre, mais il croit bien tout de même capter quelques bribes intéressantes. Surtout quand il se concentre sur la figure ô combien connue de June Winchester, qui se fait rapidement alpaguée par cet infâme rejeton de Mangemort qu'est le fils Malfoy, dont il regrette encore de ne pas avoir pu enfermer le père à Azkaban il y a de cela bien des années. Il est tenté de les suivre pour savoir ce qu'ils se disent, pour en savoir plus, mais quelque chose d'autre le tire ailleurs. Quelque chose qui le hante, profondément, un sentiment lancinant et douloureux, pourtant délicieux.

C'est dans un étrange automatisme qu'il marche donc vers une silhouette, si floue dans son regard, si claire dans son esprit. Il ne sait pas – un homme, une femme, il ne sait pas.

(Jillian ? C'est impossible, il l'a vue mourir, il le sait, et pourtant, serait-ce elle – dans ses souvenirs, tournant avec sa couronne de fleurs sur la tête, sautant par-dessus les feux de fertilité, main dans la main avec lui, il la voit encore, il peut presque sentir son parfum, mêlé à celui du bois brûlé)
(Elphaba ? Il vient de la laisser, non, ça ne peut pas être elle – les cheveux violets rouges roses bruns blancs le corps chaud brûlant bouillant et son cœur qui lui fait mal à la pensée d'elle et de son sourire)

La poigne est bien différente, pourtant, quand elle se referme sur son bras. Ses yeux se fixent sur le visage devenu clair, très net, de Keziah. Campbell. L'époux de Victoria. Celui qui n'est pas encore avec eux. Parce qu'ils ont une fille. Une petite fille. Louise. Une petite (brune, non pas brune, ce sont les tiennes, ça) blonde. Keziah. Son ami. « Dav..? » Il n'est pas le seul à avoir reconnu l'autre. Il n'a pas le temps de réagir, ni même d'acquiescer, que Keziah raffermit sa poigne. Et où le tire-t-il ainsi ? Il murmure des « Woh » comme pour tenter d'apaiser le sorcier, tout en sachant que c'est inutile. Il est sans doute plus fort, c'est quand même un sacré gratte-papier le Campbell, mais il n'a pas envie de se partir. Pas envie de se débattre. La forme lumineuse dans son champ de vision épouse la silhouette du Serdaigle, le nimbant subtilement de blanc, et il est fasciné par cette lueur. Son cœur s'est apaisé, la sensation d'avidité également. Les failles ne veulent pas se rouvrir, elles ne peuvent rien contre cette magie plus que blanche. Le choc, donc, quand il le lâche enfin et lui lance avec colère : « Par Merlin, tu peux me dire ce que tu fous ici ?! »

Un clignement des yeux. Il ne sait pas quoi répondre. Que fait-il ici ? « J'écoute », qu'il répond avec un peu d'incrédulité. C'est ce qu'il a dit à Elphaba. Il écoute. Il y a quelque chose d'étrangement irréel, dans cette déclaration, ainsi que dans le visage de Keziah, qui change du tout au tout. De la colère à la peine. « Davius, je... Je suis tellement désolé. » Désolé. Comme par télépathie, par partage de pensées, son esprit rejoint le sien – les silhouettes fantomatiques de son épouse, de ses filles, dansent devant ses yeux. Brusquement, il repousse l'homme, de ses deux mains contre ses torse, mettant une distance entre eux. C'est à lui d'être en colère. « Ça ne les ramènera pas, d'être désolé. Il voit encore mieux le blanc, l'aura, autour de la tête de son vis-à-vis. Hallucination de sa part ? Sans doute. Même sa colère ne veut pas durer. S'estompe déjà. Tu fous quoi ? Pourquoi tu... restes là. Ici. De ce côté. Collabo. Un autre. Les cheveux blond blanc d'Elphaba, plus tôt. Ceux blonds de Keziah. ... tu veux quoi ? » Vic, peut-être ? Des informations sur elle ? Il essaie encore de se montrer distant, le ton sec, râpeux, celui qu'on lui connaît si bien. Mais il y a quelque chose de plus fort que lui.
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La réaction de son ami ne surprit pas Keziah plus que cela quand il le repoussa brutalement. Davius était un homme revêche, un de ces caractères emporté et fier qui ne supportait guère les élans de compassion, surtout  quand leur peine s'accompagnait du terrible poids de la culpabilité. Celle d'avoir causé la mort des êtres qu'il avait le plus aimé au monde. Celle, aussi, de ne pas avoir été le mari idéal lorsque Jillian était encore en vie. Keziah savait. Ils n'en avaient jamais parlé ouvertement tout les deux mais Davius n'était pas très doué pour le mensonge, pour dissimuler, et pour quelqu'un comme l'ancien aiglon, dont le regard captait malgré lui bien trop d'informations dans le comportement de ses semblables, le secret de son infidélité n'en avait jamais été un. Il aurait voulu lui dire que tout cela n'avait plus d'importance aujourd'hui, que malgré ses défauts il avait été un bon père et un mari aimant, que ce qui était arrivé n'était pas sa faute, sûrement pas, mais il n'en fit rien. Cela n'aurait rien changé à ce que Davius ressentait, et il n'avait aucune envie de se prendre son poing dans la figure en prime. Il l'aurait sûrement assommé sur place. Puis il avait raison : rien ne les ferait revenir dorénavant. Elles étaient perdues à jamais.

« Tu fous quoi ? Pourquoi tu... tu veux quoi ? Me regarde pas comme ça, c'est pas moi qui ait ma tronche placardée sur tous les murs du pays en tant qu'indésirable n°3. C'est ridicule cette capuche. Les rues sont infectées de mangemorts, tu imagines ce qui se passera si l'un d'eux te reconnaît ou si n'importe quel clampin décide de faire du zèle ? » À cette pensée, il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, comme si une main invisible et particulièrement cruelle l'avait comprimé entre ses doigts. C'était une sensation si vive qu'il fut incapable de poursuivre son argumentaire. On l'avait dénoncé lui aussi, un jour, il y a très très longtemps, tellement longtemps qu'il ne parvenait même plus à se rappeler quand. Il ne se rappelait plus non plus qui ni pour quoi, mais cela faisait soudain tellement mal. La trahison, comme une brûlure dans son ventre. Une nouvelle bourrasque de vent s'engouffra dans la ruelle et au-delà du visage de son ami, Keziah aperçu la vague image d'un arbre, un vieux chêne planté au sommet d'une colline où poussait une herbe verte et haute, sauvage. Aux pieds de l'arbre centenaire, il lui sembla distinguer les silhouettes enlacées de deux jeunes gens, mais quand il voulut faire le zoom dessus, l'image disparut aussi brusquement qu'elle était arrivée.

Keziah secoua la tête de droite à gauche et s'ébroua légèrement. La magie de Beltane lui jouait des tours. Il n'avait jamais vu cet endroit de sa vie, il en était certain, sa mémoire lui jouant rarement des tours, et il avait vraiment d'autres chats à fouetter que de se préoccuper de ça. « Victoria. Elle est avec toi ? J'ai besoin de la voir, ou au moins de savoir qu'elle va bien. Dis-moi qu'elle va bien, je t'en supplie. Il disait cela mais son ton n'était pas suppliant. Il était ferme, dur presque. Vous êtes tous tellement... inconscients. » C'était injuste de sa part. Injuste et idiot, mais ses mots dépassaient sa pensée. C'était plus fort que lui. Il leur en voulait. À lui, à sa femme. Il leur en voulait d'être partis faire leur guerre, au nom d'une soi-disant justice, sans un regard en arrière ni penser aux conséquences. Il leur en voulait et, par-dessus tout, il s'en voulait aussi à lui-même d'éprouver un sentiment si petit. Si bas.
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« Me regarde pas comme ça, c'est pas moi qui ait ma tronche placardée sur tous les murs du pays en tant qu'indésirable n°3. N°4. C'est ridicule cette capuche. Les rues sont infectées de mangemorts, tu imagines ce qui se passera si l'un d'eux te reconnaît ou si n'importe quel clampin décide de faire du zèle ? » Son commentaire a tranché, précision inutile à laquelle il tient tout de même.

Sa main rabat brusquement son capuchon, exposant nettement son visage fatigué où une expression frondeuse a pris place. « Et comme ça, c'est mieux, hein ? » Il chuchote, c'est déjà ça, mais c'est de hurler dont il a envie – dont il a toujours envie. Envie de crier, de frapper. La magie de Beltane réussit à calmer ses ardeurs, mais il y a des choses qui sont là depuis longtemps, imprégnées dans son être. Ce n'est certainement pas comme ça qu'il imaginait des retrouvailles avec son ami. « Comme ça ils risquent pas de me rater. » Sa voix lui semble encore distante, pâteuse, et bien qu'il y mette autant de conviction qu'il peut, il reste une impression de (faux, de mensonge) force. L'alcool rend ses sens flous, il a de la difficulté à percevoir le monde correctement et les esquisses hallucinées qu'il aperçoit n'arrangent rien. Un grognement alors qu'il masse ses tempes. Il a trop bu. Il s'en fout. Il en avait besoin. Pour ne pas penser à lui sautant, main dans la main avec Jillian, au-dessus des feux de Beltane, pour ne pas penser à (l'arbre, la trahison) tout un passé qui ce soir se fait prégnant. Envahissant. Obsédant.
« Victoria. Elle est avec toi ? J'ai besoin de la voir, ou au moins de savoir qu'elle va bien. Dis-moi qu'elle va bien, je t'en supplie. » Évidemment qu'il veut savoir pour Vic. Son nez se plisse, sa moue devient critique, agressive, montrant (les crocs) son mécontentement. Et qui est-il pour prendre ce ton avec lui ? Son père, peut-être ? « Vous êtes tous tellement... inconscients. » Inconscients ? Un rire, bref, mauvais. « Et tu vas faire quoi de cette information ? La refiler à tes petits copains des Mystères ? » Au fils Malfoy, pourquoi pas ? Après tout, il a des contacts privilégiés avec le Lord. Il est ici ce soir. Il parle avec June. Sa June. L'Auror. Sa collègue. Les babines encore retroussées, l'Auror qui se rapproche du Langue-de-Plomb pour encore mieux le pousser. Il ne peut pas le frapper, non, il ne veut pas, il en est incapable. Il fait ce qu'il peut. Il en a quand même besoin. « Essaie pas de faire passer ta lâcheté pour autre chose, Keziah. »

Lâche. Couard. Peureux.

Les mots veulent venir, ne sortent pas. La colère est toujours contenue, ne déborde toujours pas.

Sa langue passe sur ses lèvres, il mord l'intérieur de ses joues, se balance légèrement sur ses pieds. Le monde tourne trop. Il a trop bu. « Vic va bien. Sa bouche est sèche. Très bien. » Un accent nonchalant sur le 'très', quelque chose qu'il sous-entend alors qu'il n'y a rien à sous-entendre. Que ce désir de blesser qui lui laisse un goût de cendres. Qui ne semble pas vrai. Davius ne sait pas mentir. Même pour faire mal. Ce n'est pas lui. Il soupire, se frotte encore les tempes. Il y a des images. Ces images. Le mensonge. Les cachettes. L'interdit. C'est loin, ça remonte à loin, il y a quelque chose qui chatouille, qui gratte, qui veut s'imposer, quelque chose qui lui chuchote à l'oreille. « Tu lui manques. Louise aussi. » C'est la vérité. C'est tout ce qu'il peut dire. Au moins, elle sait que les siens sont encore vivants. Il y a encore quelque chose à retrouver.
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La tension était palpable, l'atmosphère électrique entre eux, à tel point qu'il n'aurait pas été étonné de l'entendre crépiter. Keziah non plus n'avait pas imaginé que ses retrouvailles avec Davius se dérouleraient ainsi. S'il avait dû se figurer la scène avant ce soir, il se serait vus se donner l'accolade. Une embrassade brève, virile mais fraternelle. Ils ne se seraient pas dit grand-chose mais auraient fait sauter le bouchon d'une bonne vieille bouteille de whisky et l'auraient bu en silence, côte à côte. Parce qu'ils n'auraient pas eu besoin de mots pour se comprendre, et certainement pas pour se sauter à la gorge. Pourtant ils revenaient de loin. Quand Victoria était rentrée à la Brigade puis avait commençait à fréquenter Davius, lui et Keziah ne faisaient pas vraiment bon ménage. C'était un peu comme vouloir mélanger de l'huile avec de l'eau, ça ne prenait pas. Ils n'avaient rien en commun. Comme pas mal d'autres brigadiers, Davius se demandait sûrement ce qu'une fille intègre comme Victoria foutait avec un petit malin comme lui, un sale gosse arrogant plus rusé qu'honnête qui n'avait visiblement aucun respect pour l'ordre. Keziah, quant à lui, voyait en Davius l'archétype du mec viril pas bien malin, sachant surtout rouler des mécaniques plutôt que de faire fonctionner ses méninges. Puis l'auror avait été assigné à sa protection lors du scandale sur la Confédération Internationale des Sorciers, et les deux hommes avaient appris à se connaître au-delà de leur différence.

Cela faisait quatre ans qu'ils ne s'étaient pas vus. L'auror avait changé. Les traits de son visage étaient plus tirés, fatigués. Des cernes noirs cerclaient ses yeux bleus, dans lesquels Keziah découvrait une nouvelle dureté. Celle d'un homme qui n'avait plus rien à perdre. Mais il n'allait pas le laisser déblatérer sa bile pour autant. « Arrête. Je n'ai pas vraiment eu le choix. Qu'est-ce que tu voulais que je fasse Davius, hein ? Que je lâche tout, moi aussi ? Après ce que Vic a fait, ils sont venus – il n'avait pas besoin de préciser qui. Qu'est-ce que tu crois qu'ils aient menacé de faire à ma fille ? Réfléchis, Davius, je suis sûr que t'en as une petite idée. Crever de faim sur les routes en animal traqué ou servir d'esclave à une espèce de détraqué, c'est ça les seuls choix qu'il lui reste dans la vie ?! Non. Alors viens pas m'emmerder parce que t'as... » Il s'arrêta brusquement, avant d'achever sa pensée, se rendant compte de ce qu'il s'était apprêté à dire sous le coup de la colère. Parce que t'as pas été foutu de faire pareil. Il chassa l'air devant lui de sa main, comme il l'aurait fait d'une mouche particulièrement agaçante et détourna le regard. « Laisse tomber. » Mais le mal était fait. Il savait que Davius avait comprit ce qu'il avait voulu dire, et même si ce n'était qu'une parole en l'air, comme les siennes un instant plus tôt, cela n'enlevait rien à la morsure. À la brûlure.

« Vic va bien. Très bien. » Son regard se reporta sur lui et ses yeux se plissèrent légèrement. Davius ne savait pas mentir, pas à lui en tout cas, mais son sous-entendu lui fit tout de même l'effet d'un coup de poing au creux du ventre. Il frappait pile poil à l'endroit sensible. Il aurait pu le traiter de tous les noms, lui en coller une, même, si ça pouvait lui faire plaisir, Keziah n'aurait probablement pas cillé, mais sa remarque sur Victoria, aussi inconsistante soit-elle, le piqua au vif. Pour la simple et bonne raison qu'au fond de lui, Keziah s'était toujours dit que Davius était bien plus le genre d'homme avec lequel aurait dû finir sa femme plutôt qu'avec lui. « Tu lui manques. Louise aussi. » Il sonna la fin des hostilités avant même que Keziah n'ait fini de digérer sa remarque précédente. Ce dernier sentit alors toute sa colère, toute son angoisse et sa frustration de ces derniers mois se muer en un soudain sentiment de lassitude mais aussi de soulagement. Il relâcha brusquement l'air contenu dans ses poumons et passa ses deux mains sur son visage. Pour une raison bizarre, il se sentait au bord des larmes mais il n'en montra rien. À la place, il retourna un vieux cageot qui traînait là et s'assit dessus. Il tira une mignonnette de la poche intérieur de sa veste et en but une gorgée avant de la tendre à son ami. « Je t'ai déjà dis que t'étais qu'une espèce de salopard ? » souffla-t-il avec l'ombre d'un sourire.
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La défensive. L'attaque. Il ne sait pas comment agir. Keziah, un ami. La position est celle de la défensive, les mots ceux de l'attaque – l'animal ne sait pas plus quoi faire. Alors il écoute, justement. C'est ce qu'il est venu faire, ce soir. Écouter. Même si cela ne lui plaît pas. « Arrête. Je n'ai pas vraiment eu le choix. Qu'est-ce que tu voulais que je fasse Davius, hein ? Que je lâche tout, moi aussi ? Après ce que Vic a fait, ils sont venus.  il n'avait pas besoin de préciser qui. Qu'est-ce que tu crois qu'ils aient menacé de faire à ma fille ? Réfléchis, Davius, je suis sûr que t'en as une petite idée. Crever de faim sur les routes en animal traqué ou servir d'esclave à une espèce de détraqué, c'est ça les seuls choix qu'il lui reste dans la vie ?! Non. Alors viens pas m'emmerder parce que t'as... » La voix du Langue-de-Plomb se tarit. Pas besoin de compléter la phrase, il la devine, mais il avance quand même une réplique agressive. « Parce que j'ai quoi ? Laisse tomber. » C'est bien ce qu'il se disait. Même pas le courage de terminer sa phrase. Pas pour rien que c'est Victoria la Gryffondor et non pas lui.

Et oui. Il a toutes les idées du monde sur ce qu'ils ont menacé de faire à Louise.
(PAPA !)
Une pensée brève qui lui donne un haut-le-cœur, rapidement calmé heureusement. Le trop plein de whisky et les souvenirs tristes ne font pas bon ménage. Il sait. Il aurait pu. On lui a proposé. Mais non. Il n'est pas ainsi. Il ne se couche pas, il ne courbe pas l'échine.
Qu'importe, n'est-ce pas ? Les choix sont faits. Leurs choix.

Le sous-entendu en carton a fait mouche, il le voit bien, et bien que ce soit bas, que ce soit sale, il en est tout de même content – avec toujours ce goût amer, cette impression que ce n'est pas juste. Qu'il n'a pas à faire cela. C'est inutile. C'est vain. C'est ridicule, surtout, et le relâchement conjoint des deux hommes apaise cette tension électrique entre eux. Cette tension qui menaçait de réellement prendre feu. Victoria aurait été furieuse qu'il foute une raclée à son homme, cela dit. « Je t'ai déjà dit que t'étais qu'une espèce de salopard ? Un rire, plus fort, plus sincère, d'une voix toujours rauque, mais plus douce. Sa main vient cueillir la mignonnette tendue par Keziah. Ça fait mon charme. » Une gorgée d'alcool avant de lui rendre le tout, essuyant sa bouche du revers de sa manche. Il a trop bu et il boit encore trop. Il s'appuie contre le mur du bâtiment proche d'eux, plus détendu encore, revenu à cette joie légère qu'il éprouve depuis le début de cette soirée. Cette euphorie pas uniquement alcoolisée.
Il entend la musique changer, les cris s'intensifier. Les jeux de joie. Sauter au-dessus des feux de joie. Les amis. Les amants. Amants ? Amantes. Elphaba. Juste elle. Et pourtant. Son esprit sature. Il se laisse glisser au sol, ses jambes devenant molles. « Tu te défends pas mal non plus, vieux crétin. » Quand il lève les yeux vers Keziah, désormais plus élevé que lui puisque assis sur son cageot, il est un instant fasciné par lui. Il y a encore ce halo, autour de lui, ce halo apaisant, et quelque chose d'indéniablement attirant, profond. Ce qui est ridicule. Même si objectivement, Keziah est bel homme, il n'a jamais eu ce genre de sentiment avant. Mêlé à cette peur étrange (de le perdre). C'est l'alcool. La fatigue. La magie. Beltane. Un clignement confus des yeux et sa vision se replace, redevenant droite. « Comment va la petite ? » C'est bête, comme sujet. Ce n'est pas ce qu'il veut, pas ce qu'il doit demander. L'avidité est revenue, la presse, ce sentiment d'interdit, de cachette. C'est Keziah, pourtant, il n'a pas à avoir peur de lui. C'est un collabo, oui, mais ce n'est pas un (TRAÎTRE). « Comment vas-tu ? »
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« Si moi je suis un crétin, il faudra m'expliquer ce que ça fait de toi. » Cette fois-ci, son sourire s'étira d'un bout à l'autre de son visage, dévoilant l'émail de ses dents. Il tourna la tête et abaissa un regard insolent de malice vers son ami, qui avait glissé le long du mur à ses côtés. Une minute encore auparavant, ils étaient prêts à se voler dans les plumes, comme deux jeunes coqs se disputant un coin de basse-cour, et maintenant ils plaisantaient à nouveau comme ils le faisaient au bon vieux temps. Avant le retour du Lord. Avant la guerre, les morts et les regrets. La tension électrique flottant entre eux s'était aussi brusquement évanouie qu'elle n'était apparue. Des reproches assassins formulés un instant plus tôt ne restait plus que l'absurdité de pareils propos. Si Victoria et Jillian avaient pu les voir, nul doute que les deux femmes auraient bien ri de leur sottise, de cet ego puéril digne de deux gosses. Keziah aurait donné cher pour pouvoir retourner à cette époque, à l'une de ces soirées qu'ils avaient partagé tous les quatre, autour d'un repas copieux et de deux ou trois bonnes bouteilles de vin. Mais cela n'arriverait plus jamais.

Il n'avait jamais vraiment fait attention à quel point Davius était beau. Il l'avait toujours su, bien sûr, il n'était pas aveugle, mais, là, alors que son regard plongeait dans celui de l'auror, il en prenait soudain pleinement conscience et cela faisait naître une douce mais aussi une curieuse sensation de chaleur quelque part dans le creux de son estomac. Il aurait voulu pouvoir tendre la main et toucher sa joue, souligner du bout des doigts ces pommettes hautes qui lui rappelaient celles d'un autre visage. C'était un désir pressant, presque douloureux, qu'il ne pouvait pas expliquer. Davius lui rappelait soudain un être qu'il avait aimé, si passionnément aimé que cela avait fini par le tuer. C'était absurde, complètement idiot, mais c'est ce qu'il ressentait. L'ancien aiglon secoua alors à nouveau la tête pour chasser ces images de son esprit. Il n'était pas tout à fait lui-même ce soir, il le sentait bien, et cela ne lui plaisait guère. Pour ne pas perdre le fil, il s'accrocha alors à la conversation. Louise, oui. Sa fille était bien réelle, elle.

« Comment va la petite ? Bien, s'entendit-il répondre d'une voix un peu rauque qu'il éclaircit d'un raclement de gorge. Enfin, aussi bien que la situation puisse le permettre. Elle n'est pas idiote, elle comprend ce qu'il se passe dans les grandes lignes, mais c'est encore une enfant. Sa mère lui manque. » Ce qu'il disait là, Keziah savait que Davius le transmettrait à Vic. C'est pour cela qu'il ne lui parla pas des cauchemars, des hurlements de Louise, au beau milieu de la nuit, de ses hoquets paniqués et des larmes dégringolant ses joues alors qu'elle s'agrippait à son cou en lui racontant qu'elle avait vu des silhouettes encapuchonnées de noir emmener sa maman avec elles. Parfois, le matin, elle ne se souvenait même plus de ce qui s'était passé, ce qui n'était certainement pas plus mal se disait Keziah. Il restait alors seul face aux ombres, aux monstres qui hantaient ses propres nuits. « Comment vas-tu ? Moi ? Il écarquilla légèrement les yeux, comme si la question avait quelque chose d'inattendu. Il resta muet pendant quelques secondes, avant de finir par hausser les épaules. Je n'en sais foutrement rien. Je suppose que toi non plus alors je ne te retournerai pas la question. »

Comment allait-il ? La vérité c'est qu'il n'osait pas prendre ne serait-ce que deux minutes pour regarder en lui-même et se le demander. Il avait peur de se mettre à hurler s'il le faisait. Il n'allait pas bien, non. Sa vie lui semblait insipide, aberrante, vide de sens. Il se sentait comme un automate placé sur pilote automatique ou un animal en cage sans aucune échappatoire possible. C'est la réflexion qu'il était en train de se faire quand sa respiration se fit soudain plus lourde et que son cœur se mit à battre plus fort dans sa poitrine. Une peur inexplicable venait de se glisser sous sa peau tandis que des flammes se superposèrent à son champ de vision. « Aïe ! » Une vive douleur venait de le saisir. D'un geste brusque, il se débarrassa de sa veste et remonta précipitamment les manches de sa chemise, ce qu'il dévoila le laissant alors sans voix. De larges plaques de brûlure s'étalaient sur ses avant-bras. « C'est quoi ce délire ? » Ce ne pouvait pas être réel. Il n'avait aucun souvenir de s'être fait ça. Mais la douleur revint, deux fois plus intense encore et un hurlement retentit à ses oreilles. Je vous maudis! Maudis soit l'heure et le jour de ma mort ! Vous brûlerez vous aussi ! Vous brûlerez tous en Enfer ! « Arrête ça ! Arrête ça ! » se mit-il à gronder. Sa tête, il avait l'impression qu'elle allait exploser et s'agrippa les cheveux à la racine. Ça faisait tellement mal ! Et ces hurlements étaient tellement horribles !
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La petite va bien. C'est important. Il hoche la tête, doucement, détournant le regard de Keziah, pour faire cesser ce flot de pensées complètement incongrues et idiotes, ne servant à rien sauf à lui confirmer qu'il est bel et bien déchiré comme un... comme un Gallois qui a bu son poids en whisky, quoi. Ce qu'il est bien ce soir. Il a bu pour oublier et il a le sentiment que quelque chose veut uniquement qu'il se souvienne. La petite va bien. Louise va bien et sa mère lui manque – et si elle savait comme elle manque à sa mère... « Moi ? Je n'en sais foutrement rien. Je suppose que toi non plus alors je ne te retournerai pas la question. Touché. » Réponse grinçante, un peu triste.

Il va mal. Ils vont mal. Il ne veut pas trop prendre le temps de s'y attarder, mais il sait que quelque chose ne va  pas depuis depuis plusieurs mois. Plus profondément que la guerre, que tout ce dont on se doute. Quelque chose qui attend. Ils vont mal et ce n'est certainement pas la peine de s'attarder sur le sujet.
Sage décision, se dit-il, et il va pour proposer à Keziah de s'éloigner un peu plus du cœur du village, pour être certains de ne pas être découverts par des fêtards un peu trop curieux, quand celui-ci laisse échapper un « Aïe ! » inexpliqué. Aussitôt, Davius se raidit, sa baguette bien serrée dans sa main. Prêt à se relever pour sauter sur quiconque les attaques. L'animal est au repos, mais il est toujours prêt à bondir. Prêt à mordre. « Quoi ? Qu'est-ce qui s'passe ? » Un sort ? Une blessure anodine ? La réponse ne lui est pas adressée. Elle est adressée aux longues marques de brûlures que dévoile le Langue-de-Plomb, après avoir retiré sa veste et remonté les manches de sa chemise. Le « C'est quoi ce délire ? » fait écho à sa pensée, à son expression incrédule. Ça ne vient sans doute pas de nulle part. Ce n'est pas anodin – ce n'est jamais anodin. L'Auror se relève du sol, ses jambes récupérant de la force (il chancelle tout de même, merde, il voit tellement flou, des traits de blanc, d'orangé, de feu), et il empoigne son ami par le bras. Tentant de le relever de la caisse où il est assis. « On s'en va. On doit être surveillé. Maintenant. » Tout de suite. La paranoïa. Elle ne doit pas prendre le dessus. Ils doivent partir. Se séparer sinon. Ses paroles tombent dans le vide, toutefois – le bras du Campbell lui échappe quand celui-ci se prend la tête, apparemment accablé par un mal de tête fulgurant. « Arrête ça ! Arrête ça ! »

Ça lui rappelle
(ELPHABA ELPHABA ET SA MÉMOIRE EFFACÉE ET)
Punissez-moi, non, punissez-moi, laissez-la, non, pitié »)
(la douleur, bon sang, la douleur – il a l'impression de sentir ses cicatrices se rouvrir dans son dos)
Elphaba.

C'est tout ce à quoi il pense.

« Je fais... rien. » Ce n'est pas lui. Pas lui. Pas lui. Pas de sa faute. Si. De sa faute. La faute. Visible. La lumière devient un feu, un feu brûlant qui ne le brûle pas lui, que son visage, qui semble le lécher. Il titube un peu, s'effondre à nouveau contre le mur, le visage dans les mains. « On... part. Maintenant. On part. » Une litanie. Partir. Ils doivent partir. Se sauver. Ils ne doivent pas être pris. Surpris. Découverts. La chose gratte, gratte encore, revient de plus en plus au devant de son esprit. La douleur se fait lancinante dans son dos, comme des lacérations, comme celles qu'il a reçu (des coups de fouet, il en a reçu – Davius et l'autre, ils en ont eu tous les deux, les uns magiques, les autres autres autres oh bon sang la douleur), le souvenir devenant trop présent. Il attrape la chemise de Keziah et le lève de force de la caisse, pour ensuite le traîner derrière lui, dans les ombres des maisons serrées, le pas incertain, erratique, les voix hurlant dans son esprit (« Vous brûlerez tous en Enfer ! »). Lorsqu'il s'arrête, la main encore crispée sur le vêtement de l'autre, c'est le cœur au bord des lèvres. Il crache au sol – du sang. Il a tellement mal.
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Elle était une enfant de l'été, née à son solstice et devenant chaque année un peu plus belle à mesure que les saisons s'égrainaient lentement. Ses cheveux blonds tombaient en cascade dans son dos et formaient de larges boucles sur ses épaules. Des boucles d'or pour des yeux d'émeraude. C'est ainsi que l'on nommait la petite princesse, Boucles d'Or, même si elle n'était plus si petite que ça aujourd'hui. Elle avait fêté son quatorzième anniversaire cet été. Il y avait eu une telle fête ! Son père avait invité tous les vassaux voisins pour un somptueux festin. Les fourneaux des cuisines avaient chauffés sans discontinuer pendant des jours pour produire des merveilles, des poulardes, des rôtis de chèvre, des pâtés de cerf, des cygnes blancs farcis, des fèves et des œufs de caille. Ce jour là, ce ne furent pourtant pas les cadeaux, les musiciens ou les histoires des troubadours qui firent chavirer son cœur et allumèrent une flamme au creux de son ventre, mais un simple sourire. Celui d'un garçon aux yeux rieurs qui l'avait dévisagé derrière le plateau de victuailles qu'il transportait d'un convive à un autre. Un garçon qui ne portait pas les mêmes vêtements que les siens.

« On... part. Maintenant. On part. » La voix de Davius lui parvint à travers un brouillard, comme s'il lui parlait de très loin. Keziah essaya de toutes ses forces de s'y raccrocher mais la réalité présente lui glissait inexorablement entre les doigts. Les souvenirs d'une autre époque qui défilaient devant ses yeux n'étaient pas les siens mais plus il les combattait plus l'étau lui enserrant le crâne se resserrait. Il se rendit à peine compte que son vieil ami l'avait remit sur ses deux pieds et l'entraînait plus profondément dans la ruelle où ils se trouvaient. Il s'agrippa à lui pourtant, comme un noyé à sa bouée, tentant de se concentrer pour réussir à mettre un pied devant l'autre sans trébucher. Car il fallait avancer. Fuir. S'ils s'arrêtaient, ils les trouveraient et tout serait alors perdu.

Une brise de vent soufflait sur la colline, faisant se coucher l'herbe haute et chanter le feuillage du vieux chêne au-dessus de leurs têtes. La princesse aux boucles d'or sourit. Était-ce bien réel, tout cela ? Pouvait-on vraiment éprouver un tel bonheur ? Son amant endormi auprès d'elle, elle ne pouvait se résoudre à détacher les yeux de lui. Il avait l'air si paisible. Sa respiration était lente et profonde. Du bout des doigts, elle vint caresser la pointe de son épaule avant d'aller dessiner les contours de son omoplate puis de glisser le long de son dos nu. Jamais elle ne pourrait se lasser de la douceur de cette peau tannée par le soleil. Jamais elle ne pourrait se lasser de ses caresses. Alors qu'elle déposait un chaste baiser dans son cou, le garçon laissa échapper un grognement. Il remua quelques secondes puis passa le menton par-dessus son épaule, son visage s'éclairant quand il l'aperçut. Et ce sourire. Ce sourire, mon dieu, elle aurait pu le manger ! « Ma princesse. Pour toujours, » souffla-t-elle avant de l'embrasser passionnément.

Ce n'était pas évident de savoir qui d'eux deux soutenait l'autre. Keziah essayait d'aider Davius autant que ce dernier l'aidait à tenir debout. Ils manquèrent d'ailleurs de peu de s'écrouler par terre lorsque l'ancien auror s'arrêta brusquement. Il fut prit d'un haut-le-cœur soudain et la gerbe de sang qu'il cracha fut comme un électrochoc pour Keziah, qui se plaça face à lui et lui saisit la tête entre ses deux mains. « Davius ? Davius ! Je suis là, c'est bon, tout ira bien Davius, tout ira bien, je te promets. Je suis là. » Les mots jaillissaient d'entre ses lèvres comme un torrent. Un flot sans fin de paroles de réconfort tandis qu'il lui caressait doucement les cheveux, comme il pouvait le faire à sa fille, la nuit, pour la rendormir après un cauchemar. Poussé par une force mystérieuse, Keziah se pencha même en avant et vint embrasser son front fiévreux. « Je me souviens maintenant. N'ai pas peur. Je t'en supplie, n'ai pas peur. Quand la douleur sera passée nous serons ensembles pour toujours, je te promets. » Ces paroles n'étaient pas les siennes.
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Des mains empoignent son visage et le relève, le forçant à planter ses yeux dans d’autres yeux, à fixer son regard sérieux. « Davius ? Davius ! Je suis là, c'est bon, tout ira bien Davius, tout ira bien, je te promets. Je suis là. » Là. Il – elle – est là. Le goût du sang reste, mais il hoche un peu la tête. Oui. Tout ira bien. Il hoche la tête encore, avant que les larmes mouillent les commissures de ses yeux, se perdant dans les rides de tracas et de sérieux qui déjà les bordent, accusent son âge et son combat. « Non, ça… n’ira pas. » La protestation est étouffée. Il sent la main de l’homme dans ses cheveux, contact qui calme le rythme de son cœur, le fait ravaler des larmes aux origines inconnues. Un baiser sur son front, inattendu, le fait fermer les yeux, s’appuyer un peu contre son ami. Ses mains agrippent ses bras, les brûlures râpant ses paumes abîmées. « Je me souviens maintenant. N'aies pas peur. Je t'en supplie, n'aies pas peur. Quand la douleur sera passée nous serons ensembles pour toujours, je te promets. »

Il garde les yeux fermés.
Il se souvient.
Il se souvient des souples boucles d’or glissant entre ses doigts, de la bouche baisant la sienne, du rire résonnant dans ses oreilles. Les souvenirs se mélangent avec d’autres (le feu, le feu, Jillian sautant par-dessus le feu, ses cheveux blonds brûlant de mille reflets), jusqu’à complètement se fondre, laissant toute la place à ceux oubliés depuis longtemps, refoulés dans une mémoire magique, dans une âme  perdue.
Il se souvient du repas, des victuailles à donner aux seigneurs et surtout à la fêtée, à Boucles d’Or, qu’il n’avait jamais pu voir d’aussi près, dont le regard, dont le sourire, avaient percé son cœur d’une flèche qu’on ne pourrait retirer à moins de le tuer. Rien n’avait échappé à son père, mais ses oreilles avaient refusé d’entendre les avertissements, le cœur croyant en des protections infinies pour ceux qui se désirent en secret, en une magie bien au-dessus d’eux pouvant les garder du monde. Il l’avait vue nimbée de lumière et n’avait pas se retenir de voler jusqu’à elle, quitte à se brûler les ailes.
Il se souvient du parfum de l’herbe haute sous le chêne.
Les brûlures, encore chaudes (comme les siennes, son dos, celles qui ont dévoré la chair), la peau douce, l’odeur de l’alcool, celle d’un feu qu’on allume, le parfum du bois brûlé mélangé à celui du sang, de la chair consumée par le feu (du cochon rôti, qu’il avait pensé, ça sent le cochon rôti).

Il caresse les brûlures des bras, sans savoir si elles sont réelles, ou si elles sont le résultat de ses hallucinations. Il se souvient, lui aussi. « Tout est de ma faute… ma princesse… » Tout est toujours de sa faute – de sa faute si elle(s) est (sont) morte(s). Ma princesse, ce n’est pas lui, ce ne sont pas ses mots. Une autre vie, une autre voix, d’autres souvenirs. Les épaules s’abaissent un peu, le regard si sérieux, si sévère, celui si désemparé et nerveux, s’adoucit encore. Les boucles blondes glissent encore entre ses doigts, elle est encore là – ses yeux, son sourire, son rire, la lumière. Ils seront toujours ensemble. Le chêne, ils n’ont pas brûlé le chêne, il sera toujours là, lui. Sa joue vient se coller contre celle de son vis-à-vis, se suivant d’une étreinte empressée. « Pour toujours, ma princesse. »
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